Partie 85 : discours de motivation
Mok :
Elle est là et elle parait étrangement petite. Pourtant, il ne s'est écoulé que quelques jours depuis la dernière fois que Mok a vu 5. Mais elle se tient bizarrement, presque recroquevillée sur elle-même. Il pensait qu'elle serait contente de le voir, un allié de plus dans les plans d'évasion qu'elle invente sans doute depuis sa capture. Après tout c'est 5, la Princesse-Esprit, qui s'est évadée du Ghetto et a échappé à Thune !
Mais non. Lorsqu'il entre dans la pièce, une salle aveugle en sous-sol qui ressemble à celle qu'on lui a attribuée, il voit bien que 5 ne va pas bien du tout. Elle regarde le sol et se fait toute petite, hésitante, éteinte. Quelque chose qu'il n'aurait jamais cru voir. Qu'est-ce qu'on lui a fait ? Mok connait de nombreuses horreurs qui peuvent arriver à un enfant sans protecteur, mais c'était des dangers du Ghetto, pas de l'extérieur. Et les Techs ont toujours paru être au-dessus de tout et de tout le monde, qui serait assez stupide pour leur faire du mal jusqu'à les briser ?
Il ne dit rien et s'approche tranquillement, saluant la fillette d'un :
"Hé.
Elle lève les yeux vers lui, le cou tordu, comme si elle essayer de regarder en haut tout en gardant le visage tourné vers le bas, et se contente d'un hochement de tête pour signaler qu'elle l'a bien vu. Yulia, qui a accompagné Mok, intervient d'une voix enjouée :
— Et bien, 5, j'ai tenu parole, non ? Il est là. On a bien discuté Mok et moi, et il est d'accord pour nous rejoindre. Nous avons beaucoup de travail à faire pour rattraper vos bêtises, mais si tu y mets de la bonne volonté, bientôt tout sera rentré dans l'ordre, d'accord ?
5 se tasse au fur et à mesure que la femme déroule ce petit discours, et Mok aimerait bien la faire taire. Yulia est intelligente, elle doit bien le voir que ce qu'elle fait du mal à 5 d'une façon ou d'une autre. Elle doit avoir ses propres raisons pour le faire. Elle lui a demandé d'encourager 5 à obéir, c'est sans doute sa méthode pour forcer la petite Tech à être sage.
Mok s'assoit à côté de 5 et tente un truc qui a fait ses preuves :
— Je suis là. Ça va maintenant.
Il lui place en même temps une main sur l'épaule. Auprès des troupes de Thune, ça marchait, parce que les gosses avaient confiance en lui. Quand il était là, c'était pour régler le problème et ramener l'enfant à la maison. Il fallait marcher droit, mais c'était une sécurité, une relation connue. Et il s'était bâti une réputation - soigneusement exagérée - de grand combattant, aussi les enfants plus jeunes croyaient facilement qu'il avait réellement la solution à tout. Pour 5, évidemment, c'est différent. Il n'est pas aussi rassurant que si 1 ou 2 avaient débarqué en défonçant la porte à coups de pied.
Il ne s'attendait pas à ce qu'elle fonde en larmes sous sa main ni qu'elle bafouille entre deux sanglots :
— Je... je... je suis désolée ! Je suis désolée... c'est ma... ma... ma faute...
Pas bon. L'autre lui a retourné le cerveau à l'envers, et ça sera mauvais pour sa réactivité quand ils s'évaderont. Thune fait ce qu'il faut pour les retrouver, mais il aura besoin qu'ils soient prêts à fuir et qu'ils l'aident à les repérer quand il attaquera, pas qu'ils se roulent en boule dans un coin en attendant qu'on vienne les sauver. Et si Yulia a vrillé l'esprit de 5 avec des mots, il faudra sans doute d'autres mots pour la rétablir, mais quoi ? 4 aurait su, mais cette pensée ne l'aide pas.
Il ne lui reste plus qu'à faire ce qu'il sait faire : lieutenant. Il lui attrape la nuque d'une main et la force à redresser la tête, en disant :
— Stop.
Choquée, 5 le fixe sans savoir comment réagir, mais les larmes ne s'arrêtent pas si facilement, évidemment. Il ajoute :
— Tu pleures plus. Tu arrêtes tout de suite.
— Mais... mais c'est ma faute si tu... c'est à cause de moi qu'ils t'ont enfermé aussi !
— C'est toi tu me fais fermer, c'est toi tu me fais libre, et fermé encore dans la tour, et libre encore avec les billes... Et alors ? Tu es une Princesse-Esprit, c'est le Prophète qui dit. C'est vrai ou c'est pas vrai ?
— C'est...
Elle le regarde comme si elle n'arrivait pas à comprendre où il voulait en venir. La question est pourtant très simple. Derrière eux, Yulia regarde la scène avec intérêt, bras croisés, et n'intervient pas. Tant mieux. 5 a besoin de vérité au milieu de tous ces mots trompeurs, c'est évident, et il y a une vérité simple : quand on veut vivre, on se bat.
Il martèle :
— Tu es 5 la Princesse-Esprit, tu es Tech, tu es forte et tu es précieuse. Moi je suis pas important. Si tu me lâches, eux ils vont me tuer. C'est que toi qui comptes. Alors tu pleures plus.
Ça a l'air de marcher. 5 demande d'une toute petite voix :
— Alors je fais quoi ?
Tu attends Thunes, aimerait bien dire Mok, mais bien sûr il ne peut pas. Il a le droit de voir 5 pour lui dire d'obéir, et il remplit sa part :
— Tu écoutes Yulia. Et tu prends des forces. Il faut tu manges bien, tu dors bien, tu es prête. Il faut tu es forte, tu comprends ?
5 secoue la tête.
— J'ai pas envie d'être forte. 1 s'est fait tirer dessus à cause de moi. Toi t'es en prison aussi. Et les gens, tous les humains qu'on a essayé d'aider... Ça marche pas et j'en ai marre ! Je peux plus faire tout ça ! C'est trop dur !
— T'es morte ?
— Ben non.
— Alors tu peux encore. On est vivant on se bat.
— On se bat tout le temps ! Et ça marche pas ! Alors pourquoi ?
Stupide extérieure pourrie gâtée. Les choses ne vont pas comme elle veut, alors elle baisse les bras. Pourtant, elle a toujours eu cette hargne qui faisait les bons soldats, mais son éducation au milieu de dehoreux plein de mots fumeux lui a donné des mauvaises habitudes. Avec sa plus forte voix de lieutenant Mok s'écrie :
— On se bat ! C'est tout !
— Non ! Je veux pas !
— Si tu veux ! Tu es en colère !
— Oui je suis en colère ! Parce que j'en ai marre ! Et toi tu comprends pas ! On peut rien faire ! Tout est foutu !
— Tu es vivante ! Tu te bats ! Tu es en colère ! Tu te bats ! Tu as des ennemis ! Tu te bats !
— Ils ont gagné, les ennemis ! Je peux rien faire !
— Si !
Mok lui attrape le visage pour la forcer à le regarder, tentant désespérément de lui faire comprendre les choses par la seule intensité de son regard. Il ne peut pas dire ce qu'elle doit faire, mais elle doit comprendre. Tout ce qu'elle fait jusqu'ici, toutes les fois où elle a choisi de se battre, où elle a désobéi à des ordres absurdes, c'était la bonne chose à faire, et c'est ce qu'elle devra faire encore. Il martèle une dernière fois :
— On est vivant. On se bat. Je suis là. J'ai besoin toi tu es là aussi.
Elle se dégage d'un geste agacé et regarde Yulia qui semble apprécier le spectacle. Son regard n'est pas aussi haineux envers sa geôlière qu'il devrait l'être, mais il n'est plus aussi désespéré. Elle finit par lâcher :
— Je suis là aussi. Mais on peut faire quoi ?
— Maintenant on fait rien. On mange, on dort, on prend des forces. Après on verra. On a besoin d'être prêts.
Yulia approuve :
— Exactement. Vous pouvez vous reposer pour l'instant, mais plus tard on aura besoin de vous. Il va falloir faire vos preuves pour vous intégrer, mais ça va bien se passer. Ce sera pour le bien de tout le monde, 5. Tu verras, c'est la meilleure chose à faire. Et Mok est d'accord. Je crois que ça ira pour une première visite, mais il reviendra, si tu es sage. C'est d'accord ?
5 hoche brièvement la tête, perdue. Alors que le garçon commence à marcher vers la porte, elle le rattrape et le serre dans ses bras, le plus fort possible. Mok n'est pas à l'aise avec ce genre de geste, ça fait quelques années maintenant qu'il veille à ne jamais réclamer de l'affection pour mieux être pris au sérieux, mais il se souvient très bien de ce que ça faisait, quand il était petit et que le monde était sûr, avant qu'il ne soit vendu à Thune. Des vieux restes de quelque chose qui n'a plus sa place dans sa vie, mais auquel 5 n'a jamais vraiment renoncé. Il lui rend son étreinte comme il peut, en se disant que ce genre d'habitude pourra être utile pour faire passer du matériel discrètement, et reprend son chemin.
Une fois dehors, Yulia lui dit :
— Et bien, c'était très... martial. Je ne sais pas si ça l'a vraiment réconfortée, mais on a déjà un bon début.
— Faut arrêter de lui dire la merde. Elle va pas bien. Il faut arrêter lui tourner la tête n'importe comment.
— J'arrêterais quand elle aura la tête tournée exactement comme je le souhaite, et qu'elle obéira. J'imagine que tu n'es pas très sensible aux grands principes, mais pour elle c'est important de savoir qu'elle fait le bien. Quand elle aura compris que c'est nous qui faisons le bien, elle ira beaucoup mieux, crois-moi, alors essaye plutôt de la convaincre dans ce sens."
Il hausse les épaules. Ça ne marchera pas, pas avec 5, mais tout ce qu'il peut faire c'est aider la petite fille à tenir, attendre Thunes, et ouvrir les yeux pendant que Yulia l'amène à la surface pour rencontrer Mme Tosrak, la cheffe contente qu'il ait tué Edmund. Il faut qu'il comprenne où il est, qu'il trouve des sorties, et qu'il vole tous les objets techs qu'il peut rencontrer. 5 se sentira beaucoup mieux avec des armes, et ils trouveront beaucoup plus vite leur chemin vers la sortie.
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