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Partie 80 : la marche de l'Histoire

Ombre/Myra :

La guerre a commencé - réellement commencé - et Naelya Tosrak est aussi occupée que satisfaite. Ombre la rejoint dans son bureau pour faire son rapport, une place précieuse en ce moment où les observations des uns et des autres affluent de tous les côtés. Mais Naelya n'a pas l'intention de négliger les possibilités offertes par 5 et Mok, heureusement.

La jeune femme résume rapidement les récents évènements et ses espoirs pour obtenir rapidement une collaboration plus poussée. Sa tante approuve :

"Il faut y aller en douceur. On peut leur laisser le temps d'y réfléchir, mais ce ne sont que des enfants, tôt ou tard ils finiront par rejoindre ce qu'on leur présente. On peut se permettre de leur laisser plus de temps... À cause des Techs, les pays du Nord ne se sont pas encore écroulés, mais tout le monde a senti le sol vaciller sous leurs pas. Ils sont à l'affût du moindre sauveur, et c'est le rôle que nous allons jouer.

— Avons-nous de quoi les sauver ? Ils se sont rebellés contre le tech lui-même. Est-ce qu'ils voudront ce que nous leur apportons ?

— Ils sauront ce qu'ils ont besoin de savoir, comme d'habitude. Regarde.

Naelya dévoile sur son écran une série de courriers reçus dans les dernières heures. Ombre se penche avec intérêt. Ça n'a rien à voir avec sa mission, et c'est donc une grande marque de confiance que sa tante lui accorde. Elle est montée en grade.

Les messages viennent tous de différents membres du gouvernement, à commencer par le vice-président, et bien qu'ils soient visiblement écrits par des personnes qui ne se sont pas coordonnées, ils ont à peu près le même contenu : ce sont des demandes pour que la SRAM revienne sur le devant de la scène, gagne la guerre et remette de l'ordre dans le chaos qu'est devenu l'AGN. Les propositions et les scénarios sont variés et mettent Naelya en position de choisir le futur du Nord en fonction de ses prochains choix. Pas étonnant qu'elle jubile en ce moment.

Ombre hoche la tête et commente sobrement :

— Ils sont tous à tes pieds aujourd'hui. Tu vas pouvoir facilement revenir sur ce que les Techs ont défait.

— Pour la citoyenneté tech, c'est exact. Et nous pourrons même aller beaucoup plus loin. J'ai laissé le B.A.G.N. gérer les HR et les ghettos, tout ça pour qu'au final il soit gangrené par les espions d'Edmund et d'une efficacité lamentable, sans oublier que les Techs les ont renversés en un claquement de doigts... Mais ça, on pourra s'en occuper plus tard. Ce qui compte, c'est qu'on puisse reprendre la main et être les sauveurs qui permettent à une époque meilleure de revenir. Ils nous mangeront dans la main si on leur permet de se sentir à nouveau en sécurité. Ils le font déjà.

— Mais le plus difficile est encore devant nous. Il faut gagner la guerre, effacer cette créature du Réseau et tuer ou capturer les Techs... Je travaille sur ce point, mais il faudra encore du temps.

— J'en suis tout à fait consciente, ne t'en fais pas. Tu as bien avancé, et tu nous as même permis des perspectives dont je n'osais pas rêver avec ces sales gosses... Sans oublier l'obstacle majeur : l'avis de la populace. Pour conclure l'opération phénix et renaitre de nos cendres, il nous faut regagner la confiance de la masse. N'oublions pas qu'ils ne nous ont jamais élus, ils nous ont acceptés. Oh, ils ont protesté, ils ont dit que ce n'était pas une bonne façon de gérer la répartition du tech, que la déchéance de citoyenneté était à l'encontre des droits de l'homme, et toutes ces bêtises... Mais au final, à part quelques grognements, ils ont accepté. Parce que notre part du contrat, c'était qu'ils auraient la paix et la prospérité, et qu'ils n'avaient pas besoin de savoir à quel prix pour le reste du monde. C'est ce contrat fondamental que la SRAM a trahit, en laissant des non-humains avoir une mainmise totale sur leurs vies. Ça, ça ne sera jamais oublié, ni pardonné. C'est inutile d'essayer de leur faire accepter à nouveau la SRAM telle qu'ils l'ont connue.

Ombre estime que sa tante est un peu dure - et, comme souvent, bien trop mélodramatique - mais elle attend sagement la fin de l'exposé. Elle devine où Naelya veut en venir, et c'est une perspective vertigineuse.

— Mais là où l'histoire est en train de devenir ironiquement savoureuse, c'est que ce sont les Techs et l'Alien eux-mêmes qui sont en train de désamorcer cette peur. Ils ont choisi de se mêler à la guerre de la manière la plus pacifiste et consensuelle possible, avec leur filet de tech au-dessus des grandes villes. Pas de morts, juste de la protection, donc les médias sont en boucle sur les foules reconnaissantes et les grands hourras de soulagement. Le message anti-tech qui était "il faut reprendre le contrôle de nos vies" est en train de se transformer en question : "faut-il faire confiance à l'alien pour nous protéger ?". La réponse à cette question dépendra beaucoup de l'efficacité de ces grillages face aux missiles du Sud, donc il est encore beaucoup trop tôt pour se positionner, mais si ça fonctionne... nous aurons une très belle histoire. Tout comme la SRAM a été, au début, une belle histoire. Tu vois où je veux en venir ?

— La fin de la SRAM, et le début de quelque chose de nouveau. De quelque chose qui inclurait l'Alien. Mais qui ne l'inclurait pas réellement, non ? Il est beaucoup trop instable, et les Techs aussi.

— Évidemment. Ce ne serait qu'une couverture, une transition. Nous allons utiliser le professeur Stones en figure officielle de ce nouveau mouvement. Milley est bien trop têtue, et après tout lui aussi est le père des Techs. Il faut que notre nouveau mouvement soit auréolé de gloire, qu'il promette la liberté après tous les abus de la SRAM, qu'il entame les négociations de paix avec le Sud. Il nous faudra aussi une nouvelle figure de proue. J'étais la seule représente médiatique de la famille, il est temps que je sois bien plus en retrait.

Le coeur d'Ombre bat la chamade. Non, elle ne peut avoir été choisie pour... Bien sûr, Naelya était à peine plus âgée quand il a été décidé qu'elle serait la fondatrice officielle de la SRAM, pendant que les autres oeuvreraient discrètement à lui ouvrir des portes et à effacer toute opposition, mais c'était un autre temps, et la famille était dans une toute autre position. Aujourd'hui, il y aurait de nombreux autres candidats au poste de dirigeant de la nouvelle SRAM. Aussi elle ne dit rien.

Sa tante semble apprécier son humilité et ajoute avec un sourire :

— Nous allons en parler tous ensemble très bientôt, et j'ai déjà quelques candidats en tête. Il y aura beaucoup à décider, et nous allons peut-être scinder nos instances officielles en plusieurs parties. Il nous faut au moins une force politique et une entreprise pour reprendre ce que la SRAM a créé et réembaucher nos employés - nous n'allons pas laisser tout ce savoir éparpillé dans la nature, et il faut que les deux aient l'air un minimum indépendantes. Je n'ai pas encore décidé de qui héritera officiellement de l'Alien et des Techs ni s'ils restent en vie. La guerre va encore battre les cartes un certain temps. Mais nous allons nous tenir prêts et je veux que vous réfléchissiez tous à notre stratégie.

— Bien.

— Ta mission reste centrée sur la capture ou la mort des Techs restants, mais tu as fait du beau travail avec 5 et Mok et j'aimerai que tu le poursuives. Tu as l'air d'avoir un bon contact avec eux.

— Ils veulent qu'on les prenne au sérieux. C'est ce que j'ai fait. Mok surtout est un enfant-soldat. Tant qu'on lui promet du respect et ses propres armes, il est partant pour n'importe quel camp.

— Épatant. Un bon petit rat. J'ai toujours préféré les rats aux porcs. Au moins ils sont efficaces.

Ombre se retient de lever les yeux au ciel. Voilà une histoire qu'on lui a répétée toute son enfance, les rats et les porcs : le monde des âges sombres partagés entre les rats prêts à s'entretuer pour une miette et les porcs qui se prélassent dans leurs privilèges en ignorant volontairement le monde qui les entoure. Deux philosophies aussi sordides l'une que l'autre, dans un monde qui avait besoin d'être sauvé, qu'il le veuille ou non. La SRAM a été ce sauveur. Un sauveur avec des failles, mais un sauveur malgré tout. Un agent du système qui avait forcé le système à fonctionner, là où il ne faisait que continuer sur sa lancée. Vu les récents évènements, la SRAM a fait son temps, mais ça veut juste dire que la place est libre pour un nouveau sauveur. Il ne reste plus qu'un petit détail :

— Et nous avons de quoi gagner la guerre ?

— Bien sûr, nous avons des bases militaires dans tout le Sud et nous sommes toujours alliés à de nombreux chefs militaires locaux. Dès que l'AGN aura validé mes demandes, la contre-attaque officieuse va s'emparer de tous les pôles de pouvoir et laisser l'Hydre sans la moindre ressource lorsque les pays qu'elle prétend servir auront capitulé. Le Sud a tout misé sur ces pitoyables coups de bluff, mais ils sont incapables de résister à un véritable coup de force. Nous les avons corrompus depuis bien trop longtemps pour qu'ils s'unissent et se coordonnent... Après quoi, une fois le nouveau Traité en place, nous allons pouvoir traquer et mettre en pièce ce qu'il reste de l'Hydre, avant d'incorporer correctement le Sud. Il est resté dans notre angle mort pendant trop longtemps.

— Ça risque d'être long... et difficile.

— Sans aucun doute. Mais visiblement, et je n'aurais jamais cru dire ça un jour, j'ai manqué d'ambition. La SRAM était un mastodonte et j'ai pensé que la faire grandir encore la pousserait à éclater. Au final, il restait beaucoup de choses hors de notre contrôle. En nous coordonnant et en attaquant par plusieurs fronts en même temps, nous pourrons davantage nous sécuriser. En fait, je regrette qu'ils aient déjà pris le nom d'Hydre, parce que c'est exactement ce que j'ai l'intention de mettre en place. Un seul organisme avec plusieurs têtes. Le temps que nos ennemis arrivent à en abattre une, et deux autres auront déjà poussé... Tu ne trouves pas l'idée magnifique ?

— Si, bien sûr... Mais il y a encore de nombreux inconnus, et surtout, sommes-nous assez nombreux ? Avons-nous assez de moyens ?

— Pas tant que les Techs auront le contrôle du t-crédit et de toutes nos infrastructures, bien sûr... Les prochaines heures et le comportement de l'Alien seront cruciaux. Mais nous pouvons réussir. Nous ne pouvons que réussir. Ne vois-tu pas que c'est la marche de l'Histoire ? Nous serons couronnés par ces mêmes créatures surnaturelles qui ont tenté de nous voler. Parce que nous sommes les seuls à pouvoir sauver ce monde, Myra. Ne l'oublie pas.

— Je ne l'oublie pas."

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