La cité d'Emeraude - Gardaya (1)
Gardaya plaça sa lance sur le sol de l'église, devant l'autel du grand Peut-être. Elle posa un genou à terre, sur cette terre meuble et couverte à certains endroits de feuilles toujours vertes. Un jour, une des prêtresses lui avait confié que lorsque toutes les feuilles seraient mortes, la cité Emeraude serait perdue. Elle chassa ces idées de sa tête en récitant les prières ancestrales que lui a enseignées sa grand-mère. Le poing sur le coeur, elle entama son chant :
"Peut-être, entends-tu ? Peut-être, entends-tu ?
Ces regards braqués sur moi, les vois-tu ?
Donne moi ta force, ta sagesse et ton savoir,
Bientôt, j'aurais encore besoin de toi.
Oh Peut-être, l'âme Emeraude, jamais ne mourra.
Grand Tout, Grand Toi, jamais ne mourra."
La voix grave de Gardaya résonna contre les parois en verre de l'église qui filtraient toute la lumière du soleil. Elle baissa sa tête vers le sol en signe de respect et resta dans cette posture cinq secondes précisément. Elle récupéra son arme et tourna le dos de l'autel pour sortir de la petite église lorsque les pas à peine audibles d'une prêtresse attirèrent son attention. Elle se retourna et vit une jeune femme blonde revêtant l'uniforme officiel, en tunique blanche avec des spartiates aux pieds et une ceinture en cuir mettant sa taille en valeur. Ses mains, qu'elle devait probablement croiser devant elle, étaient cachées par les immenses manches de l'habit officiel que les prêtresses revêtaient lors des cérémonies, séances de spiritisme ou autres.
Gardaya reconnut Talylia en voyant les pas peu assurés de la jeune femme. Aveugle de naissance, ses yeux d'un bleu trop clair fixaient un point au loin. Il lui arrivait souvent d'avoir des visions ce qui faisait d'elle quelqu'un d'extrêmement respecté ici.
— Gardaya. Je suis heureuse de te voir ici. Le grand Peut-être aussi. Il regrette de ne pas t'avoir plus près à son service, et moi aussi.
Le sourire de Talylia fut contagieux , car les lèvres de Gardaya se laissèrent aller à leur tour. Celle-ci posa son arme de nouveau au sol et serra la prêtresse et amie d'enfance contre elle.
— Je n'ai même plus le temps de te voir entre deux campagnes. Comment vas-tu ?
— Être cheffe des armées ici n'est jamais de tout repos tu sais. Je suis fatiguée, Talylia. Je venais lui demander de me prêter de la force. Il m'a abandonnée lorsque j'ai voulu le servir, il me doit bien ça.
— Telle était ta destinée, fille du soleil. Tu aurais aimé être comme moi ou les autres ? Les prêtresses sont uniquement des infirmes de naissances telles que l'on m'a trouvé ou des femmes trop abîmées par la vie. Nous avons besoin de nous concentrer sur autre chose ou nos consciences nous emporteront avec elles.
Talylia laissa un sourire triste se dessiner sur son visage tandis que Gardaya ramassa son arme.
— J'abîme la vie des autres, qui finissent ici. Cela ressemble presque à une mauvaise blague.
Elle épousseta la terre meuble qui s'était accrochée à sa lance taillée dans le bois ancestral de l'arbre de mille ans et fit demi-tour dans la démarche saccadée qu'elle n'avait jamais réussi à quitter. Entraînée depuis son enfance par sa mère, elle-même une ancienne militaire, elle n'avait jamais imaginé que sa fille puisse être choisie lors de la cérémonie par le grand Peut-être. Annuellement, une cérémonie était organisée pour toute la génération ayant passée les dix-huit ans. Ils étaient alors invités chacun leur tour à se piquer le doigt et à faire couler une goutte de sang dans la bassine du savoir. Une prêtresse venait ensuite boire une gorgée de l'eau et le Grand Peut-être lui transmet alors par une vision de ce que va devenir le concerné. C'était avec une énorme stupéfaction que la prêtresse Katsya avait hurlé son résultat à la foule.
Gardaya s'était alors retrouvée projetée au-dessus de la foule par des centaines de mains, acclamée par tous. Qu'est-ce qu'elle avait aimé ce moment. Mais lorsqu'elle avait dû assumer plus tard les responsabilités que son rôle lui donnait, Gardaya l'avait alors détesté. Elle avait plusieurs fois supplié le Grand Peut-être de lui donner une place partout ailleurs. Que son rêve le plus cher avait toujours été de le servir, lui. De chanter encore et encore, ses comptines.
Mais le grand Peut-être avait besoin d'une arme pour convaincre toujours plus de croire en lui. Lui qui avait ramené la paix, remettant la nature au centre de la culture. Rasant les villes, il en avait fini avec tous ceux qui ne se souciaient guère des besoins de leur prochain, qui ne respectaient pas celle qui les nourrissait et le chouchoutait chaque jour. Mais tous les peuples ne se sont pas ralliés à lui. Dans sa grande clémence, le Grand Peut-être créa alors une armée de femmes et d'hommes en charge de convaincre les autres de les rejoindre pour une vie meilleure. Pourtant, les Hommes se sont de nouveau réunis pour créer d'autres cités. Pour des raisons étranges, le Grand Peut-être ne les avait pas rasées, laissant son armée s'en occuper.
Gardaya lança un regard à la lame au bout de sa lance et baissa les yeux. Le Grand Peut-être lui avait donné le pouvoir d'ensorceler les autres par sa voix mélodieuse, il avait fait d'elle son arme. Elle avait décidé de le laisser faire. Elle ne savait trop que penser de tout cela puisque les peuples les plus faibles qui s'étaient joints sans difficulté s'étaient très bien adaptés au système de la cité d'Emeraude et l'avait aimée. Gardaya avait fini par penser qu'une autre divinité livrait, elle aussi, une bataille contre le grand Peut-être.
Elle rejoignit les différents bataillons de son armée. Elle les avait fait réunir une heure avant de se rendre à l'église. Dès qu'ils la virent se présenter devant eux, les soldats se redressèrent. Gardaya donna un coup de lance au sol avant de la pointer vers le ciel :
— Que la cité de Fer nous appartienne !
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