Partie 126 : un pont vers les étoiles
Les Techs sortent du Laboratoire. Derrière eux, les soldats d'Edmund portent son corps. C'est Hindgam qui a insisté. Elle connaît assez la mentalité dévote des agents de son patron pour tenter ce coup de poker. Les autres suivent prudemment le cortège. Josh Malone s'est assez remis pour tenir debout en gémissant et en s'accrochant à Choy. Il suit aveuglément le mouvement et ne va pas tarder à le regretter.
Le gros des combats s'est éloigné du Laboratoire mais celui-ci est toujours gardé. Les militaires se tournent vers les Techs, supposant qu'ils ont fini d'accomplir ce pour quoi M. Edmund les a fait venir. Puis ils voient Edmund lui-même. Le visage décomposé de ceux qui le portent. Et ils comprennent. Les uns après les autres, les soldats surdisciplinés abandonnent leur poste et se précipitent au secours de leur chef. Jusqu'à ce qu'ils admettent l'inadmissible, qu'ils voient de leurs yeux l'impossible être réalisé. M. Edmund est mort.
« Qu'est-ce qui s'est passé ? hurle un gradé aux soldats qui ramènent la dépouille.
C'est Ève Hindgam qui répond :
— Accident. Une balle perdue.
— Qui ?
— Aucune importance. M. Edmund a confié une mission aux enfants Techs. Ils doivent l'accomplir immédiatement.
— QUI L'A TUÉ ? hurle l'homme.
Les soldats qui portent Edmund pourraient témoigner. Mais Hindgam les a convaincus de collaborer : les Techs vont achever ce que leur chef a passé sa vie à construire, et ainsi tenir toutes les promesses qu'Edmund a faites au fil des années. Ils ont bien l'intention de régler leurs comptes plus tard. Celui qui portait les ordinateurs appuie la déclaration d'Hindgam :
— C'était un accident. Pour le moment, il faut remplir la mission prioritaire. Appelez Kelley et préparez un avion. MAINTENANT ! »
L'homme qui lui fait face est plus gradé que lui, mais les grades ne veulent pas dire grand-chose parmi les agents les plus proches d'Edmund. La mort du chef a bouleversé tout ce sur quoi il s'appuyait. Si quelqu'un sait ce qu'il faut faire, n'importe quoi, mieux vaut le suivre. Il s'exécute.
Les Techs prennent un véhicule pour aller jusqu'à l'aéroport. Ils le conduisent mentalement, tous ensemble, sans prêter une réelle attention à ce qu'ils font. Leurs esprits reprennent forme lentement, leurs pensées sont floues et décousues, mais leur aura a grandi et leur perception de tous les objets techs les entourant est bien meilleure qu'avant. Ils n'ont pas posé de nouvelles barrières mentales qui les empêcheraient d'être déconcentrés par tout ce qui les entoure. Même la salle zéro, enfouie au cœur du laboratoire, reste à leur portée. Une partie d'eux-mêmes organise leur évasion, fait préparer l'avion tech de Malone, fait circuler les messages annonçant la mort d'Edmund et leur dernière mission. Tout cela se passe machinalement, comme un programme puisant dans leur expérience, sans qu'ils y soient impliqués.
Les soldats d'Edmund les laissent faire. Les messages qu'ils reçoivent par voie tech et non-tech se correspondent : M. Edmund est mort et son rêve touche bientôt au but. Les enfants vont réussir. Il faut les accompagner. Et — parce que les agents d'Edmund ont été formés à ce jeu par celui qui aurait pu l'inventer — il faut ne pas les lâcher d'une semelle, veiller à ce que les otages humains soient désarmés, et prévoir des faux ordres gouvernementaux pour expliquer qu'on les amène à présent à l'A.S.A.G.N..
Les Techs ne se soucient pas de ceux qui veulent les contrôler. Ils s'y prennent trop tard, trop mal. On les fait monter dans un camion, on les amène jusqu'à un avion, et devant leur léthargie on attache leurs ceintures. Mais ces gens n'ont qu'une prise matérielle sur eux. Ce ne sera pas dur de s'en libérer. Pour le moment il y a...
La confirmation arrive enfin aux soldats de la SRAM. Ils peuvent lancer la bombe.
Ils vont nettoyer une bonne fois pour toutes ce nid de cafard. Écraser l'ennemi, c'est le seul moyen de retrouver leur puissance.
« Évacuez l'île.
Les Techs ont parlé tous les sept en même temps, d'une seule voix. Il leur faudra encore un moment pour se démêler complètement.
— Qu'est-ce qui se passe ? » demande Choy.
— Danger. SRAM. Partez.
— Mais... »
Les Techs luttent pour se concentrer. Des milliers d'informations techs les traversent à chaque seconde, un courant fort qui n'est pourtant qu'un ruisseau comparé à la puissance du Réseau mondial. Ils savent que cette information-là, précisément, est importante. Mais ne savent plus pourquoi. Le sentiment de danger est là, la bombe, l'ordre finalement émis par le Réseau avant d'être transmis aux ordinateurs binaires des soldats de la SRAM. Sensation qui s'est noyée à présent dans la masse de données. Ils tentent de remonter le courant. En même temps ils arrivent à l'avion. Ils n'entendent plus les ordres et les contre-ordres qui se succèdent. Leurs alliés et les agents d'Edmund se disputent pour savoir s'il faut tenir compte de cette information ou pas. Quelqu'un finit par trancher : les soldats n'ont de toute façon plus rien à faire sur l'île, ils seront évacués comme prévu, au moment prévu. Point.
L'avion décolle, suivi de quelques autres, abandonnant à leur sort ceux qui restent au sol.
Il y a encore de nombreuses personnes sur l'île lorsque la bombe l'atteint.
L'explosion est largement visible depuis le jet tech. Les enfants ne réagissent pas. Contrairement aux soldats, et aux professeurs qui hurlent devant la perte de tous leurs travaux.
Sanx essaye plusieurs fois d'obtenir une réaction, mais en vain. Concentrés sur leur objectif, les sept Techs restent mutiques.
« Bordel, mais qu'est-ce qu'ils ont ? demande anxieusement Sanx au professeur Milley.
— Rien. Ils vont bien.
— Mais non, ils ne vont pas bien ! Ils ne sont pas comme ça normalement ! Qu'est-ce que cette foutue machine leur a fait ? Qu'est-ce qu'ils vont faire là-bas ?
— Je ne sais pas. Demande-leur.
— Ils ne veulent pas me répondre.
— Et bien, à moi non plus.
— Merde !
— Fais-leur confiance.
— Je leur fais confiance, c'est ce truc de l'espace qui...
— Ce truc, c'est une partie d'eux-mêmes. On ne sait pas ce que c'est. On ne le comprend pas. De la même manière qu'on ne comprend pas comment ils fonctionnent, eux. Alors on les écoute et on les croit sur parole. On n'a pas le choix.
Le professeur regarde lentement les autres humains de l'habitacle, s'attardant tout particulièrement sur ceux qui tentent de détourner le regard. Ève Hindgam voudrait intervenir, l'idée que les enfants soient contrôlés par quelque chose qu'elle n'est pas capable de concevoir l'horrifie. Mais elle ne peut rien dire devant le regard perçant de leur mère. Milley ajoute :
— Si vous commencez à douter, alors arrêtez tout et partez avant de leur faire du mal. Ce ne sont que des gosses et ils sont les premiers de leur espèce. Ils ont besoin de nous. Ils sont plus que des humains et c'est pour ça qu'ils ont besoin de nous. Pour leur rappeler de ne pas abandonner la moitié de ce qu'ils sont. Quoi que cette créature leur promette. Ce n'est pas le moment de les lâcher. »
Les uns après les autres, lentement, tous approuvent. Bien sûr, ils ne n'abandonneront pas les Techs. Eux qui guidaient les enfants en leur expliquant de leur mieux le monde qui les entourait, ils détestent l'idée de les suivre aveuglément, mais ils n'ont pas le choix.
Mok, silencieux, reste contre 5 dont il serre la main. Il attend patiemment que les filles reviennent à elles, comme elles l'ont toujours fait. De temps en temps, la main de 5 se crispe sur la sienne, ce qu'il trouve être un bon signe. Il ne le signale à personne.
Les scientifiques, les gardes, les visiteurs, tous s'écartent devant le groupe qui arrive à l'A.S.A.G.N.. Ceux qui ne le font pas de leur plein gré, trop curieux devant cet assemblage hétéroclite, sont délicatement mais fermement repoussés par leurs vêtements ou armes techs. Les enfants ont à peine besoin de poser les pieds par terre. Leurs pensées sont plus confuses et tourbillonnantes que jamais, incapables de retrouver la logique humaine qui forme leurs personnalités, mais l'ordre clair gravé en eux les pousse sans cesse en avant, quitte à utiliser une énergie tech qui ne peut pas venir entièrement d'eux. Leur individualité se décompose. Toute la matière tech les nourrit de son aura. Ils avancent.
Arrivés devant les ordinateurs les plus puissants, ils s'arrêtent et se laissent tomber au sol. Leurs esprits ont d'autres préoccupations que le confort de leurs corps. Ils ne se risquent pas à traverser le tourbillon qui les enverrait en petits morceaux jusqu'au satellite. Ils créent des programmes et lancent leurs ordres plus vite que la pensée humaine n'en est capable. Les outils créés par les humains sont détournés, de nouvelles connexions chimiques se créent, des impulsions électriques sont envoyées aux bons endroits. Loin au-dessus d'eux, un satellite militaire contenant trois bombes T se désagrège, leur contenu se disperse. La matière et l'aura tech s'entremêlent dans un code complexe et se déploient. La surface ainsi couverte est ridicule devant l'immensité de l'espace. Et pourtant elle suffit. Une simple parabole suffit.
L'esprit-monde s'engouffre dans ce pont et entre dans le Réseau de la Terre.
Les Techs reviennent à eux et s'écartent. À présent qu'ils ont accompli la mission gravée dans leurs esprits, ils retrouvent assez vite leur individualité. Ils sont faibles et épuisés, mais sont à nouveau eux-mêmes.
Dans les regards, autour d'eux, la même question muette résonne : « Qu'est-ce que vous avez fait ? »
« Vous allez l'entendre, murmure 1.
2 ajoute à peine plus fort :
— Elle est là. Nous sommes reliés maintenant.
C'est le professeur Milley qui demande :
— Qui est là ? Qu'est-ce que vous avez fait ?
Ce pour quoi ils ont été créés, peut-être. Ou peut-être une catastrophe. 5 explique rêveusement :
— Il y a quelqu'un qui entendra les prières, maintenant.
— Qui ? Quoi ?
— Demandez-lui.
— Comment ? »
JE SUIS LÀ proclame le monde-créature dans chaque parcelle de matière tech de la Terre.
Les humains ne voient pas le message. Il faudra leur traduire, jusqu'à ce qu'eux et la chose aient appris à communiquer. Ça ira vite. Se comprendre prendra plus de temps, si les deux espèces en sont capables un jour. Le vrai travail des Techs sera de les empêcher de s'entre-déchirer. Plus tard.
Pour le moment, ils ont réussi. Le sommeil bienveillant leur tend les bras. Ils s'y laissent glisser.
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C'est la fin de cette aventure, merci merci merci de l'avoir suivie avec moi ! Si vous voulez me soutenir, "Les Techs" est en vente, je vous mets les liens dans la description.
La suite arrive bientôt, "Les Techs - tome 2" sera publiée à partir du 7 septembre, toujours les samedis ! Cette fois le texte sera un premier jet, que je corrigerai ensuite à partir de vos retours avant de l'auto-éditer. J'espère que cette suite vous intéressera et j'ai hâte (et un peu peur j'avoue XD) de vous la faire découvrir !
En attendant, cet été va être consacré au Marathon d'écriture 2019, n'hésitez pas à passer faire un tour pour découvrir le concept et plus tard lire les histoires des participants !
A très bientôt et encore une fois merci d'avoir aimé et suivi cette histoire !
Luma
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