Abhaya Singh :

On frappe à la porte du studio réservé à Abhaya, elle entend une voix demander :

"Est-ce que vous êtes prête ? Le professeur Milley veut refaire le point avec vous.

Abhaya est prête. La nuit qu'elle a passée a été agitée et elle sent encore l'impact du décalage horaire, mais ce n'est pas sa première ni sa dernière fois et elle sait comment gérer. Elle n'a pas pu parler avec sa nièce seule à seule, ce qu'elle regrette, mais l'urgent a été fait, Aurore est en ce moment même en train de transmettre la demande et la proposition d'Anura à toute l'Hydre. Les premières réponses commenceront à être envoyées dans la soirée. D'ici là, elle n'a rien de nouveau à apporter à sa sœur, donc cette invitation a sans doute un caractère privé, non ?

Elle suit son guide dans le labyrinthe du bâtiment jusqu'à arriver devant un appartement, où il la laisse seule. Seule alors qu'ils ont passé ensemble quatre portes sécurisées. Au moins, Anura lui fait réellement confiance... ou il y a un réel problème de sécurité dans l'organisation chaotique du lieu. Sans hésiter, Abhaya frappe à la porte et entre sans attendre de réponse.

Elle est accueillie par Anura, un homme qu'elle présente comme le professeur Stones, et sept enfants et adolescents qui la dévorent du regard.

Anura se racle la gorge et explique, mal à l'aise :

"Je me suis dit qu'il valait mieux prendre le temps de faire les présentations. On n'a pas tellement de personnes de confiance autour de nous, et si jamais... si jamais il se passait quelque chose, ce serait bien qu'ils te connaissent. Donc, les enfants, voici ma soeur Abhaya Singh. Abhaya, voici les Techs. Tu préfères utiliser leur nom humain ou leur numéro ?

— Heu... comme vous préférez, moi ça m'est égal ! Bonjour, je suis contente de vous rencontrer !

— Décide, ils s'adaptent selon ce qui rend les gens le moins mal à l'aise... Alors, le grand c'est 1, qui s'appelle aussi Ben, ensuite elle c'est 2 Betsie, 3 Nora, 4 Neil, 5 Victoria, 6 Steven et 7 Juliette.

Au fur et à mesure de l'énonciation, les Techs nommés se lèvent pour serrer la main d'Abhaya, semblant encore plus fascinés de la voir qu'elle l'est elle-même. Comme si c'était elle la personne extraordinaire, celle qui ne devrait pas exister, et pas eux. Elle leur sourit le plus gentiment possible et prend leur main avec ses deux mains pour essayer de faire un peu plus de chaleur que ces salutations formelles. Ce sont les créations de sa sœur plus que ses enfants, mais ce sont des enfants, impossible d'en douter. Leurs émotions se lisent sur leurs visages, eux aussi sont avides de liens, ils guettent pour savoir qui elle va être pour eux, si elle va faire partie de leur vie à présent. À part 3, qui l'examine avec suspicion, le visage fermé. Nora. Anura a dit que c'était les Techs qui avaient choisi eux-mêmes leur prénom, et le fait qu'elle se soit baptisée comme la fille d'Anura n'est pas une coïncidence, c'est certain. Il y a de nombreuses histoires derrière ces noms. Abhaya espère les entendre un jour.

La petite dernière était dans les bras de 1, qui l'a posée sur le canapé pour saluer, avant de la reprendre. Lorsque c'est son tour de dire bonjour, elle ne tend pas la main comme les autres, mais lève les bras, et elle est si petite, c'est avec tout le naturel de l'évidence qu'Abhaya la prend dans ses bras et l'amène à hauteur de son visage pour la saluer. La petite ne lui répond pas, mais se niche contre son cou.

Abhaya demande à sa soeur :

— Elle a quel âge ?

— Quatre ans.

Quatre ans. Abhaya a deux petits-enfants, Arun et Sashi, qui ont 5 et 3 ans, et la comparaison s'impose immédiatement. La septième Tech ne devrait pas être aussi légère, ni aussi silencieuse, ni aussi immobile une fois blottie contre une inconnue. Là aussi, des questions s'imposent. Mais plus tard, comme toujours, aussi Abhaya se contente de sourire et de commenter :

— Elle est si mignonne.

Elle s'assoit sur le canapé à son tour, la petite sur les genoux. Les autres Techs se sont rassis autour d'elle et elle leur adresse son plus beau sourire :

— Vous êtes tous magnifiques ! Je suis si heureuse de vous voir !

Ils lui sourient, soulagés, comme si son opinion d'inconnue comptait vraiment, et Abhaya aimerait tous les attraper en même temps et les serrer contre son cœur en leur promettant que tout va bien, qu'ils sont aimés, protégés, et que personne ne pourra leur faire de mal.

2 lui répond :

— C'est un plaisir pour nous aussi, Madame Singh ! Nous ne savions pas que le professeur Milley avait une soeur !

— Oh, appelez-moi Abhaya, et tutoyez-moi. Après tout on est dans la même équipe, non ?

Le mot famille ne plairait sans doute pas à Anura, si elle leur demande encore de l'appeler professeur Milley.

C'est 5 qui ose la première se lancer et lui demande :

— Tu as des enfants ?

— J'en ai deux, ils s'appellent Vivek et Tanuja. Et j'ai deux petits-enfants, Arun et Sashi.

— C'est quoi ton métier ?

— Je suis chercheuse en agronomie, j'essaye de trouver comment améliorer l'agriculture.

3 demande à son tour :

— Pourquoi vous n'êtes jamais venu voir le professeur ?

— Parce que je croyais qu'elle était morte. C'est ce que tout le monde croyait.

— Et Nora ?

— Je suis sudienne. C'est difficile pour moi d'obtenir un laissez-passer pour le Nord, même pour voir ma nièce.

4 demande :

— Mais le professeur Milley est sudienne aussi ?

Anura répond :

— Je suis née dans un pays du sud, mais c'était avant que l'AGN ne soit créée et ne ferme les frontières. Je suis venue dans le nord pour mon travail.

Tous les enfants semblent pendant quelques secondes être perdus, leurs regards éteints ne fixent plus rien dans la pièce, puis ils retournent à la normale et 5 s'exclame à Anura :

— Mais pourquoi les frontières sont fermées ?

— Pourquoi tu veux savoir ça ?

— On ne comprenait pas, alors on a demandé à 1 et 2 pourquoi Abhaya ne pouvait pas passer la frontière, et ils nous ont envoyé tout ! Pourquoi est-ce que c'est comme ça ?

— C'est comme ça, c'est tout, ce n'est pas à toi de...

— Mais c'est pas juste ! Pourquoi on ne peut pas les ouvrir ? C'est la SRAM qui les a fermées !

— 5, s'il te plait, ne commence pas...

Nouveau silence avec cette impression que les enfants se perdent dans leurs pensées en même temps, puis reviennent à eux. 5 reste renfrognée tandis que 1 insiste :

— On ne peut pas tout faire à la fois. On travaille à régler les problèmes, il faut encore être patient, c'est tout.

— C'est trop long ! Pourquoi on attend...

2 pose la main sur le bras de sa soeur et dis tranquillement :

— 5, calme-toi. Je sais que tu es frustrée de ne pas être en train de le faire toi-même, mais ce sont des sujets compliqués, il faut bien réfléchir à toutes les conséquences avant d'agir. Tu sais qu'on peut facilement faire des catastrophes juste parce qu'on n'a pas pensé à tout.

Se tournant ver Abhaya, la jeune fille précise :

— Excuse-la, elle est un peu bouleversée en ce moment. Son ami devrait bientôt partir...

— Ce n'est pas pour ça ! proteste 5.

4 s'écrit :

— Hé, toi tu as de la chance, tu as pu le garder super longtemps ! Moi ça fait des jours que je ne peux plus voir Josh ! Pourquoi ? Je suis sûr qu'il s'inquiète !

Le professeur Stones explique :

— Tu sais, il a son travail, il ne peut pas venir te voir n'importe quand...

— Je peux l'appeler !

— Non, vous ne pouvez pas retourner sur le Réseau, c'est dangereux...

— Mais c'est mon ami !

— C'est un adulte, c'est différent de...

— Oui, mais lui il jouait avec moi, et ça lui faisait plaisir, il faisait pas semblant !

Milley tranche :

— Un adulte qui ramène des enfants inconnus chez lui, ce n'est pas quelqu'un de fiable. Oublie-le. On va essayer de trouver d'autres personnes avec qui vous pourrez jouer, pour l'instant soyez encore un peu patients.

Le regard de 4 s'éteint, si brièvement qu'Abhaya n'est pas sûre de l'avoir vu, mais après ça il retrouve son calme. Quoi que ses frères et sœurs lui aient dit, ça a marché, et ça n'était pas pour les oreilles des humains.

Anura reçoit un message, fronce les sourcils et dit :

— Quelqu'un doit m'expliquer quelque chose, je reviens tout de suite. En attendant, ce n'est pas la peine de profiter qu'Abhaya soit là pour réclamer toujours les mêmes choses, prenez le temps de faire un peu sa connaissance...

Tandis que sa soeur part, Abhaya reprend un peu la main et commence à leur raconter à quoi ressemble son pays et des anecdotes sur leur enfance. Elle veille à humaniser au maximum sa soeur, et ça semble fasciner les petits Techs. Dans ses bras, la petite 7 finit par émerger de sa léthargie et se redresse au milieu d'une anecdote sur les peluches pour expliquer avec aplomb :

— Moi, j'ai une peluche Mitzie.

— Mitzie ?

— Oui. C'était mon amie. Mais elle est morte.

Stones intervient :

— Allons, Mitzie va bien, elle est juste restée... dans notre ancienne maison...

Il explique maladroitement à Abhaya, tandis que 1 reprend 7 sur ses genoux :

— Les enfants ont dû laisser son doudou dans le laboratoire quand ils se sont enfuis. Et quand on y est retourné, les circonstances étaient... on n'a pas pu aller la chercher.

— Est-ce que... est-ce que vous pouvez me raconter ce qui s'est passé ? Ou c'est confidentiel ?

— Je ne peux pas rentrer dans les détails, mais ce qu'il faut que vous sachiez, c'est que les enfants se sont débrouillés seuls. C'était difficile, ils ont eu peur, ils ont dû prendre des décisions beaucoup trop lourdes pour leur âge, mais ils ont fait ce qu'il fallait. Maintenant, le retour à la normale est un peu rude, mais on y travaille...

Lesenfants lui sourient, avec une certaine tristesse. Comme s'ils ne croyaientplus à ces promesses, mais savaient qu'elles venaient d'une volonté de bienfaire...