17 - S'aimer et se haïr
Bonne rentrée et bonne chance à tous ceux qui rentrent demain! Que le sort vous soit favorable!!
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-Je suis désolé pour lui, John, mais tu vois bien qu'on peut rien y faire.
Le susnommé John lui lança un regard à fissurer les pierres.
-Un, je sais pertinemment que tu n'es pas désolé. Deux, je ne t'ai rien demandé. Trois, va te faire foutre, Harry.
-Mais qu'est-ce que tu n'as pas compris dans « ponte de la mafia » ? gémit Harriet. Clara va nous tuer !
-J'ai affronté de pires ennemis. Moriarty, ça te parle ? De toute façon, si elle touche un cheveu de Sherlock, c'est moi qui la tue.
-Désolé, je ne te suis pas là-dedans.
-Me suivre ? Mais je ne te demande pas de me suivre, Harriet. Je ne te demande rien du tout. Ça fait des années que je ne te demande plus rien. Depuis cette histoire avec Lukas. Tu te souviens ? J'avais dix ans.
-Hein ? Lukas ? Qu'est-ce que c'est que ces conneries ?
John soupira et perdit son regard autour de lui. Ils se trouvaient tous les deux terrés au fond d'une cour insalubre, à l'arrière d'une épicerie solidaire. Adossé au mur d'en face, un vieil homme édenté ronflait tranquillement, une bouteille vide à la main, et une femme au regard torve essayait visiblement de dresser un gros rat noir.
-Tu as oublié, lâcha-t-il finalement. Pourquoi ça ne m'étonne pas ? Tu avais quoi, quinze ans ? Tu m'as dit que tu étais ma grande sœur. Tu m'as dit que je pouvais tout te dire, et que tu ferais n'importe quoi pour moi. Ça te revient maintenant ?
Harriet haussa les épaules en lorgnant la bouteille vide de l'ivrogne. Elle avait vraiment envie de boire. John serra la mâchoire.
-Je t'ai demandé si tu pouvais demander à Lukas de venir jouer à la maison, et si tu savais comment on disait à quelqu'un qu'on l'aimait bien.
Harriet, cette fois, eut un petit sursaut.
-Oh, ça y est ! Railla John en levant les mains au ciel, comme pour un miracle. Elle se souvient ! Tu te souviens de ce que tu as fait, aussi ?
-J'ai défendu mes propres intérêts. Jamais cru à ce baratin de devoir grande sœur protectrice et bla bla bla.
-TES INTERÊTS ? Dire à mon père que j'étais gay contre de l'argent de poche ? Tes intérêts ? Tu savais très bien ce qu'il allait faire ensuite !
-Bon, John, c'est très sympa, de ressasser tous ces souvenirs d'enfances, tout ça tout ça, mais tu m'excuseras, hein, je dois me casser. Fais soif ici.
John releva le coin de ses lèvres dans un sourire gorgé de fureur. Harriet songea in petto qu'il n'y avait que son frère pour sourire quand il était en colère.
-On dirait, déclara John en se relevant, la main si crispée autour de la crosse de son arme qu'elle en devenait blanche, que tu fais tout pour que je te haïsse, et que je cesse de te venir en aide. Tout. Tu devrais te méfier, ma chère sœur. Ça pourrait arriver.
Sans attendre de réponse, l'ex-militaire fit volte face et sortit de la cour, la tête haute et les épaules crispées. Prêt à se battre.
Ses pensées quittèrent Harriet pour se concentrer toutes entières sur une autre personne, bien plus importante à ses yeux, et qui avait aussi besoin de son aide. Mais celle-ci était en danger par sa faute, et s'il lui arrivait quoi que ce soit...
Il ne se le pardonnerait jamais.
Et rien n'aurait plus jamais de sens.
*
Harriet lâcha un énorme soupir et se laissa glisser le long du mur en ignorant les pierres descellées qui lui rentrait dans le dos et les pavés froids qui traversaient le fin tissu de son pantalon.
Elle regarda la silhouette de John disparaître dans les ombres du crépuscule.
-Si seulement tu pouvais me haïr, John... Si tu m'avais haï dès le début... Souffla-t-elle. Tout aurait été tellement plus simple. Si tu m'avais haï, je ne t'aurais pas fait autant de mal. Tu aurais compris plus vite à quel point j'étais dangereuse pour mon entourage. À quel point j'étais mauvaise.
Elle fixa ses mains tremblantes. Sa vision devint floue, et ses joues brûlantes.
-Je fais tout pour que tu me laisses, John. Pour que tu me déteste. Pour que tu m'abandonnes. Pour que tout le monde m'abandonne. Toi. Maman. Clara. Je ne mérite pas d'être sauvé. Je ne mérite pas qu'on cherche à me fréquenter. Pourquoi insistez-vous ? POURQUOI ?
Son cri fit sursauter la femme au rat, qui lui jeta un regard effrayé et s'enfuit en zigzag.
-Si j'étais courageuse, sanglota Harriet, je me serais tué. Il y a longtemps. Mais à la place j'arrête pas d'appeler au secours. Et tu viens. Tu viens toujours. Et je t'en veux... Tu comprends, ça ? Non, tu ne comprends pas, hein... Tu crois que tu m'en veux, mais c'est moi qui te déteste... De toujours être là alors que tu devrais me laisser crever, comme la vermine que je suis... Comme papa m'appelait... La vermine...
La jeune femme enfuit sa tête dans ses mains et se déchira en sanglots.
*
John était beaucoup plus malin que la plupart des gens le pensaient. Pas autant que Sherlock, certes (y avait-il aussi malin que Sherlock, à part son frère?), mais il possédait sa propre intelligence, basée sur l'instinct, l'empathie, l'expérience et une bonne capacité d'apprentissage.
Mais là, concrètement, dans cette situation, il décida d'envoyer valdinguer toute stratégie compliquée et de foncer simplement dans le tas. Il était encore furieux contre sa sœur, et cette colère se mélangeait plutôt mal à l'inquiétude folle qui lui dévorait les entrailles. Sherlock prisonnier de la mafia. Sherlock, l'impertinent Sherlock, le détective avec un instinct de survie si proche de zéro que s'en était alarmant. Son Sherlock. Ça l'aidait pas vraiment à réfléchir.
Finalement, songea-t-il avec humour, c'est lui qui a raison. Les sentiments perturbent la logique.
Tant pis.
Il haussa les épaules et surgit derrière l'homme qui gardait la porte d'une vieille cave à charbon, à deux mètres de lui. Il l'assomma d'un violent coup de crosse et le réceptionna avant qu'il ne touche le sol. En bon médecin, une seconde lui suffis à vérifier que l'homme n'était pas gravement blessé. En bon ex-militaire et partenaire de Sherlock Holmes, une minute fut suffisante pour le ligoter et le bâillonner proprement. En tant qu'amant fou d'angoisse, il lui fallut moins de temps encore pour défoncer à grand coup d'épaule la porte fermée à clef.
L'obscurité lui sauta à la figure.
Il entra et se plaqua contre un mur, pour que sa silhouette ne se découpa pas sur l'embrasure de la porte, et écouta.
-John ? Grogna une voix familière.
Le cœur de John fit un bond phénoménal. Sherlock. Il était là. Il était en vie. Une énorme pression disparu soudain, décrispant un par un ses muscles tendus par l'angoisse. Dans son euphorie, il plongea la main dans sa poche et en sortit son portable (offert par Harriet... Ironie, quand tu nous tiens) pour en activer la lampe.
Une forme était avachie contre le mur d'en face. Un homme qu'il aurait reconnu entre mille.
-SHERLOCK !
Il se laissa tomber au sol et posa son portable par terre, de façon à leur ménager un peu de lumière. Puis il prit le visage du détective entre ses mains et l'examina fiévreusement, détaillant avec minutie chaque centimètre de sa peau.
-Je n'ai rien, râla Sherlock sans pour autant songer une seconde à se dégager.
Une des mains de John quitta sa joue pour s'enfouir dans la masse de ses cheveux bouclés et tâter sa tête, à l'endroit où il avait été assommé. Il fut soulagé de n'y sentir qu'une énorme bosse.
-C'est un piège, dit Sherlock.
John ferma les yeux et, une main dans son cou et l'autre sur sa joue, posa son front contre le sien.
-John ? Chuchota le détective.
-J'ai eu peur... Répondit enfin son amant. Si peur... Dieu, Sherlock... Je suis tellement désolé...
Il se sépara enfin du détective pour lui délier les mains.
-De quoi ? Demanda Sherlock, qui espérait la réponse autant qu'il la craignait.
-Peur de te perdre, triple idiot. Et désolé de t'avoir embarqué là-dedans.
-Je t'ai embarqué dans bien pire.
-Vrai, répondit John en souriant doucement.
Il se pencha en avant. Et posa ses lèvres sur les siennes.
Sherlock lui rendit tout doucement le baiser, en appréciant secrètement la chaleur qui se répandait dans son corps et réchauffait cette petite zone de son cœur qui s'était glacée après leur dernier échange.
-John... Souffla-t-il enfin, lorsque leurs lèvres se séparèrent. Je ne me sers pas de toi.
-Si, répondit l'autre en souriant. Mais je n'ai jamais dit que je n'étais pas d'accords...
Et il approcha son visage du sien pour l'embrasser à nouveau.
-Ce... Ce n'est pas le moment... Répondit Sherlock, tellement à contre-cœur que ça lui fit mal. C'est un piège.
-Je sais que c'est un piège. Je ne suis pas si idiot que ça. Tu es l'appât. La cinglée de femme qui a épousé ma sœur va bientôt arriver. Tu as donc quelques minutes pour trouver une solution à cette situation.
-Pour un sauvetage...
-Au moins, tu as les mains déliées. Et tu m'as, moi.
-Certes, approuva le détective en se relevant et en tendant la main pour que John fasse de même. C'est un sacré avantage.
Il ne lâcha pas sa main, et ferma les yeux pour s'enfermer dans son palais mental.
John se contenta de le dévorer du regard, pleinement confiant, certain que son détective allait trouver comment les sortir de là.
À cet instant, la lumière s'alluma.
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