7 - Vanaheim
Par Odin qu'est-ce que je déteste Vanaheim !
Cela faisait plus de trois heures que Loki pestait en silence, appelant toutes les entités cosmiques existantes pour se plaindre. Il aurait volontiers tué Odin une seconde fois, malgré tous les désagréments que cela aurait pu engendrer, pour ne pas avoir à endurer les trajets en charrette bringuebalante et les commentaires désobligeants de son conducteur, qui paraissait avoir l'âge d'être l'aïeul de son grand-père adoptif, Bor. Et pourtant, c'était l'un des types les plus agréables qu'il ait pu trouver, les Vanes n'étant pas réputés pour être particulièrement cordiaux à l'égard des inconnus.
— Et où allez-vous donc ? demanda le dieu mineur.
Dieu mineur de quoi, Loki ne lui avait pas posé la question, et il ne le désirait pas. Si c'était pour apprendre que c'était le maître des saignements de nez ou bien des âmes frustrées des voyageurs désœuvrés, il préférait ne pas l'apprendre tout court. Ainsi, il prit sur lui, plongea la main dans sa poche, où reposait la petite pierre dorée. Au contact de ses doigts, elle émettait une douce chaleur, tandis qu'ils avançaient vers le sud. Or, connaissant presque parfaitement le monde de Vanaheim de par ses nombreuses escapades souvent illicites, et la seule cité qu'il connaisse qui soit dans cette direction était Sverjafjöl, située au sommet d'une cataracte éternellement gelée par un sortilège. On racontait que si la glace se rompait, la fin des Neuf Mondes arriverait.
— Sverjafjöl, répondit-il simplement à son interlocuteur, qui hocha la tête et se détourna.
À quelques interrogations près, tous deux avaient religieusement observé un mutisme permanent. Loki n'était pas d'humeur à converser. Obligé pour la première fois depuis des années de modifier son apparence pour qu'on ne le remarque pas – il ne tenait pas particulièrement à ce qu'on se souvienne de lui – il préférait réfléchir à la situation.
Contrairement aux autres, qui avaient probablement subi le même sort que lui, il savait ce qui s'était passé. Il avait été téléporté. Et, comble de malchance, dans le monde des Vanes, qui l'insupportaient tout particulièrement. Mais là n'était pas le problème. Le problème, c'était qu'il ne savait pas où était Elsa, et ce qui lui arrivait. Et, problème secondaire, une distorsion spatiale entraînait forcément une autre, temporelle. On ne pouvait pas « juste » téléporter les gens d'un endroit à l'autre de la galaxie sans modifier le cours du temps. Par sauts de puce, c'était éventuellement possible, mais c'était des failles sur des espaces peu éloignés. Tandis que là... il n'avait pas seulement changé de galaxie, il avait changé de monde. Ainsi, l'être qui avait causé cela était d'une part particulièrement puissant, et d'autre part totalement fou.
Il n'y avait que peu de créatures qui pouvaient causer des phénomènes comme celui-ci. Thanos en était capable, avec la magie du Tesseract pour l'aider. Mais même lui avait admis qu'il ne pouvait faire les choses à volonté. Ainsi, lorsqu'il avait envoyé Loki sur Midgard, depuis les zones les plus obscures des Neuf Mondes, il l'avait en réalité fait voyager durant un peu plus de cinq semaines. Là... Là, Loki n'avait aucun moyen de savoir combien de temps s'était écoulé entre le moment où il avait vu Elsa pour la dernière fois et maintenant. Il était conscient depuis une dizaine d'heures seulement, mais il sentait et savait pertinemment que bien plus de temps s'était écoulé. Il s'était réveillé à l'orée d'une forêt, sur un chemin de terre boueux qu'il avait d'abord failli prendre pour typiquement midgardien, jusqu'à voir passer devant lui un premier Vane, qui l'avait copieusement insulté dans sa langue natale.
Heureusement que, d'instinct, il s'était métamorphosé avant que quiconque ne le voie ! Les gens n'auraient pas de bons souvenirs de lui, ici.
L'idée ramena en surface de vieux souvenirs, et il se prit à sourire en contemplant la forêt qui défilait devant ses yeux. Les quatre cent coups au palais royal de Sverjafjöl, alors qu'il n'était encore qu'un enfant, en compagnie de Thor. Quelques siècles plus tard, la légendaire peste vane qu'il avait déclenchée sur un accès de colère. Encore un peu plus tard, une série de retournements, de coups dans le dos, d'alliances rompues, bref, un bazar politique tel qu'il avait failli pousser le roi Freyr à abdiquer. Presque.
Décidément, les gens ne devaient pas l'aimer, dans la région. Mais lui n'en ressentait aucun désagrément. Il ne regrettait pas.
En revanche, ce qui le taraudait, c'était l'absence d'Elsa, et son incapacité à savoir ce qui lui arrivait. Ça, c'était réellement frustrant. Alors que tout semblait aller de mieux en mieux, qu'elle recommençait à lui faire confiance... Avec l'aide de Thor, ils avaient pu sortir de la prison des Nova Corps, récupérer l'Orbe, et reprendre leur chemin. Et voilà qu'il ne savait plus où elle était. Il faillit pousser un hurlement de rage, se contint de justesse en devinant le mal qu'il aurait ensuite à se justifier auprès de son conducteur.
Au lieu de crier, il se contenta d'un grommellement frustré, si bas que l'autre ne l'entendit pas. Mais, très vite, il fut à nouveau interrompu dans ses réflexions par la voix acariâtre du vieillard :
— Nous arrivons à Erinstrok. C'est là que je m'arrête.
— Très bien.
Loki leva le nez. Il voyait encore l'ombre des arbres se profiler à une cinquantaine de mètres de là, à l'arrière de la charrette. Et déjà, à l'avant, se dessinaient les contours d'un petit village. Il poussa un soupir, s'adossa à nouveau au sac qui lui avait servi de repose-tête pendant la moitié du trajet, et ferma les yeux.
Lorsqu'ils posèrent le pied au sol, la nuit tombait. Loki donna quelques pièces d'or au vieil homme, sans le remercier, et tourna les talons à la recherche d'une auberge, s'éloignant au plus vite de ce véhicule de malheur. Il poussa un grommellement en voyant qu'il n'y en avait qu'une seule dans tout le village, arrêta la première personne qui passait à proximité, une jeune femme aux vêtements sales et trempés de sueur.
— N'y a-t-il pas d'autre lieu pour dormir que... Sous l'arbre du pendu ?
— Non, messire, fit-elle, hésitant sur son titre.
Il lui adressa un sourire faussement avenant, et elle passa une main dans ses cheveux.
— Et une écurie ?
— Vous... vous voulez continuer de nuit ?
Il acquiesça.
— Ce n'est pas prudent ! protesta-t-elle, soudain nerveuse. Avec les récents évènements, les pillards...
Il tiqua. Les récents évènements ? Mais il ne pouvait se permettre de poser la question sans paraître étrange, or, il voulait surtout rester discret. Il se contenta donc d'une grimace narquoise.
— Je sais. Où se trouve l'écurie ?
Elle hésita, mais finit par lui indiquer un petit bâtiment non loin, assez délabré. Il la remercia vaguement, et s'éloigna dans la direction indiquée. Elle ne le retint pas, même s'il avisa un air surpris, voire réellement inquiet, sur son visage.
L'homme en charge de l'écurie, un Vane quelconque aux airs froids et prétentieux, l'accueillit en silence, et, quand Loki formula sa requête en laissant entrevoir sa bourse pleine, le mena directement vers un cheval alezan. L'animal considéra le dieu de la malice d'un regard curieux, mais ne broncha pas. Après l'avoir rapidement observé pour déterminer d'éventuelles tares, un dos trop creusé, un garrot trop proéminent, Loki finit par acquiescer et le prendre. En moins de deux, d'autres pièces avaient changé de main, et il se retrouvait en selle. Les derniers éclats de soleil à sa droite, il éperonna l'étalon, qui s'élança au galop. Le vent vespéral, frais et vivifiant, frappa son visage et, malgré son inquiétude, il ne put s'empêcher de sourire. La dernière fois qu'il avait cavalé ainsi, c'était avec Elsa, dans les plaines enneigées d'Arendelle, quelques heures avant un massacre d'envergure.
Tous ses souvenirs le ramenaient à elle. En une année qu'il avait passée avec elle, il avait l'impression d'avoir tout découvert, et en même temps de ne rien savoir. Il savait qu'il voulait être avec elle, pour l'éternité et au-delà. Et il sentait qu'elle le voulait aussi, même si elle était retenue par ses devoirs de reine.
Sauf que cette fois-ci, il ne laisserait rien s'interposer entre eux. Il s'en fit la promesse.
Cependant, cela ne réglait pas le problème des devoirs d'Elsa. Et, en tant que membre de la cour de Sif depuis dix ans, il savait pertinemment que les arrangements politiques du royaume devaient parfois passer avant la reine elle-même. Surtout dans un petit royaume comme Arendelle, entouré de toutes parts par des voisins un peu trop prétentieux et imbus d'eux-mêmes. Ou du moins c'était l'impression générale qu'en avait retirée Loki, à deux exceptions près, la première étant la princesse aux cheveux de feu du royaume de l'autre côté de la mer – Mérida me semble-t-il... – et la seconde, étonnamment, un prince des Îles du Sud dont il ne se souvenait plus du nom.
Mais de fait, Elsa avait bien des devoirs de reine à respecter. Et l'un d'entre eux était de se marier, malheureusement. Il fallait lui accorder ça, elle avait tout fait pour assurer la stabilité politique de son pays.
Des éclats de voix sortirent Loki de ses réflexions, si ténus qu'il manqua d'abord de ne pas les remarquer. Mais le temps qu'il réalise réellement ce qui se passait, quatre cavaliers l'avaient entouré. Des brigands de grand chemin, se rendit-il compte sans réelle surprise en avisant leur accoutrement. Depuis quelques mois, ils pullulaient dans les régions les moins défendues, telles que Vanaheim justement. Il poussa un gros soupir, tandis que des éclats de rire gras se faisaient entendre à ses côtés.
— Oh, là, mon ami, ralentis !
S'il avait été sous son apparence réelle, il les aurait envoyés balader. Là, il s'obligea à s'exécuter. D'une part, il épuiserait sa monture pour rien, et d'autre part, il entrevoyait une manière un peu plus délicate de s'occuper de ces bandits sans forcément se salir les mains. Aussi, il tira sur ses rênes, repassa au trot, puis au pas. Son cheval ne semblait pas particulièrement dérangé par ce changement d'allure ; cela faisait trois bonnes heures qu'il alternait entre pas et galop sans s'arrêter une seule fois.
— Tu vas nous suivre vers la forêt, là-bas. Sois coopératif et tout se passera bien.
Encore une fois, il aurait contesté avec plaisir, mais il serra les dents, laissant même un léger sourire affleurer à la faveur de l'obscurité. Ainsi, il quitta la route principale, terreuse, pour s'engager dans les collines. S'il se souvenait bien, la route faisait une boucle pour contourner le bord de la forêt. En croisant à travers, il pouvait tout aussi bien gagner du temps. Enfin, s'il ne laissait pas ces imbéciles le ralentir. Ce qui serait une toute autre paire de manches.
Avec toujours un rictus narquois, invisible à tout autre que lui, il entreprit de tisser un enchantement. Le temps qu'il parvienne sous le couvert des arbres, il avait presque fini. Il suffisait d'un souffle d'énergie supplémentaire pour rendre réel le filet qu'il tissait au-dessus de lui et de ses quatre poursuivants.
À leur signal, il descendit de cheval, ferma les yeux un instant pour bien visualiser ce qu'il faisait, et s'éloigna de quelques pas. Il était devenu invisible, et la faible lanterne qu'ils avaient allumée n'aurait pas suffi à faire voir son ombre à ses poursuivants. C'était bâclé, mais ça ferait l'affaire. Il ne voulait pas s'épuiser.
Dès qu'il fut suffisamment loin, le double qu'il avait créé à sa place, qui écoutait toujours les instructions des bandits, éleva la voix :
— Si je puis me permettre, il y a un petit problème... Je suis seul, or vous êtes quatre.
Comme il l'avait prévu, ils furent assez stupides pour lever la tête vers lui, surpris.
— Oui, et donc ? fit celui qui semblait être le chef.
— En termes de partage... cela ne me semble pas tout à fait équitable... De plus, je n'ai pas de bourse, ou d'autre moyen d'équilibrer les choses...
Mensonge. Mais avec le flux de magie dans la voix, cela ne sembla étrange à aucun d'eux. La voix du double était ensorcelante, envoûtante. Personne n'aurait pu supposer qu'il mentait. Tout paraissait tellement cohérent, vu comment il le formulait... C'était à peine un murmure, pourtant, lorsqu'il leur suggéra de se battre pour avoir ce qu'il possédait, aucun des quatre bandits ne réfléchit. Ils se jetèrent les uns sur les autres, et en un instant, le filet magique s'abattait sur eux. Entre le choc et les coups, Loki perdit rapidement son emprise hypnotique sur les brigands, mais cela suffisait. Il attrapa les rênes des chevaux qu'ils avaient délaissés, grimpa à nouveau en selle. Désormais, il possédait non plus un seul mais cinq chevaux. À la prochaine écurie, il pourrait les revendre, en tirer un bon prix, et repartir sans user ses réserves de pièces d'or. D'ici à Sverjafjöl, il lui restait encore un long trajet, mais vu la situation actuelle, il n'y avait aucune raison que quelque chose se passe mal.
Il repartit ainsi, délaissant les brigands emprisonnés sous le filet, en plein cœur de la forêt, un grand sourire aux lèvres. De temps à autre, se refaire plaisir ainsi en se jouant du premier venu, c'était décidément très satisfaisant. Et puis, ce n'était pas pour rien qu'on l'appelait souvent Loki Langue d'Argent...
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Haaa, ça m'a fait tellement de bien de reprendre le pdv de Loki... XD
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