Partie 38 : l'échappatoire
Mok :
Mok émerge lentement du sommeil. Il sait qu'il devrait se réveiller plus vite. Il y a danger. Il ne devrait même pas être encore vivant. Mais la peur, vieille compagne de la survie, ne suffit pas à le faire bondir hors de son lit. Il arrive à peine à ouvrir les yeux. On l'a drogué. Avec quoi, difficile à dire, mais c'est de la qualité. Il n'a pas mal à la tête, ses pensées lui semblent claires. Les souvenirs de sa capture aussi. Pourtant, ses membres sont aussi lourds que du plomb. Il n'arriverait même pas à se gratter le nez dans cet état.
Il est en vie et visiblement on ne lui veut pas de mal. C'est déjà un bon début. Quant au reste... Tôt ou tard, 5 va débarquer et leur apprendre à tous à ne pas contrarier les Princesses-Esprits. En attendant, il ne peut qu'attendre. Mok replonge dans le sommeil.
Lorsqu'il se réveille plus complètement, des heures sont sans doute passées - en tous cas il arrive à bouger les muscles sans avoir l'impression qu'ils sont composés de sable. Mieux. Par contre, ses membres ne vont pas bien loin. Il est couché dans un lit, les bras et les jambes attachés aux barreaux. Ça, c'est mauvais.
Le garçon prend le temps d'examiner son environnement. Pièce vide, murs nus, un gardien portant un masque de médecin sur le visage, qui se lève immédiatement en voyant Mok tourner la tête :
"Comment ça va, petit ?
— Je... je suis tout lourd... je bouge pas bien...
— C'est normal, ça va passer tout seul... On va te garder allongé quelque temps, pour ton bien. Ne t'inquiète pas. Tu es dans un hôpital ici.
Un hôpital ? Thune avait un hôpital, dans son repère, une salle où on soignait les combattants, en général parce qu'ils étaient blessés. Rien à voir avec le mouroir des malades de la dixe, juste en dessous, mais là-bas on se marchait dessus. Et surtout, si quelqu'un était attaché, ça voulait dire...
— Vous allez me couper un truc ? s'exclame Mok horrifié.
Il tire sur ses liens de toutes ses forces, oubliant de mentir sur son état. Il ne se sent pas blessé ni malade, hors de question de se faire amputer !
Le gardien laisse échapper un petit rire et lui tapote la tête amicalement :
— Mais non, ne t'inquiète pas ! En plus, on dirait que ça va beaucoup mieux, mon grand ! On ne va pas t'opérer ni rien.
Mok se crispe sous le contact. Il ne sait pas exactement ce qu'on fait pendant une opération, mais il a déjà entendu ce mot et sait que ça se finit avec un cadavre et beaucoup, beaucoup de sang à nettoyer. Il parait qu'à l'extérieur, avec du bon matériel, ça soigne des gens. Absurde. Personne ne peut guérir alors qu'on l'a ouvert en deux, ça tombe sous le sens.
Mais il doit retrouver son calme et surtout sa logique. Tout ce qu'il peut faire, c'est parler, et bien qu'il déteste abattre ses cartes sans savoir exactement ce qu'on lui veut, il tente :
— Il faut pas me faire ça, j'ai mon amie, c'est une Tech, une très forte très puissante Tech, faut pas me toucher sinon elle va venir, elle va me venger et tous vous buter, elle peut tuer avec sa tête, elle a même pas besoin de venir ici, elle voyage avec son esprit et elle va vous exploser le crâne !
Cette fois, le gardien éclate franchement de rire :
— Oh, ça c'est de la belle menace, et je m'y connais ! On m'en fait à chaque fois. Mais c'est vrai que tu as la chance d'avoir une amie très spéciale. Donc, j'imagine qu'on n'en est plus au stade où je te rassure en t'expliquant que tu es malade et qu'il va falloir être très sage, n'est-ce pas ?
Encore quelqu'un du dehors amoureux de sa propre voix. Le Prophète n'était pas si spécial après tout. Mok change de stratégie - promettre vengeance pour sa mort n'empêchera pas qu'il soit tué après tout.
— Vous la voulez ? Vous voulez mon amie ?
— Pourquoi, elle est à vendre ?
— Tout est à vendre. Elle est Tech, elle est très puissante. Très précieuse. Très très chère. Si je m'arrange qu'elle vient, je veux sortir, je veux des armes, je veux de l'argent.
— Rien que ça ? En même temps, ce n'est pas stupide. Pour un sale petit rat des ghettos. Quoique, non, rat c'est encore faire trop d'honneur à quelqu'un comme toi. Cafard, ça t'irait mieux. Une petite vermine grouillante. Tu n'es pas en position de négocier quoi que ce soit, gamin.
C'est censé être une insulte ? Tout le monde sait que la meilleure façon de chasser les rats, c'est de commencer à les manger. Alors que personne n'arrive à se débarrasser des cafards. Cet homme ne sait rien à rien, comme tous les autres, et ça ne l'empêche pas de se vanter comme s'il savait tout.
L'homme continue :
— Ne t'en fait pas pour ton amie Tech, on va s'en charger. On a encore des petites choses à te demander, mais je ne pense pas qu'on te récompense avec de l'argent et des armes, et je ne te parle même pas de sortir. Non, on va plutôt la jouer comme ça : plus tu es obéissant, moins tu as mal. C'est un bon deal aussi, non ? Je suis sûr que c'est le genre de deal que tu comprends.
Il regarde Mok et soupire :
— En fait, tu ne comprends rien de ce que je raconte, hein ? On va faire simple : tu fais ce que je te dis, sinon j'explose ta sale tronche de cafard. Tu comprends mieux, là ? Réponds quand on te parle !
— C'est quoi que je dois faire ?
— Ah, voilà, ça c'est mieux ! On a encore un message à enregistrer. Pour ton amie Tech, justement. Viens par là.
L'homme commence à défaire ses liens. Non, pas des liens, des menottes larges, avec un renforcement à l'intérieur pour les adapter à la petite taille de ses poignets et de ses chevilles. Mok entend un cliquetis lorsque tout s'ouvre, mais il a beau se tordre le cou, il n'arrive pas à voir comment son geôlier s'y est pris. Une clé ? Un code ? Il semble avoir juste posé la main dessus...
Le gardien le remet sur ses pieds en l'attrapant par la nuque et lui laisse quelques instants pour retrouver son équilibre. Mok fait mine de s'agripper nerveusement au rebord de son pull. On lui a laissé ses vêtements, ce qui veut dire qu'il doit avoir encore les billes techs données par 5, cachées dans la doublure. Oui, il sent encore les renflements... Il doit s'évader vite, avant qu'on ne lui change ses vêtements sous un prétexte ou un autre et qu'il se retrouve sans ressources. Avec une de ces billes, se débarrasser d'un unique adulte sera très simple, ensuite il n'aura plus qu'à percer un trou vers...
C'est ça le hic. Un trou vers où ? Une autre salle remplie d'ennemis ? Sans doute armés ? Et après ?
Il comptait sur 5 et les autres Techs, mais il n'a pas vu un seul fil d'or dans cette salle, et l'homme compte visiblement l'utiliser pour piéger la jeune Tech. Donc ils sont prêts contre les Techs. Après tout, sans tech, les Princesses-Esprits ne peuvent rien faire, c'est comme ça que Thune avait réussi à les capturer en premier lieu.
Il faut tenter une autre stratégie...
— Je sais des choses, insiste le garçon, je sais des choses de comment attraper les Techs. Vous voulez de moi pour 5, mais vous aurez pas les autres. Milley les surveille. Je sais de comment faut faire pour attraper les autres.
L'homme lâche son cou pour lui asséner une claque magistrale sur le côté de la tête. Mok aurait pu l'esquiver, mais c'est le moment de faire soumission. Ce type veut dominer ? Autant le satisfaire à moindres frais et ne pas lui laisser le temps d'imaginer des idées plus douloureuses. Thune ne tolérait pas ce genre de personne dans son armée, à ses yeux la cruauté gratuite ne faisait que détruire les soldats mêmes bien entrainés, et se propageait parmi les enfants comme un feu de paille. Pour lui la violence devait être ordonnée et bien calibrée pour que la discipline règne. Mais il y a toujours des grands qui aiment frapper plus fort que nécessaire, qui ont du plaisir à voir les autres souffrir et gémir, supplier pour la clémence. Cet homme-là a l'air d'être du nombre. Mok lève les mains en signe d'apaisement et explique :
— Je demande rien, je veux juste j'aide et personne me tape, d'accord ? Je sais y a quelqu'un qui va vous aider. Je sais qui c'est.
— Très intéressant... Mais ce sera pour plus tard. On doit faire cette vidéo avant que je ne m'occupe vraiment de t'interroger en détail sur tout ce que tu sais.
— Bart ! s'exclame une voix féminine impérieuse. Qu'est-ce que tu fous ?
— J'arrive ! On discutait, c'est tout !
— Ne le terrorise pas avant la vidéo ! Et j'espère pour toi que tu ne l'as pas touché. Ombre a obtenu la validation du sommet pour son plan, pas d'interrogatoire avant son feu vert.
Le dénommé Bart jure. Agrippant à nouveau la nuque de Mok, il le fait sortir de la pièce jusqu'à rejoindre la femme autoritaire et une poignée d'autres adultes dans une grande salle tout aussi nue que la pièce d'où ils viennent. Toujours pas la moindre trace de tech autour d'eux. On le fait assoir sur un tabouret, devant une grosse machine menaçante, et un homme plus jeune que Bart lui demande :
— Tu sais lire ?
— Non.
— Bon, alors je vais te dire des phrases à apprendre par coeur, d'accord ? Après, tu vas les répéter en regardant bien la caméra.
— La quoi ?
— Là. La partie en verre. Tu vas la regarder comme si c'était une vraie personne et répéter ce que je vais t'apprendre. Écoute bien : "5, il faut que tu viennes me sauver. Ils ont promis que tout se passerait bien si c'était toi qui venais. Sinon, ils vont me tuer. Je t'en prie, 5, tu es la seule à pouvoir m'aider." C'est bon ? Tu comprends ? Je vais répéter...
— Vous faites un piège à 5.
L'homme roule des yeux et tapote la tête de Mok d'un geste condescendant, prenant ainsi la deuxième place dans sa liste des gens à tuer ici si l'occasion se présentait. Bart garde sa première place avec une longueur d'avance, mais les autres occupants de la pièce ne sont pas des tendres non plus. Personne ne défendra le garçon, et si 5 ne vient pas, il leur sera inutile et ils le tueront sans hésiter.
— Ne t'en fais pas, assure le gars qui veut le faire répéter, il ne lui arrivera rien, tant que vous nous écoutez bien tous les deux.
Tous ces adultes le prennent vraiment pour un imbécile. C'est toujours utile, mais c'est rageant. Mok réplique :
— Avec moi vous allez attraper que 5 et pas les autres Techs. Je connais tous les Techs, j'étais avec eux tout le temps, je sais vous aider, je sais qui faut prendre pour tous les avoirs. Je dis ça pour aider et vous me tuez pas, c'est d'accord ?
Quelques ricanements éclatent, vite réduits au silence par la femme qui avait déjà crié sur Brat. Elle lui répond, tout sourire :
— C'est une très bonne idée, ça. Vas-y, dis-nous tout.
Mok la regarde droit dans les yeux. Elle ne le croit pas, mais elle est intéressée. Il lâche timidement, comme s'il trahissait un énorme secret :
—Thune. Il s'appelle Thune et il sait tous les secrets des Techs."
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