Partie 73 : la proposition du professeur Stones
Abhaya Singh :
C'est l'heure de la fuite, dans tous les sens du terme. L'immeuble qu'Anura avait réquisitionné est évacué dans un chaos presque contrôlé et l'équipe qu'elle avait rassemblée s'éparpille le temps que la crise s'achève. Milley et Stones sont les seuls à savoir où ils comptent emmener les Techs — et Abhaya pense être la seule à savoir où les Techs ont réellement l'intention d'aller.
Leur offre n'a pas suffi pour convaincre l'Hydre, mais il y a une ouverture. Si réellement aucune bombe T n'est envoyée, le Sud accepte de repousser la deuxième salve d'attaques. Mais ils ont bien l'intention d'envoyer la première. Ils comptent bien montrer au monde entier qu'ils ne plaisantent pas et forment une nouvelle puissance sur laquelle il faut compter. À leurs yeux, les Techs sont des nordiens et des armes tout à la fois, prouver leur bonne foi demandera des actes forts.
Abhaya a sa propre voiture dans le plan d'évacuation lancé à la hâte. Sa soeur ne plaisantait pas en disant qu'elle pouvait aller où elle voulait, ça n'avait plus d'importance. Elle s'apprête à descendre aux garages quand elle est arrêtée par Stones, qui lui dit :
"Attendez. Il faut que je vous parle.
C'est la première fois qu'ils parlent seul à seule, réalise Abhaya. Elle n'a jamais pris le temps d'interroger Anura sur l'étrange relation qui l'unit à John Stones, si ce n'est qu'ils ont travaillé tous les deux à la création des Techs, et qu'ils en sont un peu les parents. Le reste du temps, Stones reste dans son ombre, il la soutient et l'aide dans ses relations avec différentes personnes, mais il n'a jamais semblé vouloir s'opposer à elle frontalement. Anura l'écoute quand il exprime son désaccord, mais ça reste elle qui a le dernier mot. S'il vient voir Abhaya, c'est peut-être parce qu'Anura a des regrets et tente indirectement de se réconcilier ? Elle se contente de hocher la tête en l'encourageant à continuer. L'homme est nerveux, aux aguets de tous ceux qui pourraient passer par le couloir, et dès que l'ascenseur arrive il s'y engouffre avec Abhaya en marmonnant :
— Je sais ce que vous allez faire avec les Techs.
— Ce que je vais faire ? Comment ça ?
— Ne jouez pas les innocentes, je vous en prie. Les enfants veulent arrêter la guerre eux-mêmes - avec cette chose, si tant est qu'ils arrivent à en tirer quoi que ce soit. Et comme Anura leur a interdit, ils comptent juste le faire en cachette. Et ils vous ont embarqué dans l'histoire, n'est-ce pas ? Ça les rassure d'avoir un adulte qui valide leurs idées folles. Mais c'est une idée très, très risquée, vous vous rendez bien compte de ça ?
— Si vous pensez que c'est ce qu'ils comptent faire, c'est avec eux qu'il faut en parler, non ?
— Non. J'ai essayé de les confronter, d'arranger les choses, mais ça va trop loin. On n'est pas en train de trouver des compromis pour fonctionner en tant que famille, on parle de déclencher des forces colossales pour influencer le dénouement d'une guerre mondiale. On parle de dieux sur terre. Ils reçoivent déjà des prières.
— Qu'est-ce que vous voulez faire, alors ?
— Je suis d'accord avec Anura pour détruire l'antenne et couper les ponts avec cette créature, mais pas tout de suite. Elle peut nous être utile. Vous voulez utiliser l'Alien pour sauver le Sud, moi je veux sauver le Nord, et les Techs veulent sauver tout le monde. Déjà, on peut facilement s'entendre.
— Sur le but, oui. Et le moyen ?
L'ascenseur arrive à destination, mais Stones appuie sur le bouton pour refermer les portes. Ce sont les oreilles humaines qu'il craint, pas l'espionnage via les caméras techs. Il réfléchit encore, cherchant la meilleure formulation possible, avant de lâcher :
— Restez avec eux et surveillez ce qu'ils font. Veillez sur eux. Aidez-les à se réconcilier avec Anura après... quand tout ça sera fini. Je pense que je peux vous faire confiance pour choisir la solution la plus pacifique. Vous êtes quelqu'un de bien. Dans les guerres, on ne peut pas empêcher les deux camps de faire des horreurs, mais avec les Techs et l'Alien, qui sait ? C'est le moment des miracles, peut-être que tout ça peut encore bien finir. Tout ce dont j'ai besoin, c'est que vous gardiez le contact avec moi et que vous me transmettiez où ils sont, pour que je puisse toujours les retrouver.
— Pourquoi ?
— Parce que je ne veux pas qu'ils disparaissent comme ils l'ont déjà fait. C'est un miracle qu'il ne leur soit rien arrivé. Je vous en prie... Je ne vous le demanderais pas si je n'étais pas déjà désespéré. J'aurais préféré veiller sur eux moi-même, mais ça risque de...
— Qu'est-ce que vous comptez faire ?
— J'ai un plan pour sauver 5. Mais ce n'est pas le genre de plan qui recevrait l'approbation d'Anura. Ni des enfants, pour être tout à fait honnête. Ce qui n'a aucune importance. Ce qui compte, c'est qu'il marche. Et vous êtes là pour veiller sur les enfants, qu'ils ne se retrouvent aussi perdus que la dernière fois, donc... ça ira. Les choses se finiront bien pour eux, même si ils affrontent des temps difficiles. J'aurais voulu avoir les moyens de les protéger mieux que ça, mais c'est tout ce que je peux faire.
— Comment est-ce que vous pouvez sauver 5 ? Vous savez où elle est ?
— J'ai des pistes...
— Et Anura n'est pas d'accord.
Stones laisse échapper un rire sans joie.
— Elle n'aime pas mes méthodes, généralement. Pourtant, ça nous a valu de rester en vie. Mais elle a pensé qu'elle pourrait faire autrement... Et pour être honnête, j'y ai cru aussi. Sans la déclaration de guerre, je pense vraiment qu'on aurait pu réussir comme ça. Mais à circonstances désespérées, mesures désespérées, n'est-ce pas ? Et c'est ma faute si Yulia a pu enlever 5 et blesser 1. Jamais je n'aurais dû lui faire confiance.
— Nous avons tous commis cette erreur. Ne vous lancez pas dans un pari insensé pour la réparer ! Vous voulez négocier la position des Techs pour retrouver 5, n'est-ce pas ?
— Je ne le tenterais pas si je n'avais pas des atouts de mon côté, faites-moi confiance !
— Pourquoi ?
Abhaya sent la colère monter en elle. Comment peut-il lui faire une proposition pareille ? Utiliser ses propres enfants comme appât ? S'il est bien sincère. La seule raison pour laquelle elle peut croire qu'il n'a pas tout simplement l'intention de vendre les autres Techs, c'est qu'il n'aurait absolument pas besoin d'elle pour faire ça. Il compte vraiment sur les Techs pour sauver le monde, ou au moins tout tenter pour le faire, mais il va tout de même les utiliser. Elle insiste :
— Pourquoi est-ce que je vous croirais ? Comment est-ce que je peux croire qu'il y a la moindre chance pour votre plan finisse bien ? Ces gens n'hésitent pas à tuer, et on ne retrouvera 5 vivante que si ils la trouvent plus utile que dangereuse !
— Je sais, et les chances de la retrouver se réduisent à chaque minute qui passe. Ils vont forcément essayer de la recruter, elle est puissante et en colère, ils ne voudront pas réduire à néant une chance pareille. Mais ils vont finir par se rendre compte qu'il est impossible qu'elle rallie leur camp, et elle est trop dangereuse pour qu'il la laissent en vie.
— Sauf s'ils menacent un de ses frères et soeurs, et vous voulez leur servir sur un plateau !
— S'ils la tiennent par la menace, elle ne leur pardonnera jamais, et ça finira par leur exploser entre les mains. Croyez-moi, je connais mes enfants. Et je ne vais pas leur donner les Techs. Je vais leur promettre un emplacement. À vous de faire en sorte qu'ils ne baissent pas leur garde. Avec toute la matière des bombes T, ils auront largement de quoi se défendre.
— Et quoi ? Ils vont rester dans un blockhaus de tech jusqu'à la fin de leur vie ?
— Oh, ne vous en faites pas pour ça. Tout va se décider très vite.
— Comment ? Vous avez parlé d'atout. Qu'est-ce que vous avez ?
Stones hésite encore. Son attitude contredit son discours rassurant : lui non plus n'a aucune certitude qu'il va réussir. Mais il sait que si il veut l'aide d'Abhaya, il doit lui prouver qu'il y a au moins une chance pour que son idée aboutisse. Il finit par admettre :
— J'ai déjà été recruté par eux. La SRAM. Ce sont eux qui ont 5.
— Vous travaillez pour eux ?
— J'ai travaillé pour tout le monde. J'ai été prisonnier pendant trente ans, forcé à conduire des travaux non éthiques pour envoyer ensuite les enfants que j'ai créés devenir des soldats surhumains. J'ai tout fait pour m'échapper. Au final, ce sont les Techs qui m'ont libéré, mais c'est une autre histoire. En tous cas, je sais qui pouvait envoyer un agent aussi efficace que Yulia et je sais comment attirer leur attention.
— Mais ils ne vous rendront pas 5.
— Ils devront me montrer qu'elle est en vie. Ça suffira pour que d'autres remontent la piste et la retrouve.
— D'autres ?
— Je vous l'ai dit, j'ai travaillé pour tout le monde. J'ai d'autres contacts. Ils veulent tous 5, mais en les faisant jouer les uns contre les autres, j'y arriverais.
— C'est un horrible plan !
— Je sais, mais vous en avez un autre ?
— Les Techs ont...
— Ils vous ont dit ce qu'ils comptaient faire ?
— Non, mais...
— Ils comptent sur un espèce de gangster du Ghetto ! C'est ridicule. Ils sont trop naïfs pour réussir à sauver leur soeur, et l'ennemi connait trop bien leurs pouvoirs et leur façon de penser. Et je n'ai aucune intention de leur parler de ce que je compte faire, et encore moins de comment je peux connaitre tous ces gens. Le moment venu, ils retrouveront 5, c'est tout ce qui compte. Alors ? Je vous ai tout déballé, est-ce que j'ai votre accord, oui ou non ?
— Je...
Abhaya ne sait plus quoi penser. La proposition est folle, mais pour 5, est-ce que ça n'en vaut pas la peine ? Est-ce qu'elle peut faire confiance à Stones là-dessus, lui qui vient d'admettre sans honte qu'il est agent double — voir triple ou quadruple — depuis des années ? Est-ce qu'il a encore le moindre crédit auprès de la SRAM ?
Elle finit par soupirer :
— D'accord. Mais je ne vous enverrais leur localisation que lorsqu'ils auront terminé avec les bombes T et seront parfaitement en sécurité.
— C'est le plan. Voici comment me contacter. Mémorisez ce code et...
— Et détruisez-le, je sais. J'ai l'habitude.
— Bien. Allez-y, alors. Et dites aux enfants... enfin, vous verrez quand vous trouverez l'occasion, mais dites-leur que je suis fier d'eux. Vraiment fier."
Il ouvre l'ascenseur et file sans attendre d'autre réponse. Fier d'eux... sans doute, mais s'il avait pu leur dire lui-même, ça aurait sans doute facilité bien des choses, pense Abhaya tandis qu'elle file à son tour vers le lieu de rendez-vous avec les Techs.
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