14 - Attente
L'affaire s'était compliquée.
Lorsque Mycroft avait vue tomber la nuit, il avait longuement hésité, son portable entre les mains. Il pourrait envoyer un message à Gregory, pour lui dire de ne pas l'attendre... Mais si, de toute façon, il n'en avait pas l'intention ? Il ne voulait pas paraître présomptueux.
Finalement, au bout d'un quart heure de délibération interne, il reposa son portable, et se replongea dans le compte rendu d'un rapport crucial.
Lorsque la nuit tomba de nouveau, Mycroft n'avait pas bougé de son bureau. Il avait vu défiler la moitié du gouvernement, donné des ordres, lus des rapports, analysé des vidéos. Ce n'était pas terminé. Il ne pourrait pas encore rentrer ce soir.
Son regard échoua sur son portable. Il pourrait lui envoyer un SMS. Mais que dire ? Comment justifier qu'il n'en avait pas envoyé un la veille ? Et s'il s'en fichait, s'il n'avait pas réellement l'intention de l'attendre ?
La mort dans l'âme, Mycroft se replongea dans l'épineux problème d'un message codé.
Le troisième soir, il écrivit un long SMS pour s'expliquer, s'excuser, utilisant tour à tour de longues phrases alambiquées. Il l'effaça, rageur. Il réessaya. Il le ré-effaça. En désespoir de cause, il éteignit furieusement son portable et l'envoya valser à travers la pièce.
La quatrième soir, il le rangea dans son tiroir, se plongea aussi profondément qu'il le put dans le travail pour ne pas songer qu'il venait certainement de mettre un terme à sa relation avec Gregory, avant même qu'elle n'est commencée. Par stupidité. Juste parce qu'il ne savait pas quoi écrire, pour ne pas le faire fuir, ni comment s'excuser.
-Du thé, Mycroft ? Demanda Anthea, le sortant brutalement de ses pensées.
-Non.
-Vous n'avez rien mangé...
Il lui jeta un regard agacé, qu'elle lui rendit bien.
Les hommes, soupira-t-elle intérieurement, quelle belle bande d'idiots... Elle sortit son portable.
Elle détestait, elle exécrait devoir se mêler des affaires des autres, mais là, il semblait bien qu'il lui faille prendre les choses en main.
*
Le premier soir, Gregory avait attendu devant la porte, malgré le froid, malgré les regards surpris des passants. Longtemps. Longtemps.
Mais Mycroft n'était pas rentré.
Il passa la journée suivante les yeux collés sur l'écran de son téléphone, désespérément muet. Pourquoi cet idiot ne lui écrivait-il pas ?
Lestrade grogna, faisant fuir Anderson, qu'il n'avait pas remarqué, et qui venait de lui proposer un café.
Il n'avait même pas son numéro. C'était risible. Il n'avait strictement aucun moyen de le joindre. Il n'allait certainement pas demander à Sherlock le numéro de son frère. Et il ne pouvait pas se pointer, comme ça, au club Diogène. Pour dire quoi ? « Bonjour, je voudrais voir Mycroft Holmes. Oui, nous avons couché ensemble l'autre soir, c'était formidable, et je voudrais savoir s'il serait prêt à recommencer. Non, je n'ai pas de rendez-vous, désolé. »
Non, définitivement non, soupira le policier en passant ses mains sur son visage.
L'image du corps nu de Mycroft s'imposa à son esprit.
-Vous êtes malade ? Demanda Anderson en passant à nouveau devant son bureau. Vous êtes complètement rouge, c'est flippant.
Malade ? Songea Gregory. Oui, sûrement. De la plus vieille maladie du monde.
Il attendit encore longtemps, ce soir-là. Mais la porte resta close.
Si ça se trouve, se dit-il, il est derrière sa fenêtre, en train de se moquer de moi. Mais non, Mycroft ne ferait jamais ça. Alors pourquoi ne l'appelait-il pas, bordel ? Il lui avait pourtant dit, qu'il l'attendait ! Est-ce qu'il ne voulait vraiment plus le revoir ? Et s'il lui était arrivé quelque chose ? Comment le savoir ?
Vers une heure du matin, alors qu'il allait appeler un taxi pour rentrer chez lui, il reçut un SMS.
Trois corps décapités à Abney Park.
Il bénit le ciel, et transmis aussitôt le message à Sherlock.
S'il arrivait quoi que ce soit à Mycroft, son frère serait le premier informé. Et Lestrade comptait bien ne pas lâcher le détective consultant d'une semelle, jusqu'à ce qu'il sache ce qu'il voulait savoir.
*
-Greg, demanda soudain John, il y a quelque chose qui ne va pas ?
Oui, eut envie de répondre le policier. Ça fait quatre jours que j'attends un message qui ne vient pas. QUATRE PUTAINS DE JOURS.
-Ce n'est rien, répondit-il à la place.
-Histoire de cœur ?
Greg lui jeta un regard perçant. À côté de Sherlock, on oubliait souvent à quel point John pouvait se montrer perspicace. Bien sûr, il ne pouvait pas faire de déduction, et il serait certainement bien incapable d'enquêter tout seul, mais il possédait l'intelligence du cœur, cette empathie qui lui permettait de se lier instantanément avec les gens.
Sherlock et lui s'étaient décidément bien trouvés.
-Combien de temps attendrais-tu quelqu'un qui ne te rappelle pas ? Demanda-t-il finalement.
John haussa un sourcil.
-Tu parles à quelqu'un qui a passé deux ans de sa vie à attendre un idiot qui s'était fait passer pour mort.
-Certes, ria Greg.
Son rire attira l'attention de Sherlock, qui surgit aussitôt dans le dos de John pour l'entourer de ses bras et, comme un enfant, poser sa tête sur son épaule.
-Sherlock ! Qu'est-ce que tu fiches ?
Lestrade sourit. Il savait bien ce que le détective faisait. Il marquait son territoire, parce qu'il était jaloux, parce qu'il aimait John par-dessus tout.
Il eut un pincement au cœur, et vérifia pour la énième fois l'écran de son téléphone.
Écris-moi, Mycroft.
*
Gregory regardait d'un œil morne défiler derrière les vitres du taxi le Londres nocturne. Il était crevé. C'était la quatrième nuit consécutive qu'il veillait jusqu'à plus de trois heures du matin, dans l'attente de quelqu'un qui ne venait pas.
Un SMS fit vibrer son portable. Il ne réagit pas tout de suite, trop fatigué pour penser correctement.
Enfin, sa main rencontra son téléphone, et l'amena d'un geste las devant son visage.
Numéro inconnu. Il frémit.
« Il rentre ce soir. Il n'a pas mangé. -Anthea- ».
Gregory sentit une décharge d'électricité parcourir tout son corps.
-CHAUFFEUR ! Hurla-t-il, faisant sursauter le malheureux, CHEZ LOUIS, MAINTENANT !
-Louis ? Demanda le taximan, effrayé par le fou qui s'excitait à l'arrière.
-La pizzeria à l'angle de la rue ! Maintenant ! Si vous faites assez vite, je vous file cinquante euros de pourboire.
Il ne fallut pas le dire deux fois.
Un quart d'heure plus tard, le policier faisait le pied de grue devant la porte dont il commençait à connaître chaque fissure. La neige s'était remis à tomber, effaçant lentement le monde.
Mycroft n'arrivait pas, et il n'en pouvait plus de sentir grandir son trac. Bordel, songea-t-il avec ironie, je n'étais pas aussi stressé pour mon premier rendez-vous !
*
Mycroft laissa échapper un soupir, fourbu. Le problème était réglé, bien sûr. Mais à quel prix ? Tout ça parce qu'il n'était pas fichu d'écrire un SMS, lui qui avait envoyé sans sourciller un ultimatum au président des États-Unis.
-Je prends le raccourcit habituel, monsieur ?
-Pas la peine, soupira-t-il. Prenez la route principale.
Il n'était pas vraiment pressé de retrouver sa maison vide, de monter dans sa chambre, la chambre où il avait si bien fait l'amour, quelques jours plus tôt, et retrouver un lit froid.
La voiture s'arrêta dans un crissement de pneu, la neige ayant rendu la chaussée glissante.
Même la neige lui faisait penser à lui.
Il ouvrit son parapluie, et sortit du véhicule.
Voilà qu'il le voyait devant sa porte, maintenant.
La silhouette familière frottait ses mains l'une contre l'autre, visiblement dans l'espoir de les réchauffer.
Un espoir fou envahis le cœur de Mycroft. Il l'observa encore quelque seconde, histoire d'être vraiment certain que son esprit fatigué ne lui jouait pas de tour.
Mais non. Il ne savait pas par quel miracle, mais il était vraiment là.
Gregory remonta encore un peu plus son col, dans le vain espoir de protéger son nez et ses oreilles. La neige s'était faite encore plus drue, le coupant sans remords du monde. Il tendit une main -définitivement gelée- pour y cueillir un flocon de neige. Rien ne vint s'y poser.
Perplexe, il remonta les yeux.
Il se trouvait sous un parapluie noir.
Il se retourna malgré lui.
-Tu es en retard.
Pour toute réponse, Mycroft lâcha son parapluie, referma ses mains autour de son visage, et l'embrassa passionnément.
-J'ai apporté à manger, souffla Gregory lorsque leurs lèvres se séparèrent, mais j'ai bien peur que ce ne soit froid.
-Qu'importe, répondit l'autre. Ce n'est pas la nourriture que j'ai envie de dévorer maintenant...
*
Dans l'ombre du porche voisin, un homme et une femme observaient les deux silhouettes qui s'embrassaient à nouveau.
-Tu avais raison, souffla la femme.
-Ouais. On va se faire un max de pognon...
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