Partie 39 : la conseillère
Abhaya Singh :
Anura est sur le pied de guerre, mais elle n'a pas renvoyé sa soeur malgré la nature sensible des décisions qu'elle doit prendre. Abhaya et Yoro Samb restent avec elle tandis qu'elle appelle Choy et lui explique la situation. Elle a besoin de l'aide des HR.
Le principal problème qu'elle affronte que les HR sont naturellement aussi coopératifs que des chats - chacun d'eux est tout à fait d'accord pour aider et tous travailler dans la même mission, du moment que cette mission suit leur propre plan. Choy est ce qui s'apparente le plus à un coordinateur de l'ensemble des groupes et sous-groupes qui structurent les HR du Nord, mais même lui ne peut pas leur promettre une force de frappe efficace.
Anura présente Yoro en expliquant qu'il pourra les aider à retrouver la trace des ravisseurs, même s'ils sont hors de portée du Réseau.
"On a nos propres hackers, proteste Choy. Ils sont plus habitués à nos systèmes que les Sudiens. On est des experts dans toutes les techniques utilisables pour se cacher du Réseau, justement.
— Je ne connais peut-être pas le terrain, réplique Yoro, mais j'utilise des techniques qu'aucun HR nordien ne connait, ça nous donnera déjà l'effet de surprise. Et l'une des otages fait partie des nôtres.
— Je croyais que les trois faisaient parti...
Anura précise :
— Ève Hindgame est un agent d'Edmund. L'enfant est précieux pour les Techs, mais Hindgame possède des informations délicates et nous devons la rapatrier au plus vite.
— Alors pourquoi est-ce qu'Edmund ne s'en occupe pas ? Il a des agents dans l'armée, dans le B.A.G.N., même chez les antiterroristes ! Il sera plus efficace.
— Parce que depuis la crise, c'est le chaos. Edmund a trop bien cloisonné ses agents et beaucoup de contacts ont été perdus. Pour l'instant, on ne peut compter que sur ceux qui nous ont rejoints physiquement.
C'est une bonne façon de détourner la question, mais Abhaya sait que ça ne durera pas. Admettre à la place d'Edmund que son réseau a des soucis, c'est déjà admettre la moitié de la vérité. Choy a raison,et ça fait mal à Abhaya de l'admettre, le puissant réseau d'espions d'Edmund aurait été idéal pour cette mission. L'homme savait si bien organiser ses troupes qu'il pouvait faire collaborer trois agents ayant des buts opposés, tous certains de travailler pour un chef différent. Il avait été un cauchemar aussi bien pour les HR dans le Nord que pour l'Hydre dans le Sud, un allié naturel face à la SRAM, lorsqu'il n'était pas lui-même en train de noyauter la SRAM dans son propre but, ou de vendre des rebelles au B.A.G.N. pour mieux placer ses pions. Il n'avait même aucun scrupule à travailler main dans la main avec les antiterroristes.
Anura lui a assuré qu'elle avait récupéré une partie du réseau d'Edmund à sa mort, mais ça reste un équilibre précaire, basé sur un mensonge. Même habitués au cloisonnement strict et au goût du secret de leur chef, les agents d'Edmund ne sont pas choisis parmi les imbéciles et ils savent bien qu'il y a un problème. Lorsqu'ils se rendront compte qu'on les a manipulés, Anura aura des ennemis redoutables dans tous les appareils importants de la société. De plus, surtout en l'absence d'Hindgame, elle ne peut pas faire appel aux agents les plus utiles, ceux qui sont restés dans l'armée ou le B.A.G.N.
Choy ne semble pas convaincu, mais n'insiste pas. Yoro non plus n'aime pas ça, ça se voit sur son visage. Il est sans doute assez intelligent pour être un bon hacker, mais il est trop jeune ou trop entier pour faire un bon espion. Jamais Edmund ne l'aurait placé à une position aussi cruciale.
Anura poursuit :
— Ils sont sortis de l'influence du Réseau lorsque leur voiture a eu un accident, dans la forêt de Nassala. Il nous faut la trace de tous ceux qui se sont approchés de cette zone, retrouver par où ils en sont sorti et retracer la suite de leur trajet. Ceux qui sortent du Réseau sont nos suspects. On remontera le reste de la piste sur le terrain.
— Vous avez du monde pour ça ? Et est-ce qu'on peut compter sur l'aide des Techs ? Ça nous aiderait sacrément...
— Non, je dois les garder à l'abri. On a des agents de terrain, mais pas de quoi monter un assaut contre une forteresse, si c'est ce qu'on trouve, alors je suis prête à entendre toutes les suggestions.
— Le Gouvernement ne vous en doit pas une ? Après tout, c'est grâce aux Techs que l'économie ne s'est pas effondrée malgré l'abandon de la SRAM, non ? En tous cas c'est ce que tout le monde dit.
— J'aimerais éviter d'en arriver là, mais ça reste une solution. Je continue à chercher, de votre côté il faut déjà retrouver cette piste. Nora va accompagner Yoro jusqu'à vous. Bonne chance.
— Bon courage."
Alors que le jeune homme part rejoindre Nora, Abhaya profite d'être seule avec sa soeur pour lui conseiller :
"Attends un peu. Prends un moment pour respirer et réfléchir. Tu en dis trop devant ceux qui ne devraient pas savoir.
Anura la regarde un peu interloquée, puis rit doucement :
— Ah, il faut croire que trente ans de réclusion, ça ne m'a pas bien préparée à comploter...
Elle soupire, se frotte les yeux et ajoute, butée :
— De toute manière, je n'ai pas le choix, Abhaya. Qui pourrait le faire à ma place ? Stones est pétrifié par tout ce qui se passe, Hindgame a disparu, et toi... toi, je suis heureuse de t'avoir ici, mais tu n'es pas des nôtres. Tu as ton propre rôle à jouer en tant qu'ambassadrice. Et qui sait quels renseignements ils sont en train d'extorquer à Hindgame en ce moment même. Ils en savent peut-être déjà plus sur le réseau d'Edmund que tout ce qu'elle a bien voulu me dire. Et Mok n'a aucune raison de ne pas leur dire qu'Edmund est mort, à part le fait qu'il déteste tout le monde et ne répond jamais quand on lui pose une question... Mais ces salopards savent faire un interrogatoire. Bordel, ça me rend dingue !
Ces derniers mots sont ponctués par un coup de pied donné à un mur, qu'Anura foudroie du regard comme si elle le défiait de protester. Abhaya lui demande :
— Concrètement, sur qui est-ce que tu peux compter en ce moment ?
— Concrètement, ce qu'il me faudrait, c'est un relais vers le B.A.G.N., mais ils me laissent en attente. L'armée, n'en parlons pas. Je pourrais demander aux enfants de les pirater pour qu'ils croient que leurs instructions viennent de l'intérieur, mais je ne veux pas qu'ils retournent sur le Réseau maintenant alors que la SRAM est en train de leur tendre un piège...
— Et ici, dans la tour, qu'est-ce que vous avez comme force de frappe ? Si vous avez tout le matériel SRAM, ça devrait aider.
— Tout est tech, on ne peut pas l'utiliser. Ils nous attendent au tournant...
— Tout est tech ? Quelqu'un a vérifié les stocks ? On parle de la SRAM, ils sont paranoïaques. Et vous avez plusieurs anciens SRAM qui se sont engagés avec les Techs, est-ce que tu les connais bien ? Demande-leur s'il y a quelque chose qui peut être fait. Tu as bien chargé quelqu'un de la sécurité de l'immeuble ? Quelqu'un qui a plusieurs personnes formées sous ses ordres ?
— Oui, c'est un agent d'Edmund, il travaille avec plusieurs SRAM et... je ne sais pas pour les autres. Mais si je les envoie, je n'ai personne pour veiller sur les enfants ici, à part le système de sécurité tech.
— Tu crois que la chose pourrait l'ouvrir ?
— Elle, je ne sais pas, mais eux c'est certain. Ils doivent tous commencer à avoir peur que leurs amis à l'extérieur ne subissent le même sort que Mok... je vais demander à Malone et à Sanx de se barricader ici aussi, ce sera déjà ça de fait...
— Malone ?
— L'acteur. Un amateur d'extraterrestres, apparemment. Même si avec tout ce qui arrive, ça a dû lui passer... Bon, si on est tous dans la tour en sécurité, les enfants ne devraient pas faire trop de bêtises. En plus, Stones reste avec eux. Après... si ça ne te dérange pas, tu pourras aussi passer les voir et les rassurer ? Je te donnerai les autorisations nécessaires. Tu as l'air d'avoir un bon contact avec eux, et... et moi, de toute façon, je dois essayer d'organiser cette opération. Tu as raison, il faut déjà que je fasse le compte des ressources que j'ai sous la main.
— Très bien. Mais dès que tu auras le temps, viens les voir aussi. Ils en ont besoin.
— Ils ont besoin que quelqu'un prenne les choses en mains et veille sur eux. Pour le reste... ils sont forts, et tant qu'ils restent ensemble, ils iront bien. Ils n'ont pas besoin de moi pour les réconforter.
Il y aurait beaucoup à redire à cette affirmation, mais Anura n'a pas tort sur un point, le temps presse. Abhaya se contente donc de lui signaler doucement :
— Ils auront toujours envie de te voir, que ce soit pour les réconforter ou les applaudir. Ne mets pas une barrière entre les enfants et toi.
— On en reparlera plus tard. Merci en tous cas. Pour tes conseils, pour ton aide... Je suis heureuse que tu sois là.
— Ohoui, on en reparlera, tu peux me faire confiance. Et que ce soit pour desconseils ou une aide plus concrète, tu sais que tu peux compter sur moi."
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