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3. L'astronaute et le dragon


Eleonor ouvrit les yeux en gémissant. Sa tête la faisait horriblement souffrir. Un liquide à la fois chaud et poisseux lui maculait le visage, envahissant son champ de vision et collant ses cheveux par mèches. Du sang, comprit l'astronaute en reconnaissant l'odeur cuivrée si caractéristique du liquide vital. Elle avait dû se cogner la tête quand... que s'était-il passé au juste ? Il y avait eu un problème et... le souvenir de l'anomalie lui revint en mémoire. Elle se dirigeait droit vers elle sans pouvoir changer de cap et des forces titanesques se déchaînaient sur le Pioneer. Il avait eu des turbulences et... ensuite ? Qu'était-il arrivé ensuite ? Rien. Le trou de mémoire.

Il semblait qu'elle se soit évanouie, probablement après s'être cognée le front, car elle se découvrait à présent allongée sur le sol du poste de pilotage ravagé. Sa jambe gauche était comme engourdie et Eleonor tenta de la bouger. Elle hurla. Encore un peu groggy, elle ne s'en était pas rendue compte immédiatement, mais l'une des consoles de bord s'était renversée et lui écrasait désormais le mollet. La pilote réalisa que sa combinaison spatiale était déchirée et teintée de sang à cet endroit. Sa jambe était-elle cassée ? Peut-être pas. La plaie lui faisait un mal de chien mais Eleonor était presque certaine qu'elle souffrirait bien davantage si tel était le cas.

Elle se redressa comme elle le put en position assise pour être aussitôt prise de spasmes. C'est à peine si elle eut le temps de se tourner sur le côté pour rendre tripes et boyaux. Une fois soulagée de ses haut-le-cœur, l'astronaute repoussa péniblement la console et se leva en titubant, lâchant une bordée de jurons au passage. A présent que la lourde masse du terminal ne compressait plus sa blessure, le sang se remettait à mieux circuler dans sa jambe et les élancements gagnaient en intensité. Elle eut bientôt l'impression que sa plaie était en feu ; sensation qui n'avait absolument rien d'agréable mais à laquelle elle survivrait. Elle serra les dents. Maigre consolation, elle savait au moins avec certitude qu'il n'y avait pas de fracture.

J'espère que je ne vais pas faire une septicémie, s'inquiéta-t-elle en se dirigeant, clopin-clopant, vers le poste des soins d'urgences. Je risque d'être dans la merde sinon.

Elle fut néanmoins agréablement surprise en découvrant ce qui avait été mis à sa disposition sur le Pioneer. Un masque respirateur et trois petites bouteilles d'oxygène pour commencer. Un kit pour attelles ensuite. Quelques bandages et compresses stériles, fils et aiguilles pour se recoudre – qui ne serviraient à rien pour une plaie réellement grave, n'étant pas chirurgienne, mais tout de même ! –, et cinq sprays d'antiseptique. Il y avait aussi un boîtier contenant une seringue d'adrénaline et une autre de morphine de synthèses, sans doute déjà dosées pour sa morphologie, avec leurs recommandations d'usage. Pas d'antibiotiques, mais en fouillant un peu plus Eleonor découvrit des cachets pour les maux de tête – elle en prit deux – et pour le ventre.

Les médecins de la Spatiale, contrairement aux ingénieurs de l'IA, s'étaient montrés plus que prévoyants mais la pilote n'allait sûrement pas leur en vouloir d'avoir fait montre d'excès de prudence. Son moral remonta d'un cran. Elle nettoya et pansa ses blessures du mieux qu'elle le put, louchant en direction de la morphine – fortement tentée – avant de se raviser. Mieux valait mettre de côté la seringue pour plus tard, pour une réelle urgence.

Une fois requinquée et l'esprit plus clair, Eleonor accorda plus d'importance à son environnement. La coque du Pioneer était éventrée en plusieurs endroits, laissant passer des raies de lumière naturelle à l'intérieur, et puisqu'elle ne se trouvait ni en état d'apesanteur ni ne suffoquait, la jeune femme en déduisit qu'elle avait atterri quelque part où l'on pouvait respirer. Mais où se trouvait ce « quelque part » ?

Elle ne pouvait se trouver ni sur Mars, ni sur la Terre ; ni sur aucune autre planète dont elle avait connaissance. Cette prise de conscience fut comme un coup de massue et Eleonor dut s'adosser à la paroi la plus proche pour ne pas s'écrouler, tandis que toute expression désertait son visage. Une boule d'angoisse se forma dans son ventre mais le cri qu'elle aurait voulu pousser resta coincé dans sa gorge, refusant obstinément de sortir. Elle riva un regard éteint sur la paroi située face à elle qu'elle fixa durant de longues minutes, comme engluée dans son marasme intérieur et engourdie. Une coquille vide.

Pourquoi ?

Une douleur aigüe lui transperça le thorax et elle se recroquevilla sur elle-même, le souffle coupé, une main crispée sur sa poitrine. Pourquoi ? Comme muée par une volonté qui lui était propre, sa main se ferma.

Respire...

Pourquoi ? Son poing s'abattit une première fois sur sa poitrine. Pourquoi ? Son poing la frappa encore.

Respire !

Pourquoi ? Pourquoi ? Son poing la martelait à présent avec rage. Pourquoi ?!

Respire ! Respire !

Pourquoi avait-elle survécu ?! A quoi bon puisqu'elle avait échoué ? Pourquoi devait-elle vivre pour contempler son désastre ? Un pli amer déforma sa bouche et les yeux d'Eleonor se mirent à la brûler.

J'ai failli... Je les ai tous condamnés... James... Tous ! A cause de moi !

Un gémissement franchit l'espace de ses lèvres, qui enfla... et enfla... jusqu'à se muer en un cri plus animal qu'humain.

- Je suis désolée... Je suis désolée ! finit par éclater Eleonor en laissant libre court à ses pleurs. J'ai essayé... J'ai vraiment essayé !

Et échoué. Elle n'avait pas assuré et resterait à jamais la pilote qui venait de réduire à néant l'espoir de survie de l'Humanité. Une ratée. La Spatiale s'était trompée. Elle avait opté pour le mauvais candidat. Finalement, Hans Weber aurait constitué une bien meilleure alternative !

Son ego se rebella derechef à cette pensée.

Non ! Fini de t'apitoyer sur toi-même ! Reprends-toi ! Bien sûr que Weber ne s'en serait pas mieux tiré ! Personne ne l'aurait pu ! Ce n'était pas de ta faute, se tança-t-elle en s'essuyant les yeux avec un reniflement. Tu es vivante alors sors de là et trouve une solution. N'importe laquelle, mais trouve !

Eleonor se redressa puis se dirigea en boitant vers le sas de sortie du Pioneer. La première porte était béante mais la seconde, plus épaisse, qui la séparait de l'extérieur, ne l'était pas.

- IA : ouverture de la porte.

Aucune réaction, aucune réponse.

A m'attendais-je ? soupira Eleonor avec dépit. Elle a sûrement cramé.

La jeune femme se surprit à regretter la disparition de l'IA ; car une voix humaine, même factice et agaçante au possible, aurait été rassurante à entendre. Au moins dans l'immédiat. Eleonor pressa du poing le commutateur de commande manuelle – oui oui ! Un gros bouton rouge comme dans les vieux films du XXIème siècle – et la porte s'ouvrit de quelques centimètres avec une plainte métallique. Pas de quoi se faufiler vers l'extérieur mais la fente était suffisante pour qu'elle y glisse les doigts et s'échine à agrandir le passage. Un travail de forçat, d'autant plus éreintant vu sa condition.

***

Quand elle parvint enfin à s'extirper de la carcasse du Pioneer, en nage et crasseuse, Eleonor découvrit que son vaisseau se trouvait sur une petite saillie rocheuse. Tout autour un étrange paysage de steppes où une végétation aux tons bleus-gris, parfois argentés, prospérait sur une terre d'aspect jaunâtre. Des steppes à perte de vue sans aucun signe de civilisation apparent. Dans l'horizon lointain une étoile orangée se levait sur ce monde tandis que trois lunes se couchaient. Eleonor déglutit.

- Bordel de m...

< Ah ! Je me disais bien que cette boîte n'était pas vide ! >

La voix qui venait de se faire entendre lui transperça le crâne comme un millier d'aiguilles. Elle était un concert de rugissements et un déferlement de tempêtes, un déchaînement de puissance dans sa forme la plus pure. Une voix ? Vraiment ? Non pas une voix mais une pensée. Une pensée qui avait envahi l'esprit d'Eleonor qu'elle réduisait à présent en charpies. La souffrance, insoutenable, l'engloutit et très vite composa l'ensemble de son univers. Le monde se rétrécit autour d'elle. Rien d'autre n'existait, rien d'autre ne comptait plus que la douleur.

< Voilà donc quel animal se trouvait pris au piège à l'intérieur... un bipède. Je me disais bien que j'en avais reconnu l'odeur ! >

L'esprit broyé, Eleonor tomba à genoux sur le sol en gémissant et se griffant les tempes pour tenter d'extirper cette pensée de sa tête.

- Assez ... par pitié... assez ! se mit-elle à sangloter en se roulant en boule sur le sol caillouteux, prête à s'y fracasser volontairement le crâne pour que la torture cesse enfin.

< Trop fort on dirait > constata – amusée ? – la voix en baissant de quelques tons pour desserrer l'étau mental, devenant ainsi plus tolérable.

Les yeux rougis et les traits exsangues, Eleonor pouvait enfin reprendre son souffle. Elle tentait encore de se redresser, les jambes flageolantes, quand une bourrasque de vent la renvoya à terre. Une ombre gigantesque emplit le ciel, voilant la lumière naissante de ce qui tenait ici lieu de soleil. Le sol trembla.

Quand elle osa enfin relever la tête, Eleonor se retrouva face à une énorme gueule dont la longueur des crocs dépassait sans mal celle de ses bras. Son cœur connut une dératée et sa vessie flancha. Deux yeux couleur de l'ambre, des yeux immenses à la pupille fendue, la scrutaient avec intensité.

- Un... Un...

< Oui ? Vas-y. Dis-le, pauvre petite chose apeurée. Nomme-moi > l'encouragea la créature dont le terrifiant museau reptilien sembla dessiner un sourire.

- Un... lézard géant qui parle, lâcha Eleonor dont le cerveau paralysé de frayeur n'arrivait plus à réfléchir correctement.

Les yeux d'ambre clignèrent de surprise.

< Lézard ? >

Le fabuleux monstre rejeta la tête en arrière en poussant un long rugissement féroce, découvrant ses deux rangées de crocs plus tranchants que des rasoirs.

< AH ! AH ! AH ! AH ! Un lézard me répond ce pitoyable bipède ! Un lézard ! AH ! AH ! AH ! >

L'hilarité de la créature prit fin aussi brusquement qu'elle avait commencée et Eleonor se ratatina de terreur en voyant la tête immense, gueule ouverte, se précipiter vers elle comme pour l'engloutir. L'être humain était peut-être devenu un super-prédateur sur Terre mais la jeune femme réalisa pleinement qu'elle venait de dégringoler au plus bas de la chaine alimentaire. Elle était une proie. Une toute petite proie qui n'allait pas tarder à mourir.

Contre toute attente, l'être de cauchemar s'arrêta à temps et se contenta de faire claquer ses mâchoires à quelques centimètres de son visage, lui accordant une vue privilégiée sur les détails de son effrayante dentition. Blême, Eleonor sentit qu'elle n'était pas loin de tourner de l'œil ; et seul l'horrible pressentiment qu'elle ne se réveillerait jamais si elle s'effondrait maintenant la maintint en éveil.

< Et ainsi... Ressemblé-je toujours à un lézard ? >

- Nnn... non. Papapardon... monsieur le dragon ? bégaya Eleonor, tremblante de la tête au pied.

La gueule émit un grondement satisfait et se retira. Voilà qui était bien mieux. L'humaine adoptait enfin une attitude plus conforme à son statut d'inférieure. Quelle continue ainsi et peut-être lui laisserait-il la vie sauve.

< Pour toi ce sera seigneur Dragon, souverain des airs, Evendril le Brillant ! Et pour toi et toi seule, primate, je serai aussi le Magnanime. >

Evendril. Ainsi le monstre avait un nom. Evendril le Brillant dont le corps immense était recouvert d'écailles sombres comme la nuit. L'astronaute ne comprit pleinement la raison de ce nom que lorsque le dragon se détourna d'elle pour s'asseoir : Les milliers d'écailles qui recouvraient son corps, en épousant les mouvements de sa musculature, accrochaient la lumière du jour qu'elles renvoyaient diffractée comme autant de prismes, donnant l'impression que des reflets irisés dansaient à la surface de sa peau à chacun de ses gestes. Eleonor ne put s'empêcher de le trouver magnifique. Terrifiant, oui, mais aussi d'une beauté à couper le souffle.

- Le... Magnanime ? répéta la jeune femme en déglutissant.

< Ne t'épargné-je alors que tu m'insultes ? Et ne t'ai-je pas après tout secourue ? >

- Secourue ?

< Oui, de l'Envers des Infinités. Dans lequel était prisonnier ta petite boîte. J'ai senti la déchirure et je suis venu voir. J'étais curieux. >

La pilote en resta abasourdie. Il l'avait sauvée... par simple caprice ? Ce n'était pas ce qu'il y avait de plus rassurant ! Son regard descendit sur les griffes affûtées de géant céleste dont les pattes étaient à la mesure de son gigantisme, énormes donc. Un frisson désagréable lui parcourut l'échine. Ainsi c'était cela, les déchirures dans la coque du Pioneer ? Des marques de griffures ? Mais quel genre de griffes pouvait déchiqueter une telle épaisseur d'acier ?! Eleonor réprima à grand peine un gémissement en songeant avec quelle facilité il pourrait l'éviscérer elle ! Elle n'y survivrait sûrement pas ! Son corps ne résisterait pas plus à l'une de ces griffes que... qu'une feuille de papier subissant l'assaut d'une paire de ciseaux !

Au secours...

- Je... Je... Je... dérivais dans... quoi ? le questionna-t-elle, peinant à garder le fil de leur échange. Je ne me souviens de rien.

< Bien sûr que non > répliqua la sublime créature avec une sorte de ronronnement amusé. < Ton cerveau ne saurait comment interpréter l'Envers des Infinités. Tes sens sont trop limités et ton esprit deviendrait fou. >

Folle, je suis déjà en train de le devenir !

- Quel est ce lieu ? Cet heu... Envers des Infinités ?

Son colossal et effrayant interlocuteur lâcha un ricanement mental ouvertement moqueur.

< Ah ! Que les bipèdes sont ignorants ! L'Envers n'est pas un endroit. C'est un non-lieu dans l'interstice du Voile, où n'existent ni temps ni espace ; ni ombre, ni lumière ; ni envers, ni endroits, ni côtés. >

- Hein ?

Une fois de plus Eleonor regretta que James ne soit pas à côté d'elle. Son frère aurait certainement pu saisir les concepts dont parlait le dragon.

- Le Voile ?

< C'est par lui que tu es passée quand il s'est déchiré. Le Voile qui sépare les Infinités entre elles. Et L'Envers est ce qui remplit le Voile. C'est le Grand Rien, l'Absence de Tout. >

- Le Grand Rien ? L'Absence de Tout ? répéta Eleonor, totalement hébétée.

Soudain un éclair de compréhension fusa dans son esprit.

- Attends, attends ! Cet Envers des Infinités c'est le vide ? Non non non, pas le vide... le néant ! C'est ça ? J'ai raison ?

< Certains le nomment ainsi...>

Le dragon pencha la tête sur le côté, la réexaminant avec une curiosité évidente.

< Tu es moins stupide que tu n'en as l'air, bipède. >

Un compliment sans doute. Ou du moins l'équivalent aux yeux du reptile ailé pour un être qu'il jugeait inférieur.

- Mais c'est impossible ! se récria aussitôt Eleonor. La définition même du néant est le vide absolu. L'Absence de Tout, tu l'as dit toi-même dragon !

< Seigneur Dragon > la reprit immédiatement Eivendril avec un grondement.

- Seigneur Dragon, se corrigea donc Eleonor avec une petite suée. Comment un objet ou un être vivant pourrait-il se retrouver piégé et dériver dans le néant ? S'il n'y a ni temps ni espace ? Il ne peut pas ! S'il n'y a pas de temps alors il serait partout à la fois et s'il n'y a pas d'espace alors il ne serait nulle part ! Et s'il n'y a pas d'espace, il n'y pas non plus de volume alors comment peux-tu y rentrer et t'y déplacer ? Et comment l'Envers peut-il tenir dans un voile ? C'est absurde ! Tout ça n'a aucun sens ! Absolument aucun !

Eivendril se redressa avec un rugissement terrible de rage, si puissant que la jeune femme en tomba à la renverse sur le sol en papillonnant des yeux, choquée. L'une des imposantes pattes de la créature s'abattit sur elle, une griffe saillant entre ses cuisses écartées. Elle l'avait dangereusement frôlée et Eleonor devina que c'était à dessein. Cette pensée la rendit nauséeuse.

< Comment oses-tu ?! Qui es-tu pour mettre en doute la parole d'un dragon, misérable humaine ?! Cela parce que ton esprit limité est incapable d'appréhender ce qui lui est inatteignable ! Le Monde-Mère existait déjà dans l'Avant ! NOUS avons été les témoins du Grand Eclatement, NOUS avons survécu aux Déferlantes de la Naissance, NOUS avons assisté à l'apparition des Infinités et NOUS demeurerons encore quand elles disparaitront ! Tisseurs et Voyageurs du Voile, NOUS sommes le Peuple, NOUS sommes les Dragons, seigneurs des cieux et maîtres des courants, redoutés et révérés sur plus de mondes que tu n'en verras jamais, cavaliers du Temps et conquérants des Infinités ! >

Pétrifiée par la fureur soudaine du dragon, tétanisée, Eleonor cessa de respirer.

< Et tu oses me contredire ? > reprit l'être mythologique avec plus de virulence. < Toi ? Ridicule petit bipède, à la carcasse si fragile que je pourrais la broyer d'un seul coup de dents ? Toi dont la vie n'a que la durée d'un souffle ? >

Pour un reptile, Evendril avait sans conteste un sens aigu de la rhétorique à défaut de faire dans la dentelle. Il avait aussi manifestement un ego surdimensionné... ou plutôt à l'échelle de sa stature. Mégalomane, à coup sûr. Mais qu'attendre d'autre d'une créature haute comme trois étages et capable d'écraser un éléphant - si ceux-ci avaient encore existé sur Terre - comme un moucheron, d'un seul coup de patte ?

D'accord, se dit Eleonor. Ne surtout pas vexer, contrarier ou énerver le monstre bouffi d'orgueil qui peut soit t'aider, soit te bouffer.

La jeune femme baissa la tête avec humilité, priant pour que son idée fonctionne tandis que la gueule hérissée de crocs se rapprochait d'elle à nouveau, menaçante.

- Pardonne-moi ô Sublime magnificence, Divin parmi les astres... Je ne voulais pas mettre ta parole en doute Seigneur céleste, Splendeur heu... des splendeurs ? Epargne l'ignorante que je suis.

De panique elle ferma les yeux pour ne pas voir sa fin arriver.

- Je t'en prie, je t'en prie, je t'en prie ! se mit-elle à piailler de plus belle en joignant ses mains dans un geste de supplique.

Le temps suspendit sa course. Une seconde passa. Puis deux. Puis trois. Puis...

< Evendril le Magnanime te pardonne. Mais ne recommence pas, bipède, ou ce sera ta dernière injure. >

Eleonor rouvrit les yeux en laissant s'échapper un profond soupir de soulagement. Son cœur, affolé, battait à tout rompre dans sa poitrine. Si fort que la jeune femme se demanda s'il n'allait pas s'échapper hors de sa cage thoracique pour sauter tout droit dans la gueule béante qui la surplombait.

La brosse à reluire pour calmer le dragon, leçon apprise.

Une fois ses craintes apaisées... ou en tout cas une fois à peu près certaine qu'il n'avait plus l'intention de l'avaler tout rond, Eleonor put se remettre à réfléchir aux informations que le dragon avait échappées durant sa crise de rage. Grand Eclatement ? Déferlantes de la Naissance ? Quelle naissance ? Et que diable pouvaient donc être ces Infinités ?

Oh mon dieu ! réalisa-t-elle soudain avec un effarement grandissant. Le Grand Eclatement... Le Grand Eclatement ! Est-ce qu'il parle-t-il du... du Big Bang ? Alors les Infinités seraient... des univers ? Des univers parallèles ?

Aussi fascinante que puisse être la cosmologie vue par les dragons, Eleonor réalisa à quel point elle pouvait se trouver loin de chez elle. Il avait parlé d'une déchirure par laquelle le Pioneer était passé. Etait-il possible qu'elle se trouve plus éloignée encore de son foyer qu'elle ne l'avait jusque là imaginé ? L'immensité de l'espace était une chose mais si en plus elle avait changé de réalité... Comment allait-elle pouvoir rentrer chez elle ?

Conquérants des Infinités, avait dit Eivendril. Les dragons seraient donc capables de passer d'univers en univers ? Ils seraient des sortes d'êtres... inter-dimensionnels ?

< Commences-tu à prendre toute la mesure de ce que je suis, humaine ? Et comprends-tu à présent ton insignifiance devant moi ? > entendit-elle Eivendril lui demander, plus calme à présent.

Eleonor opina lentement du chef, les yeux rendus soudain humides par son désespoir.

- Ai-je changé d'univ... d'Infinité ?

Le museau reptilien se rapprocha et Eleonor se raidit, résistant tant bien que mal à l'instinct qui lui hurlait de s'éloigner dare-dare et de s'enfuir en courant. Elle frissonna quand Eivendril entreprit de la flairer.

< Indubitablement. >

- Comment... ?

< Ta vibrance est différente de la vibrance de cette Infinité. Cela ne durera pas, ce ne sont que des effluves résiduels qui s'estomperont à mesure que tu t'accorderas à l'Infinité dans laquelle nous nous trouvons. >

- Pourrais-tu... ? Serais-tu capable de me ramener chez moi ô puissant Eivendril ?

Le dragon sembla la toiser avec dédain.

< Traverser les Infinités n'est pas le problème. Et cette vibrance ne m'est pas inconnue... Il est possible que le Peuple se soit déjà rendu sur ton monde mais...>

- Oui oui ! La Terre ! Nous avons des légendes qui mentionnent des dragons ! Alors tu pourrais m'y ramener ? Tu le pourrais, n'est-ce pas ?

< Oui le Peuple connaît la Terre. >

Eivendril secoua la tête, prenant presque en pitié l'humaine qui le regardait avec des yeux brillants d'espoir.

< Il en connaît même plusieurs. Tu ne comprends pas. Il y a une infinité d'Infinités. Et autant de versions de la Terre qu'il y a d'Infinités. Ce voyage pourrait être sans fin. Il se pourrait fort que tu meures de vieillesse avant que l'on ne retrouve la tienne. Je t'ai ramené sur un monde où vivent des hommes. Restes-y et fais-toi une raison, bipède. Tu ne rentreras jamais chez toi. >

- Mais... mais ! Tu as dis que tu reconnaissais ma heu... ma vibrance, quoique ce soit ! Ca veut bien dire que tu peux me ramener chez moi !

Eivendril souffla.

< La vibrance de l'Infinité oui. Cela élimine des possibilités. Mais reste que des multitudes d'Infinités ont la même vibrance car leur Trame est similaire. >

- Leur Trame ?

< Le maillage. Ce qui lie le Temps et l'Espace entre eux. >

- Oh ! Tu parles de la structure de l'espace-temps ! comprit Eleonor.

< Oui. La Trame de l'Espace et du Temps. Parfois le maillage est plus resserré et le Temps s'écoule plus vite. Parfois le maillage est plus lâche et il passe plus lentement. >

- Il existe des univers aux espaces-temps identiques et d'autres où l'espace-temps est différent, et où donc le temps s'écoule naturellement plus ou moins vite. Pigé.

< Oui. Et dans chacune de ces Infinités il existe d'innombrables mondes, chacun pesant sur la Trame de l'Infinité dans laquelle ils se trouvent, et la déformant plus ou moins selon leur poids. >

- Leur gravité, traduit Eleonor. Plus la gravité d'un monde est importante, plus elle courbe la structure de l'espace-temps et plus le temps s'écoule lentement à la surface de ce monde.

< Il arrive que le Temps s'écoule de la même manière pour un petit monde où la Trame de l'Infinité est lâche et pour un gros monde où la Trame est serrée. Parfois les passages du Temps s'équilibrent. Mais c'est assez rare. Les passages du Temps sont rarement les mêmes d'un monde à un autre, quand l'on change d'Infinité. C'est pourquoi il ne peut s'écouler que quelques jours sur un monde entre le moment où on le quitte et celui où l'on revient, alors que le séjour effectué durant cet intervalle sur un autre monde aura duré des années. Ou inversement. >

Oh merde... Je suis en train de discuter physique avec un dragon, réalisa Eleonor, émerveillée malgré elle. James aurait adoré ça.

Son cœur se serra aussitôt à la pensée de son frère.

- Seigneur Eivendril, je t'en prie, aide-moi ! Aide-moi à rentrer chez moi.

< Je te l'ai dit. Abandonne. C'est une quête vaine. >

- Je le sais, je l'ai bien compris. Une infinité de versions de la Terre... Mais s'il y a une chance, juste une toute petite et minuscule chance, je dois la saisir ! Je ne peux tout de même abandonner sans avoir essayé !

< Même s'il est possible que cent ans déjà soient passés dans ton Infinité ? Tu es restée piégée dans l'Envers après tout. Qui sait combien de temps s'est écoulé de l'autre côté du Voile, dans les Infinités, pendant que tu avais cessé d'exister ? >

- Même. Je prends le risque. Mais il n'y a que toi ô puissant Souverain Dragon, cavalier du Temps et conquérant des Infinités qui puisse m'y aider. Sans toi je ne pourrai rien !

< Bien entendu > répliqua la créature avec suffisance en bombant le poitrail, flatté dans son ego par les efforts d'obséquiosité d'Eleonor. < Fort bien, j'accepte de te faire traverser le Voile jusqu'à ce que tu abandonnes. >

- Merci ! Merci mille fois ! Je... je reviens tout de suite !

Eleonor se précipita à l'intérieur de la carcasse du Pioneer, s'empara d'un havresac et rafla tout ce qu'elle estimait potentiellement utile pour son voyage. Le matériel médical fut le premier à être embarqué. Une fois prête et sûre de n'avoir rien oublié, la jeune femme courut rejoindre le dragon qui l'attendait en s'impatientant.

< Viens à moi bipède, hâte toi donc et monte sur mon dos ! >

- Ele...onor, haleta la jeune femme en boitillant au pas de course.

< Pardon ? >

- Eleonor, répéta-t-elle avec plus de fermeté. Le bipède a un nom et c'est Eleonor.

< Hmmm ! Si tu veux, bipède Eleonor. >

L'astronaute lâcha un profond soupir. Le périple qui s'annonçait allait être long ; et la compagnie de son guide sans doute pénible. Elle se dépêcha néanmoins d'escalader les flancs de l'être fabuleux, des fois qu'un nouveau caprice lui ferait reconsidérer son offre.


*****

En coulisses :

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