17
Clive
En avançant en direction du reste du petit groupe, je réalise que j'ai jeté ma cigarette sur le sol tout à l'heure alors qu'elle était à peine terminée.
Je peste intérieurement, et me souviens que si je l'i lâchée, c'était pour poser ma main sur la joue de Céleste, main qu'elle a stoppé dans mon élan.
Je l'ai pourtant sentie se dérider tout à l'heure, mais elle n'a pas flanché, ça sera encore plus dur que ce que j'imaginais.
C'est précisément pour cette raison que je n'ai pas dévoilé à Céleste ce que je pensais réellement sur le prince Caleb et l'incident du couronnement.
J'ai bien compris qu'elle était curieuse, intelligente, et qu'elle ne lâche pas l'affaire.
Elle reviendra sur le sujet, elle reviendra chercher des informations, parce qu'elle ne lâchera pas le morceau.
Je me félicite intérieurement pour ce stratagème.
Je lève un instant les yeux, et découvre que Téo et Estéban marchent en avant et discutent, d'un air plutôt animé.
Alors que je les observe en tentant de découvrir le sujet de leur conversation, je surprends Estéban me jeter un regard en coin.
Ses yeux reflètent alors une méchanceté sans nom, une haine à mon égard qui me ferait presque peur si je n'étais pas un C.
Bien sûr, je suis habitué à la méfiance et la haine à mon égard de la part des autres Zones.
J'ai l'habitude de nous voir traiter différemment que les autres, par contre je ne me souviens pas avoir lu une telle haine dans les yeux de quelqu'un.
Estéban détourne le regard, et je fais de même pour chercher Céleste des yeux.
Je la découvre avec Léna et Océane, et je m'approche, les mains dans les poches, sachant très bien que c'est une mauvaise idée.
J'arrive à leur hauteur quand Léna dit :
« - Ma sœur Lisa déteste l'eau, du coup je l'embête tout le temps avec mes pouvoirs. »
Céleste n'a pas remarqué encore ma présence, et elle demande de sa jolie voix cassée :
« - Ton pouvoir, c'est l'aquakinésie c'est ça ?
- Oui, pourquoi ? Lui demande Lena en souriant.
- Si je me souviens bien des cours donnés au collège, c'est l'eau sous toutes ses formes ?
- Exact.
- Alors... tu ne contrôle pas uniquement l'eau liquide, mais aussi la glace ? Et l'eau en ébullition ?
- Exact aussi, je peux créer de la neige et de la glace, c'est l'état solide, mais je peux aussi créer l'état gazeux, et surtout juste avant qu'il se transforme en gaz c'est à dire à une température extrêmement élevée. Je peux ébouillanter des gens. »
Je regarde Céleste en coin, et celle ci regarde Lena un moment, comme intriguée, admirative.
En voyant cette admiration dans les yeux de Céleste je réalise qu'elle est beaucoup plus ouverte aux autres et attentive qu'elle n'en a l'air.
Cette fille possède le pouvoir le plus puissant d'Area, elle vient de la Zone A, et elle admire une D capable d'aquakinésie.
Je ne peux m'empêcher de me demander ce qu'elle pense, de me mettre à sa place
Toute sa vie, on lui a répété qu'elle était précieuse, qu'elle vient de la Zone A, la Zone la plus convoitée, la Zone la plus jalousée, la plus puissante.
Elle n'est jamais sortie de sa Zone, et a toujours cru ce qu'on lui a dit.
Je n'ai pas le temps de pousser ma réflexion car j'entends Estéban dire :
« - On est arrivés je crois. »
Nous relevons la tête presque tous en même temps, et on observe ce qui se profile devant nous.
Il fait noir, la nuit est désormais plongée dans cette lueur sombre et sans éclat, il n'y a pas de lune ce soir.
J'arrive cependant à distinguer les arbres projetant une lueur sombre, et dissimulée au milieu d'eux, une maison petite mais assez grande pour héberger une famille entière.
« - C'est ça le refuge ? Demande Océane.
Imperceptiblement je surprends Céleste me jeter un petit regard suspicieux, comme si elle attendait une remarque sarcastique de ma part.
Bien que ce ne soit ni l'inspiration ni l'envie qui me manque, je n'en fait rien, uniquement parce que Céleste s'y attends, et que j'ai envie de la surprendre.
« - Oui, répond Estéban.
- Entrons, décide Téo. »
Il s'avance vers la porte, et l'ouvre sans difficultés, tandis que je détaille l'extérieur de la bâtisse.
Bien qu'il fasse sombre, j'arrive à distinguer que le refuge est en pierre, une pierre sombre qui semble inciter à la discrétion, comme si elle se fondait dans le décor.
Des feuillages recouvrent le mur de part et d'autres de la bâtisse, sans doute pour renforcer l'effet « camouflage ».
Je finis par m'avancer à la suite des autres à l'intérieur, et découvre une pièce de vie vaste, et sur le côté un grand couloir menant à plusieurs pièces.
Sur le côté gauche c'est une espèce de petite cuisine, et encore plus loin une salle de bain.
« - C'est une vraie maison, fait Léna en regardant d'un peu partout. »
Je saute sur l'occasion, et réplique :
« - Non c'est une fausse, je suis sûr que si on pose la main sur le mur c'est du carton et il s'écroulera tout de suite. »
J'affiche un magnifique petit sourire arrogant et supérieur, et fixe Léna en attendant sa réponse.
Elle éclate de rire :
« - Ça me fait penser à la chanson qu'on me chantait quand j'étais petite ! Sa maisoooooon est en carton ! Pirouetteuh cacoueteuh ! Les escaliiiieeers sont en papiers ! Les escaliers sont en papiers ! »
Je souris sans me vexer le moins du monde que Léna ne prenne pas au sérieux mon sarcasme, au contraire je suis attendri devant l'innocence de la jeune fille qui me parait très attachante.
Une petite fille à protéger qui n'a rien à faire ici, voilà ce que je vois quand je regarde Léna.
Je réalise soudain qu'elle est la seule ici à ne pas m'avoir balancé de sales paroles à la figure, qu'elle est la seule à part Céleste aussi étonnant que cela puisse paraître, à me respecter et même m'apprécier.
Je ne mérite pas cette gentillesse de la part de Léna, elle devrait la garder pour quelqu'un de vraiment gentil, pas pour une ordure comme moi.
« - Qu'elle heure est il ? Demande Océane depuis la cuisine. »
Je m'avance dans la maison pour rejoindre le groupe.
« - 21h, dis Téo en jetant un œil à l'horloge affichée sur le grand mur.
- J'ai faim, intervient Estéban. Il faudrait qu'on commence à penser à se nourrir ?
En effet, l'estomac d'Estéban l'ogre gargouille dans un bruit sonore.
« - Il y a des pâtes dans le placard, fait Océanes tout en grimpant sur les plans de travail, pour atteindre les placards en hauteur, étant trop petite pour les attraper. »
Estéban, sautant sur l'occasion pour taquiner Océane, s'approche du placard dans lequel la jeune fille tente tant bien que mal d'attraper le sachet de pâtes, lève la main, et étant très grand, n'a aucun mal à saisir les pâtes.
Océane grogne, et Estéban lui lance un regard satisfait.
Moi, je me contente de rester impassible devant cette scène ridicule alors qu'en réalité je brûle de balancer ses quatre vérités à ce gamin d'Estéban.
Si je ne le fais pas, c'est pour l'unique raison que Céleste me fixe depuis l'entrée de la cuisine, et semble attendre ma remarque.
L'art de l'esprit contradictoire.
Téo en bon disciple rit, et Léna fronce les sourcils en disant :
« - Ce n'est pas très gentil ! »
Pas très intelligent non plus.
Jetant un nouveau coup d'œil à Céleste, je vis qu'elle au moins ne perd pas de temps et remplis une casserole d'eau pour faire des pâtes.
Estéban secoue le paquet de pâtes avec un drôle d'air et dit :
« - On les fait comment ?
- T'a jamais fait de pâtes dans ta vie ? S'étonne Océane.
- Euh ben non, je me contente de les manger. »
Téo et Léna éclatent de rire, tandis que je bouillonne intérieurement et me tourne dos à eux pour ne pas les avoir dans mon champ de vision.
Tourné ainsi, je me retrouve face à Céleste qui à l'air tout aussi furieuse que moi.
Nos yeux se croisent, et nous nous sourions, exactement en même temps.
Troublé par ces premiers sourires sincères, je me détourne, et me demande d'où vient cette chaleur que je sens monter dans mes joues.
Tourné de cette manière, je ne vois évidemment pas les joues de Céleste devenir rouges tomates.
Je vois Océane répondre à Estéban :
« - On met les pâtes dans l'eau bouillante et on attend, c'est tout !
- Il faut de l'eau ? Ce n'est pas dans une poêle qu'on les fait cuire ? »
Cette fois ci je ne résiste plus, et réplique d'une voix cinglante :
« - N'importe quoi, les poêles c'est pour faire cuire des soupes. Les pâtes on les fait cuire dans la cheminée, tu les pose directement sur le feu. Et tu attends. Attention, ça risque d'avoir légèrement le goût de cramé mais normalement c'est normal. »
Je suis sûr et certain que si ça n'avait pas été moi qui avais dit ces paroles, Estéban les auraient crues.
Il doit certainement commencer à être habitué à mon sarcasme, car il comprend que je me fous littéralement de sa gueule.
« - Dis moi tu sers à quoi toi appart faire des remarques désagréables dès que t'en as l'occasion ? »
Je souris.
« - A mettre l'ambiance, et à te faire chier. Au moins moi je sais faire cuir des pâtes.
- Savoir faire cuir des pâtes ne va pas m'aider dans la vie.
- Certainement, mais étant donné le peu de choses que tu sais faire c'était déjà ça. Apparemment non, tant pis ton cas est décidément désespéré. »
J'appuie mes paroles d'une moue faussement désolée.
Où est mon Oscar s'il vous plaît ?
Je pense que Téo sent qu'Estéban va craquer, car il demande, ou plutôt impose pour couper court :
« - Estéban vient mettre la table avec moi. »
Céleste intervient, sûrement plus parce qu'elle ne supporte plus les jérémiades d'Estéban que parce qu'elle a faim, une casserole d'eau à la main :
« - Problème, on n'a pas d'eau chaude. Il doit y avoir une canalisation en moins ou je ne sais pas quoi je ne suis pas plombier, mais en tout cas on ne peut pas faire bouillir les pâtes.
- Ce n'est pas un problème, coupe Léna en s'approchant de la casserole que Céleste tient entre ses mains. »
Elle pose ses mains sur le contour, et ferme les yeux un moment.
Céleste pousse un cri une seconde plus tard et manque lâcher la casserole quand l'eau se met à bouillir sous nos yeux et crépiter en faisant des bulles.
« - Plus qu'à mettre les pâtes et attendre, conclu Léna tout sourire. »
Océane s'en occupe, tandis que Léna, Céleste et moi partons nous installer sur la table mise par Téo et Estéban.
La situation me paraît irréaliste.
Nous sommes recherchés dans tous Area, considérés comme de dangereux terroristes, et nous voilà attablé dans une maison pour manger des pâtes.
Surtout que nous ne nous connaissons depuis même pas vingt quatre heures.
Océane s'occupe du service, en vrai B gentille et serviable.
Un blanc s'installe aussitôt, où tout le monde se regarde dans le blanc des yeux.
Je déteste ces situations, surtout avec des gens que je ne connais pas et dont le déteste les 90%.
Océane finit par briser le silence.
« - Quand est ce qu'on pourra rentrer chez nous à votre avis ?
- Tu en as déjà marre, tu veux rentrez chez toi petite chose fragile ? Je dis en souriant et croisant les bras.
- Je ne parlais pas à toi, réplique aussitôt Océane.
- Tant pis pour toi, tu ne sais pas ce que tu rates.
- Au contraire, je s...
- STOP ! Crie Céleste en tendant les mains, et je me demande bien pourquoi elle veut stopper un conflit.
- Il me cherche ! Fit Océane.
- Je pourrais dire la même chose de toi, je réplique. T'a débilité provoque mon intelligence.
- Clive arrête de chercher la merde s'il te plait, fait Céleste en plantant ses yeux dans les miens. »
C'est la première fois qu'elle me parle d'une manière aussi douce, comme si toute trace de méfiance et de méchanceté à mon égard a disparue dans ses yeux.
Contre toute attente, je me tais.
Je ne réplique rien, et me contente de regarder fixement Céleste, alors que mon éternel sourire moqueur a disparu de mon visage.
Téo en profite, et reprend la conversation.
« - Océane tu as mis du beurre dans les pâtes ? Parce qu'honnêtement, c'est dégueulasse.
- Ça à le mérité d'être franc... répond Océane qui ne retient toutefois pas son sourire. »
Céleste éclate alors de rire, et ce son à mon oreille sonne comme une mélodie, cette petite voix cassée qui se déploie, alors que le visage de la jolie blonde lui, se détend en un sourire ravi.
J'ai soudain envie de capturer cette image et de ne la laisser quitter mon esprit sous aucun prétexte.
Mais qu'est ce que je raconte !? Ça ne va pas ?!
Céleste finit par dire :
« - La prochaine fois, laissez moi faire. »
Cette fois ci, c'est moi qui éclate de rire.
« - Avec toi je suis sur qu'on va se retrouver avec des pâtes à peine cuites ou une montagne de sauce tomate qui va nous enlever tout le goût.
- Eh mais c'est faux ! Réplique Céleste en riant encore, et je me demande depuis quand elle s'est autant déridée.
- Il faut dire que les pâtes ne sont pas un plat très raffiné, fait Téo.
- Mais c'est le meilleur et le plus consistant ! Approuve Estéban. »
J'observe notre petite assemblée du coin de l'œil, et réalise soudain que c'est certainement la première fois dans toute l'histoire d'Area que six personnes, toutes de Zones différentes sont réunies à une table en train de manger des pâtes et discuter.
C'est loin d'être la première fois que je me fais cette réflexion, mais vraiment, ce système de Zones est loin d'être le système le plus égalitaire qui soit.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro