Yoro Samb :

Quitter le camp des HR ressemble à une évasion, mais peut-être que la voie diplomatique est encore possible. Yoro demande à Nora :

"Est-ce que Choy peut nous aider à sortir ?

— Il peut utiliser son influence, mais pas avant un vote. C'est le garant du côté démocratique de nos actions, pour lui c'est très important.

— Et je peux compter sur un vote, à ton avis ?

— Honnêtement, ça m'étonnerait. Toutes les factions montent leurs propres actions et les hackers sont tous en train de te réclamer pour parler à Kami-sama, donc la question de te laisser partir n'est pas prête d'arriver à l'ordre du jour.

— Alors, est-ce que je peux compter sur toi... et peut-être des amis à toi ?

— Si je fais ça, je vais devoir rendre de sacrés comptes auprès des autres HR, mais oui, on peut se débrouiller pour te faire sortir... mais il va falloir que tu rendes service à certaines personnes avant.

— Quel genre de service ?

— Kami-sama, évidemment. Ton super-pouvoir. Ensuite, ils te feront sortir secrètement, et je te ramènerai en ville.

— Je ne peux pas demander n'importe quoi à Kami. Enfin, disons que j'aimerai éviter. Qu'est-ce qu'ils veulent, tes amis ?

— Ce ne sont pas mes amis et ils veulent empêcher l'A.G.N. de remettre la loi sur la citoyenneté que les Techs ont supprimée. Je crois qu'en ce moment, les Techs ont de toute façon d'autres choses auxquelles penser, alors ça ne fera pas de mal si Kami-sama prend la relève. S'il arrive bien à suivre les instructions, en tous cas.

S'il était citoyen nordien, Yoro n'apprécierait sans doute pas qu'un alien soit impliqué dans son processus de lois. Mais il ne l'est pas et connait tous les dégâts que la citoyenneté tech a déjà commis, aussi il acquiesce. Son contact lui a demandé ne pas interagir avec l'anomalie, mais ça n'a rien à voir avec la guerre, est-ce si grave ? Surtout si c'est sa meilleure porte de sortie pour accomplir sa véritable mission.

Il est à nouveau amené à travers le dédale de galeries souterraines et fini cette fois dans une autre salle, encore plus petite que sa cellule, où sont casés deux HR et un ordinateur tech qui occupe la moitié de la pièce. Nora s'éclipse aussitôt. Elle a sans doute encore beaucoup de choses à régler pour expliquer sa disparition aux autres ou se disculper. Peu importe pour Yoro : elle lui a promis de s'enfuir grâce à ces gens, il lui fait confiance.

Les HR sont deux hommes impassibles, portant de nombreux tatouages plus ou moins ésotériques. Pas vraiment le genre qu'on aurait imaginé en légalistes. Mais après tout, Yoro ignore beaucoup de choses des différents groupes sociaux qui peuvent constituer les HR, et ils doivent tous se sentir concernés par cette loi, non ? Il préfère ne pas leur poser de questions sur leurs motivations et aller directement au cœur du sujet :

"Qu'est-ce que je dois demander ?

— Voici le fichier. Il faudrait ajouter ce texte dans la constitution de l'A.G.N. pour remplacer ce qui est déjà dans la section 6.34.

— Ce n'est pas déjà ce que les Techs ont fait ?

— Les Techs n'y connaissent rien en droit, ils n'ont lancé que des décrets d'applications, les gens ont commencé à y obéir mais ils se sont vite rendu compte qu'il n'y avait pas de source légale... On leur a demandé de rectifier et ils étaient d'accord, puis ils se sont rétractés sans explication.

Sans explication, ça veut dire que Milley leur a dit non. La professeure n'a pas l'air d'être du genre à apprécier qu'on tricote la loi juste parce que ça semble plus correct, sans demander l'avis des concernés. Même si dans l'affaire, les premiers concernés sont les HR qui sont justement réduits au silence par cette loi, et ceux qui s'attribuent le droit de décider pour tous sont ceux qui les ont exclus. Avec un peu plus de temps, les HR auraient sans doute pu convaincre les Techs de désobéir à Milley, mais un alien fera visiblement l'affaire. Même si après ce coup-là, tout l'A.G.N. va sans doute reformer tout son modèle légal pour qu'il ne repose plus sur les ordinateurs techs, qui ne seront plus sûrs. Enfin, ça, ce n'est pas son problème.

Yoro lance l'invocation de Kami-sama. Il se sent toujours un peu ridicule en le faisant, surtout devant le regard intense de ses deux interlocuteurs. Ils ont l'air prêts à prier eux aussi.

Au bout de quelques minutes, la voix composite de l'alien s'élève :

"LA GUERRE LA GUERRE LA GUERRE...

Ça, c'est mauvais.

Yoro s'exclame :

— Non, non, tu ne dois pas te mêler de la guerre, surtout pas !

— IL FAUT IL NE FAUT PAS IL FAUT IL NE FAUT PAS...

— Il ne faut pas !

Silence. Yoro en profite :

— J'ai quelque chose à te demander. Il faut que tu remplaces un texte par un autre texte, dans un ordinateur protégé. Moi, je n'y ai pas accès, mais je vais t'indiquer où il est, d'accord ?

Ce n'est pas si simple d'expliquer la manoeuvre à Kami-sama, qui vit dans le tech sans avoir à utiliser aucune des dénominations ou adresses que les humains utilisent pour s'y retrouver dans leurs propres ordinateurs. Yoro et les HR finissent par s'y mettre à trois pour lui faire comprendre précisément dans quelle machine elle doit s'introduire et comment identifier le bon emplacement. Au moins, Kami cesse de s'affoler. Cette requête-là n'est pas contradictoire avec les autres, ça la perturbe beaucoup moins.

Son état est quand même inquiétant. Yoro ignore exactement ce qu'elle est, mais elle se comporte depuis le début comme une IA autoapprenante, et il se demande si parler à tant d'humains à la fois n'est pas en train de la rendre folle, de l'enfermer dans des paradoxes qu'elle ne sait pas résoudre. Après tout, elle est une créature qui ne connaissait pas le concept de mort ni de personnes dont elle ne pourrait pas lire l'esprit, et depuis le début, elle donne l'impression d'être seule... Les humains sont-ils les premiers membres d'une autre espèce qu'elle rencontre ? Elle semble s'être investie corps et âme (si elle a l'un ou l'autre) dans les problèmes de l'humanité, sans jamais rien demander pour elle-même. Pourquoi ? Que leur veut-elle ? Et est-elle capable de se protéger si leurs disputes la perturbent trop ? Sait-elle quoi faire ?

Mais ce n'est pas à lui d'y réfléchir. Peut-être que la spécialiste du Sud saura répondre à tout ça, ou peut-être va-t-elle seulement donner à Milley une information essentielle sur la nature de l'alien qui permettra de rompre le contact. Quoi qu'il en soit, il a accompli sa part du contrat, et comme toujours Kami-sama a répondu à son appel à la perfection. Il ne sait pas pourquoi, mais il est spécial pour elle, et il apprécie cette idée bien plus qu'il le devrait.

La voix composite s'éteint brusquement une fois que Kami n'a plus de questions. Elle ne maîtrise pas encore les notions de "au revoir".

L'un des HR demande :

— Est-ce que ça va marcher ? Est-ce qu'iel a compris ?

— Normalement, oui. Ça aurait été plus sûr avec les Techs, mais...

— Mais au moins Kami-sama est plus facile à convaincre. Enfin, avec vous. Pourquoi ?

— Ça, c'est mon secret. En tout cas j'ai tenu ma part du marché, à vous de tenir la vôtre.

— J'aurais pensé que vous lui demanderiez d'arrêter les bombes T pour épargner le Sud. Il doit y avoir un paquet de monde chez vous qui prient pour ça, non ?

— J'ai... d'autres options. Ne vous inquiétez pas pour nous.

— Genre... Il y a pire que ce que vous nous avez déjà envoyé ? Comment vous pouvez être aussi confiants ? C'est grâce à Kami-sama que les satellites techs n'ont pas arrêté les missiles ?

Si seulement Yoro le savait. Peut-être qu'il y a d'autres agents d'Edmund que Kami écoute. Peut-être qu'Edmund a trouvé un moyen de faire alliance avec elle. Ça lui ressemblerait bien.

— Écoutez, je ne peux rien vous dire. Mais ça ne va pas être un massacre. On est sur le coup et on a d'autres solutions en stock que la guerre totale. Maintenant, aidez-moi à sortir, j'ai une mission essentielle à accomplir."

Les HR acquiescent sobrement, impressionnés. Ce n'est pas désagréable, comme sensation.