Partie 62 : la demande du Professeur Milley
1
Assis dans un parc public, 1 attend de revoir M. Edmund. Ce soir, il doit rejoindre Sanx. Il n'arrive pas à dire quelle perspective le rend le plus nerveux.
Il n'est même pas sûr de revoir Sanx. Le jeune homme se cache, et le fait qu'il ait répondu à son appel ne signifie pas qu'il pourra vraiment venir. Peut-être que M. Edmund va le faire tuer, ici, maintenant, peut-être qu'il va l'emmener jusqu'aux professeurs, peut-être que... Bref, il y a d'innombrables inconnues sur cette journée et sans doute plus de "peut-être" que 1 ne parvient à les imaginer.
Il tente de se concentrer sur ce qu'il veut obtenir, de se rappeler ce que M. Edmund lui a dit et ce qu'il a sous-entendu, mais rien ne vient, son esprit n'est qu'un brouillard épais où s'entrecroisent des mots de feu : attaque, armée, enlèvement, piratage, manifestation, Ghetto, HR, attentat... Ce n'est pas là le monde qu'on l'a formé à servir et protéger. On lui a caché beaucoup trop de choses et la seule dont il soit sûr, c'est qu'il ne doit surtout pas se fier aux réponses qu'il obtiendra. Comment peut-on survivre dans un univers pareil sans devenir fou ?
Peut-être qu'ils sont tous fous. Ça ne serait qu'un "peut-être" de plus.
Une femme approche. Il y a des centaines de gens qui approchent et qui s'éloignent mais cette femme-là s'approche de lui. Elle porte un jeans et une chemise d'homme non-techs qui flotte au-dessus de ses hanches. Elle pourrait facilement porter des pistolets à la ceinture sans que personne ne s'en doute. Et c'est probablement ce qu'elle fait. Sa façon de se tenir, de le regarder, tout en elle rappelle au Tech les vigiles surarmés du Laboratoire. Un dernier détail prouve qu'elle vient bien le rencontrer lui : elle ne porte pas le moindre objet tech sur elle.
Il lui dit :
« Vous venez de la part de M. Edmund ?
- Pas de nom. Suivez-moi.
- Pas tout de suite.
Il aurait dû se douter que quelque chose comme ça allait se produire : ils n'allaient tout de même pas lui ramener les professeurs au lieu et au moment qui lui conviendrait, comme ça, simplement parce qu'il l'avait réclamé gentiment, n'est-ce pas ? Ce serait trop beau. Il ne possède aucun moyen de pression, aucune garantie, il ne peut donc qu'obéir.
Sauf s'il parvient à bluffer, à faire croire qu'il a plus de quatre as dans son jeu.
- Je dois d'abord établir un contact avec les personnes que je recherche, assure-t-il, voir s'ils vont bien et parler avec eux.
- Un contact ? Ici ?
- Le Réseau est toujours sûr pour moi.
- Ce n'est pas ce qui était prévu.
- M. Edmund me l'a garanti.
La femme est debout devant 1 tout en regardant nerveusement autour d'elle. 1 se penche et murmure :
- Regardez.
Chaque banc est équipé d'un écran à ses pieds. Celui-ci projette un ensemble d'images apaisantes et continuera tant qu'on ne lui aura pas donné un ordre direct. Sauf dans un petit carré où c'est le visage de la femme qui apparaît. Celui-ci est rapidement remplacé par le logo du B.A.G.N., celui de la cellule antiterroriste, celui de la police et enfin celui des services secrets. 1 regarde la femme par en dessous pour voir si elle comprend. Elle reste impassible, il lui met donc délicatement les points sur les i :
- Je n'ai qu'à demander une recherche dans leurs fichiers pour tout savoir de vous. Ensuite je n'aurais qu'à le désirer pour l'afficher sur tous ces panneaux lumineux techs. M. Edmund n'apprécierait pas ce genre de publicité.
- Je vais voir ce que je peux faire.
La femme pianote sur un téléphone non-tech. Ce genre de technologie nécessite la mise en place d'un réseau connecté au Réseau pour être utilisée... Retrouver la connexion est difficile. Pas impossible. Pas pour 1 qui s'y emploie avec toute sa concentration. La piste tourne court : à l'autre bout de la ligne on a aussi branché un appareil non-tech que 1 ne parvient pas à localiser spatialement. Les données envoyées sont codées. Tant pis. 1 n'a plus qu'à attendre la réponse avec l'envoyée d'Edmund.
- Vous voulez une glace ? propose-t-il.
- Non merci.
- Moi j'en prends une.
Une réponse d'agent secret stéréotypé. Un agent tellement infiltré et tellement secret qu'elle n'a plus de pays d'origine. Un robot parfait qui jamais ne s'abaisserait à manger une glace. En tous cas c'est ce que se dit le Tech qui joue à jongler entre ses nombreuses peurs pour ne pas se laisser envahir par l'angoisse. Ils attendent longtemps avant que le téléphone de la femme ne sonne. Elle décroche, écoute et raccroche sans avoir prononcé un mot.
- J'ai l'adresse Réseau d'une caméra. Vous n'aurez que le son et l'image, la caméra elle-même n'est pas tech et vous ne pourrez pas la retrouver. Tout ce que vous émettrez sera transmis à un écran non-tech que ces personnes pourront lire. Ça ira ?
- C'est mieux que rien.
- Connectez-vous ici et soyez discret. »
Difficile d'être plus discret pour regarder un film que lorsqu'on le contemple à l'intérieur de ses paupières. 1 hausse les épaules et établit le contact. Il se protège contre le puissant courant du Réseau, laisse l'adresse où il se rend dans la pieuvre - au cas où - et trouve l'adresse de la caméra.
Ils sont là. Le professeur Milley et le professeur Stone. Jamais il ne les a appelés autrement. Pourtant en les voyant ce ne sont pas ces noms qui résonnent au fond de son cœur... ce ne sont pas des noms du tout. Rien qu'une sensation. Un attachement profond envers ceux qui l'ont élevé. Une reconnaissance éternelle à ceux qui l'ont créé. 1 sait qu'il ne doit pas se risquer à mettre un nom sur cette sensation. Pourtant il l'a fait en affirmant chercher ses deux parents...
Il n'est pas prêt à prendre le risque de les appeler ainsi.
« Vous allez bien ? demande-t-il anxieusement.
- Oui, assez bien, répond le professeur Stone.
- Où es-tu ? demande le professeur Milley.
- Dans un parc de Nava. Avec une envoyée de M. Edmund. Vous êtes seuls ?
- Oui, répond le professeur Stone.
- Je cherche comment vous faire libérer.
- 1, dit le professeur Milley, écoute-moi. Il faut que tu suives les instructions d'Edmund. Dorénavant c'est lui qui mène le jeu. Je veux que tous les Techs aillent le voir et que vous lui obéissiez.
- Non !
Le cœur de 1 bat à toute allure tandis qu'il tente de réaliser que c'est bien lui qui a dit ça. Non. Il l'a dit, aucun doute. Pourquoi ? Il a suivi son instinct. Il refuse de se fier à Edmund. Ou peut-être, à la limite, qu'il pourrait s'y fier s'il était le seul concerné. Mais la seule idée de laisser ses frères et sœurs entre les mains de cet homme le révulse. Il ne veut plus être considéré comme une machine. Et il est sûr qu'Edmund les traiterait comme ça, de simples machines à qui on donne de beaux discours et qui obéissent gentiment. Des machines humaines. Comme tous ceux qui travaillent pour lui. Pas question. 1 veut être libre.
Le professeur Stones interrompt le professeur Milley. Il a l'air effrayé et parle très vite :
- 1 nous n'avons pas le choix ! Ils nous gardent en vie seulement parce qu'on a de l'influence sur v...
- La ferme ! dit le professeur Milley en donnant un violent coup de coude dans le ventre de son collègue. Écoute, 1, tu as fait de ton mieux pour t'occuper des enfants, mais tu n'es pas prêt, il y a des milliers de choses qui te dépasse, alors obéis !
- On n'est pas obligé, dit 1. Je peux vous libérer. Il ne vous menacera plus jamais... Il faut que...
- Tu te souviens de pourquoi je t'ai élevé ? dit le professeur Milley. J'ai besoin de vous tous pour le réaliser.
- Je t'en prie... » dit le professeur Stones.
La communication est coupée.
1 reste immobile encore quelques instants. Il faut qu'il réfléchisse, qu'il réfléchisse...
Pourquoi le professeur Milley l'a-t-elle élevé ? Pour protéger et servir.
Non. Ça, c'était le discours de tout le monde au Laboratoire. Milley, quant à elle, disait autre chose. Elle disait que les Techs étaient la nouvelle humanité. Qu'ils allaient créer leur propre façon de penser. Et 1... 1 était le premier, un nouvel Adam, il devait leur servir de guide à tous. Il devait savoir. Il devait protéger les siens pour qu'à leur tour ils puissent protéger l'humanité de sa propre folie.
Oui, Milley a réussi à réellement lui faire passer un message au nez et à la barbe d'Edmund. Ils ont sans doute été menacés de mort pour les forcer à ordonner aux Techs l'obéissance. Mais si le professeur Milley lui a rappelé pourquoi elle les a élevés, c'est bien pour donner au jeune homme un tout autre conseil.
1 ouvre les yeux. Il a pris sa décision.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro