Chapitre 11
Céleste
Je sèche rageusement mes larmes, appuie sur un bouton de l'ascenseur au hasard, et je crois que même si j'avais appuyé sur la sonnette d'alarme je ne m'en serais pas rendue compte.
La cage commence à descendre, et moi je serre les dents, tandis qu'autour de moi le vent se réveille de nouveau, exprimant toute ma colère.
Je me retourne brusquement face au miroir, et appuie mes deux poings contre la vitre en poussant un cri de détresse et de rage mêlées.
Je suis une boule de nerf, mes dents serrées au possible me font mal, et je ne parviens même pas à faire le vide dans ma tête pour réaliser tout ce qui vient de se passer.
Quand les portes s'ouvrent de nouveau, je suis au rez-de-chaussée, et je sors rageusement de l'ascenseur, attirant les regards de plusieurs personnes.
Je suis comme ça, incapable de contenir ma colère, et je l'ai toujours été.
Je m'avance dans la grande pièce lumineuse, et cherche quelque chose, n'importe quoi, un truc qui pourrait me faire évacuer ma colère.
Je m'avance jusqu'au comptoir où une hotesse me regarde arriver avec de grands yeux appeurés, et je me sens suivie du regard par beaucoup de clients présents ici.
- Mademoiselle ? S'enquit l'hôtesse. Vous avez besoin de quelque chose ?
- Oui, où y a-t-il un bar par ici ? Je demande brusquement, les yeux lançant des éclairs partout autour de moi.
- Eh bien, nous avons le bar municipal de l'hôtel, sur votre gauche. Voulez vous que je vous réserve une place ? Vous êtes Céleste Hunter je ne me trompe pas ?
- Vous avez bonne vue dis donc, je crache sans aucune pitié. Pas la peine de prévenir que j'arrive, je me démmerde.
Je tourne les talons sans états d'âmes, abandonnant complètement la bonne éducation que se sont pendant des années appliqués à me donner mes parents.
Je traverse la salle sous le regard dérouté des passants, je marche sans regarder autour de moi, ayant pour point de mire uniquement la grande porte sur laquelle je vois écrit l'enseigne du bar.
Je suis soudain projetée sur le sol, frappée par une lourde force, et je tombe, mais rattrapée in extremis par une main.
Comme je suis dans un état déplorable de colère, je hurle en levant les yeux :
- Putain ! Vous pouvez pas faire attention !?
La personne qui m'a renversée ne me regarde pas, c'est un homme habillée très classe, d'un costard et d'une cravate, des cheveux châtains blonds, et qui semble relativement pressé.
Quand il relève la tête, je croise un visage joueur, des yeux bleu... Bleu ciel, de légères tâches de rousseurs, à peines visibles, et puis une expression très familière. Il dégage beaucoup de charmes, il doit être âgé d'environ 40 ans, et pourtant je suis persuadée qu'il est le genre d'homme à être plus beau en vieillissant.
Il se redresse, m'attrape fermement par les épaules, me relève, me plante dans le sol, et jette par-dessus son épaule avant de partir en courant :
- Excusez moi mademoiselle !
Il court à toute allure, comme s'il avait le diable à ses trousses, et je fronce les sourcils, surprise par cette étrange rencontre.
En même temps qu'il court, sa veste noire se soulève au gré de ses mouvements, et c'est alors que je peux nettement voir le bout d'un gun dépasser de son pantalon.
Tout en courant, il plaque sa main contre son oreille, et il semble... Parler ?
Je me retourne face à mon objectif de nouveau, décidant que cet homme ne vaut pas la peine qu'on s'attarde sur lui, et je me remets à marcher d'un air décidé.
Je m'apprête à pousser la porte du bar, quand je tombe nez à nez avec Thomas, ou du moins, ce qu'il en reste.
Mon frère, les mains vides, mais moites, accrochées comme dernier recours au battant de la porte, s'écroule presque contre le mur. Il transpire, son visage luit à la lumière, et il se tient le ventre d'une main, tout en grimaçant. Son visage est affreusement pâle, comme s'il était malade.
- Thomas ? Je m'étonne.
Son regard glisse sur moi comme si je n'existais pas, et il change d'optique, et se jette presque dehors, hors de l'hôtel.
Ses jambes sont tremblantes, elles peinent à le tenir debout, et il titube à chaque mouvement.
- Thomas ! J'appelle.
Il ne me répond pas, m'ignore, et puis sort dans la nuit, sans me prêter attention.
Je me mets à lui courir après, je m'élance à sa suite, et puis je sors dans le grand soir, tandis qu'un souffle frais s'engouffre sur chaque parcelle de ma peau.
Je tourne la tête de tout côtés, cherche mon frère, et puis je finis par l'apercevoir au loin, appuyé contre un mur à... à vomir ses tripes.
Inquiète, je m'approche doucement, et appelle :
- Thomas ?
Il ne me répond pas, s'appuie plus fort, comme si sa main gauche tentait de s'aggriper coute que coute au dernier espoir, tandis que sa main gauche tient son ventre.
Il fait sortir tout ce qu'il a, et j'avoue ne jamais l'avoir vu dans cet état.
Enfin, il semble se calmer, il tousse, crache, mais reste dos à moi, fuyant totalement mon regard.
Attendrie et désolée, je sors de ma poche un paquet de mouchoir, en dégote un, et puis m'approche de mon frère, qui semble en ce moment réellement mal.
Je pose ma main sur son épaule droite, et je constate avec effroi qu'elle tremble, tout comme le reste de son corps.
Je lui tend le mouchoir, et il s'en saisit faiblement, d'une main tremblotante au plus haut point.
Je ne dis rien, ne voulant pas froisser son égo.
Thomas s'essuit lentement la bouche, et puis je n'ose plus m'approcher, voulant respecter son intimité.
C'est alors que ses épaules se secouent plus fort, prises de tremblements puissants, et des bruits ettoufés me parviennent alors.
J'écarquille les yeux, cette fois ci profondemment choquée, et je sens mes jambes se mettre à trembler effroyablement.
- Tho... Thomas tu...
Je ne finis pas ma phrase.
Pour toute réponse à ma question muette, mon frère se retourne, et me montre son visage, dégoulinant de larmes toutes plus poignantes les unes que les autres.
Il éclate de nouveau en sanglots, et puis se jette dans mes bras.
Il s'aggripe à mon cou, et enfouit son visage au creux de ma nuque, tout en chuchotant entre deux sanglots :
- Je ne suis qu'un salop !
Complètement bouleversée par la situation, je passe mes bras autour de la taille de mon frère et le recueille contre mon corps, sans savoir comment réagir.
C'est la toute première fois que je vois, de ma vie entière, mon frère pleurer.
Et ce constat qui me bouleverse plus que tout.
- Pourquoi tu dis ça ? Je chuchote.
Il s'accroche à mes cheveux et continue en essayant de calmer ses larmes :
- Parce que c'est la vérité !
Il me lâche soudain, se dégage de moi, et essuie ses larmes en enfouissant son visage dans ses mains, reprenant son souffle, et puis il tend son visage rougit vers le ciel.
Il observe les étoiles, inspire profondémment, et ses larmes cessent de couler.
Il inspire de nouveau, expire, ferme les yeux, et puis part s'asseoir sur le trottoir.
Dehors, quelques personnes passent, peu nombreuses, mais ne prêtent pas attention à nous, Time's Square est presque vide.
Je pars m'asseoir aux côtés de Thomas et inspire profondémment, ne sachant comment réagir face à l'état de mon frère.
Il attend quelques instants, et puis il annonce soudain, sa voix plus cassée qu'à l'accoutumée :
- J'ai fais un truc affreux.
Je fait une grimace et rit d'un rire sans joie :
- Oh crois moi, ça ne peut pas l'être pire que ce que vient de me faire ton beau brun.
Thomas se tourne cette fois vers moi, et fronce les sourcils, me posant une question muette à laquelle je réponds seulement :
- Je te raconte après, commence.
Il obéit, et du coup ses yeux quittent les miens.
Il tourne son visage face à la rue, et commence :
- Crois moi, ça va être dure pour toi de pas m'en vouloir...
- Dis toujours.
Cette fois ci, il me regarde, droit dans les yeux.
- J'ai effacé James de la mémoire de Léna.
Je passe la main sur mon front, ferme les yeux, et souffle :
- Oh putain...
Thomas grimace, et puis continue :
- Je peux pas rattraper ma connerie.
- Pourquoi t'as fait ça ? Je demande cette fois en écartant les mains.
- Je... C'était un coup de tête ! Elle était si... Désemparée et... Je n'en pouvais plus de ne plus la voir sourire, alors j'ai... J'ai craqué. Mais je regrette !
- Putain Thomas ! Je m'écrie, la bouche ouverte, les sourcils froncés et les yeux pleins de reproches.
- Je sais ! J'aurais jamais dû faire ça ! Mais je...
- Putain mais merde Thomas ! Tu te rends compte ?
- Oui je me rends compte ! Tu crois que c'est pour quoi que j'étais dans cet état là ? Pour le plaisir ?
Je tourne la tête rageusement, et ne répond pas.
Là, c'est la cata.
Effacer des souvenirs de la mémoire de quelqu'un... Effacer James de la mémoire de Léna.
Je ne peux même pas décrire à quel point ce geste me dégoûte.
Je ris sèchement, et puis je laisse échapper, sans contrôler les états dévastateurs de ma phrase :
- On dirait que ça te plaît hein ? Effacer des choses importantes de l'esprit des gens.
Je regrette mes paroles à la seconde où elles sont sorties.
J'enfuis mon visage entre mes mains, et n'ose pas regarder mon frère.
Je balbutie :
- Excuse moi...
- Non, tu as raison, annonce t'il durement.
Mais cette dureté n'est pas adressée à moi.
Mais à lui-même.
- Je n'aurais jamais dû dire ça, je souffle en relevant la tête.
- Et moi je n'aurais jamais dû m'effacer de ta mémoire. Ni effacer James de celle de Léna.
- Ok, c'était une grosse connerie pour James et Léna. Mais... Je sais très bien me concernant que c'était pour me protéger. Et dans les deux cas, ça part d'une bonne intention.
- Mais d'une bonne intention tellement conne ! S'écrie Thomas en grinçant des dents.
- Ok, ok. Mais maintenant il est trop tard pour se morfondre et s'apitoyer sur son sort. Maintenant, il faut réagir.
- Et comment ? S'écrie Thomas cette fois ci en se tournant vers moi. Tu sais très bien que ma magie est irréversible, il est impossible de se souvenir de...
- Ah oui ? Et moi je suis quoi alors ? Je réplique.
Thomas m'observe, et soupire.
Je continue :
- Tu m'as d'abord effacé de ta mémoire, je suis morte, et j'ai atterrit sur Terre sans aucun souvenir de ma vie de surnaturelle. J'ai réussi à me souvenir de tout. Et je suis persuadée que c'est possible par d'autres que moi avec un peu d'aide.
Thomas semble hésiter à continuer, et puis il finit par avouer :
- C'est bien ça qui me perturbe...
- Quoi ? Je dis surprise.
Et puis, je comprends.
- En fait... Tu ne veux pas qu'elle se souvienne.
- Je... Oui ? Non ? Je n'en sais rien je suis paumé.
- En fait tu ne regrettes rien du tout ! Je m'écrie. Si c'était à refaire, tu le referais ! Avoue-le !
- Putain ! Ok oui j'avoue !
- Merde Thomas ! T'es censé apprendre de tes erreurs et ne pas les recommencer ! T'es idiot ou quoi ?
- Tu ne comprends rien ! S'écrie t'il.
Il se lève brusquement, et se met à tourner en rond comme un lion en cage, le visage déformé par la colère, la frustration, la tristesse ? Un mélange d'un peu tout, et je n'ai jamais vu autant d'émotions traverser le visage de Thomas.
Son mur s'est brisé, tombant en milliers de petits morceaux sur les pavés.
Il se retourne face à moi, serre les dents, et s'approche très près.
Il chuchote entre ses dents :
- C'est la première meuf sur laquelle je tombe que je ne meurs pas d'envie de mettre dans mon lit. Malgré tout ce que j'ai pu dire, je n'en ai strictement rien à foutre de la baiser. Quand je la vois, ce que j'imagine c'est ma vie future avec elle, des petits gosses blonds ou châtains roux aux yeux bleu ou vert courant sur le carrelage blanc d'un château que j'aurais construit pour offrir la meilleure des vies à cette fille ! Je m'imagine la couvrir de cadeaux, de caresses, de mots doux, je nous imagine nous chamailler tout en riant, et emmener nos gosses à l'école. Un garçon une fille dans l'idéal. Mais si la menace de James est toujours présente, tout ça sera impossible !
Ses paroles me font plus de mal que tout ce que m'a hurlé Clive à la figure plus tôt.
Les rêves de mon frère... Sont irréalisables.
- De toute façon, finis par souffler Thomas, dans tous les cas tout ça n'arrivera jamais.
Il y a quelque chose dans sa voix, une intonation, une note différente, plus cassée que d'habitude, qui tilte à mon oreille.
- Thomas... Je souffle. En effaçant James de la mémoire de Léna, tu as effacé ses bons souvenirs. Tu as en même temps effacé tous ces moments que tu as passé à la réconforter. Tu as... Sûrement effacé tes chances de l'avoir. Si tu ne l'avais pas fait, Léna se serait souvenue de tout ce que tu as fais pour elle, et elle aurait finit par faire son deuil. Tu sais comme il est dur d'accepter la mort d'un proche, tu ne te souviens pas quand on a perdu papa ? Tu ne te souviens pas comme c'était dur ? ça nous a pris du temps de l'accepter, mais on a fini par s'y habituer, parce que la douleur s'amenuise, et même si elle reste, elle est moins présente. Et même si nous savons que papa a la chance d'être encore vivant, quelque part sur ce continent, on a toujours mal parce qu'on sait qu'on ne le reverra jamais. Pour Léna, c'est pareil. James ne reviendra pas.
Je laisse passer un petit silence, et puis j'ajoute :
- Peut-être qu'elle aurait mis du temps à accepter sa mort, sans doute même, mais elle aurait fini par l'accepter, elle se serait souvenue de ce que tu as fais pour elle, et elle aurait pu tomber amoureuse de toi. Là...
- Putain ! Imagine la même chose avec Clive, juste trois secondes. Tu aurais fait comme moi Céleste !
Je redresse la tête, plante mes yeux dans ceux de mon frère, et laisse échapper :
- Clive ne m'aime pas. Il ne m'a jamais aimé.
Thomas ouvre la bouche pour dire quelque chose, puis son expression change, et il écarquille les yeux.
- Hein ?
Je prends une grande inspiration, et demande :
- Tu es sobre ? Complètement ?
Thomas se gratte l'arrière de la tête, et souffle :
- Oui je crois. J'ai tout vomi, et tout éliminé en même temps. Pourquoi ?
- Parce que je ne veux pas que tu oublies tout ce que je vais te dire.
- Et pourquoi ?
- Tu m'as confié ton chagrin d'amour. A moi de te confier le mien. Mais il est hors de question que tu casses la gueule de Clive quand tu auras tout entendu.
Thomas fronce les sourcils, et m'observe, de plus en plus inquiet.
J'achève :
- Parce que c'est à moi de le faire.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro