Partie 72 : Confusion
Yoro Samb :
"Tu es sûre qu'il est fiable ? demande une nouvelle fois Yoro à Nora.
Ils attendent tous les deux dans la voiture et l'agent d'Edmund ne peut empêcher la nervosité de le submerger. Tant qu'il était en train d'agir et de dresser des plans, tout allait bien. Maintenant que Boris est à l'aéroport et que tout ce que Yoro peut faire est d'attendre, son optimisme naturel commence à lui faire défaut.
Ce qui agace de plus en plus Nora, qui roule des yeux et réplique :
— À ce stade-là, tu peux aussi te demander si moi je suis fiable. Ou les Techs. Ou tes collègues. On doit tous faire confiance à quelqu'un à un moment ou à un autre, et là, je fais confiance à Boris.
— Mais il a quand même accepté assez vite, tu ne crois pas que...
— Je savais qu'il en mourrait d'envie. Et c'était l'occasion idéale de le sortir de son trou. Maintenant, patiente.
— Mais...
— C'est normal que ce soit plus long que prévu. Tu as vu ce monde ?
Effectivement, si la traversée de Nava a été incroyablement déserte, les alentours de l'aéroport sont surpeuplés. Les gens veulent fuir et plusieurs abandonnent leurs voitures dans la rue plutôt que de perdre de précieuses minutes. La scène rappelle étrangement à Yoro l'autre fuite, lorsque lui et Abhaya ont quitté le Sud, une éternité plus tôt. Une panique qui est contagieuse. Le sudien ignore quand et où les bombes de l'Hydre vont frapper, mais ce serait cruellement ironique qu'il meure sous les coups des sudiens alors qu'il est à si proche du but et de la paix. Non, l'univers ne peut pas être aussi injuste. La SRAM oui, mais pas le destin. Yoro a toujours pensé que son destin était plus grand que ce qu'on lui promettait.
En attendant, il est bloqué dans une voiture à ronger son frein. Tout ce qu'il a à faire, de temps en temps, est d'empêcher une voiture de se garer à côté de la sienne et de l'empêcher de repartir. Les nordiens ne respectent rien, a-t-il conclu alors qu'il a dû en venir aux mains pour que le propriétaire d'un gros 4x4 accepte de laisser son véhicule dix mètres plus loin. Il serait presque soulagé de voir des flics essayer de mettre un peu d'ordre dans tout ça. Si ça continue, même en pouvant sortir la voiture de sa place, il sera incapable de faire plus de dix mètres dans cette cohue. Il ne va quand même pas emmener la grande scientifique sudienne jusqu'à Milley en prenant le métro, non ?
Il se ratatine sur son siège en voyant débarquer un camion de l'armée. Ça, ce n'était pas prévu.
— Qu'est-ce qu'ils foutent, merde ?
— Ils dégagent tout le monde, on dirait.
À côté de lui, Nora ne fait pas la fière, comme figée dans sa meilleure imitation d'un mannequin de plastique absolument pas suspect. Elle bouge à peine les lèvres.
Yoro cherche frénétiquement une solution. Est-ce qu'ils sont vraiment menacés ? Il a donné à Boris son passe universel, ce qui le laisse sans papier. En théorie, ça ne devrait pas poser de problème avec les nouvelles lois imposées par l'alien. En pratique, est-ce que les militaires ont reçu le mémo ? Et surtout, est-ce que les militaires s'embêtent avec la paperasse ? Ils vont juste ramasser tout le monde et laisser les bureaucrates faire le tri, et même s'ils essayent de séparer eux-mêmes les suspects des autres, Yoro est un sudien, il n'arrivera pas à le cacher. Il aurait dû rester dans le coffre.
Mais les soldats n'ont pas l'air de chercher à arrêter qui que ce soit. Ils sécurisent le passage pour un autre véhicule. Lorsque l'un d'entre eux vient taper à la vitre, c'est pour leur demander de partir.
— Où ça ? demande Yoro.
— Quittez la rue, c'est tout. De toute façon l'aéroport est fermé, vous ne pourrez pas partir.
— On attend quelqu'un...
— Il marchera. Virez de là.
Le Sudien acquiesce et sort la voiture. L'embouteillage est de plus en catastrophique et le fait que les soldats pressent tout le monde n'aide pas. Pendant ce temps, Nora reçoit un message de Boris :
— C'est bon, il l'a récupérée, mais ils ne peuvent pas sortir. Apparemment tout est bloqué pour laisser un convoi ou je ne sais pas qui d'important. Merde. Qu'est-ce qu'on peut faire ? Peut-être que les Techs pourraient nous frayer un chemin ?
— Non, pas avec les soldats. Ils ont l'air d'avoir des ordres, et aujourd'hui ils doivent bien savoir qu'ils ne doivent pas croire tout ce qui est écrit sur un écran tech. Demande à Boris plus de détails sur sa situation. Est-ce qu'ils sont enfermés dans les salles d'attente ? Combien y a-t-il de portes entre eux et la sortie ? Quel type de porte ? Combien de soldats ?
— Attends, attends, prends mon téléphone et demande-lui, moi j'essaye de sortir la voiture de là sans me faire arracher la moitié de la carrosserie.
Yoro pose ses questions le plus vite possible, creusant toutes les possibilités, tout en sortant son ordinateur portable de l'autre. Il n'a pas le temps de hacker la sécurité de l'aéroport, mais il doit bien y avoir des documents accessibles sur le Réseau, le plan d'évacuation en cas d'alerte terroriste par exemple. Quelque chose qui lui fournirait de quoi travailler. Pendant ce temps, Nora tente de s'extirper d'entre les voitures au milieu du chaos grandissant. Les soldats ne font pas la circulation, ils se contentent de bloquer les entrées de la rue et de pousser tous ceux qui sont là à partir. Quoi qu'ils aient prévu, ils ont besoin de place. D'autres camions militaires arrivent par vagues.
Boris est plutôt efficace dans son compte-rendu et Yoro a rapidement les informations qu'il cherche. Au moins ni l'ancien HR ni la précieuse personne qu'il accompagne ne sont considérés comme suspects, ils sont gardés sur place dans les immenses salles d'attente de l'aéroport avec tous les autres nouveaux arrivants. Aucun vol n'est officiellement supprimé ou en retard et personne ne leur donne d'explication. Devant l'arrivée des militaires, personne n'en a demandé. Les gens sont résignés, en dépit de la peur grandissante. Tous ceux qui sont arrivés à Nava venaient rejoindre des proches avant de fuir au plus vite la ville. Rester bloqués dans un des plus grands centres urbains du Nord ne faisait pas partie de leur plan. Mais on a estimé qu'il était inutile - ou impossible - qu'ils soient gardés par les soldats. Ceux-ci tracent un chemin sécurisé dans l'aéroport, mais les civils enfermés plus loin sont basiquement livrés à eux-mêmes. Parfait.
Yoro demande à Nora :
— Amène-nous jusqu'à la bouche de métro la plus proche.
— Comment ça ? La plus proche, c'est l'aéroport, mais on ne va pas...
— D'accord, la deuxième plus proche. Ils n'ont pas arrêté les trains, il suffit de descendre à l'aéroport et je pourrais me brancher sur leur système de sécurité. Ils protègent très bien les avions et les endroits sensibles, mais pas les salles d'attente. Je vais réussir à ouvrir.
Nora le regarde, jette un oeil dubitatif sur l'ordinateur portable qu'il tient ouvert sur ses genoux - et qui visiblement ne la rassure absolument pas - et lance un coup de volant pour passer entre deux voitures particulièrement mal placées.
— J'espère que tu sais ce que tu fais.
Évidemment que Yoro sait ce qu'il fait. Toujours. En général. Globalement.
En tous cas, il sait ce dont Confusion est capable. Sa petite IA ne vaut pas grand-chose face à un compte utilisateur lourdement verrouillé, mais pour s'infiltrer dans un système automatisé qui gère des milliards de données ? C'est une merveille.
Le hacker est comme toujours émerveillé de voir à quel point les systèmes techs sont mal protégés face au binaire. Comme si à force de les créer sur mesure les interactions humaines, de plus en plus organiques dans leurs réponses et leur fonctionnement, on avait oublié qu'il s'agissait de machine transmettant du code. Et lorsqu'il s'agit de saturer un ordinateur de code n'ayant aucun lien avec sa mission, mais suffisamment proche pour que le logiciel se mette au travail, Confusion est un outil redoutable.
Nora veille sur Yoro pendant que le hacker met l'IA au travail. Le quai du métro est bondé de gens qui tentaient de fuir la ville en avion. Même maintenant que les portes sont fermées, ils restent là, espérant avoir leur chance tôt ou tard. La plupart n'ont même pas de valise. Beaucoup ont des enfants. Au milieu de la cohue, personne ne prête trop attention au jeune homme qui s'est carrément assis par terre pour utiliser son ordinateur. Il espère juste que personne ne va s'apercevoir qu'il est sudien. Les conversations qui bruissent autour de lui indiquent que la foule a peur, et une foule qui a peur bloquée dans un lieu clos est vite dangereuse. Pour l'instant, il s'est contenté de mettre la capuche de son sweat-shirt, se tourner vers le mur et laisser Nora faire le bouclier humain.
Confusion tourne, cherche et trouve la faille qui le laissera submerger le système de l'aéroport. Yoro envoie un message à Boris pour qu'il se tienne prêt à s'enfuir. Bientôt...
Il sent le flux de la foule avancer avant même de voir le message lui indiquant que c'est bon, toutes les portes sont ouvertes. Les gens n'hésitent pas et courent, prêts à se piétiner pour passer enfin, et le Sudien doit se redresser précipitamment pour éviter un accident. Il récolte quelques regards effrayés, mais rien de plus - il n'est pas un obstacle entre eux et leur but.
En revanche, de l'autre côté des portes attendaient aussi des gens, qui tentaient d'entrer dans le métro ou au moins d'atteindre les sous-sols pour éviter le pire si les bombes arrivaient. Les deux groupes se heurtent et se croisent dans une cohue toujours plus impressionnante, qui a au moins le mérite de cacher parfaitement la véritable cible du hacker. Les soldats vont mettre une éternité à canaliser cette foule de plus en plus paniquée, et Boris devrait réussir à se faufiler...
Et comme toujours, c'est au moment où un plan semble tourner correctement que tout se met à vriller, ici sous la forme d'une femme qui pointe Yoro et se met à hurler :
— Un terroriste !
Ça, c'est le genre de publicité dont il se serait bien passé.
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