21 - Vanaheim
Décidément, Vanaheim était un endroit mal fréquenté.
Loki avait eu envie d'insulter tous les dieux du monde connu en se réveillant encerclé. Mais les choses s'étaient encore compliquées lorsqu'il s'était rendu compte que les bandits tenaient Kira, une lame sous la gorge. La gamine, solidement maintenue par une jeune homme, lui lançait des regards éperdus, entre confusion et souffrance silencieuse, des appels à l'aide qu'il ne pouvait pas ignorer.
Pas qu'il puisse de toute façon tolérer que de vulgaires bandits s'attaquent à lui.
Ils en voulaient à sa bourse, il suffisait de voir la façon dont ils la lorgnaient pour le comprendre. Mais, apparemment, ils ne seraient pas non plus contre un peu de compagnie féminine. Le dieu poussa un grognement d'ours mal léché en voyant les sourires obscènes que les six hommes esquissaient en regardant la gamine. Elle avait beau avoir l'apparence d'une petite fille, cela ne semblait pas les arrêter.
— Mets-toi debout lentement, ordonna un type, un grand barbu aux dents jaunies, qui avait un œil de moins que ses compagnons.
Loki n'était pas matinal. Il ne l'avait jamais été. Mais se réveiller dans ces conditions, lui qui avait toujours été traité avec les égards dus à un prince, ne risquait pas d'améliorer son humeur. Aussi, au lieu d'employer le ton mielleux, hypnotique, qu'il aurait utilisé dans d'autres circonstances, il se contenta de bouger. À la vitesse de l'éclair.
La glace jaillit de ses deux mains. Deux hommes s'effondrèrent avant même qu'il ne soit debout. Et les quatre autres ne firent pas long feu. Loki avait combattu des soldats asgardiens, des Jötuns, les Trois guerriers et Son Altesse Sif, Thor lui-même... Ce n'étaient pas des pillards et des déserteurs – vu l'armement de l'un, il n'y avait aucun doute – qui allaient lui causer des soucis.
Absolument pas dérangé par la flèche hâtive qui avait été lâchée dans sa direction, il se contenta d'ériger un bouclier de glace contre lequel la pointe de bois rebondit, claqua des doigts. Des pics de glace – une idée qu'il avait empruntée à Elsa – jaillirent du sol, transpercèrent trois des bandits. Le dernier, celui qui maintenait une dague contre le cou de Kira, poussa un couinement terrifié.
— Lâche-la, ordonna Loki, glacial.
Paniqué, l'homme s'empressa de s'exécuter, et la gamine tomba à genoux, pliée de douleur. Dédaignant le Vane, Loki se précipita à côté d'elle. Elle poussa un gémissement plaintif lorsqu'il prit la main. Elle paraissait au bord de l'évanouissement, malgré la moitié de nuit de sommeil et sa température qui était redescendue à la normale. Loki l'allongea avec délicatesse, plaça la couverture en boule qui gisait non loin sous sa tête, et se redressa à nouveau.
Il restait une menace. Mineure, mais une menace malgré tout. Et, si d'instinct, il l'aurait éliminée sans remords, il y avait quelque chose dans l'attitude de l'homme qui l'empêcha de le faire sur-le-champ.
Loki en aurait presque douté de sa santé mentale. Tuer n'avait jamais été un problème, ni pour lui, ni pour Thor, même si ce dernier préférait souvent son marteau aux lames et le craquement des os qui explosaient à la discrétion d'une dague bien enfoncée.
Il poussa un grognement grincheux, mais parvint à maîtriser sa voix pour lui donner une inflexion glacée, sans pour autant passer pour un psychopathe total.
— Avez-vous des chevaux ?
Nerveux, le Vane hocha la tête, et désigna la forêt qui les bordait.
— Laissés là-bas, attachés, bredouilla-t-il.
Sa voix tremblait imperceptiblement.
— Vous avez vu notre feu, je suppose ?
Il se contenta de hocher la tête. Loki faillit soupirer. La magie au bout de ses doigts le démangeait, mais il n'avait pas nécessairement envie de redevenir celui qu'il était avant. Elsa l'avait fait changer, l'avait incité à la compassion. S'il voulait la revoir dans ses bras un jour, il valait mieux qu'il ne soit pas le vilain qu'il avait été par le passé.
— Quel âge as-tu ?
L'Asgardien avait fait son choix, il ne tuerait pas ce Vane. En revanche, le laisser repartir librement n'était pas une bonne idée non plus, et récupérer les chevaux était une priorité financière.
— Vingt-cinq ans.
— As-tu déjà tué ?
Surpris, le brun secoua la tête. Il paraissait un peu plus vieux que son âge réel, mais le déni et l'horreur qui avaient afflué dans ses yeux verts lorsque le meurtre avait été évoqué lui donnaient un air enfantin.
— Non... par contre, je m'y connais un peu en plantes médicinales...
— Ah ? releva Loki en haussant un sourcil.
Il se doutait que l'autre essayait juste de sauver sa peau. De s'en sortir avec le moins de dégâts possible. Ce qui était compréhensible.
— Et serais-tu capable de faire passer sa douleur pour qu'elle puisse se remettre en selle ?
Le Vane regarda autour de lui, crispé. Ses yeux parcoururent rapidement l'herbe et les arbres environnants, avisèrent le carré verdoyant près de la rivière qui avait attiré le regard de Loki la veille.
— Je pense... souffla-t-il.
— Tu as intérêt, glissa l'Asgardien d'une voix glaciale. Ta vie dépend de la sienne.
Comprenant la demande implicite, le brun s'approcha des plantes, les observa quelques instants avec attention, puis en arracha une douzaine. Loki s'assit simplement auprès de Kira, et l'observa sans bouger alors qu'il sortait de la besace dans un petit bol de bois et un pilon. Le dieu savait qu'il aurait dû rester concentré sur les actions de son nouveau prisonnier, mais il ne pouvait s'empêcher de songer à Elsa. Il n'avait aucun moyen de la contacter, et ce silence forcé, cette distance imposée alors qu'il venait tout juste de la retrouver et de se réconcilier avec elle, le tuaient.
Quelques minutes s'écoulèrent ainsi, durant lesquelles le Vane réduisit avec une ardeur nerveuse les plantes en une bouillie verdâtre, s'appliquant malgré – ou grâce à – la pression qui pesait sur ses épaules. Loki était ailleurs, perdu dans ses souvenirs. Il ne parvenait pas à se concentrer.
Jusqu'au moment où une petite main agrippa soudain son poignet, glissa quelque chose de chaud entre ses doigts. Il cilla, croisa le regard brun absent de Kira.
— Il y a... une voix... murmura-t-elle.
— Loki ?
La voix douloureusement familière le fit tressaillir, le ramena brutalement dans le monde réel, paralysant ses pensées, ne laissant qu'un nom sur ses lèvres.
— Elsa ?!
Il s'était tout juste abstenu de crier, mais son exclamation avait attiré le regard du Vane. Loki ne s'en préoccupa pas, car déjà, la réponse tombait, douce, teintée d'une pointe d'amusement :
— Je t'entends, pas besoin de parler à haute voix.
— Comment est-ce que...?
Il n'eut pas besoin de terminer sa question, se contenta d'ouvrir sa main. Dans sa paume, la gemme dorée qu'il croyait avoir perdue étincelait, diffusait dans sa peau une douce chaleur. Il inspira profondément, tentant de mettre de l'ordre dans ses pensées, mais la vague de soulagement instinctif qui avait déferlé lorsqu'il avait entendu la voix d'Elsa avait aussi tout mis sens dessus dessous.
— Où es-tu ? parvint-il finalement à formuler.
Elle poussa un soupir, qui se répercuta dans les oreilles de l'Asgardien comme si elle avait été seulement à quelques pas de lui.
— Sur Muspellheim.
Le choc, puis l'angoisse provoquée par cette révélation, fit pulser le sang dans ses veines, battre son cœur plus vite.
— Qui est cette gamine ? enchaîna-t-elle sans transition, entre inquiétude et curiosité. Elle est blessée, et vu les souvenirs qu'elle a laissés échapper...
Loki se crispa. L'inflexion dérangée dans la voix de la jeune reine lui donnait des frissons nerveux. Elle avait entrevu quelque chose de plus que ce que Kira lui avait dit. Il en était certain. Mais il ne pouvait se permettre de demander sans trahir la relative confiance que la gamine avait placée en lui.
— Son père la battait, elle a essayé de me voler de l'argent pour s'enfuir, mais... bref. Au bout du compte, je l'ai prise avec moi. Evvie et Eirik sont avec toi ?
— Non... soupira-t-elle. Mais Eirik va bien, j'ai déjà pu parler avec lui. Il est sur Ljösalfheim avec Silvester ; apparemment, il y a une sorte de maladie qui détruit la forêt. Et Evvie est sur Svartalfheim avec une amie d'Engill.
— Engill ?
Pour une fois, Loki avait clairement conscience d'avoir un train de retard sur les évènements. Même s'il comprenait qu'ils avaient été téléportés aux quatre coins du monde, il n'avait aucune idée des raisons, alors qu'Elsa paraissait au courant de tout. Elle dut capter sa pensée, parce qu'elle pouffa légèrement.
— Une entité cosmique très puissante. Ne t'en fais pas, je suis tout aussi perdue que toi... ajouta-t-elle avec un rire nerveux. Mais apparemment, pour nous retrouver, il faut trouver les personnes vers qui cette pierre dorée te guide. Lorsque nous serons tous en contact, Engill créera une sorte de portail magique pour nous emmener là où aura lieu un rituel et...
— Elsa, Elsa, attends. Je m'en fiche totalement, des entités cosmiques. Je veux juste que tu ailles bien. Le reste attendra.
Il devina son sourire, son amusement même. Elle paraissait étrangement détendue, comme rassurée par le simple fait de pouvoir communiquer avec lui. Cela lui fit chaud au cœur, même si son absence lui faisait toujours aussi mal.
— Merci. Mais je vais bien, occupe-toi plutôt de cette gamine. Et évite de trop la brusquer, elle a eu une enfance compliquée. Je te laisse, j'ai un ou deux petits problèmes à régler.
— Attends encore une seconde, la rattrapa-t-il alors qu'elle commençait à s'éloigner. Comment te recontacter ?
— Appelle mon nom. La pierre est toujours en contact avec ma peau, je t'entendrai. Mais, Loki...?
Silence. Une barrière sembla s'élever, comme si la blonde se barricadait contre ses émotions. Loki se contenta d'attendre, conscient que si elle faisait cela, c'était qu'elle se mettrait probablement en danger prochainement. Ou alors qu'elle avait peur, qu'elle n'était pas encore décidée.
— Juste... prends soin de toi, aussi.
Et soudain, sa présence familière s'évapora. Le dieu gémit presque en sentant le profond trou qui se creusait dans sa poitrine. Il ferma les yeux un instant, essayant de remettre de l'ordre dans ses pensées décousues.
Elsa allait bien. C'était le principal, le plus important. Et les jumeaux aussi, apparemment. Les autres devaient être ailleurs, sur d'autres mondes, occupés à récupérer les Pierres d'Infinité. Thor, notamment, avait probablement été envoyé sur Midgard, c'était le cas de figure le plus logique. Mais il restait Jötunheim et Niflehim où il n'y avait personne, ce qui signifiait que quelqu'un devrait probablement s'y déplacer par la suite.
Il se secoua avec une grimace. C'étaient des problèmes qu'il résoudrait plus tard. Pour le moment, Elsa allait bien, et lui n'était pas encore parvenu à Sverjafjöl. Cette idée lui donna un violent coup de fouet, il rouvrit brutalement les yeux, juste à temps pour voir le Vane penché au-dessus de Kira, en train de lui faire boire sa mixture d'herbes. La gamine, encore à demi consciente, avala le tout avec une grimace, puis se rallongea.
— Cela devrait faire effet d'ici un petit moment, expliqua le brun, nerveux, en voyant le regard interrogateur du dieu.
— Parfait. Allons chercher vos chevaux, alors.
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