Partie 78 : adieux
2 et 6
Après leur victoire triomphale, les deux Techs ne sont pas ramenés dans leur petite chambre du B.A.G.N., non, ils sont invités à célébrer la puissance de l'Alliance dans le palais du Président lui-même. Ce qui complique leurs plans : la sécurité tech a été doublée d'une impressionnante sécurité non-tech et ils auront du mal à s'échapper. 2 décide que le mieux est de se plier à ce caprice et d'attendre. Tous les dirigeants sont aussi épuisés que les deux Techs de la nuit blanche qu'ils viennent de passer et ils vont faire la fête, la surveillance des deux enfants sera donc confiée à des subalternes qui ne connaîtront pas bien leurs caractéristiques et qu'il sera plus facile de tromper. Le moment où on voudra les raccompagner au B.A.G.N. sera le moment idéal pour agir.
Pour le moment, on les prépare en toute hâte pour assister au grand dîner improvisé, qui sert aussi à répéter une dernière fois aux fidèles du Président la ligne de conduite qu'ils doivent adopter face aux médias. Une conférence de presse est prévue juste après le repas. Chacun prend les "médicaments" nécessaires pour être en forme jusque-là. Les invités ont tous mis leurs tenues les plus officielles pour être parfaits. Les Techs aussi.
On passe à 6 un costume d'adulte à sa taille, ne lui épargnant que la cravate. 2 est quand à elle aux prises avec une robe de soirée. Sa première robe. Marcher ainsi vêtue lui fait une sensation bizarre, elle est trop serrée aux cuisses pour avoir toute sa liberté de mouvement et les volants largement évasés en bas la surprennent en frôlant ses jambes quand elle ne s'y attend pas. Pourtant le tissu lilas est tech. Elle procède à quelques ajustements pour être plus à l'aise, sans parvenir à retrouver la sensation d'un vêtement familier. Mais au moins, un regard dans la glace le lui prouve, cette robe la rend très belle.
La jeune fille commence à jouer avec son reflet. Jamais encore elle n'avait eu l'occasion de se préoccuper de son apparence, acceptant son visage tel qu'elle le voyait dans les yeux de ses frères et sœurs, sans chercher plus loin. Pourtant, au cours de sa brève carrière de garde du corps présidentiel, elle a vu de nombreuses femmes dont les tenues superbes ont suscité parfois son admiration et parfois une incompréhension totale devant les caprices de la mode. Mais elle s'était habituée à l'idée que ce n'était pas pour elle. Son rôle à elle n'était pas de plaire. À présent, elle se regarde dans le miroir d'une manière presque interrogatrice. Elle se demande si son apparence lui plait. Si elle plaira à d'autres. Et si elle avait été humaine, simplement humaine, aurait-elle plu ? Et à qui ?
La robe met en valeur sa féminité et 2 se demande si c'est pour ça qu'elle paraît plus belle. Tout le monde au laboratoire était d'accord sur le fait qu'une femme Tech est plus précieuse qu'un homme Tech. Pourtant elle détestait cette façon de voir qui la réduisait à un utérus capable de produire des petits Techs à peu de frais. Elle détestait l'idée qu'on allait un jour l'inséminer artificiellement. Elle détestait l'idée que le donneur serait un de ses frères. Oui, ils n'avaient aucun lien de sang, oui c'était nécessaire pour la création d'une nouvelle espèce... Mais ces raisons niaient tout simplement les liens affectifs qui la liaient à son frère et sa propre identité humaine, une humaine Tech certes, mais néanmoins une humaine, pas une pondeuse. À cause de ce rôle qu'on voulait lui faire jouer, 2 avait détesté le fait d'être une femme. À présent qu'elle est débarrassée de cette menace, seule devant un miroir flatteur, elle commence à se faire à l'idée.
« Betsie ? demande une voix derrière elle.
La jeune femme se retourne. Ève Hindgam est là, épuisée comme elle ne l'a jamais vue. Elle a l'air plus vieille de dix ans.
— Ça va ? demande 2 inquiète.
— C'est plutôt à moi de te poser cette question. Mais pffou... je dois bien admettre que je suis vannée.
La RP s'écroule sur un fauteuil, puis fait signe à la modiste qui avait apporté la robe de 2 de s'en aller. Celle-ci obéit précipitamment, prenant à peine le temps de lancer un regard méprisant au tailleur fatigué d'Hindgam, qui lui répond d'un doigt d'honneur impeccablement manucuré. La femme soupire avant de se pencher en avant et de dire :
— Betsie, qu'est-ce qui s'est passé, cette nuit ?
2 regarde ses propres yeux dans la glace, veillant à ne laisser transparaître aucune émotion. Elle n'est pas aussi douée pour mentir qu'Ève, mais elle va tenter d'apprendre très vite.
— Le Conseil de Sécurité de l'Alliance a voté la destruction des Ghettos. 6 et moi nous avons programmé les bombes pour qu'elles touchent leurs cibles. C'est tout.
— Et comment tu te sens, maintenant ?
— Bien. J'ai fait mon devoir.
Avec un soupir, Hindgam se lève et vient à côté de 2. Elle sort une trousse à maquillage et répare avec art les dégâts de la nuit blanche. À ses côtés, la jeune fille l'observe avec admiration. Elle aurait aimé que Ève lui apprenne à faire ça. Elle aurait aimé qu'elles puissent être amies, véritablement amies, sans se ranger dans un camp ou dans l'autre.
La femme la regarde et lui sourit avec enthousiasme. Elle s'exclame, prenant 2 totalement au dépourvu :
— Elle est belle, n'est-ce pas ?
— De quoi ?
— La robe. C'est moi qui l'ai commandé pour toi. Je voulais quelque chose qui soit innocent, pour ta première apparition en public, surtout après une mission pareille. J'ai failli te prendre une tenue qui évoque une petite fille, mais tu es déjà tellement mature, mentalement et physiquement, que j'ai préféré celle-ci. Tu vas faire craquer tout le monde à la conférence de presse.
— Merci, dit 2 avec un certain malaise.
— On ne dirait pas... murmure Ève en replaçant machinalement une bretelle de la robe.
Le tissu tech reprend de lui-même sa place initiale asymétrique. Ève regarde toujours la robe mais paraît perdue dans ses pensées.
— On ne dirait pas quoi ? demande la jeune fille de plus en plus mal à l'aise.
— Qu'une aussi jolie fille a fait un tel bain de sang...
2 se concentre pour ne pas réagir et répète :
— J'ai fait mon devoir.
Ève relève les yeux vers elle, plus présente que jamais. Elle ne sourit plus du tout mais ne paraît pas en colère.
— Betsie, je te connais, tout de même.
Elle avale sa salive, paraît chercher ses mots, puis s'exclame :
— Et puis merde ! Ce n'est même pas ton nom ! Tes parents t'appellent 2, n'est-ce pas ?
— Heu... oui.
— Et les autres Techs aussi.
— Oui.
— Est-ce que... est-ce que je peux t'appeler 2 aussi ? Pas en tant qu'assistante du Président. En tant qu'amie ?
2 hésite. Les larmes lui montent aux yeux. Quelle amitié ? Il n'y a que des mensonges...
Pourtant elle répond :
— Oui.
— 2, tu ne l'as pas fait, n'est-ce pas ?
— Quoi ?
— Lancer les bombes. 2, est-ce que tu l'as fait ?
— Mais comment tu... Mais comment tu peux savoir ?
Ève rit — sans joie.
— Je te l'ai dit, je te connais... J'ai bien vu ta réaction devant les HR, même après l'attentat. Et même si tu t'étais décidé à tuer, jamais tu n'aurais impliqué ton petit frère. Et jamais tu ne serais restée impassible après. Tu n'es pas une tueuse. Tes parents t'ont bien élevée. Et tu n'as pas eu le temps de perdre tes illusions. Pas comme nous ! Seigneur, j'ai passé ma journée à justifier médiatiquement un massacre ! Un massacre qui n'a même pas eu lieu !
— S'il te plait... ne nous dénonce pas. On va s'en aller. On ne peut pas rester ici. C'est trop... Je t'en supplie, ne...
— Vous partez... avant la conférence de presse ?
— Oui.
— Alors, je dois vous dire adieu, je suppose.
2 se jette dans les bras d'Ève et laisse couler ses larmes. Elle n'aurait jamais pensé que la RP du Président, redoutable ange gardien de sa si précieuse image, pourrait ainsi lui donner sa bénédiction.
— Oh, arrête, la gronde Hindgam, si je me mets à pleurer aussi je vais ruiner mon maquillage !
— Merci... Merci... J'ai... Je vais...
— Chut. Je ne veux rien savoir. Je ne suis au courant de rien. Ne t'imagine pas que je te laisse filer par bonté d'âme. Avec toute cette sale affaire dans les pattes, le Président est mieux sans ses Techs désobéissants. Je vais tenter de rattraper ce qui peut l'être. J'aurais besoin de te recontacter, plus tard.
— Bien sûr ! N'importe où dans le Réseau. Je mettrais des guetteurs.
— Bien. C'est bon, maintenant, tu peux me lâcher. Tu trempes mes fringues, là. Allez. Debout. Tsss, si c'est pas malheureux. Regarde-toi. Il va falloir appeler la maquilleuse pour qu'elle arrange tes yeux. Et pour votre évasion, tu as besoin de quelque chose ?
— Non, ça ira. Je sais comment faire.
— Pas de risque de se prendre une balle perdue, hein ? Tu ne vas pas te mettre en danger inutilement ?
— Tout ira bien. Je te le promets.
— Bien. Et ton frère ?
— Il vient avec moi, bien sûr.
— Je veux dire, il est où ?
— Dans la pièce à côté, ils l'habillent.
— Comment ?
— Un costume en tech, pourquoi ?
— Les crétins ! C'est jean et tee-shirt, pour lui, il faut accentuer le côté gamin-comme-tout-le-monde ! Bon, j'y vais. Comme ça je lui dirais au revoir aussi. Je t'enverrai la maquilleuse. Tu en as besoin. Ne te mets pas dans un état pareil, je t'en prie.
2 recommence à pleurer. Hindgam hésite sur ce qu'elle doit dire puis se penche vers elle et l'embrasse sur la joue.
— Au revoir, 2. On se reverra, j'en suis sûre.
— Au revoir, alors... »
Un dernier sourire et Ève quitte la pièce. 2 envoie machinalement son esprit dans le Réseau pour la suivre, puis contacte son petit frère pour lui dire qu'elle sait tout et qu'elle les laisse partir. 6 perçoit le chagrin de sa sœur et la console de son mieux. Quand Ève entre dans la pièce, il n'a pas très envie de parler à cette femme qui fait pleurer sa sœur, mais 2 reste dans le Réseau, attentive à leur conversation, et il fait un effort.
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