Partie 79 : entretien d'embauche
Mok :
Il n'a pas eu peur lorsque les hommes sont arrivés. Il les attendait. 4 l'avait prévenu, déjà au bord de la panique : "Il y a quatre hommes qui viennent de demander après toi à l'accueil, je ne sais pas comment ils ont fait, mais ils n'ont même pas été fouillés à l'entrée, je ne sais pas qui c'est, mais je ne peux pas te protéger ! Qu'est-ce qu'on fait ?"
Il a pris sa décision rapidement. Après tout, il a déjà été pris par ces gens. Ils ont besoin de lui pour utiliser 5. Donc, ils vont refaire comme la première fois, mais en faisant plus attention à ne pas se faire avoir de la même manière. De toute façon, il n'a plus de bille tech sur lui.
La seule différence, c'est que maintenant Thune est dans le coup, et que les Techs vont l'aider. Donc quoi qu'il arrive, on viendra à son secours. Ces gens-là se pensent plus malins que tout le monde parce qu'ils n'utilisent pas des objets techs et qu'on ne les verra pas venir ? Ils ne savent pas à quoi ressemble une vraie contre-attaque. Ils vont se prendre toute la rage de ceux qui n'ont jamais été enregistrés nulle part, et ne verront rien venir.
En attendant, il suit sans faire d'histoire, et quand on lui dit de grimper dans la voiture noire qui attend devant l'entrée du camp, il grimpe. Les quatre hommes qui sont venus le chercher ne se sont pas donné la peine d'inventer une histoire pour le convaincre et il ne s'est pas donné la peine de prétendre qu'il ne sait pas qui ils sont ni ce qu'ils font là. C'était plus reposant pour tout le monde.
Ils n'ont pas été violents. Ils lui ont pris toutes ses affaires, après quoi l'un d'entre eux est descendu de la voiture pour faire il ne sait quoi avec, en tout cas la voiture est repartie sans lui. On lui a donné de quoi s'habiller. Pas du tech, bien sûr. Des vêtements chauds, pas désagréables, mais pas de quoi être confortable s'il sort. Normal. Il était censé rester à l'intérieur après tout. Puis il avait eu droit au masque pour lui faire respirer une odeur douceâtre, et tout avait disparu.
À présent, Mok émerge du sommeil lentement, l'esprit aussi pâteux que la bouche après cette sieste artificielle. Ses membres sont incroyablement lourds, et lorsqu'il force pour bouger un bras, il s'aperçoit qu'il est attaché. Ça ne l'effraie pas autant que la dernière fois. À croire qu'il commence à s'y habituer.
"Allons, lève-toi, petit. Je t'emmène voir 5. C'est bien ce que tu voulais, non ? C'est pour ça que tu es allé voir ton ancien chef ?
Il tourne difficilement la tête vers la voix. Pourquoi tout le monde s'acharne à lui parler lorsqu'il est dans cet état. Si ça leur était arrivé aussi, ils sauraient qu'il faut du temps entre le moment où on ouvre les yeux et le moment où le cerveau se remet en route. Pour l'instant, il est sûr qu'il sait qui est cette femme, mais rien à faire, ça ne vient pas. Il se contente de la regarder sans répondre. Il doit déjà utiliser toute sa concentration pour ne pas se rendormir.
La femme se penche vers lui, claque des doigts deux ou trois fois devant ses yeux. Il cligne lentement des paupières. Elle râle :
— Bart va m'entendre, il a encore forcé la dose... Ça se voit, pourtant, que tu es un poids plume ! Bon, on va attendre encore un peu si tu as besoin d'attendre... Déjà, est-ce que tu m'entends ? Est-ce que tu comprends ce que je dis ? Cligne deux fois des yeux si tu comprends.
Mok n'a aucune envie d'obtempérer, mais là, jouer les idiots ne l'aidera pas. Il devait venir ici pour une raison. Il devait...
5. Il y avait 5. Elle a bien parlé de 5, non ? Oui.
Oui, petit à petit les brumes de son esprit s'écartent et le souvenir revient. Cette femme, c'est celle qui se faisait appeler Yulia. Celle qui est entrée dans leur repère et a tiré sur 5 avant de l'enlever, et qui a tiré sur 1 aussi. Quelqu'un qui sait obtenir ce qu'elle veut. Et maintenant, ce qu'elle a obtenu, c'est lui.
— Que je dois faire quoi ? demande-t-il.
— Ah, je vois qu'on parle le même langage... Bon, on entrer dans le vif du sujet : toi et 5, vous êtes nos invités pour quelque temps. Si vous faites ce qu'on vous dit, tout se passera bien. Sinon, ça va être très compliqué pour toi. On ne fera pas de mal à 5, c'est notre précieuse petite Tech, mais on va peut-être devoir te faire mal pour la punir. Donc tu as tout intérêt à ce qu'elle écoute ce qu'on lui dit, c'est clair ?
Ça aurait été plus clair avec moins de mots, mais Mok voit l'idée générale et il hoche la tête.
— Excellent, approuve Yulia. On va bientôt te détacher et te laisser la voir. Tu es avec nous depuis trois jours. On va te laisser un peu de temps pour retrouver tes esprits et t'habituer à ta chambre. Doréanavant, tu vas vivre ici. Qu'est-ce que tu en penses, c'est mieux que tout ce que tu as connu, non ?
Mok balaye du regard les lieux. C'est grand. Il y a un grand miroir au fond et pas de fenêtre. A part ça, ça ressemble un peu à la pièce où on l'avait installé dans la tour des techs. Il y a des écrans, des meubles assortis, des jouets et des livres. Il est prêt à parier deux millions de t-crédits qu'il n'y a rien ici qui pourra faire office d'arme, à moins qu'il assomme quelqu'un à coup de chaise.
— Tu veux quoi je dis à 5 ?
Inutile de tourner autour du pot. On lui a montré sa récompense s'il était sage - comme le dirait Thune, c'est une bonne prison - et il n'a pas l'intention de ruer dans les brancards en attendant qu'on vienne le chercher, donc autant savoir tout de suite ce qu'il est censé faire et s'y mettre.
— Dis-lui d'obéir. Dis-lui qu'elle peut nous faire confiance. Qu'on ne veut que le bien de la population, exactement comme eux.
Mok bâille. Il n'est pas réveillé depuis cinq minutes et on est déjà en train de le baratiner sur des choses qui ne le concernent absolument pas.
— Elle sait je sais rien de tout ça. Si tu veux je mens, il faut mentir bien. J'écoute parce que j'ai besoin d'une maison. Et ici, je peux sortir ?
— Tu pourras. Quand on saura qu'on peut te faire confiance. On va faire exactement comme Thunes, ton ancien chef. Tant que tu es un bon soldat, ici ça sera ta maison, et tu pourras entrer et sortir librement. Tu auras toute la nourriture que tu voudras, des jeux, ou tout ce que tu peux demander. D'accord ?
— D'accord.
— Bien. Parle-moi des billes techs que tu as utilisées pour t'échapper la dernière fois. Tu savais ce qu'elles allaient faire ?
— Oui.
— Tu as décidé de tuer ta gardienne ou c'était un accident ?
Il hésite et la jauge du regard. Visiblement Yulia est une cheffe ici, quelque soit le rôle qu'elle a choisi de jouer auprès des professeurs, et c'était sa soldate à elle. Elle va demander le prix du sang. Thune savait comment se tirer de ce genre de problème avec le minimum de dégâts, mais Thune est très loin - est-ce qu'il ne vaut pas mieux faire profil bas ? Les Techs ne peuvent pas l'aider non plus, et il est attaché, incapable de se protéger lui-même. Quelle serait la meilleure stratégie ?
La femme ajoute :
— Tu n'auras pas d'ennui pour ça. Tu es un soldat. Toi tu sais que tous les coups sont permis. Je veux juste savoir. Tu voulais la tuer ou c'était un accident ?
— Il fallait tuer pour pas que elle elle tire.
— Je vois. C'était la première fois ?
— La première fois ?
— C'était la première fois que tu tuais quelqu'un ?
— Non.
— Pourquoi est-ce tu as tué les autres gens ?
Mok hausse les épaules. Drôle de question. Il est vivant, c'est bien la preuve qu'il a fait ce qu'il devait faire. D'ailleurs, son interlocutrice se trompe sur un point :
— Je suis un lieutenant.
— Un lieutenant ?
— Un lieutenant de Thune. Pas un soldat.
— Ah... tu donnes des ordres aux enfants plus petits.
— Oui.
— Et toi ? On te dit qui tu dois tuer ? Ou c'est toi qui décides ?
— Je fais quand il faut faire. C'est tout.
— Je comprends.
Elle semble très satisfaite. La dette de sang n'est pas évoquée. Ce qui est mauvais signe : on est encore dans les habitudes de dehoreux que Mok ne connait pas, donc il va devoir naviguer à l'aveuglette.
— Est-ce que tu connais un homme qu'on appelle M. Edmund ?
Ah. C'est là qu'elle veut en venir. Lui faire avouer un crime sur un sbire, montrer que ce n'est pas grave, pour ensuite lui faire dire qu'il a tué un chef... Il ne tombera pas dans ce panneau et secoue la tête. Non, il n'a rien à voir avec M. Edmund, en tout cas elle n'a absolument pas besoin de le savoir.
— Vraiment ? C'est dommage que je n'ai pas de photo à te montrer. Il a toujours été très discret... Mais peut-être qu'on ne t'a jamais dit son nom. Peut-être que tu lui as tiré dessus sans savoir qui c'était.
C'était vrai à l'époque. Le nom de son adversaire ne voulait rien dire pour lui : c'était une menace, et tous les Techs étaient tombés évanouis, les laissant sans défense. Il fallait enlever la menace. Et il avait un pistolet. La vie était nettement plus simple quand on le laissait avoir un pistolet.
Après, on lui avait beaucoup reparlé de ce M. Edmund, tout en le faisant jurer de n'en parler à personne. Mais 5 allait bien et estimait que ce n'était pas grave, donc il n'y avait pas accordé spécialement d'importance. Pourquoi est-ce que cette femme lui en parle ? Comment elle peut savoir ?
— Tu sais, ce M. Edmund était un terrible ennemi de notre famille, et nous allons tous fêter sa mort dignement. Si c'est toi qui l'as tué, tu seras accueilli comme un roi parmi les nôtres. Ça ne te plairait pas ? Être traité comme un lieutenant, et un héros, pas comme un bébé à qui on ne peut pas donner une arme ?
Oh si, ça lui plairait. Il demande :
— Tu vas me donner une arme à moi ?
— Oui. Quand tu feras partie des nôtres. Alors... qui a tué M. Edmund ?
— Moi je l'ai fait.
— Pourquoi ?
— Il fallait.
— Pourquoi ?
Mok hausse les épaules. Les mots ne lui viennent pas. Thunes savait ce que ça voulait dire, "il fallait". En cas de danger, on tire, et si on est revenu vivant, c'est qu'on a gagné. Pas plus compliqué que ça. Il répète :
— Il fallait.
À sa grande surprise, Yulia hoche la tête et répond :
— Je comprends.
Elle commence à le détacher. Il se redresse lentement, encore engourdi par les produits qu'on a utilisés sur lui. Elle annonce :
— Bien, alors voici le deal. On va voir 5. Tu lui dis qu'on te traite bien et que tu veux faire partie de la famille. Tu lui demandes d'écouter elle aussi. Après, on t'emmènera voir ma tante. Madame Tosrak. Retiens bien son nom. C'est elle qui va te féliciter d'avoir tué Edmund. Peut-être même qu'on va faire une petite fête en ton honneur. Après, ça va dépendre de toi et de ce que tu veux. Tu peux rester ici, voir 5 de temps en temps, et on t'apportera tout ce que tu demandes. Ou tu peux demander de faire partie de la famille. Il va falloir travailler dur, mais un jour, tu seras accepté parmi nous, et tu pourras sortir quand tu veux et porter une arme. Alors, qu'est-ce que tu en dis ?
S'il savait manier les mots aussi bien qu'elle, il aurait dit qu'elle est la première à lui proposer quelque chose qui lui plait vraiment, une vie à l'extérieur qui ressemble à quelque chose. C'est un bel appât. Qui ne change rien à rien : il est avec Thunes, et avec les Techs. Personne ne lui fera croire qu'il peut rejoindre leurs ennemis aussi facilement, même en ayant tué un ennemi commun. Peu importe. Il hoche la tête, prêt à jouer le jeu le temps nécessaire. Pour l'instant, il va retrouver 5 et repérer les lieux, c'est mieux que ce qu'il espérait au départ.
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