Partie 41 : où les humains paniquent
Loin d'être une énième série policière surfant sur la popularité des brigades antiterroristes au cinéma, Perdus dans l'anhylo se démarque par son extrême brutalité, qui semble coller à la peau de son héros, Dan Sims (Erth Kannagan). Celui-ci n'hésite pas à outrepasser les règles pour traquer les terroristes et protéger l'Alliance. En contrepoint, l'excellente prestation de sa partenaire Liz (Tisha Darthon), hacker aussi habile que fragile, ramène un peu de douceur dans cette série à l'ambiance volontairement très sombre.
La rentrée des séries, septembre 2112
2 et 6
L'écran de la chambre de 2 et 6 s'allume. La jeune fille a fait la potiche-garde du corps toute la journée et elle n'est vraiment pas d'humeur à supporter les tentatives de rapprochement d'Andrew Burther. Elle est soulagée de voir que c'est Ève Hindgam qui l'appelle.
« Bonjour Betsie ! Je passais dans le coin, je me suis dit que je pourrais venir te voir. Ça te tente ?
— Heu... je ne sais pas si j'ai le droit.
— Moi j'ai toutes les autorisations, ne t'en fais pas.
— Ah. Parfait. J'arrive alors. 6 peut venir ? Steven, je veux dire.
— Bien sûr. Je vous attends. »
Ça, c'est une surprise pour les deux Techs, et plutôt agréable pour une fois. Depuis une semaine qu'ils sont installés au B.A.G.N., on ne peut pas vraiment parler de routine, mais cette visite bouleverse toutes les habitudes qu'ils ont prises et surtout perturbe le délicat équilibre, ni prisonniers ni agents, avec lequel on les traite d'ordinaire. À présent ils reçoivent des invités.
Comme promis les portes s'ouvrent devant eux. 2 pourrait les ouvrir elle-même mais elle a bien retenu la leçon : si elle doit vivre surveillée, autant vivre surveillée dans un endroit d'où elle peut s'échapper. Guidés par les portes et les ascenseurs vidés à l'avance sur leur trajet, les deux Techs arrivent jusqu'à la cafétéria. 2 connaît les lieux grâce à ses explorations par le Réseau mais c'est la première fois qu'elle y met réellement les pieds. La salle ressemble à celle dans laquelle mangeait toute l'équipe du laboratoire : longue, carrelée, avec de grandes tables qui permettent de se rassembler en clans. Au laboratoire les physiciens se mélangeaient rarement avec les biologistes, même quand ils s'entendaient bien... 2 aimerait comprendre comment fonctionnent les clans ici.
Hindgam les attend près de la machine à café. Le badge des agents est reconnu par l'engin qui soutire automatiquement l'argent de leur crédit, mais l'attachée de presse n'a qu'un badge visiteur et demande à 2 si elle peut faire fonctionner la machine. Ce que la jeune fille fait sans même avoir à la toucher. Elle décide de prendre les crédits parmi ceux de Burther, qui sera sans doute ravi de voir qu'il y a quelqu'un, même si ce n'est pas lui, qui arrive à plaire à ses deux terribles pensionnaires.
Ève prend son café et commence à le boire en s'adossant au mur. 2 apprécie sa pose décontractée et décide d'en faire autant. Il y a vraiment quelque chose, chez Hindgam, qui lui donne envie de l'imiter. Peut-être parce qu'elle a toujours l'air à l'aise et naturelle, quelle que soit la personne à qui elle s'adresse, alors qu'elle passe son temps à tenter de convaincre des gens plus puissants qu'elle de l'écouter. Peut-être parce qu'elles se ressemblent un peu physiquement — bien que la RP n'ait pas la peau aussi sombre que 2, c'est tout de même l'une des rares personnes de couleur que la Tech ait vues depuis son arrivée au palais présidentiel, et la seule à ce niveau de responsabilité. Ou alors parce que c'est la seule adulte ici qui ne semble pas se prendre pour le centre du monde, ce qui est déjà un modèle inspirant en soi.
2 l'observe tandis que la RP discute avec 6, tout en tentant de cacher que l'amertume du café l'écœure. Elle est contente de voir un adulte arriver à parler aussi naturellement à son petit frère, à qui elle pose des dizaines de questions sur ce qu'il fait, ce qu'il aime, ce qu'il voudrait... C'est pourtant exactement cette attitude qu'elle reproche à Burther. Il faut un moment à la jeune fille pour réaliser que la différence, c'est que Hindgam ne pose pas des questions pour préparer le terrain à des questions-pièges, mais bel et bien pour entendre les réponses. Elle s'intéresse. Elle est gentille et intelligente. C'est un plaisir de la voir. Elle lui offre un deuxième café.
La femme le prend et tout de suite le change de main pour secouer la première en s'exclamant : « Ouch ! Je me suis brûlée ! Regarde ! » Docilement, 2 regarde. À la place de la brûlure attendue, elle voit des mots écrits au stylo : « coupe les micros — fait comme accident ».
Lorsque la jeune Tech relève les yeux sur elle, Hindgam retire sa main et continue de rire de sa prétendue maladresse. Et lui lance un regard interrogateur. 2 se demande si c'est un test, un test de quoi, pourquoi, pour qui ?
En même temps, il n'y a pas de mal à obéir à la responsable des relations publiques du Président, non ? Ce n'est pas comme si c'était une ennemie. 2 ne coupe pas les micros mais installe une image fantôme dans le système de surveillance, qui donne l'illusion qu'ils partent tous les trois de la pièce, que 2 et 6 retournent dans leur chambre et que Hindgam s'en va. Puis elle murmure :
« C'est fait.
— Ils ne nous entendent pas ?
— Ils nous croient partis.
— Bien. Normalement tu ne dois pas être au courant mais je sais que tu t'en apercevras vite. Tu n'es pas bête, loin de là. J'ai pensé qu'il valait mieux t'avertir directement, sans que la hiérarchie ne le sache.
— Qu'est-ce qui se passe ?
— On a merdé.
Silence. Ève évite le regard de 2 et son expression de fureur rentrée n'a rien à voir avec le sourire aimable qu'elle arborait il y a quelques instants. 2 note que c'est une bonne menteuse, et se promet de ne pas l'oublier.
— Qu'est-ce qui s'est passé ?
— Il y a eu pas mal de discussions sur ce que vous deviez devenir. L'armée veut que vous soyez considéré comme des armes, moi j'inclinais plutôt vers "pupille de l'Alliance" histoire que ce soit bien officiel... Du coup, c'était du n'importe quoi.
— Vous m'avez dit que c'était juste en attendant. Qu'ensuite on allait me confier des vraies missions.
— Oui et j'ai travaillé dans ce sens. J'avais prévu une bonne campagne de pub pour vous dévoiler au public et elle était basé là-dessus justement : on vous prenait en charge, on vous offrait une éducation, une carrière, et nous travaillerions main dans la main au service des citoyens, l'alliance naturelle entre la nouvelle espèce humaine et la grande humanité, tu vois le genre ?
— Oui. C'est normal. C'est bien ce qu'on veut faire.
— Tout à fait, mais lorsqu'il s'agit de faire passer un message au public, on ne peut pas se contenter de dire ce qu'on veut faire. Pour qu'une masse comprenne ce qu'on veut lui faire comprendre, il y a des techniques à utiliser et des trucs à éviter.
— Et quelqu'un s'y est pris de travers.
— Oui. Je ne sais pas d'où ça vient mais ce n'est pas dur de trouver à qui le crime profite... En tout cas c'est la folie dehors. Tout ce qu'ils ont retenu c'est : "des armes biologiques capables de contrôler tout le système Tech" et "des monstres créés en laboratoire". Pour toi c'est ta maison, je suppose que tu n'as pas la moindre idée de l'impact négatif qu'a le mot laboratoire dans le public... ça va vraiment mal.
— Vous voulez dire...
— Ils vous détestent. Je suis désolée. Je comprends que ça te fasse mal mais il va falloir que tu sois courageuse, d'accord ?
2 tente d'encaisse le choc, alors qu'elle ne réalise pas vraiment ce qu'Hindgam lui a dit. Tout ça lui paraît impossible. Jamais aucun des Techs n'avait sérieusement envisagé ce scénario. Même avec la meilleure volonté du monde Hindgam ne peut pas comprendre ce que ça signifie vraiment. Elle n'a pas été créée dans un but qui dépasse la simple ambition d'une poignée de scientifiques, elle n'a pas été élevée sous ce poids écrasant, le sort du monde n'a jamais reposé sur ses épaules à elle. Les Techs sont nés pour protéger et servir l'humanité qui souffre. L'attaque de l'île n'était qu'un des symptômes de la folie humaine, quelque chose contre lequel ils doivent lutter, ça n'exprimait pas l'opinion des milliards d'autres êtres humains que les Techs devaient sauver. Et ils n'en veulent pas ? Les humains les rejetteraient ? C'est tellement absurde, tellement opposé à tout ce qu'on a appris à 2 durant toute sa vie qu'elle ne parvient pas à donner du sens à ces quelques phrases.
À côté des deux femmes, 6 n'a pas perdu une miette de la conversation. Difficile de dire s'il est moins idéaliste par nature ou parce que l'attaque du laboratoire l'a plus profondément choqué, mais lui, il arrive très bien à réaliser que les humains puissent les détester. Pourquoi pas ? Ces mystérieux milliers d'humains qui ne sont pas de ceux qui savent, ces créatures dont il ne connaît que l'infini flot de voitures devant sa fenêtre, ce peuple idéal que les agents du B.A.G.N. et les gouvernements sont sensés protéger et dont ils parlent entre eux comme d'un gros chien à apprivoiser. Ces gens-là pourraient très bien avoir peur et les détester. 6 a peur et ne dit rien, il serre la main de sa sœur et elle lui envoie du réconfort par ce contact.
— Qu'est-ce qu'on peut faire alors ? demande 2.
— Ça dépend de pas mal de choses, tout le monde en discute en ce moment. Je t'ai prévenue pour que tu sois prête à vous défendre.
— Ils pourraient s'en prendre à mes frères et sœurs ?
— Possible. Si tu le peux, dis-leur de se cacher. S'ils ont l'air aussi humains que vous deux ça ne devrait pas poser trop de problèmes.
2 ne prend pas la peine de rectifier qu'ils n'en ont pas seulement l'air, ils sont humains. Elle commence à avoir l'habitude de l'erreur.
— Qui défend quelle idée ? S'il vous plait, j'ai besoin de le savoir. Ils veulent nous enfermer ?
— Heu... certains, oui.
— Qui ?
— L'armée.
— Chuck Belley.
— Et ses sbires. Comment sais-tu ça ?
— Une arme qui serait sans défense, ça serait ridicule, non ?
Ève lui sourit comme si elle était complice de ce bon tour joué aux officiels. 2 sait que la femme fait partie des officiels et qu'elle pourrait très bien jouer la comédie. Pourtant ce sourire lui réchauffe le cœur.
— En fait, explique Hindgam, s'ils savaient comment vous programmer, ils vous garderaient volontiers comme arme secrète. Mais ils ne savent pas et partent dans la paranoïa, du style "il faut les détruire avant qu'ils ne tombent entre de mauvaises mains".
— Nous ne pouvons pas être programmés. Nous sommes éduqués, avec tous les risques et le libre arbitre que ça comporte. Et le Président, il en pense quoi ?
— Il a peur pour son trône, bien sûr. Et il a remarqué que tu avais un avis sur pas mal de sujets, il sait qu'il ne peut pas se fier à toi aveuglément. Ça le gêne. Sans oublier que la SRAM fait pression de son côté pour vous récupérer et garder le monopole de son invention.
— On ne peut pas le pousser à s'occuper de moi en lui faisant peur avec la SRAM ?
— Dis-moi, demande Ève qui paraît se retenir de rire, tu as fait des études de sciences politiques dans ton laboratoire ?
— Un peu. On a appris des choses sur le fonctionnement des groupes, des trucs de bases qu'on peut appliquer partout. Qu'est-ce que vous en pensez ?
— C'est en tout cas ce que je compte faire. Empêcher John Robertson de prendre le risque que vous disparaissiez corps et âme dans les arcanes secrets de la SRAM. Pour ça, il va vous rendre public et faire connaître notre version des faits. Ton rôle sera très important : tu vas devoir lui faire croire que la SRAM te talonne et que tu ferais tout pour qu'elle ne t'attrape pas. Plus tard, on va souvent te demander de jouer un rôle sans que tu saches pourquoi ni comment, il faudra t'adapter très vite.
— Et voir venir.
— Et tenter de voir venir. Ça bouge de tous les côtés. Je vais encore te demander d'être bien sage et patiente et j'en suis désolée, mais pour le moment je ne peux pas faire mieux. Et si tu découvres quelque chose de ton côté, préviens-moi, d'accord ?
— D'accord. »
Et voilà. Ensemble contre le reste du monde. 2 s'était pourtant juré de ne pas se ranger d'un côté ou de l'autre tant qu'elle ne savait pas tout sur les motivations de chacun. Et voilà qu'elle s'est fait forcer la main tellement en beauté que c'est elle qui a fabriqué le piège toute seule. 6 lui demande Pourquoi on l'écoute elle ? On devrait aller sur le Réseau pour dire à tout le monde en même temps qu'on n'est pas méchant. On n'a pas besoin d'elle.
Cette dernière phrase a un complément que 2 ne peut pas s'empêcher de faire : c'est Hindgam qui a besoin d'eux. Mais depuis leur entrée au B.A.G.N. 2 s'est épuisée à tenter de trouver un sens à ce sac de nœuds et elle est heureuse d'avoir une alliée. Elle a envie de lui faire confiance. Ce qu'elle explique à son petit frère, honnêtement, montrant autant sa fatigue que sa sympathie pour la RP. 6 comprend et ne partage pas son avis. 2 lui promet de rester vigilante. Comme toujours. Comme si ça suffisait.
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