Partie 27 : sur la route
Droit de vote :
La démocratie est basée sur le vote universel des citoyens de chaque pays de l'Alliance des Gouvernements du Nord. [...]
Est reconnu comme citoyen chaque individu majeur (selon la loi de son pays) enregistré à l'état civil du Réseau de l'A.G.N., sans distinction de race, de sexe ou de religion. [...]
L'utilisation du Réseau permet aux citoyens d'avoir accès à toute l'information qu'ils estiment nécessaire avant un vote, et assure leur anonymat afin de garantir leur neutralité et leur sécurité.
Extrait de manuel d'éducation civique Droits et devoirs du citoyen de l'A.G.N. (2105)
1 et 7
La pluie battante crépite sur l'asphalte. La grand-voie est une route à l'ancienne, utilisée par les habitants du coin et ceux qui n'ont pas les moyens de s'offrir l'autoroute. Pourtant, d'une certaine manière, c'est le doux bruit de la civilisation. D'une autre manière, c'est le sinistre avertissement d'un gros rhume. 1 a installé 7 dans le blouson que lui a offert un routier, il a refermé le vêtement et seule la tête de la petite fille dépasse, coiffée d'une casquette appartenant au même routier. Il a été gentil mais 1 a refusé qu'il les prenne en stop, inventant un mensonge peu convaincant. L'homme — dont un des bras était tatoué « A Qui Prendra Soin De L'Engin » — les a laissé partir avec ses affaires et un sourire. Maintenant, 1 a des remords. Mais il avait trop peur de monter avec 7 dans son camion : si leur bienfaiteur avait finalement voulu leur faire du mal, il n'aurait pas pu la défendre. Ce type était taillé comme un ours et dépassait 1 d'une bonne tête.
Mais il était gentil et c'est grâce à lui que 7 est au sec. Il a eu pitié d'eux quand tous les autres les ignoraient. Peut-être que 1 a perdu une bonne occasion. Tant pis. Il pensait également qu'il partirait en chasse une fois reposé, séché, une fois qu'il aurait trouvé un bon abri et peut-être même — pourquoi pas — un endroit sûr pour 7. À présent il comprend que vivre sans argent et sans toit est déjà une fuite. Tant qu'à courir à la recherche d'une maison, autant qu'il trouve celle de l'homme qu'il poursuit. Il ne peut confier 7 à personne dans ce bas monde, pas même aux Autorités d'après ce que 2 lui a transmis, elle viendra donc avec lui.
En attendant la voiture providentielle qui les emmènerait plus loin, 1 repasse en revue les indices sur lesquels il peut se baser. Il y a un nom, Larch. Apparemment un nom de responsable, ou un code. Il y a le matériel non-tech utilisé en quantité importante lors de l'attaque. Il y a les soldats. Et il y a ceux qui sont au courant de leur existence. Qu'ils aient le malheur de mentionner un seul de ces éléments à proximité d'un enregistreur tech relié au Réseau...
Mais pour fouiller dans le Réseau, il lui faut un endroit sûr pour s'y connecter. Une maison. Et pour la trouver, il lui faut toutes ses forces et sa concentration. Il y a forcément une solution à son problème.
Une énorme main s'abat sur son épaule. Le jeune homme se retourne et se retrouve nez à nez avec le routier dont il a refusé l'offre. Il le croyait déjà parti depuis longtemps. Avant qu'il n'ait ouvert la bouche pour lui parler — mais lui dire quoi ? Il n'en a encore aucune idée — l'homme lui dit tout en lui tendant une carte plastifiée :
« Hé, si votre carrosse n'arrive pas, vous pouvez toujours appeler là.
Silence. 1 prend maladroitement la carte tout en essayant de ne pas laisser glisser 7. Puis l'homme poursuit :
— Écoute, je ne sais pas pourquoi tu te tires mais je comprends que tu ne fasses pas confiance à n'importe qui. Et moi qui ai passé vingt ans de ma putain de vie sur les routes je te donne raison, cent mille fois raison, surtout avec ta petite môme. Continue comme ça. Mais eux — il désigne la carte — ce sont des gens bien. Des officiels, qui s'occupent des fugueurs. Ils te laisseront avec elle si tu dis que c'est ta sœur et qu'ils voient comme elle s'accroche à toi. Appelle. Il vaut mieux pas rester dehors par une nuit pareille.
— Ces gens, ils sont de la police ?
— Nan. Ils peuvent t'aider pour plein de choses et je te garantis qu'ils ont jamais vendu un gamin aux flics.
— Merci. »
1 ne trouve rien d'autre à dire. Mais il l'a dit du fond du cœur en regardant l'autre dans les yeux et il est sûr que le message est passé. L'homme hoche la tête et s'éloigne. 1 tourne la carte, se rappelle ce qu'on lui a appris sur les foyers. Il retourne dans le point-repos. 7 ne lui pose aucune question, ni à voix haute ni mentalement, ça l'inquiète un peu. Évidemment, elle est déstabilisée et le suit sans réfléchir, elle est fatiguée et à moitié endormie. Il le sait et s'inquiète quand même.
Dans le point-repos, tout est automatisé, mais il n'y a qu'un ordinateur tech. Lorsque 1 a essayé de le forcer, il n'a récolté qu'une bonne migraine. L'ordinateur en lui-même est sans doute plus facile à manipuler qu'une porte de garage, mais il est bien caché sous plusieurs couches de plastique et 1 n'a tout simplement pas la force de l'atteindre. Ce qui veut dire qu'il ne peut pas non plus effacer les traces de leur passage. D'ailleurs, les autres usagers l'ont bien repéré à en juger par les regards en coins auxquels il a droit quand il revient et repose 7 par terre. Un grand métis avec une petite fille, vêtus comme des clochards, ça ne passe pas inaperçu.
Leur tournant le dos, il prend le téléphone. La communication est gratuite dans les points-repos, une tentative de la compagnie qui possède ces routes de lutter contre la concurrence des autoroutes à conduite automatique tech. 1 a appris comment au final ils arrivaient à équilibrer leurs comptes, un exemple plutôt complexe d'économie... Il ne s'en souvient plus. Il se demande si en faisant l'exercice il avait tenu compte de l'image que donnaient ces carreaux hideux d'un marron de sang séché. Sans doute pas. Il appelle le foyer.
« Bonsoir, dit une voix tranquille dans le combiné.
— Bonjour. Je suis avec ma petite sœur, nous avons besoin d'un endroit sûr pour passer la nuit.
— C'est notre boulot. Malheureusement ce soir nous n'avons pas trop de place.
— Où pourrions-nous aller alors ?
— Tu es mineur ?
— Oui. » ment 1.
C'est sans doute le meilleur moyen pour qu'ils ne soient pas séparés.
— Tu as des ennuis avec la police ?
— Je n'ai rien fait de mal. J'ai juste besoin de les éviter.
— Mmm, je vois... Tu as de l'argent ?
— Non. Mais je peux travailler. Je suis doué avec les objets techs, vous n'en reviendriez pas.
La femme rit. Elle en a vu beaucoup et entendu encore plus depuis le temps qu'elle est bénévole au foyer pour enfants fugueurs de Seyburg. L'appel de 1 n'arrive même pas dans son top 10 des coups de fil bizarres. Mais il dénote, pas de doute. Le jeune homme lui paraît étrangement sûr de lui, comme s'il réservait une chambre dans un hôtel et discutait du prix. Comme si on lui avait expliqué ce qu'est un foyer sans penser à mentionner la misère, la violence et les innombrables problèmes des pensionnaires.
— On ne fait jamais payer les jeunes que nous accueillons de toute façon, c'est un principe. Et tu n'as personne qui pourrait t'héberger pour cette nuit ? Des amis ou de la famille ?
— Non. Si vous n'avez plus de place, on dormira à la rue.
Ou plutôt dans cette station routière, mais c'est assez équivalent et 1 n'a pas envie de tout détailler.
— Écoute... peut-être qu'on peut vous trouver une petite place, juste pour cette nuit. Tu es dans le coin ?
— Non. On ne sait pas comment venir en ville. On est dans un point-repos sur la route vers Seyburg. Les gens ne veulent pas nous prendre dans leur voiture, à part la personne qui nous a donné votre numéro mais j'ai eu peur de venir avec lui.
— Il était grand ?
— Oui, et surtout très costaud. Il m'a offert son blouson, moi et ma petite sœur on rentre à deux dedans.
— Bon sang, c'est Bill qui t'a donné notre numéro ?
— Je ne sais pas. Il ne m'a pas dit son nom. Il avait un tatouage sur le bras, c'était marqué : « A Qui Prendra Soin De L'Engin ».
— C'est bien Bill. Vous êtes à quel point-repos ?
— Heu... c'était marqué « les pins souriants », quelque chose comme ça.
— Ne bouge pas. J'envoie quelqu'un vous chercher.
— Merci mad... »
Trop tard, la réceptionniste lui a déjà raccroché au nez. Apparemment, ce Bill est quelqu'un d'important. Ou alors il sillonne les routes en envoyant les enfants sans méfiance dans les bras d'une secte adepte du sacrifice humain. 1 décide cette fois de prendre le risque, il n'arrivera à rien en se méfiant de tout et de tout le monde. En attendant il prend 7 dans ses bras, lui frotte le dos pour la réchauffer et lui envoie des pensées apaisantes.
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