la cité Bleue - Hoyata (3)
— Grand Bientôt ! Arrêtez d'être aussi sympathique pour nos ennemis ! Nous allons bient... Nous allons bien finir par être une des dernières cités à survivre à la cité d'Émeraude ! Leur dieu que vous appelez Peut-être s'en prend aux autres et se les approprie. Vous voulez les accueillir à bras ouverts peut-ê... Vous voulez leur ouvrir les portes de notre glorieuse cité ? Fulmina Hoyata.
La jeune gouvernante tapa du poing sur son bureau corail, elle ne supportait plus ses dieux aux appellations communes. Surveiller chacune de ses phrases, facile à dire ! Elle haïssait aussi secrètement son dieu qui n'avait absolument rien d'un dieu. Il apparaîssait sous la silhouette d'un homme d'un certain âge, souvent en train de fumer son "Calumet de la paix" comme il l'appelait. Le Grand Bientôt était toujours détendu. Proche de son peuple, amicale et altruiste, son éternel sympathie avait le don d'exaspérer Hoyata. Il était incapable d'être sérieux deux minutes, sans faire tout un tas de mystères. Parfois elle avait la sensation qu'il ne remplissait même pas son rôle et pourtant...
Hoyata fit des grands gestes auprès des bulles et la silhouette disparut quelques instants avant de revenir. Cela la détendait quelque peu de pouvoir le faire disparaître, au moins quelques secondes.
La jeune femme donna un coup de nageoire rageur qui la propulsa près de sa fenêtre. Elle se passa une main sur le visage. Elle avait été élue quelques temps plus tôt comme gouvernante de la cité et elle ne pouvait s'empêcher de regretter son ancienne place en tant que simple gardienne. Le Grand Bientôt était si ... Mou ! Elle avait parfois du mal à croire que cette silhouette cachée parmi les bulles de la corne avait un jour sauvé une partie de la population en la rendant à demi poisson. Elle saisit son trident et commença à s'entraîner. Contrairement aux épées des soldats, cette arme est beaucoup plus dure à maîtriser. Elle se savait toujours observée par le Grand Bientôt qui attendait qu'elle termine ses attaques contre son ennemi invisible pour reprendre la parole.
— Tu le manies très bien.
— Merci, dit-elle en reniflant.
— Je suis heureux que le peuple t'ait choisie. Tu es très forte. Le peuple peut s'appuyer sur toi mais nous ne gagnerons pas cette bataille en nous combattant.
Hoyata inspira profondément pour reprendre son calme. Le Grand Bientôt s'était toujours voulu pacifiste et humain, c'était cela qui frustrait la jeune gouvernante. Une haine pleine de bienveillance, puisque c'était tout en s'inquiétant pour la cité Bleu ainsi que pour Le Grand Bientôt, qu'elle serrait les poings.
— Alors comment ? J'attends qu'ils grossissent leur rang et qu'ils viennent encercler la cité ?
— Non, je souhaiterais que tu ailles à la surface pour discuter avec eux. Seule à seule avec leur chef. Je t'offrirais des jambes le temps qu'il te faudra.
— Pardon ?
Hoyata vit les bulles s'effacer petit à petit. Elle se précipita sur la corne et passa sa tête à l'intérieur du trou.
— Non ! Pars pas maintenant ! Enfin... Partez pas maintenant !
Elle grogna en voyant que rien ne se produisait et s'éloigna du trou vers son bureau. Elle en sortit une petite boite couverte de perles qu'elle ouvrit avant de déverser son contenu dans la corne.
Elle attendit quelques minutes mais bien vite la corne se remit à buller et la silhouette du vieil homme apparue parmi elles.
— Tu as sorti les grands moyens pour m'appeler ! ria de bon coeur le Grand Bientôt en regardant l'herbe que la gouvernante venait de lui donner en offrande. Il vient de ta consommation personnelle ?
— Tu sais bien que je ne fume pas... Renifla de dégoût Hoyata.
— C'est bon pour les nerfs tu sais, et j'ai fait en sorte que votre organisme ait le moins d'effet négatif par rapport à ces petites merveilles de la vie.
— Merci, je suppose ?
— Ce que tu peux être rabat-joie ma fille. Le monde que tu connais se flétrira tu le sais alors pourquoi ne pas en profiter jusqu'au bout ?
— Je ne suis pas comme toi. Je ne compte pas me shooter jusqu'à ce que mort s'en suive.
— Tu ne comprends pas... Je parle seulement de te détendre. Tu es la plus stressée sous l'arche. Je m'inquiète pour toi.
— Merci, mais non merci. Tu parlais de me faire aller sur la terre ferme tout à l'heure, seule ?
— Oui, je veux que tu la rencontres. Je l'ai vu. Tu dois le faire seule sinon je doute qu'elle se laisse approcher. Ecoute je sais que la vie ici ne te plaît pas forcément. Tu n'es pas faite du même corail que les autres. Tu trouveras ce que tu cherches à la surface, crois moi.
Alors la silhouette laissa place uniquement à de petites bulles et Hoyata comprit qu'elle ne pourra le rappeler à l'aide d'une offrande.
Elle donna un coup de nageoire vers sa fenêtre et observa l'étendue d'eau qui se présentait devant elle. Elle ne connaissait que ça. L'équipe spéciale, des soldats entraînés à utiliser des jambes, était chargée d'aller sur la terre. Le Grand Bientôt avait dû voir quelque chose pour ne pas les envoyer.
Hoyata sortit de son bureau, son trident à la main et nagea à travers la ville submergée. Entre les maisons en coquillages, corails et parfois même carcasses d'anciennes villes ou d'os de très grands animaux, la gouvernante ne put s'empêcher de rêvasser de la terre.
Elle aimait la cité Bleu, évidemment. Elle aimait nager entre les habitations rondes et biscornus, devant le café de Dédé où des vieux un peu loufoques jouaient souvent aux cartes avec le Grand Bientôt. Un peu plus loin, on trouvait la crèche, le Grand Bientôt apparaîssait parfois près de celle-ci pour faire rire les enfants. En face, il y avait l'école où il y donnait aussi quelques leçons. Le Grand Bientôt était partout pour les habitants de la cité Bleu. Toujours en communication avec eux par l'omniprésence des cornes à bulle, il était pour tous le grand-père de la cité.
Hoyata se remémora alors, lorsque l'idée de devenir gouvernante l'avait effleurée et qu'elle lui en avait fait part comme une confidence. Lui seul l'avait poussée jusqu'au bout.
Elle sourit à cette pensée mais secoua vite la tête en accélérant sa nage. Il allait tous les faire tomber à force de chouchouter tous les êtres humains ! Il allait causer la perte de toute la cité ! Ses dents se serrèrent tous comme ses poings. Il allait tous les faire tuer par les Émeraudes ! Sa nageoire accélèra le mouvement. Ils allaient tous y passer ! Ses yeux commencèrent à la piquer...
Puis, elle se sentit défaillir, ses forces la quittant petit à petit. La panique commença à la gagner lorsque sa nageoire cessa de s'activer sous ses ordres. Hoyata battit des bras en vain et éprouva alors une étrange sensation, celle d'être attirée par le fond. Elle serra les dents, couvra son visage de ses bras et s'évanouit avant de toucher le fond.
La jeune femme ouvrit les yeux vers le ... Ciel ?! Elle ferma ses papupières et les rouvrit, avant de les frotter. Elle était bien à la surface. Alors elle se rendit compte qu'elle allait mourir en dehors de l'eau !
Elle réussit à se redresser mais ses nageoires... Où étaient ses nageoires ? Hoyata hoquetta de surprise et de l'air rentra dans ses poumons. Toute sa gorge la brûla instantanément.
La gouvernante émit un son presque inaudible vers la mer. Des bulles se formèrent à la surface et la silhouette du Grand Bientôt pu se distinguer à la surface.
— Calme-toi Hoyata ! Tout va bien ! C'est moi qui t'ai donné ton apparence humaine. Tu peux respirer et parler librement. ça risque d'être compliqué au départ. Comme pour tes jambes. Tu ne pouvais pas rester avec des nageoires.
Hoyata le maudit par le regard, se sentant inapte à prononcer la moindre remarque cinglante pour son Dieu incapable. Elle installa ses pieds de manière à bien les encrer au sol et donna une impulsion avec ses mains. Elle tomba et grogna de douleur.
— Tends tes jambes, appuis-toi sur elle. Pousse ton derrière vers l'avant !
Hoyata vit alors le trident à côté d'elle et le planta dans le sol. Elle se hissa à la force des bras pour tenir debout et réussit à trouver un équilibre tout de même fragile.
— Tuuuuu. M'éééé... Ner... veuuuuh !
Le grand Bientôt rit de bon cœur avant de reprendre bien vite son sérieux, sérieux que son visage ne portait que très rarement :
— De jeunes gens arrivent. Ils ne te veulent pas de mal. Je savais que tu arriverais à te débrouiller. Tu portes un combinaison de plonger, si tu n'arrives pas à enlever cette deuxième peau, demande aux humaines femelles, elles pourront t'aider.
— Pour ? Equip spé (elle fit non avec sa tête) , moi ?
— Il n'y a que la gouvernante qui peut faire quelque chose dans ce cas là. Tu es notre diplomate. Ils arrivent, je te laisse.
Les bulles disparurent tandis que Hoyata essayait d'articuler un "non". Elle se sentit complètement perdue et désespérée dans ce corps qui n'était presque pas sien. Elle qui rêvait de la terre, elle regrettait bien vite maintenant. Elle s'accrocha à son trident avec la sincère impression d'être seule au monde.
Pourtant, deux jeunes gens s'approchèrent de Hoyata qui se lamentait, encore, de ne pas avoir profiter de ce sentiment plus longtemps. Elle tenta de se redresser, elle était la gouvernante tout de même. Elle essaya de s'écarter de son trident mais elle tomba en un cri de douleur.
Les deux arrivants se précipitèrent vers elle et l'aidèrent à se relever, passant ses bras derrière leur dos. Elle pouvait désormais s'appuyer sur eux. Elle respira difficilement et ils tentèrent de l'éloigner de la plage mais elle se débattit pour garder son arme. Le garçon prit alors le trident.
— Je ... cité eau... gouvernante... siffla-t-elle entre deux respirations difficiles. Qui ... ?
— Je suis la cheffe des armées de la cité d'Emeraude, dit une jeune femme et lui c'est Gaspard, il est...
Hoyata n'entendit pas la fin de la phrase et sombra dans un sommeil profond dans les bras de ses sauveteurs.
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