Partie 31 : Négociations
6
Le marché est simple : Burther fournit à Steven des jouets, des amis, et il peut même se débrouiller pour retrouver les professeurs – mensonge mais l'enfant y croit. De son côté, le garçon doit raconter en détail tout ce qui se passait sur l'île et ce que font ses frères et sœurs quand ils complotent sur le Réseau. L'homme sous-entend également que les pires ennuis attendent 2 si elle continue à aller sur le Réseau sans surveillance, et que c'est pour son bien qu'il faut la convaincre d'y renoncer.
Burther a décidé de ne pas lui demander où sont les autres Techs avant d'avoir gagné sa confiance. Il commence donc par des marchés sans risque et très rentables. Il suffit de veiller à écarter sa sœur à chaque fois. Les premières demandes ne ressemblent pas à de la trahison mais l'enfant doit garder le secret sur ces transactions. Plus tard, on pourra faire pression sur lui en le menaçant de tout révéler à 2.
6 n'est pas stupide et il se doute bien qu'il y a un piège. Mais il est très jeune et ne voit pas où. Quel problème ça pourrait poser à qui que ce soit qu'il décrive sa maison, ou raconte que sa sœur et lui parlent de ce qu'on pourrait bien trouver dans les voitures humaines si on les ouvrait toutes ? Il dit malgré tout :
— Je vais attendre Betsie.
Il a vite pris l'habitude d'appeler 2 par son nom de code. En public seulement : la jeune fille ne l'apprécie pas particulièrement.
— Tu as vraiment besoin qu'elle décide de tout pour toi ? Je croyais que tu étais un grand garçon.
— Je dois toujours demander à Betsie.
— Tu peux décider tout seul. Ce sont tes jouets, c'est toi qui décides si on te les donne ou pas. N'oublie pas que si jamais tu en parles à Betsie je ne pourrais pas te les donner.
— Pourquoi ?
— C'est la règle.
— Pourquoi ?
— Comment ça ? Je te dis que je ne peux pas, crois-moi si je pouvais j'aimerai beaucoup te donner tes cadeaux sans rien te demander en échange mais je suis obligé, et je suis obligé de te demander de ne pas en parler à Betsie.
Au moins, si l'enfant arrive à lire dans ses pensées, Burther est parfaitement sincère. Il déteste ce qu'il est en train de faire.
De son côté 6 sait qu'il est dépassé et cherche à gagner du temps. Il se méfie de Burther, d'abord parce que l'homme lui paraît stupide, ensuite parce qu'il a déjà vécu des expériences basées sur ce principe. Les professeurs voulaient mesurer si les enfants Techs étaient plus ou moins solidaires entre eux que les enfants normaux. Les résultats avaient été très variables selon les enfants quand c'était les professeurs eux-mêmes qui leur demandaient de trahir un secret appartenant à l'un de leurs frères et sœurs. Par contre, devant un nouveau surveillant, ils étaient tous restés parfaitement unis, quelles que soient les promesses et les menaces de l'adulte. Le professeur Milley leur avait dit que c'était très bien et ils avaient tous été très fiers. Mais c'était beaucoup plus facile à ce moment-là, ils étaient tous reliés les uns aux autres et se coordonnaient en cachette. Maintenant, 6 est seul pour prendre sa décision...
— Pourquoi vous êtes obligés ? Il y a forcément une raison. Les adultes ont toujours des raisons à tout, tout le temps.
— Bien sûr, on m'a donné une raison et une bonne raison mais c'est trop compliqué pour toi. Même si je te l'explique, tu ne comprendrais pas.
— Oui mais je pourrais la redire à Betsie qui m'expliquera.
— Je t'ai dit qu'il ne faut pas en parler à Betsie.
— Je vais juste lui dire la raison pour qu'elle me dise si c'est une bonne ou une mauvaise raison, après je vous dirais si je suis d'accord.
— Mais tu dois répondre tout de suite et Betsie n'est pas là.
En train de rouler un gosse de six ans, pour lui arracher des informations capitales pour la sûreté du monde, à l'aide de cadeaux qui valent moins de cent t-crédits. L'idée tourne dans la tête de Burther comme une souris folle. Il aurait dû confier ce boulot à quelqu'un d'autre.
Il n'arrête pas de sentir une vague de culpabilité prête à le noyer, un sentiment qui ne l'a jamais effleuré quelles que soient les entorses à la loi et à la morale que son travail a exigées de lui. Il a toujours fait son devoir. Mais cette sensation-là remonte à bien avant que l'idée de devoir prenne un sens pour lui, que la somme de ce qu'il a déjà sacrifié justifie les sacrifices à venir, qu'il devienne un toutou compétent au service de maîtres qui ne se soucient guère de savoir son nom. À l'époque où lui-même était un enfant qui jurait d'être un héros et était fier de ne jamais mentir. A ce temps béni où jamais il n'avait douté de lui-même. Où il se serait sans doute fait avoir bien plus facilement que ce petit Steven et aurait dû vivre pour toujours avec le mot Traître gravé sur la conscience...
Évidemment ça n'a rien à voir avec le devoir et encore moins avec les ordres présidentiels. Il va maintenant ramener sa prise tout en douceur, en faisant en sorte que le simple fait d'avoir écouté ce marché engage le gosse et qu'il ne puisse pas se dédire.
Le spécialiste n'aurait jamais dû préciser à Burther qu'il lui donnait des arguments généralement utilisés par les pédophiles pour tenir leurs victimes au silence. Ça n'aide pas.
Tout à ses états d'âme, l'homme ne s'aperçoit pas que quelque chose pique l'attention de Steven, qui avance les doigts sur le fil de Réseau incrusté dans le mur.
3, 4, 5 et 6
Venez m'aider ! supplie 6. Enfin il n'est plus seul. Encore tout affolé par le danger réel ou imaginaire de cette situation inconnue, il s'accroche aux autres Techs comme si sa vie en dépendait. 5 l'apaise de son mieux, 4 émet quelques malédictions à l'encontre du type qui se permet de bouleverser son frère comme ça, et 3 tente de récupérer l'ensemble de la discussion pour trouver le problème. 6 est trop secoué pour l'aider et ils sont tous plutôt fatigués. Elle finit malgré tout par y arriver.
Elle voit bien que les renseignements que Burther lui demande sont insignifiants. Donc, s'il lui demande de garder le secret, c'est pour l'habituer à écouter tous les ordres de l'adulte au lieu de suivre sa sœur. Mauvais plan.
Mais je peux dire ce qui n'est pas important et m'arrêter quand ce seront des choses importantes propose 6 pour tenter malgré tout d'avoir ses cadeaux.
Ça me paraît trop dangereux dit 3.
Trop dangereux. Bon. Si elle le dit. 4 et 5 commencent même à guetter comment ils pourraient jouer un bon tour à ce Burther. Pour eux il est évident que c'est l'ennemi. Pour 6 ce n'est qu'un gros balourd sans tact, qui tente de lui jouer un sale tour en le sous-estimant beaucoup trop. C'est juste triste. Et décevant. Sans oublier les regrets de voir les cadeaux lui passer sous le nez. Au laboratoire, il avait des jouets, mais pas d'aussi biens, choisis spécialement pour lui.
En plus de ça les autres doivent repartir. C'est dur.
6 revient au monde matériel sans que Burther ne se soit aperçu de son absence mentale et dit simplement :
— Je ne peux rien dire du tout sans demander à Betsie et de toute façon je ne lui cacherais jamais rien. Même pour des millions de super cadeaux.
— Mais...
— Désolé. »
Et il a vraiment l'air désolé, le petit Steven, baissant les yeux pour ne pas avoir à croiser son regard. Burther a beau insister, tempêter, promettre, menacer, s'insurger, l'autre reste ferme sur sa décision et intérieurement Burther en est soulagé. L'enregistrement prouvera qu'il a fait au mieux, que ce gosse a dû être programmé d'une manière ou d'une autre pour ne pas parler, autant le savoir et trouver un autre moyen. Maintenant il va essayer de gagner sa confiance par des manières plus honnêtes.
Il part en remportant avec lui les cadeaux, bien sûr, puisqu'ils faisaient partie du marché. Mais il fait tomber un livre qui avait semblé intéresser particulièrement le petit garçon et part sans le ramasser — une ruse lui rappelant les fois où il apportait en douce des bonbons à ses enfants punis par sa femme. Oui, quand il est dans son bureau et que des dizaines de coups de fil hystériques l'assaillent pour savoir comment ils vont, ce qu'ils font, et surtout ce que lui compte faire pour découvrir ce qu'ils préparent... il se rappelle que Betsie et Steven sont des créatures inhumaines, aux pouvoirs mal connus, dont la loyauté n'est pas vraiment assurée. Donc une menace. Mais quand il est avec eux, il ne voit que des enfants. Reste à savoir si c'est un handicap ou un atout...
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