Ombre/Yulia :

Arrivées à l'ancienne tour de la SRAM, Yulia et Hindgame sont accueillies comme des revenants. Bien sûr, Milley est la première à se précipiter vers elles et à leur demander ce qu'il s'est passé. Mais plus que tout, plus qu'une peur qu'elles aient parlé ou même qu'une volonté de savoir qui les a enlevées, la professeure veut savoir ce qui est arrivé à Mok. Le gamin qui est la clé de tout le reste, le gamin que les stupides accolytes d'Ombre ont laissé s'échapper. Pour l'instant, seul son rôle auprès d'Hingame empêche la tête d'Ombre de rouler. Une fois que la famille aura remis la main sur ce gosse - et ils y arriveront, aucun doute n'est possible - ce ne sera plus elle qui en sera responsable.

Pour l'instant, dans son rôle de Yulia, elle craque. Un peu, pas trop, pas de quoi laisser penser qu'elle n'est pas un agent fiable, juste de quoi paraitre humaine, rendre son geste impulsif et leur évasion un peu plus crédible. Hindgame appuie ses propos. Elles n'avaient aucun moyen de récupérer Mok, ni même de savoir s'il était encore dans le même bâtiment. Tout le reste n'est que conjectures à partir des quelques mots de leurs ravisseurs, et Ombre brode sur ces quelques idées pour donner un peu de grain à moudre à Milley. Elle commence à lui proposer d'expliquer elle-même la situation à 5. Pour la rassurer et la calmer...

L'arrivée de Stones n'inquiète pas Ombre. S'il avait un avis à donner sur quoi que ce soit, ça se saurait.

Mais ce qu'il ramène, en plus d'avoir comme toujours l'autre sudienne dans son sillage, ce sont des informations :

"Anura ! s'exclame-t-il en ignorant Yulia et Hindgame. On a du nouveau ! Mok s'est libéré !

Merde ! Comment peuvent-ils le savoir déjà ? S'ils l'avaient, cet imbécile l'aurait dit, point final ! Mais il faut jouer le rôle, avoir l'air soulagée et surprise, se faire oublier plutôt que de poser des questions, guetter le bon moment. Milley est déjà assez méfiante comme ça, elle prend l'autre professeur et Hindgame à part pendant qu'il explique et relit visiblement le message qu'il vient de recevoir. Ombre ne peut entendre que quelques bribes de phrases, des "tu vois ?", des "vraiment" et un "elle l'a fait !" qui implique forcément une des Techs. Ils ont appris pour la bombe T ?

Il lui manque des informations, une pièce du puzzle très importante, un point logique qui expliquerait l'étrange stratégie tech de Milley. Quelque chose de Naelya Tosrak, avec son culte du secret, ne lui a pas expliqué.

L'idée que sa tante elle-même puisse ne pas savoir quel est l'atout secret de Milley est déjà trop dérangeante pour qu'on s'y attarde.

Pour l'instant, elle ne peut qu'attendre. C'est bien ça le problème quand on joue un rôle. L'infiltration ne lui a jamais posé de problème parce qu'elle avait toujours une marge de manoeuvre pour s'adapter à ce qui arrivait en face, mais à présent ce n'est pas assez. Yulia est un poids, elle n'arrivera jamais assez vite au niveau de confiance nécessaire auprès de Milley pour se rapprocher des Techs...

"Qu'est-ce que vous allez faire de moi ? lance-t-elle d'une voix forte, interrompant la discussion à l'autre bout de la pièce.

— Comment ça ? demande Stones.

Hindgame lui murmure quelques mots. Il semble perdu.

Yulia continue :

— Et bien, je reviens de la base ennemie j'ai réussi à nous faire évader. Donc soit vous m'intégrez parmi vos agents, soit vous vous méfiez et vous me gardez à l'écart jusqu'à ce les débriefers soient sûrs que je n'ai pas été retournée. C'est comme ça que ça se passe, au B.A.G.N.

Y a-t-il encore quelqu'un qui croit à l'existence de Yulia dans cette pièce ? Mais au cas où, Ombre garde une voix fêlée, fragile, lorsqu'elle ajoute :

— Ou alors vous n'en avez rien à faire et vous me laissez rentrer chez moi.

Milley hésite, et c'est Hindgame qui explique froidement :

— Non. Je suis désolée, Yulia, mais il va falloir qu'on te garde ici quelque temps. Le temps de débriefer, comme tu dis. Ce n'est qu'une formalité, mais...

— Mais il se passe des choses importantes et urgences, et vous avez plein de choses à faire. Sans moi. J'ai bien compris.

— Marchi va t'accompagner dans une chambre. Je suis désolée, mais nous, on doit y aller.

Le chef de la sécurité ne tarde pas. Ombre est plus frustrée que jamais. Pas moyen de savoir si c'est bien de Mok et des bombes T qu'ils parlent, pas moyen de savoir non plus si c'est bien 5 qui a donné une arme pareille au gamin... Ni si Milley en a d'autres à sa portée. Il n'y a pas que les Techs qui sont dangereux, même une fois mis à l'abri loin du Réseau ils ont pu donner à leurs créateurs une flopée d'armes et de logiciels de hacking tech à toute épreuve. La famille n'en avait aucune trace jusqu'à présent, mais Milley est prudente avec les Techs à défaut de l'être avec ses alliés humains, alors ça n'aurait rien d'étonnant à ce qu'elle en ait aussi. Elle n'avait simplement pas prévu que 5 en donnerait à Mok, parce que c'est une idée complètement folle de donner à un gamin des rues une arme de destruction massive de poche, et que seule une autre gamine pourrait trouver ça logique et sensé. C'est un point qu'Ombre a beaucoup trop sous-estimé. Ce ne sont que des gamins.

Une chambre. Oui, Marchi l'a escortée jusqu'à une chambre inutilisée de la Tour, un véritable studio qui servait à loger les stagiaires du temps pas si lointain de la SRAM. Elle a tout ce qu'il faut pour se reposer jusqu'à ce qu'Hindgame ou Milley aient à nouveau besoin d'elle. Elle peut se remettre tranquillement de ses blessures et de ses émotions.

Sauf qu'une chambre confortable solidement verrouillée de l'extérieur, ça s'appelle une prison.

Si Mok ne s'était pas enfui, Ombre serait restée dans son rôle. Soit il lui reste une chance de convaincre Hindgame qu'elle n'est pas une traitresse, soit elle peut exploiter jusqu'au bout sa position d'agent double. Mais là, la famille n'attend qu'une occasion pour l'exfiltrer des lieux et l'opération est déjà hors de son contrôle, donc se raccrocher aux branches ne servira à rien. Non, tant qu'à devoir humblement admettre son échec devant Naelya, autant pouvoir au moins avoir un coup d'éclat en réserve. L'avantage des tentatives désespérées, c'est que personne ne les anticipe.

Ombre connait bien la configuration de l'immeuble SRAM et ses nombreux niveaux de sécurité. Aucun système n'est sans faille, et maintenant que la surveillance est confiée à une équipe de bras cassés qui se connaissent mal et se coordonnent plus mal encore, il y a un moyen de passer.

Ombre va jusqu'à la console de contrôle de la pièce. Les commandes ordinaires ne répondent pas, qu'il s'agisse d'ouvrir la porte ou d'envoyer un message, mais les codes d'urgence sont toujours opérationnels. Elle active le code invasion.

L'alerte retentit et d'épais barreaux métalliques viennent bloquer toutes les issues. L'IA de sécurité doit s'affoler pour trouver d'où vient l'invasion, ce qui va être d'autant plus compliqué pour elle que des petits malins ont fait de nombreuses modifications dans son code. Le seul moyen de mettre fin à cette nuisance sera d'utiliser l'ouverture générale de tout l'étage. L'espionne n'a plus qu'à attendre.

Dix minutes plus tard, la porte s'ouvre.

Marchi n'est pas si stupide et a envoyé un agent à lui pour la surveiller le temps que le problème informatique soi réglé. L'homme porte une arme tech à la ceinture et une matraque à la main, il lui demande poliment de bien vouloir rester dans la pièce jusqu'à ce que le système soit réparé. Yulia acquiesce aimablement. Avant de frapper.

Une feinte, il lève la matraque, Ombre s'empare de son poignet et le brise tout en lui fracassant le nez d'un coup de tête, elle le repousse d'un coup de pied et s'empare de son pistolet tech tandis qu'il est au sol, avant de le jeter dans la chambre. Un simple bleu et jaune, il n'avait aucune chance face à elle. Il a déjà de la chance qu'elle ne l'abatte pas sur place, ce traitre.

La porte se referme automatiquement derrière lui.

Bien. Maintenant, elle est dans la place. Si elle veut pouvoir avancer sans trop de mal, il faut qu'elle récupère l'accès à l'immeuble, bloque ses poursuivants et retrouve où sont cachés les Techs. Première étape : la salle de contrôle.

Alors que l'adrénaline commence à réchauffer son corps, la tueuse sourit. L'infiltration, c'est souvent indispensable, mais ça c'est vraiment la meilleure partie de son métier.

Bloquer les portes. Éteindre les alertes. Préparer une sortie et un véhicule. L'enfance de l'art avec l'entrainement de l'espionne, surtout dans un immeuble SRAM, son propre terrain. Seuls les Techs auraient pu l'arrêter, mais grâce à Milley ils sont hors de portée du Réseau, et au moins ses mensonges lui ont permis d'entrer dans la zone interne de l'immeuble. Elle ne pourrait pas tenir un siège à elle seule, tôt ou tard les autres vont reprendre le contrôle sur le système, mais en activant une série de logiciels de sécurité secrets, Ombre gagne suffisamment de temps pour faire son travail. Soit elle peut retrouver tous les Techs et les assassiner, soit elle en kidnappe un pour faire sortir les autres.

Maintenant, le point essentiel : où Milley les a-t-elle cachés ?

Les zones à l'abris du Réseau sont plus nombreuses qu'on pourrait le croire dans un immeuble SRAM - la multinationale a toujours des expériences à tenter et des secrets à cacher. Mais Milley veut prendre soin des enfants. Ils ont grandi dans un laboratoire, mais il leur faut quand même un minimum de confort - de quoi dormir, manger, une salle de bain, un espace de jeu... Ce n'est pas trop difficile de retrouver leur cachette. Dans les sous-sols, sous le jardin mais pouvant y accéder par le monte-charge, pas loin du parking et de la sortie si on connait les bonnes portes. Parfait.

Avant de quitter la salle de contrôle, Ombre s'équipe lourdement en armes non-techs et enfile une tenue d'agent de sécurité, ornée d'un écusson bleu et orange qui brûle la rétine. Outre la protection du torse, la tenue lui fera gagner de précieuses secondes auprès des enfants grâce au casque. D'après les caméras de sécurité, son chemin sera dégagé jusqu'au sous-sol, à part trois agents de sécurité qui la guette à la sortie de la salle de contrôle. Elle n'a plus qu'à les éliminer et retrouver les Techs.

La porte s'ouvre. Les voilà. 4 et 5 se précipitent sur Ombre, impatients d'avoir des nouvelles de l'extérieur. Derrière, 3 attend nerveusement, 7 sur les genoux, tandis que 6 ne lève pas le nez de sa construction. Il manque les deux ainés, mais c'est déjà une occasion en or. Il n'y a que deux adultes dans la pièce, un bleu et jaune qui semble s'ennuyer ferme et une femme en tailleur gris qui s'approche également et demande : "Qu'est-ce qui se passe ?".

Ombre pointe son arme vers sa tête et ordonne sèchement :

— À genoux, les mains derrière la tête. Toi aussi.

Les deux humains s'exécutent, l'ancien SRAM se laisse désarmer comme un enfant à qui on arracherait son jouet. Ombre ignore ce que les Techs ont sur eux - même sans le Réseau, une mini bombe-T comme celle de Mok lui poserait bon nombre de problèmes - mais en tenant en joue les humains, elle devrait les empêcher de jouer les idiots et elle appuie le clou :

— Vous, vous ne bougez pas, sinon je tue ces deux-là. C'est clair ?

Les enfants hochent la tête. Ils vont du furieux au terrorisé, mais aucun ne panique. La plus grande a mis la plus petite derrière elle et garde une main sur l'épaule de 5, qui est aussi tenue de l'autre côté par son frère. Bien. Même la tête brûlée de la bande se tient à peu près tranquille. Ombre ajoute :

— Je ne vous veux aucun mal. Si vous faites bien ce que je vous dis, tout se passera bien et on va tous revenir tranquillement à notre vie normale, d'accord ? Je veux juste discuter avec les professeurs. Tout ce que vous avez à faire, c'est ne pas bouger.

Leurs regards sont flous. Ils parlent entre eux. Et bien qu'ils parlent : au moindre mouvement elle est prête à tirer. Ils ignorent qu'Ombre aussi se bat pour sa famille, et que même si elle doit mourir pour exécuter sa mission, elle a bien l'intention de les embarquer dans la tombe avec elle. Cinq Techs sur les sept, ça serait une belle avancée, et même en ayant de bonnes facultés de guérison ils sont loin d'être invulnérables aux balles. Qu'ils essaient seulement...

Leur conciliabule mental semble arriver à la même conclusion : elle est trop dangereuse pour tenter quelque chose. Ils restent immobiles. Bien.

Il ne reste plus à Ombre qu'à appeler Milley.