4 - Ljösalfheim
L'utilité de cette immense assemblée échappait totalement à Silvester puisque, dès que l'étrange elfe leur fit signe de les suivre, ils furent conduits dans une petite cavité attenante, où un vantail de bois rond se referma derrière eux, et la foule fut laissée derrière. Pourquoi, le prince n'en avait aucune idée. Il supposa simplement qu'il y avait des choses que cet étrange être ne voulait pas partager.
Silvester s'assit sur un rondin taillé en fauteuil qu'on lui désignait, couvert d'une étrange feuille bleue, épaisse et moelleuse, telle un coussin. Affalé là, il avait l'impression de s'enfoncer profondément dans l'un des canapés de sa chambre, à Weselton. Un léger sourire lui échappa à ce souvenir.
À côté de lui, Eirik s'assit à même le sol, dédaignant le siège qu'on lui offrait de la même manière. Son ourson, aux yeux dorés étincelants, vint s'allonger dans son dos, et glissa ses pattes autour du jeune prince dans une gestuelle étrangement protectrice. Silvester fronça les sourcils, certain que, au départ, les yeux de l'ours avaient été bleu glacier. Il en aurait juré. Puisque c'était Elsa d'Arendelle qui avait créé cet ourson, et tout ce qu'elle faisait avec sa magie était invariablement bleu ou blanc.
La pensée de la blonde ramena avec elle une vague d'inquiétude. Silvester rangea la question dans un coin, avec les plus importantes : où étaient-ils, pourquoi n'étaient-ils que deux, où étaient les autres, qu'est-ce que c'était que cet endroit, comment rentrer et retrouver le reste de leur équipage. Une jolie liste, donc. Mais il espérait que cet étrange elfe pourrait répondre à la grande majorité d'entre elles.
Lorsque les étranges yeux bleu et vert se fichèrent dans les siens, le prince de Weselton eut l'impression qu'ils voyaient sans difficulté jusqu'au plus profond de son âme. Il aurait aimé se soustraire à cet examen muet. Il aurait voulu détourner la tête, mais il y était comme paralysé. À côté de lui, Eirik, muet, observait tout ce qui se passait avec attention.
Immobile, incapable de bouger, Silvester dut attendre que ces étranges yeux cerclés d'indigo cessent de le sonder. Ce qui prit peut-être une poignée de secondes ou une dizaine de minutes, il n'aurait su le dire. Au bout du compte, le regard le relâcha, fila sur le côté, pour faire subir la même analyse au jeune prince d'Arendelle, qui ne bougea pas, même s'il sembla redresser légèrement les épaules. À côté, comme si l'ourson ressentait quelque chose, il riva son regard d'or liquide sur l'elfe, mais ne remua pas non plus. Silvester faillit pousser un soupir. Ces êtres magiques, décidément...
Le discret rappel de la magie le ramena immédiatement à la substance qui coulait dans ses veines. L'Æther, autrement dit l'une de ces étranges Pierres d'Infinité qu'ils étaient censés trouver. À part que cette pierre-ci, pour une raison obscure, était liquide. Une pierre liquide. Rien que la simple idée lui liquéfiait un peu plus le cerveau.
— Vous êtes troublés, souffla l'elfe après avoir fini son examen. Tous les deux. Je vais essayer de vous faciliter les choses. Je suis Alvär, un hybride entre les elfes noirs et les elfes de lumière. Vous êtes sur Ljösalfheim, le monde des elfes de lumière.
— Qu'est-ce qu'on fiche là ? Et où est ma sœur ?
C'était Eirik qui venait de parler. Et, apparemment, les bonnes manières qu'il avait manifestées jusque là étaient oubliées. Silvester voulut l'apaiser, mais le jeune garçon arborait cet air résolu, focalisé, qui l'empêchait de regarder autour de lui et d'écouter une possible voix de la raison. Il était trop préoccupé par sa sœur pour faire attention au reste. Du reste, l'ourson enroulé autour de lui, protecteur, empêchait toute approche physique, sympathique ou non.
Mais l'elfe ne sembla pas s'offusquer d'une telle entrée en la matière. Ses sourcils se redressèrent légèrement, adoucissant ses traits, et il répondit :
— Je ne sais pas où est ta sœur, jeune prince. Elle est quelque part dans les Neuf Mondes, c'est certain, mais je ne peux la situer. Quant à la raison de votre présence ici... Les mondes sont en train de se désagréger.
Rien que ça... eut le temps de songer Silvester avant que l'avalanche de nouvelles se poursuive :
— La nomination de la nouvelle Örva de la Glace devait avoir lieu il y a une décennie, à la mort de l'ancienne. Comme le rituel n'a pas eu lieu, les Mondes ont subi une série de perturbations, d'abord petites, mais qui sont en train de prendre de l'ampleur.
Le prince de Weselton haussa un sourcil. Si le gamin encaissait les nouvelles avec flegme, c'était une toute autre histoire pour lui.
— De l'ampleur... dans quelle mesure ? interrogea-t-il, sa voix tremblant légèrement.
Il n'eut pas le temps d'entendre la réponse. Soudain, son univers vira au noir, ses perceptions se réduisirent au néant. Absence de tout, de sons, d'odeurs, de couleurs... il n'y avait plus rien. Pas même la moindre esquisse d'ombre, qui aurait supposé une lumière lointaine... juste de l'obscurité. Totale, effrayante.
Il hoqueta, essaya de bouger. Ses membres ne lui répondaient pas. La terreur se déversa dans ses veines comme un flot destructeur, le paralysa sur place peut-être encore mieux que la noirceur qui régnait.
Puis vinrent les visions. D'abord, il revit son château, à Weselton. Il vit son père, ses traits tirés et la fatigue toujours présente sur son visage, ses sourires las et ses grimaces lorsque ses conseillers discutaient de l'indépendance précaire de leur petit royaume. Cela ne faisait qu'une demi-douzaine d'années, après tout, depuis la mort du duc.
Les images changèrent. Il vit son grand-père, au nez proéminent et à la perruque de travers, qui rentrait d'Arendelle en furie, pestant contre la reine, la princesse, le commerce, les Îles du Sud... contre tout, en fait. Il revit l'expression de son père lorsque les nouvelles étaient parvenues. Trahison à la couronne, tentative d'assassinat d'un dirigeant allié. C'étaient les termes de la lettre royale qui provenait d'Astradar, le royaume auquel le duché de Weselton appartenait. Le châtiment du Duc de Weselton sera la décapitation.
La guerre. D'abord physique, avec des centaines de morts, une véritable hécatombe pour le petit duché. Ensuite, les négociations entre le nouveau duc de Weselton, Ulric, le père de Silvester, et un envoyé d'Astradar, qui les sommait de renouveler leur allégeance à la grande capitale. Le refus d'Ulric, le retour de la guerre. Sang dans les rues, bâtiments en flammes, cris des habitants. Finalement, embargo commercial d'Astradar, et déclaration d'indépendance du nouvellement formé royaume de Weselton, dont la moitié de la population avait péri en l'espace de cinq ans.
Leurs relations diplomatiques avec les autres royaumes avaient été catastrophiques. Astradar refusait de leur adresser la parole, décapitait leurs émissaires et patrouillait sur les frontières, à l'affût de la moindre opportunité, Arendelle bloquait toujours tout échange, et les Îles du Sud mettaient sur leur dos la mort de deux de leurs héritiers. Silvester avait perdu son aîné dans ces intrigues politiques, empoisonné par des espions d'Astradar.
Le choc de voir un royaume se retourner contre sa province la plus prospère, et tenter de la mettre à feu et à sang, l'avait définitivement convaincu que renouer avec Astradar, même après un long laps de temps, ne causerait que des problèmes. Silvester avait alors proposé de reprendre les négociations commerciales avec Arendelle en douceur. S'allier avec la sorcière blanche était risqué, après les défaites qu'elle leur avait infligées, mais c'était alors leur seul moyen de survivre face à la soif de domination de leur ancien souverain.
Mais s'il apprenait à maîtriser ces pouvoirs dont il venait d'hériter... Silvester pourrait défendre son royaume contre Astradar sans problème. Il n'aurait même pas besoin d'Elsa d'Arendelle pour cela.
Il prit une inspiration haletante, alors que le voile coloré devant ses yeux s'effaçait lentement, pour lui permettre à nouveau de voir le monde qui l'entourait. Eirik était penché au-dessus de lui, sourcils froncés, frange blanche tombant devant ses yeux. Il le secouait avec intensité, alors que l'étrange elfe lui enjoignait de se calmer. Voyant qu'il avait enfin repris ses esprits, le gamin recula de quelques pas, toujours aussi inquiet.
— Vous allez bien ?
Rendu nerveux par ces souvenirs qui l'avaient perturbé, il hocha la tête sans trop réfléchir, se redressa légèrement. Il se doutait, que, s'il n'avait pas déjà été assis, il serait tombé depuis longtemps. La tête lui tournait, et il avait l'impression d'avoir du coton dans les oreilles. Une grimace lui échappa.
— Vous n'avez pas un moyen de faire cesser ce que je ressens ? demanda-t-il à brûle-pourpoint à l'elfe qui le considérait avec attention.
Ce dernier secoua la tête, désolé.
— L'Æther ne se comporte pas comme les autres Pierres. Elle est dotée d'une conscience qui lui est propre. Même ses porteurs ont rarement la force d'influer dessus.
Le prince terrien grogna, dents serrées, tentant en vain de juguler la douleur sourde qui aiguillait ses muscles et lui donnait l'impression qu'une armée de fourmis était en pleine croisade dans son corps.
— D'accord. Qu'est-ce qu'on disait, avant ?
Alvär esquissa un sourire teinté de tristesse.
— Je ne sais pas vraiment quelle formes prennent les catastrophes dans les autres mondes, je n'ai pas pris le temps de m'y intéresser. Mais chez nous, à Ljösalfheim, c'est une véritable épidémie. Nous l'appelons le Mal Sombre. Il ronge les arbres, détruit leurs graines, décime les animaux...
— Et... murmura Eirik, sous le choc. On peut... le contenir ? Le ralentir...
— L'assemblée que vous voyez dehors y est entièrement dédiée. Nous concentrons nos flux magiques en un seul pour ralentir la progression du Mal Sombre.
Silvester inclina gravement la tête sur le côté. La sincère douleur non réprimée qu'il lisait dans les yeux verts de l'elfe le dépassait. C'était comme si... comme s'il se préoccupait de chaque créature vivante qui succombait à ce fléau, comme s'il était personnellement affecté qu'un animal mourait.
— Pourrions-nous... aider ? hésita-t-il. Il paraît que ce machin dans mes veines est assez puissant, est-ce qu'il n'y aurait pas un moyen de...
Alvär plissa les yeux, pensif. Le fin cercle bleu qui entourait ses iris parut luire un instant dans la semi pénombre du tronc, les motifs sylvestres sur sa peau s'illuminèrent. Silvester sentit soudain une drôle de présence à ses côtés. Il tourna la tête de gauche à droite, nerveux, à la recherche de ce qui avait provoqué cette étrange sensation, sans voir personne à ses côtés.
Dans ses veines, l'Æther se mit brusquement à bouillir. Silvester gémit, ferma les yeux, avec l'impression que des flammes brûlaient dans sa poitrine. L'air qui parvenait à ses poumons était soudain chaud, raclait contre sa cage thoracique. La Pierre se sentait agressée, il le percevait confusément. Elle se barricadait contre l'assaut – pourtant pacifique – dressait d'immenses barrières psychiques pour empêcher son adversaire de passer.
De l'autre côté de la petite pièce, l'elfe avait les yeux grand ouverts, et des flots de larmes cristallines en jaillissaient. Tout l'arbre frémissait au rythme des pulsations de sa peau. Le regard d'Eirik, rendu nerveux par le soudain afflux de magie qu'il sentait vibrer dans l'air, oscillait entre Alvär et Silvester. Près de lui, l'ourson s'était mis à renifler à gauche et à droite, comme à la recherche de cette énergie, et ses yeux d'or étincelaient. L'enfant esquissa une grimace, se colla à son animal protecteur, profondément angoissé.
De son côté, Silvester essayait désespérément d'apaiser l'Æther qui brûlait ses veines. Il comprenait que l'entité se sente menacée, mais il sentait aussi que son corps à lui ne résisterait pas bien longtemps à une telle pression magique. Dents serrées, yeux révulsés, incapable de communiquer avec cette Pierre qui le faisait tant souffrir, il finit par tenter le tout pour tout. Brutalement, il tenta de canaliser l'énergie présente dans son corps, de la rejeter, loin vers le ciel. Il y mit toute sa force, toute sa rage, toute sa douleur et sa tristesse. Tout ce qui, depuis presque dix ans ans, lui donnait l'impression de stagner, de ne pas pouvoir avancer et continuer sa vie.
Haut au-dessus de l'arbre, un nuage écarlate se matérialisa brusquement, voilant la lumière du soleil, plongeant la totalité de la forêt dans une pénombre oppressante.
❆
Je sais que Silvester n'était pas nécessairement le personnage le plus apprécié de ma fanfic – doux euphémisme XD – mais j'espère que vous le tolérez, pour l'instant... vous avez quelques petites aventures à vivre avec lui, après tout ! =)
Ah, et vous avez peut-être déjà commencer à le remarquer, mais cette troisième partie de TDNC est remplie de petites références qui me sont très personnelles, que vous ne saisirez peut-être pas toutes... Bref, je gratte des noms de lieux / de personnages / de faits à droite, à gauche... Du coup, si vous avez l'impression d'avoir déjà lu un nom (c'est souvent des noms) quelque part, c'est bien possible que ce soit vraiment le cas. N'hésitez pas à me dire si quelque chose vous paraît familier !
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