Partie 20 : les clés de ce monde
Mok
Mok se faufile dans le jardin intérieur une fois de plus. Non seulement c'est une excellente cachette, au milieu de tous les arbres, mais en plus c'est un terrain d'entraînement parfait. L'entretien des plantes est géré automatiquement par des drones et des robots, il peut donc apprendre à faire fonctionner les machines techs, et essayer d'utiliser les vœux.
Lorsque 5 a parlé à l'alien du Réseau, elle l'a convaincue sans trop de mal d'aider les gens à obtenir ce qu'ils veulent. Mais la réalisation des vœux reste assez aléatoire. L'attention de l'alien peut se focaliser sur un certain nombre de personnes à la fois, mais il reste loin d'être omniscient, et c'est difficile de savoir si il écoute à un moment précis ou non. Ensuite, même si il écoute, il faut qu'il soit d'accord pour exaucer le voeu - là encore, difficile de dire ce qui va le décider à agir. Enfin, il faut qu'il comprenne suffisamment l'instruction pour faire ce qui est demandé.
Mok n'a pas peur de l'alien. Il a un peu de mal à concevoir ce que ça peut être et où ça peut être, mais d'après ce que 5 lui a expliqué, c'est une créature très, très lointaine, qui ne peut agir que sur le tech. Puissante, donc, dangereuse, à ne pas prendre à la légère, mais son pouvoir est plein de failles et son caractère n'est pas hostile, il n'y a donc pas de raisons de s'affoler. Il comprend pourquoi 5 et les autres Techs ont peur de l'alien : les Techs sont des incarnations des Esprits, un Esprit pur peut détruire leurs pensées à volonté. C'est pour ça que la chef Milley ne veut plus que les plus jeunes Techs retournent dans le Réseau, il peut leur arriver des choses terribles. Mais pour lui, Mok, un humain dont les pensées sont bien à l'abri dans un crâne humain, l'alien est plus utile que menaçant.
Enfin, utile reste à voir. Potentiellement utile, on va dire.
Mok reprend le drone de surveillance qu'il avait capturé et se concentre. Il ne sait pas lire et ne peut pas utiliser le clavier et l'écran de la machine, bien qu'il ait appris un certain nombre de boutons utiles depuis qu'il est ici - marche, stop, valider, etc. Les ordinateurs techs ont tous des commandes vocales, ça aide, mais ils ne réagissent qu'à certains mots. Bref, c'est difficile de dire qui est le plus stupide entre l'ordinateur et l'alien, mais demander quelque chose d'une manière qui permette de l'obtenir est un art en soi.
Il tente :
— Je veux que tu voles et que tu touches l'arbre.
Il lâche le drone. Celui-ci fait du surplace. L'enfant désigne sa cible :
— Je veux que tu voles à cet arbre, là.
Toujours aucune réaction.
— Je veux que tu voles en haut.
Là, le drone monte. Bien. Ah, non, il commence à être trop haut.
— Arrêt ! En bas.
Le drone reste immobile en haut.
Mok n'est pas patient de nature. Devoir s'y reprendre à l'infini pour les ordres les plus simples lui tape très vite sur les nerfs. Mais il sait qu'il est faible, perdu dans un monde trop complexe pour lui. Même sa fuite ne pourra se faire que si il convainc l'alien ou un Tech de lui ouvrir les portes de l'immeuble. Il a hésité à disparaître, pendant leur déménagement, en se disant qu'il avait besoin de progresser avant de se débrouiller tout seul. Maintenant il est coincé. Pas le choix, il doit apprendre à parler aux machines, ou il est foutu.
Il est soulagé en entendant du bruit derrière lui. La plupart des gens ici n'ont pas de temps à lui consacrer, mais ils n'en ont pas non plus pour les plus jeunes Techs, qui aiment bien l'aider et lui expliquer des choses. À part 3, qui se méfie de lui et reste toujours à distance. En ce moment, 3 reste à distance de tout le monde. Ses frères et sœurs s'inquiètent, mais ne savent pas quoi faire.
C'est 4 qui arrive et ne semble pas surpris de le trouver là. Après des débuts difficiles, Mok s'entend mieux avec 4 - il faut dire que l'autre garçon est vraiment de bonne composition et qu'il s'ennuie comme un rat mort. Les jeunes Techs sont privés de Réseau et 4 se languit de ses jouets préférés et de son ami humain. Le tout, c'est d'éviter de lui parler du passé, du Ghetto et de ses propres talents de combattant. Tant que Mok est une oreille attentive, 4 lui donne à peu près tout ce qu'il veut.
— Tu veux de l'aide ? demande le Tech.
— Ouais. Il fait pas ce que je veux.
— Je peux changer son programme pour qu'il comprenne mieux ton... ta façon de parler.
— Non, ça m'aidera pas. Il faut que j'arrive que toutes les machines m'écoutent, pas que celle-là.
— Personne ne contrôle toutes les machines, de toute façon... Même l'alien ne contrôle que les machines techs, et il ne sait pas ce qu'il fait les trois quarts du temps.
4 regarde le drone. L'engin descend tranquillement jusqu'à un mètre du sol. Le Tech ajoute :
— Tu veux faire quoi avec ?
— Je veux que il obéit. J'ai dit qu'il va sur l'arbre, il est pas allé. J'ai dit qu'il va en haut, ça a marché. J'ai dit arrêt, ça a marché. J'ai dit en bas, ça a pas marché. Je comprends pas !
— Attends, je regarde son programme... T'as pas utilisé les bonnes commandes. Pour l'arbre, il faut que tu dises "cible" avec le nom de l'arbre. Ou son numéro. C'est écrit là, sur la plaque.
Mok jure. Il faut sans arrêt lire des choses. Il a appris les dix chiffres et les vingt-six lettres plutôt vite, à son avis. Mais au final ça ne sert à rien tant qu'on ne les met pas dans le bon ordre. Ça semble plus simple d'apprendre les mots utiles en un seul bloc, mais il y en a des milliers ! Sans oublier qu'un sadique s'est amusé à écrire des mots différents pour dire la même chose.
4 semble avoir réalisé le problème en même temps puisqu'il propose :
— Tu veux qu'on travaille un peu la lecture ? Ça sera peut-être plus simple, non ?
— Non, ça va.
Les Techs, à part 1, ont tous appris à lire en se transmettant le savoir d'esprit à esprit. Ils ne sont pas très bons pour expliquer à un humain. 4 hausse les épaules et s'allonge dans l'herbe en marmonnant :
— Comme tu veux. Je sais pas toi, mais moi je m'ennuie ici... Ah, tu veux pas qu'on joue au ballon ?
— Et 5, qu'est-ce qu'elle fait ?
— Elle espionne... Enfin elle essaye. Il y a quelqu'un qui est arrivé, tous les adultes importants se sont réunis. Le professeur Milley avait l'air super agitée. Mais je pense pas que 5 arrivera à écouter, ils sont allés dans une salle protégée sans Réseau ni rien de tech. De toute façon, 3 l'a captée, alors elle a commencé à l'engueuler. Là, elles se disputent.
— Et toi, tu penses quoi ? Ça a l'air grave ?
— Je sais pas. C'est juste que...
Le Tech cherche ses mots. Son regard se perd jusqu'au faîte des arbres, la verrière, et le ciel bleu loin au-dessus. Il passe des heures la nuit à regarder les étoiles ici. Le ciel a l'air de le réconforter, d'une certaine manière.
5 a raconté à Mok qu'ils vivaient enfermés, avant, et que leur maison était en sous-sol. Ils avaient le droit de sortir, à certains moments de la journée, dans un endroit précis. Ce n'est pas comme dans le Ghetto où rester à l'air libre était synonyme de danger, avec toujours le risque d'une balle perdue ou d'une attaque frontale. Pour les Techs, le ciel, c'est la liberté. Pas pour Mok, qui ne fait pas totalement confiance à la verrière et préfère rester sous le couvert des arbres lorsqu'il vient dans le jardin.
4 finit par formuler sa pensée :
— C'est juste que c'est dur d'attendre. On sait qu'ils font des choses très importantes, mais nous on ne peut rien faire. Tu avais raison. On n'a plus le droit de se connecter ni rien. C'est comme si... c'était comme ça sur l'île. Tu sais. Avant.
Mok acquiesce. Il n'a pas vu grand-chose de l'île natale des Techs, il est arrivé en pleine guerre et ce n'était pas le moment de visiter, mais il sait que le laboratoire était grand, propre, bien entretenu et avec des machines partout. On a remis les Techs exactement dans le même type de prison, avec exactement la même laisse autour du cou : être sage et faire confiance aux adultes.
Oui, il doit absolument partir d'ici.
Le plus nonchalamment possible, il demande :
— Pour ouvrir les portes, je sais il faut dire "ouverture". Mais des fois ça marche pas. Pourquoi ?
— Parce que les professeurs ont dit qu'elles devaient rester fermées, à part si on a un code.
— Mais toi et les autres, vous pouvez les ouvrir. Comme les portes du Ghetto.
— Oui, mais si les professeurs ont dit de ne pas aller à un endroit... Tu comprends, on ne peut pas leur désobéir. C'est... c'est nos parents, quand même. Comme toi tu avais Thune, il fallait bien que tu l'écoutes, non ?
— Oui, oui, je comprends... Et l'alien, il peut ouvrir ?
— Oui. Même si nous on veut garder les portes fermées, l'alien peut les ouvrir. Pour l'instant il ne fait pas de choses qu'on ne lui demande pas, mais si il veut, il peut, et nous on ne peut pas l'empêcher. Mais... Si tu demandes à l'alien d'ouvrir les portes pour aller dans un endroit où les professeurs ne veulent pas que tu ailles, ils vont être vraiment très, très fâchés, et... tu vas avoir des ennuis.
4 n'est pas très sûr de lui en disant ces mots, et il n'a pas tort. Mok n'a pas peur des professeurs. Ils peuvent bien crier et être fâchés tant qu'ils veulent, ça ne lui fait ni chaud ni froid. S'ils se décidaient à le frapper ça ne lui ferait pas grand-chose non plus, il a l'habitude. À part ça, ils pourraient le priver de nourriture - mais il a caché un stock de provisions au cas où - ou l'enfermer - ce qui est déjà le cas. Ou alors le tuer, mais 5 ferait un scandale. D'un autre côté, même si les professeurs ont peu d'influence sur lui, lui a peu d'influence sur eux : il peut bien demander tout ce qu'il veut, les adultes l'ignorent. On lui a donné une belle chambre, de la nourriture à volonté, et de la liberté dans l'immeuble. À partir de là, personne ne sait quoi faire de lui. Il a l'impression qu'il fait un peu peur aux adultes. À part à Hindgam, qui le regarde d'une drôle de façon, comme si elle au contraire le prenait très au sérieux. Il a joué les idiots à chaque fois qu'elle lui a posé des questions, au cas où, et elle a fini par le laisser tranquille aussi.
Mais Mok n'a aucune envie d'explorer les zones interdites de l'immeuble. Tout ce qu'il veut, c'est sortir. S'il en parle à 4, est-ce que le Tech va l'en empêcher, ou l'aider ? C'est difficile de savoir ce qu'il considère comme acceptable ou non.
4 écarquille les yeux et se redresse en s'exclamant :
— La nouvelle avait un laissez-passer SRAM ! Et c'est l'alien qui lui a donné ! C'est dingue !
— Un quoi ?
— C'est comme une carte tech, mais ça te laisse aller partout. Ce qui est dingue, c'est que l'alien a compris qu'elle devait passer. Il commence à comprendre les humains ! J'avais raison ! Et Josh aussi ! Il faut que je la voie et que je lui demande comment elle a fait !"
Mokapprouve et lui emboîte le pas. Il faut qu'il mette la main sur celaissez-passer SRAM, quoi que ce soit, qui a l'air d'être exactement cequ'il cherchait !
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro