Partie 13 : décisions
1, 2, 3, 4, 5, 6 et 7
Une fois tous les Techs à bord, l'hélicoptère vire et part vers le large.
« Et les autres ? demande 1 horrifié. Il faut qu'on sauve les autres ! On est une centaine sur l'île, il y a sûrement des survivants ailleurs !
Delawney lui répond gravement :
— L'essentiel c'est de vous sortir d'ici. Les autres suivront la procédure d'évacuation.
— Et les professeurs ? s'inquiète 2.
— Ils diraient exactement la même chose. Ne vous en faites pas, ils vont sans doute très bien. Il n'y a que deux trucs que ces gens pouvaient vouloir : vous, et les connaissances des professeurs. Vous leur avez échappés. Et pour avoir leurs connaissances, ils doivent veiller à ce que les professeurs restent en vie. Il ne leur arrivera rien.
— Mais qui va les libérer ?
— Ne vous inquiétez pas. On va s'en occuper. Pour l'instant, tout ce que vous avez à faire, c'est de vous reposer. La nuit a été longue. On a prévenu les secours et quelqu'un prendra soin de vous dès qu'on atterrira. Tout ira bien, les enfants. Je vous le promets. »
1 et 2 n'ajoutent rien, leur regard dans le vague indique une discussion télépathique très prenante, et Delawney n'insiste pas. Les deux aînés cherchent surtout à convaincre 3 de ne pas essayer de détourner l'appareil. Elle n'a jamais fait confiance à cette sévère instructrice et la voir pour une fois parler gentiment ne fait que renforcer ses pires craintes : les professeurs sont abandonnés à tout jamais.
Mais non ! insiste 1, qui ajoute dans cette pensée toute sa colère et son exaspération. Il faut regarder l'ensemble du plan ! Si on y allait, on prendrait le risque que ces salopards nous capturent et gagnent sur toute la ligne ! Imagine la tête du professeur Milley si elle te voyait arriver avec un fusil sur la tempe !
2 ajoute : Ils pourraient sans doute les forcer à parler s'ils nous menacent. Non, Delawney a raison, le mieux est qu'on se sauve. Mais je te jure que si jamais ils oublient d'aller sauver les professeurs, on organisera les opérations nous-mêmes ! Jamais on ne les laissera ! Ce sont nos...
Le mot qu'elle utilise n'est pas un mot, c'est une idée qui rend parfaitement compte de leurs sentiments à tous. À des humains, elle le traduirait sans doute par « créateurs ». Mais les Techs savent tous très bien que le professeur Milley et le professeur Stones sont plus pour eux des parents.
Une idée qu'ils ne nomment jamais devant les humains. Une idée qu'ils n'oublient jamais. Et 3 se calme, soulagée de voir que son frère et sa sœur restent attachés à eux et feront tout pour les aider.
Elle va s'asseoir au fond de l'appareil, assez éloignée des plus petits pour ne pas les toucher et mélanger leurs rêves par accident. Eux dorment déjà comme des souches. Elle est épuisée, mais a peur de dormir à son tour. Tout ça a commencé par un cauchemar après tout.
1 et 2 restent debout auprès des humains. Ils sont serrés les uns contre les autres, parlent fort entre eux et on sent du soulagement dans leur voix. De la colère aussi, et même un peu de peur rétrospective à l'idée qu'ils ont failli y passer. Mais ils ne craignent pas ce qui les attend. Eux connaissent le monde extérieur et sont sûrs de pouvoir trouver de l'aide. 1 et 2, après avoir rassuré leur petite sœur, commencent tout juste à avoir peur de ce qu'ils pourront rencontrer dans ce monde extérieur.
Derrière Leny qui pilote, 1 épuisé tente d'obtenir plus de renseignements :
« Mais si on ne sait pas qui nous a attaqués et pourquoi, comment peut-on être sûrs qu'on ne court aucun risque ?
— Vous êtes beaucoup trop précieux pour qu'on laisse quelqu'un vous approcher.
— Alors personne n'aurait dû attaquer l'île !
— Non, ça c'est de la politique, quelqu'un a tenté de jouer au plus fort et s'est planté, c'est tout. Maintenant que vous allez rester sous les yeux des chefs, vous ne courrez aucun risque.
— Qui ça ? Qu'est-ce qui s'est passé ?
— Écoute, je vais honnête : je n'en sais rien. Bon sang, je ne suis qu'un ancien militaire avec une clause de confidentialité grosse comme un livre imprimé.
— Leny ! l'interromps sèchement Delawney. Attention à ce que tu dis !
— Tu vois, répond doucement le pilote en haussant les épaules. Et je ne suis pas sûr que tu en saches plus, madame la professeur d'arts martiaux. On n'a pas le niveau pour ça. Je sais qu'on ne nous abandonnera pas, parce que vous, les mioches, vous êtes extrêmement précieux. Et c'est vous qui ne devriez vous faire aucun souci pour la suite de vos carrières. Le monde entier va se donner un mal de chien pour vous bichonner.
— Peut-être, mais qui ? demande 1.
— Les hommes les plus puissants de la planète, mon gars. Moi, je sais même pas leur nom. Mais je sais qu'ils vont veiller sur vous plus que sur leurs propres enfants. Vous avez pas d'as dans votre manche, vous êtes des as à mettre dans sa manche, et de sacrés as. Tout ira bien, petit. Pour vous, en tous cas, il n'y a aucun risque. »
Comprenant qu'ils n'en sauraient pas plus, 1 et 2 acceptent le discours d'un signe de tête et vont s'asseoir avec les autres. Ils ont besoin de dormir, tous. La côte, et le monde extérieur dont on leur a tant parlé, seront bientôt atteints. Mais avant ça...
Il faut qu'on décide ce qu'on va faire, dit 1 à sa sœur.
Tous ensemble ajoute 2. On réveille les petits et on décide tous ensemble.
Bien.
Tous ensemble, dans le petit Réseau qu'ils forment en se touchant, c'est plus qu'une simple discussion, c'est un mélange de leurs sentiments et de leurs envies, de leurs idées et de leurs informations, de leurs caractéristiques et de leur énergie. C'est puissant et redoutable. Il est trop facile de se laisser griser par la sensation d'être multiple et d'empiéter sur les esprits plus faibles jusqu'à les engloutir. 1 et 2 arrivent à contrôler l'ensemble tant qu'il ne dure pas trop.
Leurs sujets d'inquiétude sont nombreux mais clairs. Ils doivent savoir qui est derrière cette attaque et pourquoi. Ils doivent savoir ce que ces gens ont fait des professeurs, qui est prêt à les sauver, et aider à ce sauvetage. Ils doivent savoir qui est leur propriétaire à présent et ce qu'il ou elle compte faire d'eux. Ils doivent se protéger de leurs ennemis inconnus. Et découvrir le monde, trouver quelle est leur place maintenant que ceux qui les ont créés ne sont plus là pour les guider. Ils sont peut-être si précieux que des armées entières se battront pour les garder. Mais ils sont surtout seuls au monde.
Ils réfléchissent tous ensemble, comme un seul être décidant de se diviser en sept, selon une logique qui leur paraît après coup étrangère à tous mais qui s'impose comme une évidence là où chacun exprime sa totalité. Ils commencent le mélange.
Les deux aînés partiront à la recherche des professeurs et des responsables de l'attaque.
2 suivra les ordres de leur nouveau propriétaire et cherchera des informations de l'intérieur.
1 partira seul pour être libre de chercher comme il veut.
3 les accompagnera l'un ou l'autre.
Les petits seront protégés.
6 et 7 accompagneront 1 et 2.
4 et 5 n'obéiront pas à un nouveau propriétaire.
Ils suivront 1.
1 n'arrivera pas à s'occuper de tous les plus petits.
Sa tâche sera difficile et risquée. Il ne prendra personne avec lui.
7 ne supportera pas d'être séparée de 1 et deviendra folle de chagrin.
1 prendra 7 avec lui.
4 et 5 seront en sécurité si personne ne sait où ils sont.
4 et 5 ne partiront pas seuls de leur côté. Un autre aîné les accompagnera pour les aider.
2 sera plus utile en infiltration. 3 accompagnera 4 et 5 dans leur fuite.
6 restera avec 2 mais n'espionnera pas.
Se séparer leur permettra d'être plus efficaces, et de ne pas laisser leurs ennemis inconnus les prendre tous. Cette stratégie les rendra aussi plus faibles. L'idée principale passe encore de tête en tête et pour finir tous les Techs approuvent cette répartition : 1 et 7 partiront ensemble et 1 enquêtera sur l'attaque du laboratoire et la disparition des professeurs, 2 et 6 se rendront à leur propriétaire légitime et 2 cherchera à infiltrer ce groupe, 3, 4 et 5 partiront de leur côté et se mettront à l'abri dans l'anonymat, parmi les humains, le plus loin possible de leurs ennemis.
Puis ils séparent leurs esprits, chacun regagnant l'espace étrangement étroit de son propre crâne. Les jeux sont faits. Ils ne se laisseront plus manipuler. Ils n'ont plus confiance. Ils prennent eux-mêmes leur destin en main.
Évidemment, ça fait peur. Mais tout au long de la nuit, ils ont appris à vivre avec la peur.
Quant à la vaincre... c'est encore autre chose.
Quand l'aube se lève, l'hélicoptère arrive en vue des côtes. Les autorités le forcent à se poser. Les humains commencent à expliquer la situation et surtout à demander qu'on joigne un certain nombre de personnes pour les prévenir.
Les Techs sortent de l'appareil sans que quiconque ne les en empêche. Ils se retrouvent alors en contact avec un Réseau gigantesque, comme ils n'en avaient encore jamais connu, le Réseau Mondial tech. Comme on leur avait expliqué. Aucune explication humaine n'aurait pu les préparer à ça — au moins à présent ils n'ont plus aucun doute, ils peuvent partir, ce monde leur tend les bras. Les armes et les systèmes de sécurité techs s'écartent de leur chemin sous l'effet de leur simple volonté. Ils partent, 1 et 7 dans une direction, 3, 4 et 5 dans une autre, laissant 2 et 6 sous la garde des humains médusés et impuissants. Chacun n'a plus qu'à jouer son rôle du mieux possible.
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