Chapitre 2 : Partir
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Mina Lepuy
Institut d'ingénierie
Eslandia
Le Nanobrain dans une main et un billet de train pour Nyr'Isandel dans l'autre, j'avance, un peu hagarde dans les couloirs de la rotonde. Cette fois, lorsque je passe devant les bureaux des ingénieurs, je ne pousse pas mon regard à l'intérieur pour tenter de deviner leurs travaux. Je n'en ai plus le temps. Le tic-tic de ma montre devient entêtant, me rappelant à chaque seconde que j'ai moins d'une heure pour préparer un sac et filer vers la gare.
Le doyen Foxord semble s'être préparé depuis longtemps à mon éventuel départ précipité. Je me repasse en boucle les secondes où il m'a tendu ce ticket sans nom, un billet générique avec le titre de l'institut. Puis je me remémore ses consignes : agir comme une étudiante en partance pour un séminaire à la capitale. Agir normalement.
J'inspire fort en bombant la poitrine... ce qui n'est pas très naturel.
— Sois normale, Mina, tu as déjà fait ça, prendre le train en révisant le sujet d'une future intervention, m'a recommandé Foxord.
Arrivée dans l'aile qui abrite les dortoirs, je m'adosse, à bout de souffle, contre un mur. J'ai réussi à ne pas pleurer devant le doyen, mais maintenant que je suis seule, je peine à réprimer mes larmes. L'incompréhension de ce qui se déroule mêlée à la peur pour mon père ont raison de mon self-control. J'essuie les gouttes salées d'une main tremblante. Tous mes camarades sont en examen et je ne suis censée croiser personne d'ici mon départ, mais dans le doute, il est préférable que personne ne me voit pleurer. Je me pince l'arrête du nez et inspire. Puis, un ricanement nerveux sort de ma bouche. Je ne percute pas tout à fait ce qui est en train de se produire. Si je n'avais pas déjà les yeux ouverts, je me persuaderais être sur le point de sortir d'un rêve grotesque. Cependant, je me souviens parfaitement m'être levée ce matin, m'être habillée - j'observe ma tenue dans le reflet de la fenêtre, je ne suis pas en pyjama, avoir pris le petit déjeuner au réfectoire commun et m'être rendue en classe. Et, par-dessus tout, je me souviens des complexes exercices de mathématiques sur lesquels je m'échinais avant qu'on me plonge dans ce cauchemar. Peut-être me suis-je endormie sur ma copie ? Je glousse à nouveau. La stricte surveillante n'aurait jamais permis ça.
Mes yeux descendent sur les deux objets entre mes mains.
Le billet de train et la puce de savoir.
La puce de savoir... non, ce qui vient de se produire est bel et bien la réalité. Car je n'aurais jamais osé rêvé tenir cet objet et encore moins l'embarquer loin du bureau de mon père.
Je serre la bille dans ma poigne et la porte au niveau de mon cœur. Elle est désormais le seul lien que j'ai avec mon père.
Là, le tic-tac de ma montre me ramène à ma mission. J'inspire profondément et me redresse. Je délie ma nuque tout en secouant mes épaules. Je marche sans m'arrêter jusqu'au petit, mais coquet appartement familial. Je le traverse sans en regarder le décor que je connais par cœur, j'interdis à mes pupilles de se poser sur les cadres photos ou les bibelots. Je fonce dans ma chambre. Tout va si vite. J'effectue chaque mouvement sans en avoir vraiment conscience. Je sors une petite mallette du haut de mon placard. Je l'ouvre sur mon lit et demeure devant, perplexe, pendant quelques secondes. Observant la caisse vide, je me mords la lèvre. Que dois-je emporter ? Je vais, dans un premier temps, à la capitale. Nous sommes au beau milieu de la saison chaude, ce qui veut dire que les températures ne monteront pas au-delà de dix degrés avec une terrible sensation d'humidité. Rien que d'y penser, mon corps est secoué d'un frisson. Je grimace, mais alors qu'une de mes mains est toujours prise par le Nanobrain que je refuse de lâcher, je me saisis d'une paire de bottines fourrées, troque ma jupe longue contre un pantalon près du corps et un fin pull qui ne me tiendra pas trop chaud sous mon manteau doublé. Je range une seconde tenue à peu près similaire dans ma valisette.
Je claque le couvercle, puis, je m'assois à côté quelques secondes. Devant moi, mon armoire un peu en désordre, mais qui ne témoignera pas de mon départ à la va-vite. Derrière moi, la baie vitrée, puis le grand océan nordique à perte de vue. La partie habitation de l'institut est une avancée surplombant la mer, donnant l'impression qu'on va se jeter dedans au moindre pas mal contrôlé. Petite, je rêvais du jour où je pourrais plonger du haut de notre salon.
Un sourire anime le coin de mes lèvres à cette pensée.
Devenue grande, je n'ai jamais tenté cette expérience. La froideur de l'eau m'en a dissuadée.
J'enfile mon manteau matelassé et me résigne à ranger la puce de savoir. Je la glisse dans une poche intérieure, toute proche de mon cœur. Puis, j'empoigne ma valisette ne contenant que le strict nécessaire.
— Comme si tu partais quelques jours pour un séminaire, Mina, martèle la voix du doyen Foxord dans ma tête.
Machinalement, comme s'il était en face de moi en train de me donner ses consignes, je hoche la tête. Ne sachant pas exactement où je vais, j'ai l'impression d'emporter moins que le strict nécessaire.
"Pour commencer", résonne la voix de l'homme dans ma tête, comme pour rappeler que Nyr'Isandel ne serait peut-être que le début de mon futur voyage.
Je balaye ma chambre du regard, qu'aurais-je pu prendre en plus ? j'ai réussi à caler un carnet et un livre à l'intérieur de ma besace. J'y ai également glissé ma peluche au pelage terni par les années, supposée représenter un animal de la pré-immersion et offert par ma mère lorsque j'étais enfant. Foxord jugerait sûrement ceci inutile et prenant la place d'un vêtement plus pertinent, mais je ne suis pas de cet avis. Les biens auxquels je tiens me réchaufferont plus que n'importe quelle écharpe ou paire de chaussettes supplémentaires.
Les mains crispées sur la poignée de mon bagage, je sors finalement de cette chambre où j'ai toujours vécu, puis de cet appartement, sans trop savoir quand je les reverrais. Mon père est sorti ainsi quinze jours plus tôt, et ma mère également, quelques années auparavant. Ni l'un, ni l'autre n'ont franchi la porte depuis. Je suis leurs traces.
Quand je traverse l'esplanade au devant de l'institut, je croise quelques adolescents qui ont coupé court à l'examen. Malgré le froid, ils arpentent la place, tout sourire, heureux d'être sortis de ces intenses heures de réflexion. Ils m'ignorent et je fais de même. Une brise de vent glacée vient me mordre le nez et les joues. Je regrette vite d'avoir mis mes gants dans ma valise et non sur mes mains. L'air de l'institut est connu pour avoir un temps plus clément que celui de la capitale, mais sa proximité avec le Pôle Nord n'en fait pas un lieu aux températures douces.
La gare est à quelques mètres en contrebas de la rotonde. Une nouvelle brise me fait resserrer le col de mon manteau autour de mon cou. J'imagine sans peine la teinte rosie qu'ont pris mes joues. Je descends rapidement l'escalier de vieilles dalles en pierres, légèrement glissantes, puis pénètre dans le hall. Cette fois, ce n'est plus le tic-tac de ma petite montre qui tape dans mes oreilles, mais celui de la gigantesque horloge au-dessus de la ligne de guichets.
Un train est à quai, prêt à partir. J'avance dans sa direction. Le gros ver de métal cuivré ronfle tranquillement en attendant qu'on l'actionne. Quelques personnes me dépassent pour s'engouffrer dans la première voiture. Chaque bruit de pas qui s'amène dans ma direction accentue les pulsations de mon cœur. Pourtant, on ne me prête aucune attention. Les savants ou simples voyageurs qui vont et viennent, marchent de la porte au guichet, puis vers le véhicule. Me savoir en fuite et en possession du Nanobrain me rend assurément paranoïaque. Je scrute les environs et les murs de métal gris qui se joignent à la roche naturelle, formant la cavité dans laquelle se niche la gare. Je passe par ce lieu plusieurs fois par mois, pourtant, c'est la première fois que je l'étudie. Peut-être parce que je redoute de ne pas le revoir avant un bon bout de temps.
Un grésillement me fait sursauter, mes doigts se crispent sur le col de mon manteau, manquant de pincer la peau de mon cou.
— L'embarquement pour le train de onze heures à destination d'Isandel va bientôt fermer ses portes. Nous invitons les derniers passagers à se présenter à bord.
Un homme aux cheveux longs impeccablement lissés saute de son fauteuil où il lisait le journal pour se ruer dans le train. Je lui emboite le pas. L'hôtesse m'accueille d'un franc sourire, tout en me demandant mon billet.
Mes yeux suivent chacun de ses mouvements, observent ses pupilles balayer les écritures sur le bout de papier.
Agir normalement.
"Tu vas juste assister à un séminaire, Mina", martelé-je mon esprit alors que les battements frénétiques de mon cœur rendent ma respiration difficile. Moi qui avais froid quelques secondes auparavant, j'ai désormais l'impression d'être ensevelie sous d'innombrables couches de vêtements.
— Votre siège se trouve au fond du couloir, rangée de droite, mademoiselle. Bon voyage.
Et elle me rend mon billet, affichant toujours son impeccable sourire. Je réalise que ses collègues sont tout aussi aimables chaque semaine, répétant ces mêmes gestes et mots.
Saluant les quelques passagers, comme si de rien n'était, comme une étudiante qui se rend à une conférence, je remonte la rangée de sièges en velours bleu.
J'apprécie de m'asseoir dans mon fauteuil. Je m'y enfonce. Désormais, je n'ai plus rien d'autre à faire que d'attendre.
Le train s'ébranle. Je tourne la tête vers l'extérieur. De là où je suis, je discerne encore un bout de l'océan. Je profite de sa vive couleur bleue sous les rayons du soleil avant que celle-ci ne se pare du noir des profondeurs. La grotte défile jusqu'à laisser placer à l'eau.
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Parce que deux, c'est mieux qu'un, du moins, dans la lecture, voici, pour ce jour de lancement le 2ème chapitre de cette nouvelle Fantasy.
Une petite question, quel type de société vous inspire Eslandia ?
Très honnêtement, même si j'ai déjà mon aaaaaalpha lectrice et une petite team d'alpha, vous serez tous plus ou moins mes alpha/beta lecteur, alors n'hésitez pas. La manière dont vous comprenez certains points de l'histoire m'aideront énormément pour la correction du texte. Alors n'hésitez pas 😉
Pour la suite de la publication, il faudra désormais attendre lundi 🌱
À bientôt ❤️
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