30
Clive
Je parcours les couloirs sans m'arrêter, Léna sur mes talons.
Je fais très attention à ne pas croiser de gardes, et dès que nous en voyons un nous nous cachons ou les neutralisons quand nous n'avons pas le choix.
J'arrive à me repérer au milieu des dédales de couloirs et d'escaliers, j'ai un plutôt bon sens de l'orientation.
Je suis subjugué par les décors somptueux, je n'ai jamais rien vu de tel dans toute ma vie.
Je suis très loin d'être pauvre, au contraire la Zone C est l'une des Zones les plus riches d'Area, mais j'ai toujours vécu plutôt modestement, mes parents n'étant pas très fan du luxe.
Je me demande soudain ce que cela a dû faire à mes parents de savoir que je suis devenu l'une des premières personnes recherchées à Area. Rien, très certainement. Je n'ai jamais aimé mes parents et c'est réciproque. Ils ne se sont jamais occupés de moi, ils sont plutôt occupés par eux même, trop occupés à faire du mal autour d'eux. S'il y a bien une chose qu'ils adorent, c'est être C, et capables d'épuisement mental par-dessus le marché.
Mes parents possédant tous les deux ce pouvoir, il paraît normal que j'en ai hérité moi aussi, même si les enfants n'ont pas forcément les mêmes pouvoirs que leurs parents. Je sais qu'ils en ont fait bien mauvais usage par rapport à moi, j'ai le souvenir de cette famille de E qu'ils ont liquidé il y a quelques années. J'étais tout petit, mais je m'en souviens bien, j'étais dehors, dans la voiture, j'attendais. Ils m'avaient amené pour que je puisse voir ce dont ils étaient capables, ce dont NOUS étions capables. Je me souviens avoir vu depuis la fenêtre quand j'étais sorti ce petit garçon aux cheveux noirs, qui semblait complètement perdu, assez hésitant. Puis il avait disparu, mais je ne suis pas sûr que mes parents l'ait tué aussi. Je ne préfère pas savoir, je me souviens avoir été particulièrement choqué par ce garçon. Ce garçon qui venait de perdre ses parents à cause des miens. S'il est vivant, je me demande ce qu'il est devenu aujourd'hui.
Je continue d'avancer, Léna sur mes talons, et en regardant les longs couloirs autour de moi je me remémore ce que j'ai déjà vu en étant déjà venu au Palais. Pour divers délits, vols, fuite des autorités locales, et usage de mon pouvoir sur la voie publique. Alors que la plupart du temps je n'avais rien fais, mais comme on cherche toujours un coupable, un C qui passe par là c'est parfait comme bouc émissaire non ?
D'accord, j'avoue, j'ai commis certains délits, mais pas toujours, j'ai déjà été accusé à tort. Je n'ai jamais protesté en revanche. C'est une injustice, oui, mais et alors ? C'est ma parole de C contre celle d'un autre d'une Zone différente. Et comme je l'ai déjà dit, si pour les autres être un C signifie forcément être méchant et manipulateur eh bien soit. Je serais méchant et manipulateur.
Mes pensées dérivent vers Céleste, et je sens une bouffée de stress remonter en moi, jusqu'à faire gonfler ma poitrine.
Je plonge la main dans ma poche droite, en ressort mon paquet de cigarettes, en dégage une, saisit mon briquet, porte la cigarette à mes lèvres, et l'allume.
J'inspire une immense bouffée de fumée, retire la cigarette de ma bouche et expire profondément, tout en fermant les yeux à la fois pour savourer et réfléchir pour mettre les éléments que je possède en commun.
« - Ce n'est pas bien de fumer, retentit la voix de Léna derrière moi. »
J'ai un petit rire moqueur.
« - Je n'ai pas touché à une cigarette depuis presque 48 heures. Ferme-la.
- Au lieu de mourir dans une bataille tu vas t'écrouler raide mort à cause d'un cancer des poumons, continue Léna, sans prendre en compte ce que je viens de dire. »
Dans sa voix l'inquiétude et le regret percent, et je comprends immédiatement qu'elle a perdu un proche à cause de la cigarette, et du cancer des poumons.
Les Guérisseurs ne peuvent pas guérir les maladies, ils peuvent atténuer la douleur, la rendre moins présente, mais ils ne peuvent pas l'éliminer.
C'est comme les douleurs psychologiques, les Guérisseurs sont impuissants dans ces cas là.
J'ai envie de répliquer que dans tous les cas je vais mourir, alors autant fumer, mais par respect pour le proche de Léna décédé je n'en fais rien, mais ne pose pas non plus de questions, respectant son intimité.
Je me contente d'inspirer une autre bouffée, ce qui n'est pas mieux dans le genre provocation.
Je suis comme ça, je ne peux pas m'en empêcher.
La provocation, le sarcasme, l'humour agressif, c'est ma protection, mon armure, ma carapace.
Celle ci a connue trop de fissures pour que je puisse la laisser se briser au grand jour.
Je suis parfaitement conscient que la cigarette n'est pas une solution.
Je suis parfaitement conscient de l'odeur qui me répugne, de la sensation de brûlure qui se développe dans ma trachée, se propageant jusqu'à mes poumons.
Et pourtant, je suis très vite devenu dépendant, moi l'homme le plus émancipé et imprévisible.
Je continue mon chemin, Léna à ma suite qui se contente d'observer le décor, sans rien dire d'autre.
Mes provocations ne l'atteignent pas, je le vois bien, elle est trop innocente et naïve pour y prendre garde.
Enfin, nous arrivons devant une grande porte blindée et épaisse, surveillée par deux gardes.
Je n'ai besoin que de quelques secondes pour les neutraliser.
Je prends les clés accrochées au trousseau de l'un des deux, et ouvre la grande porte blindée en me demandant si c'est bien celle là qui cache les cellules hermétiques.
Quand nous nous engouffrons dans les couloirs, un froid glacial fait voler nos cheveux, comme si nous entrons dans une autre dimension, un monde de glace et de neige.
Nous arpentons la place en regardant à droite à gauche, tandis que nos pas résonnent sur le sol froid.
L'atmosphère est effrayante, comme si nous étions capitonnés ici sans pouvoir ressortir.
Le silence règne, puis la voix de Léna le brise :
« - Tu n'as rien dit. D'où connais-tu Matt ? »
Ah. La voilà la fameuse question. Je ne voulais pas y penser jusqu'ici.
Je ne réponds pas, et continue d'avancer, en espérant secrètement que Léna n'insistera pas.
« - Clive, insiste pourtant t'elle. »
Je fais volte face, et grogne, menaçant :
« - Je t'en pose des questions moi !? »
Je me détourne, et continue mon chemin sans observer la réaction de ma précieuse alliée.
J'aime beaucoup Léna, vraiment. Cette fille est touchante, je suis persuadé qu'elle a vécu un deuil douloureux et qu'elle se cache derrière une apparence de petite fille gentille et toute mignonne pour ne pas montrer ce qu'elle ressent. A vrai dire, elle se protège, tout comme moi. Seulement pas de la même manière.
Après quelques minutes, je réponds malgré moi :
« - On a grandit ensemble. On était voisins. On était les « meilleurs amis du monde » de nos cinq à nos 16 ans. On était très proches, inséparables. On faisait toujours les quatre cents coups, mais lui correspondait à un vrai C. Il aimait faire du mal sans aucunes raisons, je le contrôlais un maximum, n'étant pas comme lui, mais il était obsédé par le mal. Et le pouvoir. Il parlait tout le temps de Tanner, il voulait prendre sa place. Et puis un jour, son père, qui était pire que lui et avait le même pouvoir, a tenté d'assassiner Tanner. Pour prouver qu'il est le plus fort tout simplement, la plupart des C sont comme ça, vaniteux, égoïstes, fiers. Il a échoué, et après cette attaque, Tanner a ordonné l'exécution de tous les usurpateurs mentaux. Mais il ne pouvait pas le faire directement et aux yeux de tous, alors il a engagé des F pour tromper tous ceux possédant le pouvoir, et les tuer plus facilement. De ce fait, personne n'a jamais su pourquoi du jour au lendemain les usurpateurs mentaux n'existaient plus, à part certains C, et le Roi. Certains C ont tenté d'expliquer aux autres Zones ce qu'il s'était produit, mais qui aurait cru des C ? Matt s'est caché, et a vue des F tuer son père, ainsi que sa mère et son frère, qui étaient présents au moment du meurtre et qui ne devaient pas savoir ce que Tanner avait ordonné. Matt n'était pas sur la liste des usurpateurs mentaux, car dès qu'il l'avait pu il avait pris le pouvoir d'un A, qui contrôlait les actions d'autrui par l'intrusion mentale, et fait modifier la liste pour effacer son nom. Il se doutait que le fait que son nom soit inscrit dans un registre lui poserait problème. Il est intelligent, il analyse tous les risques avant d'agir. En revanche, je pense qu'il ne sait pas que les F ne sont pas responsables de la mort de sa famille, que c'est en réalité Tanner. Ou bien... il le sait, et comme je le soupçonne depuis le début, c'est lui qui a tué Tanner. Mais cela voudrait dire qu'il ne compte pas s'arrêter là, et que sa vengeance se prolonge jusqu'à éliminer tous les F, sans exceptions. Sa vengeance doit être sans limites, et à mon avis il va chercher à me faire payer à moi aussi le fait de me battre face à lui, et non à ses côtés.
Léna, qui a tout écouté sans réagir, répond :
« - La perte d'un être cher, surtout d'une famille entière peut engendrer beaucoup de conséquences psychologiques. »
J'affiche un petit sourire. Cette fille est surprenante, tantôt très vive et intelligente, tantôt très naïve.
Je ne compte pas interroger Léna sur sa vie personnelle, je n'aime pas parler de la mienne, c'est pourquoi je ne cherche pas à comprendre celle des autres.
J'allais ajouter quelque chose, quand je me fige brusquement, suivis de Léna qui affiche elle aussi un regard surpris.
Face à nous, dans les couloirs sombres, se présente Caleb.
***
Quelques minutes plus tôt...
James reste pétrifié un moment, puis entend un hurlement de souffrance atroce qui le fait sursauter, et regarder derrière lui brusquement.
Ça raisonne dans tout le couloir, ce sont les cris d'une femme, des hurlements semblables à ceux dans les films d'horreur, il y a du désespoir dedans, autant que de la fureur.
C'est de la colère, oui, James le ressent.
Il retourne son visage face à, il le semble bien, Caleb, le Roi.
Celui ci a relevé la tête, et observe James, les yeux reflétant une étrange source d'innocence.
On dirait un enfant qui découvre quelque chose avec un mélange de stupeur et d'émerveillement.
Les hurlements retentissent de plus belle, et James jette un autre coup d'œil derrière lui, il parvient à identifier à peu près d'où les cris viennent, connaissant bien le Palais Royal.
Pris dans un dilemme, il se demande s'il doit interroger l'homme accroupi dans la cellule qui semble être Caleb, ou rejoindre la source des hurlements.
Il doit réfléchir vite, économiser le plus de temps, il en manque, et peut être que plus il attend, plus la personne en train d'hurler souffre, et risque la mort.
Tandis que Caleb n'a pas l'air en danger.
James fait vite son choix, il ordonne à Caleb de ne pas bouger, fait volte face, et se met à courir dans les couloirs.
Il courre plus qu'il ne l'aurait cru, et il arrive dans un embranchement devant lequel il n'est pas passé à l'allée.
Il fait confiance à son instinct, James est quelqu'un de débrouillard qui réfléchit au plus vite pour être le plus efficace possible.
C'est ce qu'il a toujours appris, ayant fait l'armée, il sait réfléchir pour sauver le maximum de vie, et c'est pourquoi il fait partie de la résistance secrète depuis qu'elle s'est élevée.
Le cœur même du groupe se trouve ici, au palais, et ils ont longuement réfléchis avant de laisser James se mettre à découvert, et que le palais découvre qu'il est une taupe depuis le début.
James a commencé en tant que soldat au Palais, car après son service pour l'armée c'est là qu'ils l'ont envoyé. Mais quand le Roi Tanner lui-même lui a demandé de fonder une organisation secrète il y a des années au sein même du Palais, le jeune homme n'a pas hésité. Il a signé pour obéir au Roi, et c'est ce qu'il ferait toute sa vie. Quand il est mort, c'est vers lui que Mickaël s'est tourné, le Roi l'ayant lui-même conseillé au Guérisseur. Tous deux ont pris les rênes de la Résistance, avec l'aide de Grant qui les a très vite rejoint.
James s'arrête brusquement et pivote sur sa gauche, cherchant des yeux une cellule habitée.
Les hurlements reprennent alors de plus belle, James sursaute et grimace.
Il continue d'avancer en essayant de ne pas s'horrifier devant la puissance des cris, et il finit par trouver la cellule qu'il cherchait.
Là il, découvre une silhouette recroquevillée sur elle même qui se contorsionne, recouverte de cheveux blonds ternis par l'obscurité de la cellule, et s'agitent au gré des soubresauts de la silhouette.
Les hurlements sont de plus en plus stridents, James en a mal aux oreilles.
Ne sachant même pas qui est cette fille, James tend les bras sur les barreaux, et fait brûler une flamme au creux de ses mains.
Grant ? Grant j'ai trouvé une fille dans une cellule tu as des infos ?
Mais comme auparavant, James ne reçoit pas de réponses, au point qu'il commence à s'inquiéter.
Il dirige sa flamme entre les barreaux et dessus, et augmente la pression pour que les barreaux brûlent plus vite.
Il réussit à se créer un passage, et sans hésiter se jette sur la silhouette.
Celle ci relève brusquement la tête, et James découvre avec stupeur Céleste, le visage défiguré par la colère et le désespoir, les yeux exorbités, et des bouts de peau ensanglantés en lambeaux recueillies dans ses propres mains.
Elle s'est arraché des cheveux par poignées, et sur son crâne des plaques rouges se dessinent.
Ses immenses yeux bleus ont des reflets sombres, comme s'ils tentent d'absorber le bleu qui reste des iris.
« - Céleste ? Fait James. »
La jeune fille est secouée de tremblements incontrôlables, du sang s'étale sur sa peau d'ordinaire si blanche, ses lèvres devenues violettes tremblent, et le sang perle sur leurs commissures.
Elle ne hurle plus, elle semble un peu plus calme, même si c'est comme si elle cherche frénétiquement autour d'elle une présence.
James met un moment avant de comprendre ce qui lui est arrivé.
Il comprend que Matt, car oui il est au courant comme le reste de la résistance, a voulu se faire un autre larbin.
Il se met à réfléchir à toute allure, et finit par se décider, à contre cœur, car il aurait préféré retourner interroger Caleb.
« - Je dois t'emmener voir Mickaël, chuchote t'il. Il ne faut plus que tu hurles, on va devoir traverser une partie du palais à découvert. Même si on va passer un maximum par les passages secrets. »
Il n'hésite pas plus, se penche en avant, passe une main derrière les épaules de Céleste et une autre sous ses jambes, et ressort immédiatement de la cellule.
Un moment il pense encore à Caleb, et se dit qu'il ne bougera pas, et qu'il pourra revenir le voir ensuite.
James se met à marcher le plus vite que lui permettent ses jambes, et cherche la sortie du département des cellules hermétiques.
Il l'a trouve rapidement, cette grande porte blindée, et regarde à droite et à gauche.
Les couloirs sont déserts, alors il se précipite sur sa droite, là où un pan de mur est délimité par une sorte de cadre blanc or.
Il se libère une main, et la pose sur la droite du mur.
L'endroit délimité s'enfonce, puis pivote, découvrant une palette libre sur le sol et vide.
James s'y place avec Céleste dans les bras, s'appuie le dos contre le reste du mur, et il pivote dans le noir.
***
Estéban dirige le groupe, Téo les déplacent en fonction des endroits qu'il connait, mais en restant tout de même sur ses gardes, tandis qu'Estéban indique vers où aller.
Téo abjecte qu'il serait peut être plus judicieux de se présenter dans la grande salle de l'escalier A, là où Caleb était auparavant.
Estéban acquiesce, et Téo les téléporte.
Ils se retrouvent comme prévu dans la grande salle, et découvrent face à eux, plus loin, Matt sous l'apparence de Caleb, qui discute avec cinq jeunes hommes.
Estéban promène son regard sur les interlocuteurs de Caleb/Matt, et son regard s'éclaire soudain, ce qui n'échappe pas à Téo qui recule.
Le F se met à grogner, se transforme en un tigre immense, et se jette sur le jeune homme le plus à droite.
Celui ci se retrouve à terre, et sous le choc, l'apparence qu'il avait, un jeune homme très blond, disparaît, et laisse place à un garçon grand, les yeux gris, les cheveux châtains clairs, et de multiples tâches de rousseurs sur le visage.
D'une voix gutturale, le tigre dit :
« - Te voilà enfin Éric. »
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