17 - Muspellheim
Ils avaient atterri sur ce qui semblait être un volcan. Elsa ne se sentait pas exactement en sécurité en devinant la lave sous ses pieds, mais lorsque Irstv lui assura que vu le nombre de couches successives de la structure géologique, il aurait largement le temps de se rendre compte d'un éventuel problème, elle ne protesta pas. De toute façon, elle avait besoin de s'éloigner, et sentir le sol ferme sous ses talons ne lui fit que du bien. Elle s'éloigna de quelques pas, tandis que le démon s'asseyait, apparemment fatigué.
Pour la première fois, Elsa découvrait ce que devaient endurer probablement les gens dans ces îles tropicales que les explorateurs rapportaient avoir découvertes, des îles situées bien au sud où il faisait apparemment plus chaud qu'à Arendelle. Déjà qu'elle n'aimait pas les étés trop chauds dans son royaume, ici, elle suffoquait littéralement. La sueur coulait le long de son corps, à l'intérieur de son armure, et elle ne voyait malheureusement pas d'autre solution que de dire à Sylvi de dénuder ses bras et ses jambes. Pour peu, elle se serait mise en sous-vêtements, mais elle n'oserait probablement jamais. Devant un inconnu, dans un royaume étranger, en plein milieu de nulle part... c'était juste impensable.
Alors qu'elle allait souffler à Sylvi de dégager ses épaules et ses jambes, celle-ci rétrécit spontanément, comme si leur communication était rétablie. Elle devint un justaucorps moulant, qui la couvrait depuis les épaules jusqu'à mi-cuisses, avec deux larges bretelles pour maintenir le bustier en place. Les bottines habituellement intégrées à la combinaison s'étaient transformées en une étrange paire de sandales fermées, qui maintenaient suffisamment le pied pour qu'elle puisse courir, et demeuraient assez ouvertes pour permettre à ses pieds de respirer. Elsa cilla, ne sachant pas vraiment si c'était convenable pour elle de porter quelque chose comme ça.
— Quelqu'un te voit ? grogna Sylvi. Non. Alors il n'y a aucun problème.
— Mais...
Au bout du compte, elle décida que cela n'avait pas d'importance, préféra plutôt demander à son armure pourquoi le contact avait paru coupé durant tout leur vol.
— Il y a de grosses perturbations magiques dans l'air, liées à Néant, mais je ne sais pas pourquoi maintenant en particu...
— Néant ?
Sylvi poussa un soupir mental, mais se décida à expliquer malgré tout.
— L'entité primaire, l'univers sous sa forme première. Tout ce qui existe est dérivé de Néant, directement ou non. Mais, comme je disais, ça fait quelques millénaires qu'il était calme et ne faisait rien, je ne vois pas pourquoi il se déciderait à s'agiter maintenant...
— Et, concrètement, ça peut encore arriver, ce genre de soucis ?
— Probablement, oui. Mais ce n'est pas ça, mon inquiétude majeure.
— Quoi donc ?
— Tu ne le sens pas encore, et tu ne le peux pas. Quand tu seras intronisée... tu comprendras ce que je veux dire.
Elsa réprima un mouvement d'humeur en entendant cela. Elle détestait ne pas savoir, d'autant plus que cela semblait la concerner.
— Mais encore ? Une explication serait sympa.
Elle sentit l'hésitation de son armure. Comme si celle-ci ne devait pas parler.
— Tu n'es pas initiée... finit par laisser échapper Sylvi, son désolément se sentant dans son ton. Je ne devrais pas t'en parler. Mais je suppose que...
Si elle avait été humaine, Elsa était certaine qu'elle l'aurait vue grimacer.
— Je vais le dire comme ça. Je suis, comme toutes les armures des Gardiens, faite à partir de l'essence de Néant. C'est entre autres pour ça que je ressens autant les perturbations magiques qu'il cause.
— Et Irstv les perçoit parce que...?
— Parce que c'est un Örven intronisé.
Elsa souffla une mèche de cheveux échappée de sa tresse avec agacement. Mais, persistante, la mèche retomba exactement là où elle était juste avant, devant les yeux de la blonde, qui finit par la replacer elle-même derrière son oreille pour être tranquille. Cette histoire d'intronisation qui libèrerait potentiellement un pan entier de sa magie dont elle n'avait même pas conscience commençait à profondément l'irriter. En fait, c'était surtout le fait qu'elle sache que son armure gardait un secret dont elle ne pouvait avoir connaissance qui la frustrait.
— Désolée, tu as vu comment ça se passait quand j'essayais de t'en parler. C'est comme si la communication se coupait.
— Donc ça n'a aucun rapport avec Néant ?
— Si... enfin... comment te dire ça...
C'était bien la première fois qu'Elsa voyait Sylvi avoir du mal à expliquer un phénomène. Elle inspira profondément, s'astreignit au calme. S'énerver, ici et maintenant, ne mènerait à rien. Dans l'absolu, la réaction la plus rationnelle serait d'oublier cette histoire le temps de récupérer les Pierres d'Infinité, et ensuite d'en reparler avec tous les Gardiens.
— Essaie de voir les choses comme ça. Un sceau est posé sur moi, il m'empêche de te parler de ton intronisation. Au moment où je voudrais le faire, notre liaison mentale se coupe momentanément, jusqu'à ce que j'arrête d'essayer. Et puis, en plus de ça, il y a Néant qui fait des failles dans nos univers et qui essaie de s'infiltrer, ce qui provoque des interférences supplémentaires, notamment pour nous armures, parce que nous venons littéralement de lui.
Elsa ferma les yeux, essayant de se représenter les faits. Finalement, elle préféra basculer sur une analogie bizarre avec la mer, où les sujets tabous étaient de petits rochers et Néant une immense barrière. Le seul lien entre eux deux était que tous deux apparaissaient sporadiquement.
— Si tu veux, c'est dans cette idée-là.
Elsa poussa un soupir, ferma les yeux, et alla s'asseoir par terre, à une distance respectable d'Irstv, qui lui-même paraissait plongé dans une discussion interne intense, au vu de ses sourcils froncés.
— Bon, on va laisser ce sujet de côté, finit-elle par décider. Irstv est-il digne de confiance ?
Cette fois-ci, la communication était claire. Pas d'interférences néantesques, pas de sol qui fondait sous les pieds de la reine, pas de course-poursuite au milieu de couloirs de roche. La réponse arriva sans tarder :
— Dans l'absolu, sur les sujets importants, oui. Mais après, question mentalité, dis-toi que les mœurs des démons ne sont pas les mêmes que celles des humains, donc ce qui semblera acceptable pour lui ne le sera pas nécessairement pour toi.
Elsa émit un grognement grincheux.
— Et en détail ?
Les images qui défilèrent dans son esprit lui firent regretter sa question immédiatement. Et Elsa savait que c'étaient des souvenirs, et pas juste des projections possibles. Les corps tordus aux ailes arrachées qu'elle voyait agoniser lentement dans un brasier lui mirent très vite le cœur au bord des lèvres, la vision d'Irstv lui-même en train d'écarteler quelqu'un faillit bien l'achever. Elle poussa un gémissement.
— Attention, ne va pas hurler au scandale pour autant. Parce que premièrement, il ne comprendrait pas pourquoi tu le fais, et deuxièmement... même parmi les siens, le porteur d'Eldur est rarement apprécié.
— Je me demande bien pourquoi...
Le sarcasme dégoulinait presque dans la voix mentale d'Elsa, mais elle tint sa langue et son impulsion d'aller secouer le démon pour lui demander ce qui n'allait pas chez lui. En revanche, une autre question, sortie de nulle part, relança très vite la discussion sur un autre sujet.
— Tu n'as aucune idée de comment retrouver les autres ?
Sylvi garda le silence un moment, comme si elle réfléchissait, puis, après mûre réflexion, elle finit par murmurer :
— Tends la main.
Elsa s'exécuta, curieuse. Elle observa en silence une goutte d'acier qui se coulait le long de son épaule, descendait son bras, jusqu'à s'arrêter au milieu de sa paume, laissant derrière elle un sillage gris. Puis, le métal parut s'écarter, jusqu'à dévoiler un petit objet doré en forme de larme.
— Tu peux faire ça ?
— C'est comme une poche intérieure. Mais ce n'est pas le plus important, ça. Le fait est que ce truc est un bout de l'essence d'Engill. Il t'indiquera par où aller. Je suppose qu'il ne va pas t'envoyer directement vers les tiens, mais sur le long terme, il rassemblera probablement tout le monde au même endroit.
— Et c'est maintenant que tu me le montres ?
— Disons qu'entre la course-poursuite et la phase de vol, l'occasion n'était pas idéale.
Elsa hocha la tête. C'était logique. Perturbant, mais logique. Elle poussa un soupir, prit la petite perle entre ses doigts, l'examina avec attention. La texture lisse sous sa peau rappelait l'émail, ou une pierre précieuse polie, mais l'énergie qu'elle sentait pulser du petit objet n'avait rien en commun avec tout ce qu'elle avait pu sentir jusque là. Ça vibrait littéralement de positivité, de lumière, de... vie, tout simplement.
Cela dit, il y avait aussi autre chose. Comme une sorte de tension qui en émanait, qui l'attirait vers un endroit précis. Elsa se redressa, fit quelques pas vers l'avant. Elle n'aurait pas su dire comment, mais elle sentit immédiatement que ce n'était pas par là qu'il fallait aller. Comme si le contact de la gemme réveillait un instinct enfoui, un subconscient qui savait par où se diriger. Elle pivota de quatre-vingt-dix degrés vers la gauche, esquissa à nouveau quelques pas, mais l'impression désagréable demeura. Encore un quart de tour, et, en même temps qu'elle avançait, tout paraissait s'apaiser.
— Bon, je suppose qu'il faut aller par là... glissa Sylvi dans son esprit, un brin narquoise. Ça résout une partie de nos problèmes sur la suite des évènements.
Il restait la question de savoir ce qui se trouvait dans cette direction. Pour savoir, Elsa préféra se tourner, envers et contre tout, vers le spécialiste local, dont les ailes formaient actuellement un dôme de protection autour de lui.
— Irstv ?
Silence. Avec une certaine méfiance, Elsa approcha sa main, écarta deux plumes auburn, gênée à l'idée de l'interrompre dans une discussion privée.
Mais rien ne l'avait préparée aux iris écarlates qui avaient remplacé le noisette malicieux, éventuellement mesquin. À l'instant où il la vit, il montra les crocs tel un fauve, dévoilant deux canines pointues, deux fois plus longues que des dents normales, qu'Elsa était certaine n'avoir jamais vues jusqu'à maintenant. Elle eut un mouvement de recul, qui se transforma en véritable course à reculons lorsque des mains griffues se tendirent vers elle.
— Qu'est-ce qui lui arrive ?!
— Aucune idée, je n'ai jamais vu ça. Mais fuis.
— Merci du conseil !
Elle n'était pas sûre que le sarcasme soit passé dans sa voix mentale tant elle était angoissée, mais Sylvi réagit au quart de tour. Elle eut tout juste le temps de se déployer entièrement avant qu'une main couverte d'une armure blanche ne se referme sur le poignet d'Elsa, avec une force qui lui aurait probablement brisé les os dans une autre situation. Malheureusement, la douleur aiguë qui remonta au moment du choc rappela à Elsa qu'elle se l'était probablement démis durant son premier vol plané dans les grottes. Elle gémit alors qu'un souffle fétide effleurait son visage et que les crocs cherchaient la jugulaire. Ils cognèrent contre l'acier incassable de l'armure, et la jeune femme cria par réflexe.
— Elsa ?
— Hmm ?
— Tu sais te battre, il me semble...
C'était l'impulsion qu'il fallait pour sortir la jeune femme de sa transe. Elle poussa un grognement grincheux, fit difficilement abstraction de la souffrance qui irradiait de son poignet, et se décida à faire face au démon sanguinaire qui voulait sa peau.
❆
Ouiiiii, il était censé sortir hier... (J'ai zappé, je suis désoléééée...)
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