Partie 48 : Winikut
Yoro Samb :
Yoro est un peu déçu lorsque Nora le conduit jusqu'au minuscule village de Winikut, constitué d'une poignée de petites maisons blanches entourées d'un labyrinthe de caravanes plus ou moins abandonnées. Il y a pas mal de monde qui a l'air d'être là uniquement pour surveiller les nouveaux arrivants, mais après tout c'est le cas de tous les petits villages coupés du monde et remplis de désoeuvrés. Nora salue tous ceux qu'ils croisent, la voiture roule au pas jusqu'à entrer dans un garage qui semble construit avec de la tôle de récupération et est laissée là au milieu de toutes les autres.
Les choses sérieuses commencent lorsque Nora et lui entrent dans l'une des maisons. Deux hommes y montent la garde, plus ou moins, occupés à jouer aux cartes pour passer le temps, mais armés chacun d'un fusil. Ils saluent chaleureusement Nora, et acceptent sans mal Yoro qu'elle présente comme "un invité de Choy". Ils sont au courant et les amènent jusqu'à une arrière-salle, occupée principalement par un grand congélateur vide, dans lequel ils les font monter avant d'actionner l'ascenseur. La plate-forme descend lentement dans les entrailles de la Terre, au moins deux étages standards, estime Yoro, peut-être même trois, ils doivent être à 6 ou 8 mètres de profondeur. Enfin une salle secrète digne de ce nom.
Au cours de sa jeune mais intense carrière d'espion, Yoro a plusieurs fois été déçu par le manque de décors adaptés. Il a été recruté par les agents de M. Edmund à l'université, et a rencontré le grand homme lui-même dans un salon de thé-sandwicherie tristement banal, coincé entre une boutique à touristes et une boucherie, sur l'une des plus grandes artères de sa ville natale. Jamais il n'y a eu de rendez-vous dans des salles secrètes, accessibles uniquement par des passages secrets, des codes ou même des mots de passe. Non, visiblement le Nord se gardait tous les trucs cools.
Une fois arrivé, il s'aperçoit qu'il ne s'agit pas juste d'une salle secrète, mais de tout un réseau de galeries souterraines qui s'enfonce dans les entrailles de la Terre, protégées par une série de portes blindées et de HR armés. L'endroit doit être une véritable forteresse si quelqu'un s'avise d'en faire le siège. Aujourd'hui, toutes les portes sont ouvertes, et les HR visiblement en effervescences. Les armes restent accrochées en bandoulières ou négligemment posées sur les tables voir appuyées contre les murs. Il est avec Nora et personne ne leur pose de questions tandis qu'ils s'enfoncent dans le labyrinthe et passent de tunnels en salle plus ou moins grandes.
Nora explique brièvement à Yoro qu'avec la levée de la loi sur la citoyenneté, une grande majorité de HR est en train d'organiser un retour à la vie normale des leurs, le plus discrètement possible pour éviter les réactions violentes des civils et des antiterroristes. D'autres veillent à l'intégration des libérés des ghettos, là aussi auprès d'une population très hostile. Sans oublier que, ces changements de loi venant de nulle part, des armées d'avocats sont en train d'essayer d'empêcher son application. Bref, le champ de bataille reste brûlant et tout le monde est sur le pont pour ne pas se laisser arracher leur victoire à la dernière seconde. Certains essayent aussi de fabriquer du tech "fait maison" en suivant les instructions laissées sur le Réseau. Même si c'est une manoeuvre délicate sans laboratoire bien équipé, les premiers résultats sont encourageants. Même si la SRAM se décide à se débattre au lieu de faire le mort comme elle le fait actuellement, il n'y aura pas de retour en arrière possible.
Ils finissent par arriver dans une salle assez vaste pour accueillir une dizaine d'ordinateurs binaires et techs, une dizaine de HR concentrés sur leurs claviers, et une quinzaine de plus qui reste debout et passe d'un ordinateur à l'autre dans un brouhaha impressionnant. Au milieu de la cohue, Nora le présente à Choy, qui l'accueille avec un sourire paisible et un regard épuisé :
"Bienvenu chez les HR du Nord, en tous cas là où les décisions sont votées, on est plus un relais qu'un vrai QG. C'est rare de pouvoir accueillir un camarade du Sud, mais c'est un plaisir. A priori on a du nouveau sur votre histoire d'enlèvement, suivez-moi.
Il l'amène jusqu'à un ordinateur occupé par une jeune femme si concentrée qu'elle en parait en transe. Sur ses écrans défilent les informations régionales, des caméras de sécurité et des forums de discussion. Choy toussote légèrement pour attirer son attention, puis finit par lui secouer l'épaule - la femme n'a pas l'air d'avoir dormi davantage que lui, et elle met quelques secondes à se concentrer sur Choy, qui les présente rapidement :
— Sam, une de nos hackeuses, elle vient du groupe Destro Toys, et Yoro, qui vient du Sud.
Apparemment, la question de travailler pour l'Hydre, Edmund ou Milley est éludée facilement par son côté sudien. En même temps, pour lui ils sont tous des HR du Nord, il n'a pas la moindre idée de ce que peut être le groupe des Destro Toys ni de leurs relations politiques les uns avec les autres. Il se contente de lui serrer la main tandis que Sam attaque le brieffing :
— On pense qu'on a retrouvé la trace de vos kidnappés, on a une course-poursuite avec les antiterroristes, mais surtout, on a ça...
Elle met à l'écran une vidéo de Mok courant entre d'immenses hangars. Nora s'exclame :
— Ils se sont évadés ?
— C'est à ça que ça ressemble, mais pourquoi est-ce que les kidnappeurs ne lui courent pas après ? Ça ressemble surtout à un piège. Comme s'ils voulaient qu'on le récupère. Mais ce n'est pas le plus bizarre.
Elle montre une autre vidéo, issue d'une caméra de sécurité, montrant Mok rejoint par une jeune femme blonde qui ne ressemble absolument pas à une policière et encore moins à une antiterroriste. Ils n'ont pas le son, mais la femme semble interpeller Mok et le convaincre de la suivre, elle parvient même à ce qu'il lui donne la main. Elle devait assez le connaitre pour qu'il pense qu'elle était de son côté. Yoro demande :
— C'est qui, cette fille ?
— On cherche, répond Sam en tapotant le flanc de l'ordinateur, mon Chucky est en train de passer en revue tout le registre de citoyens de l'A.G.N., on devrait avoir la réponse d'ici une heure ou deux. En tous cas elle n'a pas l'air de sortir du Ghetto.
— Ça c'est sûr, approuve Nora.
— Et il y a encore plus bizarre.
Sam a laissé courir la vidéo. Ils voient Mok faire le geste de lancer quelque chose, soit par mime, soit pour lancer un objet trop minuscule pour que la caméra le voit, et une sphère se creuser dans le sol. Ebranlé comme jamais il n'aurait cru l'être, Yoro demande d'une voix sourde :
— C'est une bombe T ? Les civils ici ont des bombes T ?
Les autres ne semblent pas traumatisés. Évidemment. HR ou non, ils ont toujours été du bon coté des bombes T. Ils n'ont pas passé leur enfance à redouter l'effacement tombé du ciel, ni grandis dans une ville percée de cratères parfaitement sphériques. Ils ne savent pas. Choy se contente de secouer la tête, comme agacé par le mystère :
— Non, on n'a jamais entendu parler d'un civil qui aurait une bombe T, ni même d'une bombe qui existerait à cette taille-là.
Nora explique :
— Mok est très proche de 5, l'une des Techs, à mon avis la plus tête brûlée. C'est sans doute elle qui lui a fabriqué ce genre d'arme sur mesure. Elle avait très peur qu'il sorte de la tour et quitte leur protection, et elle n'avait pas tort.
— Tout ça c'est bien beau, mais ça veut dire que ce gamin traine avec les armes les plus puissantes du monde dans ses poches ? Ça change beaucoup de choses...
— Et en plus, ajoute Sam, on n'a pas encore abordé le bizarre.
— Parce qu'il y a pire que les bombes T ? s'exclame Yoro.
— Pire, je ne sais pas. J'ai dit bizarre. Kami-sama a demandé de l'aide sur tout le Réseau pour ce gamin. C'est Kami-sama qui a diffusé les vidéos, dont celle que je vous ai montré où on voyait le gosse courir dans les hangars. Il y a sans doute un lien avec cette femme.
— Kami-sama ? demande Yoro.
— Ce qui hante le Réseau. Certains l'appellent le Fantôme, mais plus ça va, plus on voit qu'iel a des pouvoirs divins au niveau du tech. Alors on l'a surnommé comme ça.
Le sudien regarde Nora et lui demande :
— Est-ce que c'est Elle ?
Il insiste bien sur l'importance du pronom, et elle confirme d'un mouvement de tête. Bien. Il ne sait toujours pas qui est cette entité mystérieuse, mais les hackers ont l'air de commencer à bien la connaitre, et il va pouvoir en apprendre plus ici. C'est déjà ça. Et surtout...
— Il faut prévenir Milley immédiatement, ajoute-t-il. Cette... ce Kami-sama ne réagit absolument pas comme elle l'imaginait, ni comme elle la décrivait.
Nora hoche la tête et emprunte l'ordinateur à Sam, qui se laisse faire de mauvaise grâce. Mais cette salle est un des seuls points d'accès au Réseau de la Réserve et elle n'a pas le choix. Tandis que Nora tape son message, Yoro sent qu'on tire sur sa manche, et se retourne pour tomber sur un gamin d'une dizaine d'années. Il a cependant son propre ordinateur, preuve qu'il fait partie des hackers lui aussi. Ça arrive dans le Sud, les gosses sont juste redoutablement bons lorsqu'il s'agit de comprendre l'étrange logique des ordinateurs techs, mais il ne se doutait pas que les nordiens aussi le faisaient.
— Hé, dit le gamin, vous êtes avec les Techs ?
— Heu, en quelque sorte...
— Ils vont bien ?
— Heu... Oui ? La dernière fois que je les ai vus, en tous cas...
— Et la petite ? demande l'enfant, en mimant une taille de la main.
— Heu... Oui ? Je crois ?
Nora intervient tout en continuant à taper :
— 7 va bien. Elle a retrouvé sa famille, elle reste tout le temps collée à eux. Tu la connais ?
L'enfant hausse les épaules et répond comme si ce n'était pas très important :
— Un peu. Ma nounou est morte pour l'aider. Parce qu'elle avait des cauchemars. Alors je me disais qu'au moins j'espère qu'elle va bien.
Yoro cherche désespérément comment répondre à ça, et les autres ont l'air aussi perdus que lui. Nora finit par répondre :
— Elle n'a plus de cauchemars. Ses... les autres Techs s'en sont occupé. Elle va bien maintenant.
— Ok.
Toujours aussi détaché, l'enfant retourne à son clavier. Choy lui pose une main sur l'épaule.
— On en reparlera plus tard. Ici il y a trop de monde. Mais tu sais que tu peux m'en parler quand tu t'inquiètes comme ça ?
— Je m'inquiète pas. Je voulais juste savoir.
— D'accord. Mais ça reste valable."
L'enfant hausse une épaule et se concentre à nouveau sur son écran. Sam récupère son propre clavier et signale :
— Je continue à chercher d'où vient la fille et où sont passés vos deux autres kidnappés. Je vous appelle quand j'ai du nouveau.
— Attends, répond Yoro, je vais t'aider, je suis là pour ça...
— Pas tout à fait, répond Choy. On a répondu au plus urgent pour Milley, maintenant on a encore quelques questions à voir ensemble. Des histoires de politique.
Il l'entraîne dehors, abandonnant Nora et Sam qui le salut d'un "Bon courage !" de très mauvais augure.
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