Partie 25 : trouver la faille
Ombre/Yulia
"Professeur Stones ? Je vous présente Yulia Esterberch. Elle travaille à la criminalité financière du B.A.G.N. et a des contacts qui peuvent nous aider avec le côté... social du problème. Yulia, voici le professeur Stones, qui a créé les Techs avec le professeur Milley."
Avec un léger signe de tête, Swan laisse Ombre dans le bureau du professeur Stones, qui lui serre gentiment la main. Intéressante présentation... pas de titre, pas de rôle dans la structure émergente, juste un accomplissement passé qui justifierait qu'il ait une place à bord aujourd'hui... Qui est-il exactement pour Milley ? Pour Edmund ? Que pense-t-il de la situation, quelles sont ses ambitions ?
Pour l'instant, il semble surtout effacé, épuisé, et bienveillant. Dans cet ordre. Après s'être raclé la gorge, il demande à Yulia :
— Alors comme ça vous vous y connaissez en... je ne sais même pas comment dire...
— Gestion des problématiques sociales ? Un peu. Et surtout, je sais à qui je pourrais demander de l'aide. Des personnes qui partageraient nos vues politiques et ne seraient liées ni au gouvernement ni à la SRAM...
— Vraiment ?
Le regard de Stones s'éclaire, comme s'il voyait enfin une solution à un problème qui lui pesait. Ne reste plus qu'à espérer qu'il s'agisse bien de l'enfant...
— Ce serait parfait, ça... On a dû recruter beaucoup de monde ces derniers temps, et bon, les enfants vérifient leur passé, bien sûr, mais c'est toujours compliqué de savoir à qui faire confiance... En fait, on est un peu coincés dans cette situation, donc pour l'instant on ne fait rien.
— Je comprends.
— On a même recruté des anciens de la SRAM ! Et ils semblent sincères, tout comme vous, vous êtes sans doute sincère, mais... Je dois bien avouer que je n'aime pas ça. Je préfère être franc avec vous. Je sais qu'il faut qu'on avance vite et bien, que dans notre situation attendre que tout soit sous contrôle serait l'échec assuré, donc on tente quand même... Mais c'est toujours un coup de poker, et personnellement, ce n'est pas mon jeu préféré.
Il adresse un sourire fatigué à Ombre, comme pour se faire pardonner de douter d'elle. Ses doutes sont sûrement souvent rabroués par le reste de son équipe. Mme Tosrak estimerait quant à elle qu'il est le seul à peu près sain d'esprit dans cet immeuble. Question de perspective.
La jeune femme répond :
— Je ne peux même pas imaginer tout ce que vous devez traverser en ce moment, toute cette pression... Mais c'est vrai, toutes les décisions que vous prendrez maintenant sont décisives, déterminantes pour notre avenir à tous, et vous ne pouvez pas vous permettre d'attendre. De mon côté, je suis prête à aider pour toutes les petites choses qui seraient à ma portée, mais si vous estimez que c'est un trop gros risque, je suis prête à vous offrir toutes les garanties qui vous rassureraient.
Sourire empathique et non-verbal dynamique : chaleureuse et efficace, tout ce qu'il faut pour convaincre les faibles de vous confier le fardeau qui leur pèse tant... Stones lâche piteusement :
— En réalité, je ne sais pas du tout quoi faire. Je ne sais même pas si vous pouvez m'aider. Swan a cru bien faire, mais...
— Là, il va falloir que j'en sache un peu plus pour voir si oui ou non je peux faire quelque chose.
— Oui, oui, bien sûr... Il s'agit d'un enfant... Il vient du Ghetto. On ne sait pas trop... Très clairement, on n'a aucune autorité sur ce gamin. Il n'a peur de rien et surtout de personne. Il écoute un peu les Techs, et encore, ça va plutôt dans l'autre sens, ce sont eux qui l'écoutent beaucoup... Je veux dire, ce n'est sans doute pas une mauvaise chose qu'ils jouent avec des enfants humains de leur âge, on aurait dû les sociabiliser beaucoup plus tôt d'ailleurs... Enfin, les choses se sont faites comme ça, et au final ce garçon est leur premier ami enfant, et ils y sont très attachés...
— Donc ce serait difficile de les séparer maintenant ? Même si on leur explique que cet enfant ira dans une bonne maison ?
— Il ne peut pas aller n'importe où non plus, ou parler à n'importe qui. Il sait des choses sensibles sur... beaucoup trop d'éléments. Et il ne les comprend sans doute pas. Tout ça pourrait faire naître n'importe quelle rumeur... Ou pire. Si la SRAM savait...
Décidément, ce petit semble de plus en plus intéressant. Reste à trouver comment lui mettre la main dessus...
— Si j'ai bien compris, il faudrait le séparer des Techs, tout en douceur, et le garder en sûreté loin de la SRAM, auprès de personnes de confiance ?
— C'est ça.
— Pourquoi pas les HR ? Vous travaillez avec eux, non ?
— Une alliance de circonstance.
Il n'ajoute pas qu'il ne leur accorde aucune confiance, mais il n'en a pas besoin. Parfait. Le mystère reste Edmund. Ce n'est pas le genre de l'homme de l'ombre de laisser un simple gosse mettre à mal ses plans. Il ne manque pas de cachettes ni d'hommes de confiance pour les tenir, et si besoin, tuer un enfant ne lui a jamais posé de problème de conscience. Est-ce que ça a un lien avec l'ouverture des Ghettos ?
Ombre hésite, mais décide de ne pas poser la question. Son personnage peut connaître l'existence d'Edmund par bruits de couloir au B.A.G.N., l'évoquer directement semblerait suspect. Elle tente :
— Donc, dans l'idéal, ce serait des civils. Tellement éloignés de la politique que quoi que le gamin raconte, ils n'y croiraient pas ou n'y verraient aucun sens.
— Peut-être... peut-être... Mais ça ne les mettrait pas à l'abri de la SRAM...
— Et si...
Ils sont interrompus par une série de coups toqués à la porte, après quoi une femme en uniforme SRAM passablement énervée déboule sans attendre de réponse, tenant par le col deux gamins. Le premier a la peau brune et des boucles châtain, il semble piteux comme un chaton tombé dans un seau d'eau. Le second est noir, a laissé pousser ses cheveux crépus dans une totale anarchie, et ses yeux lancent des éclairs de fureur.
Ça, c'est un sacré coup de bol.
La femme qui les a amenés fulmine :
— Je viens de les surprendre en train d'essayer d'entrer dans la salle de recherche principale ! En trafiquant les codes de sécurité ! Le professeur Milley n'avait pas le temps de s'en occuper et elle m'a dit de vous les amener. Il faut absolument resserrer la discipline, sinon nous ne pouvons pas les garder là, pour des raisons de sécurité !
— Je comprends, je comprends, je suis vraiment désolé, Masha. Vraiment. Justement, on était en train d'en discuter. Laissez-les-moi, d'accord ?
— Très bien, mais vous savez ce que j'en pense !
— Tout à fait. Merci d'avoir pris le temps de vous occuper de cet incident.
Masha fait demi-tour et sort aussi en furie qu'elle est entrée. Pendant ce temps, le garçon piteux est resté figé sur place en se tordant les mains, indécis, tandis que l'autre a fixé toute son attention sur Ombre, tentant de l'évaluer du regard. Elle lui rend la pareille. D'un air méfiant, il se place à côté de son camarade, sans la quitter des yeux.
Avec un soupir, Stones fait les présentations :
— Yulia, vous avez du coup l'occasion de rencontrer l'un des jeunes Techs. Voici 4. Et à côté se trouve Mok, qui est justement le jeune homme dont nous parlions. Les enfants, voici Yulia Estra...
— Esterberch.
— Estrabeche, oui, merci, elle va peut-être nous rejoindre.
— Bonjour Madame ! la salut 4 en lui tendant la main.
Ombre la serre, tandis que Mok répète mécaniquement les mots de 4. L'espionne lui tend la main également, ne récoltant qu'un regard neutre et une question :
— Vous avez pas peur de la dixe ?
— Pourquoi, tu l'as ?
— Pas moyen, répond-il avec un sourire fier, je suis un enfant de Thune !
— Alors, il n'y a pas de problème.
Il lui serre la main avec soin, comme s'il avait beaucoup répété ce mouvement dans sa tête, mais le pratiquait pour la première fois. Le premier contact n'est pas mauvais, il y a même des chances qu'il s'attache facilement à elle si tous les adultes autour de lui jouent les poules mouillées à cause de la peur de la dixe. Comme si ça se transmettait si facilement. D'ailleurs l'enfant n'en présente aucun symptôme physique. Par contre, ses dents sont dans un état épouvantable et il est bien trop maigre. Sans parler de ses cheveux et de ses ongles. Visiblement, personne ne s'est donné la peine de lui donner une apparence civilisée... Évidemment qu'il n'écoute personne ici. Il n'a même pas la promesse hypocrite de faire partie de leur monde en leur ressemblant.
Ombre demande :
— C'est quoi, ça, un enfant de Thune ?
— Thune est notre chef. Il nous garde loin de la dixe et il protège le Prophète. C'est lui qui a sauvé les Techs pour qu'ils ouvrent les portes. C'est comme ça qu'on est sortis. Hé, il parait que maintenant les portes restent tout le temps ouvertes. C'est vrai ?
Difficile de dire s'il espère ou redoute ce fait, mais ce n'est pas le moment de le prendre pour un idiot, et Yulia acquiesce gravement :
— C'est vrai. Les Ghettos sont ouverts et les ordres sont de veiller à ce qu'on s'occupe bien de leurs habitants.
— Tu vois, dit 4, je te l'avais dit !
Ombre ajoute :
— Est-ce que tu voudrais revoir Thune ? Ou tes amis du Ghetto ? Tu avais de la famille là-bas ?
Mok ne répond rien. Il sonde une fois de plus la jeune femme, concentré sur ce qu'il voit, tentant d'analyser tous les indices pour se décider... Et conclut par le silence.
Ce qui n'est pas une décision absurde de la part d'un gamin qui est isolé. Ne pas donner d'informations sur ce qu'on cherche, c'est ne pas laisser de failles. Il ne sera peut-être pas si facile à manipuler après tout, mais ce n'est qu'un enfant, ça reste faisable. Pour l'instant, il faut surtout qu'elle arrive à convaincre Stones de le lui confier.
— Alors, dit-elle aux deux garçons, qu'est-ce qu'il s'est passé ?
4 évite son regard, embarrassé, tandis que Mok reste de marbre. Ombre s'apprête à insister quand deux autres enfants entrent en trombe dans la pièce, ou plutôt que 5 entre en trombe tandis que 3 tente de la retenir en criant :
— On n'a pas le droit d'y aller, les professeurs nous ont interdit de parler aux gens qui...
— C'est bon, l'interrompt le professeur Stones. On va régler ça, d'accord ?
5 s'exclame :
— Mok a rien fait, c'est pas sa faute !
— Ouais, approuve celui-ci, j'ai rien fait, c'est pas ma faute !
3 proteste :
— Il avait rien à faire là-bas, c'est interdit ! Et en plus il a demandé à 4 d'entrer dans le système, on n'a pas le droit de faire ça, on a promis...
Le professeur est rapidement perdu au milieu de la cacophonie. Ombre s'impose d'un vigoureux :
— On se CALME, les enfants ! Personne ne peut vous comprendre si vous parlez tous en même temps !
Les Techs échangent des regards un peu flous, puis 5 repart de plus belle, tentant de convaincre la jeune femme :
— Ce n'est pas de sa faute !
— Ce n'est pas ça la question. Ce que le professeur veut savoir, c'est ce qu'il s'est passé exactement, et pourquoi ça s'est passé.
3 grimace et tous les Techs gardent le silence quelques secondes, comme s'ils réfléchissaient. Sans doute une conversation télépathique. Voir une dispute télépathique, vu les expressions sombres des filles, et la moue piteuse de 4. Stones prend la parole :
— Pour les détails, on verra ça plus tard, quand Yulia sera partie. Elle n'a pas besoin de connaitre le côté technique. Mais elle a raison : je veux savoir pourquoi vous avez fait ça.
Silence. Mok regarde 4, le regard lourd de sens qui est sans doute un appel au silence aussi efficace que les cris télépathiques des autres, et le petit ne dit rien.
Avec un soupir, Stones dit à Ombre :
— Vous voyez, c'est exactement ce genre de problème qu'on a besoin de résoudre.
— Est-ce que vous m'autoriseriez à discuter avec Mok ? Seule à seul ? Je ne lui poserais pas de questions sur les sujets qui vous gênent, ce serait seulement une conversation amicale, histoire de voir si je peux le convaincre de s'ouvrir un peu... et pendant ce temps-là, vous pourrez discuter avec les Techs. Qu'est-ce que vous en dites ?
— Je...
— Vous pouvez filmer dans toutes les pièces, non ? C'est une bonne garantie.
Stones hésite, puis il finit par acquiescer, sous les protestations de 5 :
— Mais pourquoi vous voulez lui parler ? Vous êtes qui ? Lui il veut pas vous parler, laissez-le tranquille !
— 5, dit Stones, ça suffit. Je suis d'accord avec Yulia. Vous trois, vous restez avec moi et vous aller vous expliquer, c'est compris ? Yulia, je vais vous ouvrir un autre bureau.
Passant devant 5, Ombre tente de l'apaiser un peu :
— Je ne lui veux aucun mal. C'est juste qu'on se comprendra mieux en prenant le temps de discuter au calme...
— Je suis dans le Réseau. Tout ce qui se passera dans cette pièce, je le saurai. L'oubliez pas."
Ombre hoche la tête, secrètement ravie d'être ainsi menacée par la petite Tech. Oui, ce gamin sera un appât de choix pour les attirer hors de la protection d'Edmund...
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