14 - Vanaheim
Le soleil était depuis longtemps couché lorsque Loki posa la dernière couche de mousse sur l'abri naturel qu'il avait construit. Avec sa vision nocturne bien meilleure que celle d'un humain lambda – et d'un Asgardien, d'ailleurs – il contempla son œuvre rudimentaire, satisfait. C'était une hutte très sommaire, en forme de triangle, recouverte de débris pour préserver la chaleur à l'intérieur et protéger de la pluie. Bien sûr, cela ne tiendrait pas les légendaires tempêtes estivales vanes, mais cela pouvait protéger la gamine le temps qu'elle soit remise d'aplomb.
Il ramassa encore quelques branches, les rassembla et les entassa avec précaution au-dessus d'un tas de feuilles mortes sèches, puis sortit de sa poche un briquet asgardien. C'était une petite bille, qui s'activait d'une pression de la main. On la plaçait au centre de l'âtre, et elle se chauffait progressivement jusqu'à deux mille trois cent degrés, température à laquelle même la plus humide des branches d'arbre pouvait prendre feu. Elle s'éteignait ensuite spontanément, et il suffisait de la ramasser le lendemain matin, lorsque le feu était éteint.
Les premières flammes ne tardèrent pas à s'attaquer aux feuilles sèches avec des crépitements, bondirent avec grâce sur les branches et s'y accrochèrent, tenaces, malgré le bois qui se froissait en tentant de leur échapper. Bientôt, un joli feu dansait, haut et clair. Loki poussa néanmoins un soupir en voyant la fumée qui s'échappait vers le ciel, et qui signalerait sa position à d'éventuels brigands. Tant pis, il allait devoir faire avec.
Son camp sommaire établi, il revint vers Kira, et la déplaça avec délicatesse pour l'allonger entre l'entrée de l'abri et le cercle de pierres qui délimitait son feu. Au passage, il fit apparaître l'un de ses nombreux couteaux, plaça la lame dans les flammes, et le laissa là. Puis, il se pencha sur la gamine au front perlé de sueur, qui geignait doucement, au bord de l'inconscience.
— Kira ?
— Sta...kran... Eir...
Il fronça les sourcils, interpellé par cette suite de syllabes qui aurait pu paraître incongrue. Un autre que lui n'aurait peut-être pris cela que pour du babillage abscons, mais lui, magicien, ne tarda pas à faire le lien. Elle priait, en vieux vanir, l'aide de la déesse Eir. Le simple fait qu'elle ait la force de penser à cela, alors qu'elle était aux portes de la mort, l'étonna.
— Kira, tu m'entends ? insista-t-il.
— Hved...?
Loki poussa un soupir soulagé en voyant qu'elle le reconnaissait toujours. Il l'obligea à soulever légèrement la tête, maintint une gourde près de ses lèvres.
— Bois.
Elle gémit, mais parvint à avaler quelques gorgées, avant de détourner le visage. Il reposa la gourde à l'écart, rallongea la gamine. Elle entrouvrit les paupières, le considéra de ses yeux noisette embrumés par la douleur.
— Qu'est...ce... que tu...
Trop assommée, elle ne parvint même pas à finir sa phrase. Mais il se contenta d'un hochement de tête, essuya avec un mouchoir en tissu sa transpiration, puis lui souffla :
— Je vais guérir ça. Mais ça va faire mal.
Elle acquiesça d'un mouvement imperceptible, incapable de faire autre chose. De toute façon, il savait que même si elle avait pu protester, il n'y aurait pas eu d'autre solution. L'espace d'un instant, il faillit regretter l'extrémisme de sa démarche. Mais il n'avait pas le choix.
Alors, il se concentra, mit toute sa puissance magique dans sa voix :
— Dors. Jusqu'à ce que je te dise de te réveiller.
La tonalité hypnotique fit son effet presque immédiatement. Le corps de la jeune fille se détendit totalement alors qu'elle plongeait dans un profond sommeil. Son état déjà affaibli aidant, Loki était presque certain que même avec ce qu'il s'apprêtait à lui faire, elle ne se réveillerait pas, ce qui était d'autant mieux.
Il enleva la couverture dans laquelle elle s'était enroulée instinctivement, remonta sa chemise comme il l'avait fait précédemment, et posa les doigts autour de la plaie. Une pointe d'angoisse le prit à la gorge alors qu'il envisageait les conséquences. S'il ne parvenait pas à contenir ses pouvoirs...
Mère, aidez-moi, pria-t-il. Et, Eir, si tu m'entends, ton aide serait aussi la bienvenue.
Appeler l'Asgardienne ne servirait probablement à rien, mais la pensée ne pouvait pas faire de mal. Un peu de soutien mental aurait aidé, aussi. Le dieu était en pleine crise existentielle. Il savait qu'il perdait son temps ici, dans ce monde qu'il n'aimait pas, qu'il aurait dû retrouver Elsa au plus vite... et pourtant, il n'arrivait pas à abandonner cette gamine à son sort. Il allait même la guérir, lui qui s'était toujours amusé des souffrances des autres auparavant.
Il poussa un soupir, appela à lui ses pouvoirs de Jötun. La glace fila immédiatement de ses doigts, s'étendit sur la peau, guidée par la volonté implacable de Loki. Il savait que, s'il se laissait aller, elle gèlerait tout le corps. Mais lui ne voulait paralyser qu'une zone précise, celle qui était infectée, et il était hors de question qu'il échoue. Les yeux fermés, il suivit la progression de la glace, la dirigeant dans une seule direction à la fois, s'arrêtant dès qu'il sentait que le type de tissu changeait. Il paralysa les terminaisons nerveuses des cellules proches de la blessure, congela tout ce qui pourrait faire ressentir de la douleur à la jeune femme.
Une fois ceci fait, il jeta un coup d'œil à la lame, dont la couleur commençait à changer. Il faudrait attendre encore un peu avant qu'elle ne soit assez chaude. Il poussa un long soupir, fixa la voûte nocturne au-dessus de sa tête, piquetée de diamants.
Une désagréable opération plus tard, il contemplait son œuvre avec un regard critique, encore frissonnant. L'aspect de la plaie cautérisée, encore fumante, était peut-être encore pire que celui de la blessure infectée. Quoique, non, probablement pas. Mais il s'était mordu la langue tout le long, trop conscient de la respiration hachée de la gamine, de ses gémissements ensommeillés, et des quelques frissons qui avaient parcouru sa peau au contact de la lame brûlante.
Mais il n'était pas guérisseur, c'était le seul moyen qu'il avait trouvé pour soigner une telle lésion. D'ailleurs, en découpant les tissus infectés, verdâtres, il s'était assez rapidement rendu compte que la plaie était trop suspecte pour n'être qu'un accident, ou une marque de la colère du père de Kira. Elle était juste assez profonde pour ne pas mettre en réel danger la jeune fille – à moins de s'infecter, évidemment – mais pas non plus portée à un endroit anodin. Le coup avait été trop juste, trop volontaire.
Et la seule explication qu'il avait trouvée lui donnait encore plus l'envie de rebrousser chemin et de tuer le coupable.
— Kira, tu pourras te réveiller à partir de maintenant... souffla-t-il doucement à l'oreille de la fillette.
Il fit attention aux mots qu'il choisissait, pour ne pas l'obliger à se réveiller immédiatement. Cela n'empêcha pas la gamine de prendre une grande inspiration, et d'ouvrir soudain les yeux. Presque aussitôt, elle poussa un léger gémissement, et les referma aussi sec, le visage tordu par une grimace de souffrance.
— Hved...
Sa voix n'était qu'un filet enfiévré. L'Asgardien posa sa main sur son front, fut ravi de constater que sa température avait baissé. Elle n'était pas encore sortie d'affaire, mais cela allait déjà mieux. Il faudrait un guérisseur compétent pour finir de traiter cette infection.
— Qu'est-ce qui s'est passé ?
— J'ai cautérisé la plaie, répondit-il en laissant ses doigts errer dans les cheveux bruns.
Elle poussa un soupir, entre douleur et gratitude, et sombra à nouveau dans le sommeil. Loki l'observa encore un moment, incertain, puis finit par comprendre que son corps réclamait de pouvoir se régénérer en paix. Alors il la déplaça avec précaution dans l'abri qu'il avait construit, et alla s'asseoir près du feu.
Les flammes dansaient, hautes et claires, semblaient vouloir s'étirer vers le ciel. Le bois avait été ramassé encore humide, ce qui faisait qu'il ne flambait pas aussi vite que du bois tout sec, et cela arrangeait bien le dieu. Sinon, il aurait pu repartir à la recherche de nouvelles branches, et il avait la tête trop ailleurs.
Pensif, il finit par s'allonger à même le sol, le regard perdu dans le ciel, instinctivement rassuré par la chaleur qui émanait du feu. La gamine lui rappelait Evvie. Dans son attitude faussement réservée, sa manière de se refermer sur elle-même et de souffrir en silence. Mais Evvie elle-même lui rappelait énormément Elsa sur ces mêmes points. Et Elsa...
Elsa, où était-elle ?
Toute la journée, il n'avait pensé qu'à elle. À comment elle se débrouillait, probablement catapultée dans un tout autre monde que celui dont elle avait l'habitude. Il espérait de tout son cœur qu'elle allait bien, qu'elle n'avait pas atterri dans un endroit trop peu familier, et qu'elle était avec ses enfants et veillait sur eux. Il préférait ne pas imaginer Evvie ou Eirik, seuls, livrée à eux-mêmes, comme il l'était lui l'était actuellement.
Où avaient-ils pu atterrir ? Si on supposait qu'il était le seul à avoir été envoyé à Vanaheim, et en sachant qu'ils étaient partis d'Asgard... il restait les sept autres mondes. Mais Svartalfheim était abandonné depuis les incidents avec l'Æther, et Helheim n'était qu'une plaine déserte et glacée. Restaient Midgard, qui était énorme, mais pas trop dépaysant – sauf que c'était de là qu'elle venait, et le destin avait rarement le sens de la simplicité – Ljösalfheim, Niflehim, Jötunheim et Muspellheim. Entre les deux derniers, il n'aurait su dire lequel était le pire.
De fil en aiguille, ses pensées finirent par revenir à cet étrange pendentif doré qui gisait à côté de lui lorsqu'il s'était réveillé. Mû par un étrange instinct, il saisit sa bourse, fouilla dedans, à la recherche du petit cordon de cuir censé traîner au fond.
Sauf que le pendentif semblait avoir disparu, et avec lui cette étrange gemme qui brillait d'une étrange aura. Soudain nerveux, il glissa à nouveau les doigts entre les pièces d'or et d'argent, guettant désespérément la sensation de chaleur qui accompagnait le contact de la petite pierre. Mais rien.
Un affreux pressentiment le saisit. Instinctivement, il était persuadé qu'elle était importante. Sauf qu'elle avait disparu. Et c'était un sérieux problème. Aurait-elle pu tomber quand Kira avait essayé de lui dérober son argent ? Quelqu'un l'aurait-il ramassée ? Il ferma les yeux, essaya de se rappeler.
Finalement, las de chercher dans le vide, conscient que son inquiétude ne serait réellement justifiée qu'au moment où il saurait ce que la pierre faisait réellement, il finit par fermer les yeux.
Ce fut une paire d'iris glacés qui vint hanter son sommeil léger.
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