16 - Cauchemar
Trois coups à la porte sortirent Mycroft de ses sombres pensées.
Sachant qui l'appelait ainsi, il sauta sur ses pieds pour aller lui ouvrir, sans accorder plus d'attention à la cavalcade de l'autre garce qui descendait de l'étage.
Qu'est-ce qu'elle allait foutre là-haut d'abord ?
Mais ces considérations s'envolèrent de suite à la vue d'un Gregory souriant aux joues adorablement rosies par le froid. Mycroft fit un effort pour ne pas lui sauter directement dessus et se décala pour le laisser entrer...
Ce qui fut une erreur. Oui, à la réflexion, il aurait dû lui sauter dessus sans attendre.
Ça aurait au moins empêcher l'autre de l'alpaguer en se suspendant littéralement -une prouesse tout de même, reconnaissons-le- à son cou.
Rageur, Mycroft claqua violemment la porte, faisant sursauter le policier et chuter lourdement l'intrigante sur le carrelage. Mesquin, mais satisfaisant, ricana-t-il en son for intérieur en poussant l'air de rien Gregory vers le salon.
Elle se redressa en essuyant sa jupe d'un geste rageur, et il résista avec héroïsme à la pulsion de lui tirer la langue. Mais qu'est-ce qui lui prenait?
-Au moins, déclara Gregory en entrant dans la cuisine, vous ne vous êtes pas entre-tués, c'est déjà ça. Mais j'ai une bonne nouvelle : devant ma mine de déterré, et vue que j'ai arrêté en moins de deux jours le tueur psychopathe d'Abney Park, le patron m'a donné deux jours de congés.
Mycroft allait exprimer sa joie quand l'autre l'interrompit.
-C'est tellement gentils à toi, Greg, soupira-t-elle en se laissant tomber sur une chaise. Je suis désolé de m'incruster ainsi, je vois bien que je dérange... Elle jeta un coup d'œil en direction du maître des lieux, comme si elle hésitait à parler, puis repris en chuchotant presque : ton ami m'a fait comprendre que je n'étais pas vraiment la bienvenue.
Mycroft faillit s'étouffer devant autant de mauvaise foi. Greg leva un sourcil réprobateur qui, s'il ne lui était pas réellement destiné, frappa le pauvre Mycroft en plein cœur.
Il était en train de perdre Gregory. Mon Dieu...
Des gouttes de sueurs se mirent à perler sur son front. Malgré tout son pouvoir, toute son intelligence, il était en train de perdre Gregory. Au moment où il croyait qu'il y avait une chance...
Sa respiration se fit plus lourde, saccadée. Il s'adossa au mur pour ne pas tomber.
Non, ce n'était pas le moment pour ça.
Il se concentra sur le dos du policier, penché sur le contenu d'un placard. Respirer. Reprendre le contrôle. Assassiner cette garce. Lentement. Et dans d'atroces souffrances.
Mais comment ? Un accident ? Mais elle ne sortait pas de chez lui. Et s'il lui arrivait quelque chose dans sa maison, Gregory l'en tiendrait pour responsable ! Un suicide peut-être ? À méditer...
Probablement parfaitement consciente des idées de meurtre qui hantaient l'esprit du politicien, Gemma babillait sans s'arrêter.
À vrais dire, c'était plutôt impressionnant. Comment faisait-elle pour respirer ? Malgré lui, Mycroft était fasciné par ce pouvoir surhumain qui consistaient à débiter tant de bêtises à la minute que l'une chassait l'autre aussitôt.
Mycroft, qui adorait pourtant la cuisine de Gregory -autant pour le goût de la nourriture que pour le cuistot- bâcla pourtant son repas sous prétexte d'un travail urgent, et quitta la cuisine dans la frustration la plus totale pour aller s'enfermer là où la vie lui ficherait la paix.
*
En fin d'après-midi, Greg frappa à la porte de son bureau.
Il avait à la main une part de gâteau au chocolat. Mycroft lui adressa un regard surprit.
-C'est que, s'expliqua maladroitement Lestrade en posant sans y penser une fesse sur le bureau, surplombant ainsi son amant sur sa chaise, c'est que, durant tous nos repas, tu ne m'as jamais vraiment dit ce que tu aimais comme dessert. Alors, je me suis dit que, peut-être, tu appréciais le gâteau au chocolat...
Ce n'est qu'une foutue part de gâteau, imbécile, lança une voix dans l'esprit de Mycroft. Pas de quoi en faire une crise cardiaque. En plus, tu n'aimes pas particulièrement les gâteaux au chocolat.
Youhou, Mycroft ? Y'a quelqu'un ?
-Hum, se reprit Mycroft, conscient que son silence s'éternisait. Je.. heu... Merci. Les gâteaux au chocolat sont mes préférés.
Ce qui, à partir de maintenant, était totalement vrai.
Sous l'œil amusé du policier, il enfourna avec plaisir une cuillère dans sa bouche.
-Mycroft, déclara soudain Gregory d'un ton qui fit tiquer son interlocuteur, il faut que je te dise...
À cet instant, bien entendu, quelqu'un frappa à la porte.
Sans s'en apercevoir, Mycroft, plia la cuillère entre ses deux doigts, sa frustration à son comble. C'est décidé. À partir de demain, il ferait disparaître tous les portables de la surface du pays, interdirait de toquer aux portes, et surtout, surtout, organiserait un génocide planétaire sur les femmes s'appelant Gemma. Ados, femmes, enfants, pas de pitié.
-Tu ne vas pas ouvrir ? Lui demanda gentiment Gregory alors que trois autres coups, plus hésitants, retentissaient.
Mycroft lâcha un long soupir. Si même lui faisait partit du complot, que pouvait-il faire ?
Il se leva donc pour tirer à lui le battant de cette foutue porte. Pour se retrouver nez à nez avec...
-John ?
Cette histoire commençait réellement à tourner en Vaudeville. Peut-être était-il en train de rêver? Ou plutôt, de cauchemarder...
-Oh, Mycroft, sourit le blond, visiblement gêné. Euh... Bonjour ?
-Mon frère a besoin d'aide ? Ne me dites pas que l'affaire des Trois-Pignons lui pose problème !
Il allait de soi que même au plus profond du gouffre, Mycroft Holmes gardait toujours un œil sur son petit frère. C'était son rôle.
-Quoi ? Oh, non, pas du tout. Il est persuadé que le père et le fils sont tous les deux coupables.
-Ce qui est vrai.
-Je m'en doute. Mais ce n'est pas pour ça que je venais vous voir... Il prit une grande inspiration, et débita d'un trait : voilà, Sherlock s'inquiète pour vous, parce que vous ne lui avait pas donné de nouvelle depuis votre retour de mission à l'étranger -qu'il a appris à travers Greg, ce qui l'a plutôt vexé, soit dit en passant- et, du coup, il s'inquiète pour vous. Mais, bien sûr, il fait semblant de rien et vendrait son âme au diable plutôt que d'admettre la moitié de ce que je viens de dire. J'ai donc décidé de passer, vous savez, prendre de vos nouvelles. Je n'aurais qu'à lui dire que vous m'avez kidnappé, et tous le monde sera content.
Mycroft en resta un instant abasourdit. Sherlock s'inquiétait réellement pour lui ? Ce n'était pas une invention du médecin ?
-Je me disais, continua prudemment John pour pallier au mutisme de l'autre, que votre absence de nouvelles avait peut-être, éventuellement, hypothétiquement, un rapport avec notre dernière conversation...
Et John, stupéfait, vit distinctement ce qu'il n'aurait jamais cru voir.
Mycroft rougit.
-Définitivement, conclu John en retenant un sourire. Hum, je ne voudrais pas m'incruster, bien sûr, mais pourrais-je entrer ? Les passants se posent déjà pas mal de questions...
Mycroft s'écarta. De toute façon, il était en train de perdre complètement le contrôle de sa vie, et sa maison autrefois si privée devenait un véritable boulevard. Alors, un de plus, un de moins...
Au moment où la porte se referma, Mycroft se rendit compte en un éclair de l'énorme bourde qu'il venait de commettre.
-Je suppose que voici l'objet du délit ? Plaisanta John en désignant la garce tranquillement assise sur le sofa.
Le pauvre Mycroft retint un haut-le-cœur.
-Certainement pas, cracha-t-il presque. La présence ici de cette... personne, est indépendante de ma volonté.
John ouvrit des yeux surpris.
-Il y a des choses indépendantes de votre volonté ?
-Apparemment, grinça l'autre.
-John ? S'exclama Greg en entrant dans la pièce, qu'est-ce que tu fais là ?
La mâchoire de John tomba de manière dramatique.
Il y eut un instant de flottement.
-Ok, finit-il par sortir. Quelqu'un peut m'expliquer ce qui se passe ?
La jeune femme sur le sofas, qu'il détesta aussitôt, prit la parole d'un ton agacé.
-Vous voyez bien qu'ils baisent ensemble.
Mycroft eut plus que jamais envie de la frapper. Présenter sa relation avec Gregory de manière aussi vulgaire, comme si ce n'était rien de plus qu'une sordide partie de jambe en l'air...
Mais peut-être étais-ce le cas pour Gregory ?
Non, non. Il s'interdisait de penser une chose pareille.
-Gemma, trancha la voix de l'inspecteur, soudain plus coupante qu'une lame. Je croyais que tu étais fatigué. Tu devrais aller te coucher. Maintenant.
Celle que John renomma bien vite en pensée « la garce » arbora aussitôt l'air contrit d'une pauvre victime et partie s'enfermer quelque part. L'ex-médecin, obéissant à une intuition, sortit discrètement de sa poche le bout de son portable pour prendre une photo. Quelque chose clochait. Mais quoi ?
Puis, enfin débarrassé de l'importune, il envoya à Greg un regard lourd de sous-entendu.
-Je vois que tu as fait le même choix que moi, lança-t-il en référence à leur conversation précédente.
-Oui, répondit Greg avec un sourire rayonnant. Et je ne regrette rien...
Mais malgré lui, son regard soucieux se perdit dans la direction qu'avait prise son ex-femme.
Mycroft, en arrière plan, bouillonnait. Il ne savait pas de quoi John et son amant était en train de parler, et ça l'inquiétait au plus haut point. Quel choix avait fait John ? Qu'est-ce que ne regrettait pas Greg ? D'avoir couché avec lui ? D'être revenu l'attendre ? D'avoir renoué avec son ex ? Qu'est-ce que John savait?
Et bon sang de bon soir, que signifiait ce regard ?
-Hum, reprit John, soudain conscient qu'il était de trop dans la pièce, il se fait tard. Et, euh, je ne voudrais pas vous affoler, mais je crois que quelque chose est en train de brûler...
Un air paniqué passa soudain sur le visage de Greg.
-Le repas !
*
Le dîner se déroula dans une ambiance semblable à celle du midi.
Complètement désemparé, Mycroft voyait cette sangsue se rapprocher de son Gregory pour lui attraper le bras, mine de rien, au détour d'une phrase, évoquer un souvenir qu'ils avaient en commun, faire une référence qu'il ne pouvait pas saisir, complimenter sa cuisine malgré son arrière-goût de cendre... À moins que cet arrière-goût-là ne vienne de moi, songea cyniquement Mycroft.
Il se sentait mal, intrus à sa propre table.
Il avait l'impression que celle qu'il n'avait même plus la force d'insulter venait de détruire en une journée tous qui s'était créée entre lui et son cher policier.
Il avait l'esprit vide. Les yeux vides. Sa gorge était si serrée que chaque mot qui en sortait semblait en arracher un bout. Le monde entier était sans saveur.
Il perdait le round, il perdait la guerre, il ne savait pas quoi faire, et sombrait un peu plus dans l'amertume. Il n'avait jamais mené de pareilles batailles auparavant.
Il se perdit dans la contemplation de ses couverts, admirant machinalement l'éclat de la lumière sur le métal.
Mais il ne vit pas, hélas, les regards tout aussi tristes que Gregory lui envoyait.
*
Mycroft ne se souvint même pas comment il était arrivé sur le palier, entre sa chambre et celle où dormait actuellement l'autre.
Et puis, qu'on en finisse.
La situation s'étirait, s'éternisait, ça n'en finissait plus de lui faire mal. S'il n'était pas de taille, s'il n'avait rien pour le retenir, si son si cher Gregory finissait aux mains de cet individu qu'il n'osait même plus nommer... que ça se finisse maintenant, par pitié.
Que le monde arrête de le frapper. Il était déjà à terre.
-Je suis désolé Greg, roucoula la garce, je crois que j'occupe déjà ton lit... Mais il est très grand, vraiment. Il y aura largement la place.
Ben voyons.
L'image de la garce et du policier dormant côte à côte acheva de lui briser le cœur.
-Ne t'inquiète pas, répliqua sèchement Gregory, les prenant tous les deux par surprise. Mycroft et moi avons prévu de baiser ce soir. Tu auras donc toute la place que tu veux dans ton lit. Mais ne t'étale pas trop, n'oublie pas que tu repars demain.
Et, sans qu'aucun des deux belligérants n'ait pu esquisser le moindre geste, il saisit fermement le bras de son amant, l'entraîna dans sa chambre et claqua la porte.
-Gregory... commença Mycroft, incrédule, avant de laisser mourir sa phrase.
-Mycroft... Le policier passa une main sur son visage, visiblement en colère envers lui-même. Je suis tellement désolé.
L'autre ne trouva rien à répondre.
-Avant toute chose... continua Gregory, hésitant. Bordel, je n'ai pas arrêté d'y penser, mais depuis que je t'ai retrouvé, je n'ai pas pus faire un pas sans qu'elle me colle au train. Mycroft... tes cicatrices ?
L'aînée des Holmes déglutit difficilement. Quoi, ses cicatrices ?
Comme son interlocuteur ne lui répondait pas, le policier appuya sur ses épaules pour le faire asseoir au bord du lit et, avec l'infinie douceur que Mycroft commençait à lui connaître mais qui lui remuait tout autant le cœur, souleva les manches de sa chemise pour découvrir les pansements sales, qu'il défit en silence. Heureusement, rien ne semblait s'être infecté.
-Tu ne les as pas changés depuis la dernière fois ?
L'autre fit non de la tête, honteux.
-Je ne voulais pas... tenta-t-il de s'expliquer.
Mais sa voix se chargea de sanglots.
Gregory comprenait. Qui pouvait parler de blessure aussi vive sans en éprouver la cuisante douleur ? Celles de Mycroft étaient trop profondes pour que leur simple évocation ne le désarme pas.
Le policier s'agenouilla pour poser ses mains sur les siennes.
-Je ne voulais pas les revoir, murmura-t-il enfin. Tu les as fait disparaître. Je ne voulais pas... Je ne pouvais pas les affronter de nouveaux. Pas sans toi.
Cet aveu, cette voix, ce visage, ces mains qui tremblaient à peine entre les siennes, et ces yeux qui retenaient désespérément leur faiblesse... Gregory s'en trouva totalement bouleversé.
Se redressant, il déposa un baiser léger sur les lèvres de Mycroft, perdu.
-Tant mieux, répondit-il, souriant malgré lui, en allant chercher la trousse de soins dans la salle de bain. Parce que tu n'auras certainement jamais plus à le faire.
Mycroft cru qu'il allait mourir. Poignardé en plein cœur. Par quelque chose de si puissant qu'il en avait le souffle coupé. Mais Dieu, quelle délicieuse agonie !
-L'autre... souffla-t-il malgré lui.
Armé de bandages et de compresses, Gregory vint s'agenouiller à nouveau devant son amant.
-Gemma ? Grogna-t-il. Elle n'a jamais eu l'intention de se suicider, n'est-ce pas ?
Il fit non de la tête.
-Elle m'a dit, continua le politicien -alors que tout son être lui disait de se taire- qu'elle était ton premier amour.
-C'est vrai. Mais Mycroft, je ne l'aime plus. Il prit son visage entre ses mains, comme pour y graver chaque mot. Je.ne.l'aime.plus.
-Mais elle a dit, continua bien malgré lui un Mycroft qui n'en pouvait plus de se dire de se taire, que je n'étais qu'une consolation. Lorsqu'elle a appelé, tu m'as laissé en plan pour...
-La sale garce, grogna Gregory sans retirer la paume de ses mains du visage de son aimé. Je vais la tuer. Mycroft, je te promets que tout ce que j'ai fait envers elle depuis que je suis tombé amoureux de toi ne tenait qu'à de la pitié. Je ne pouvais pas la laisser se suicider, c'est tout. Mycroft, tu m'entends ? Crois-moi, je t'en pris, Mycroft !
Mais l'autre était resté bloqué deux phrases plus tôt.
-... Amoureux ?
Gregory eut un sourire à la fois surprit et attendrit.
-Oui, amoureux. Bien sûr, amoureux; espèce d'idiot ! Tu croyais que je me comportais ainsi avec tous les beaux garçons que je rencontrais ?
-Je ne suis pas beau.
-Oh, Mycroft, si tu savais... souffla le policier en posant ses lèvres sur son bras, le long des cicatrices qui déchiraient la peau.
Un frisson transperça Mycroft de part en part.
-Si tu savais... continua Gregory en glissant ses lèvres jusqu'à son coude, enchaînant aussitôt par son épaule, son cou, sa joue...
Il poussa le politicien en arrière et l'enjamba, le retrouvant allongé sous lui, sur le lit, son visage à quelques centimètres du sien, ses lèvres reluquant sans vergogne celles qui le tentaient tant.
-Si tu savais... souffla-t-il une dernière fois avant d'abolir la distance qui les séparaient.
Les mains agirent d'elles-mêmes.
Infernales, bacchanales, avides d'amour et des pires luxures, elles glissèrent sous les vêtements, ayant bien vite fait de dénuder la chair.
Un portable sonna, quelque part.
Ils s'en contrefoutaient.
Ils étaient bien trop occupés à s'embrasser, à s'enlacer, à se caresser, à se désirer et à se consumer pour laisser place à de telles considérations.
*
Le portable sonna encore une fois avant d'abdiquer. Un message s'afficha sur l'écran.
« Problème. J'ai montré la photo de la garce à Sherlock. Elle n'est pas là pour Greg. Besoin d'aide ? JW »
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