Partie 115 : la septième Tech
1, 2, 6 et 7
Dans l'encadrement apparaissent 6 et Ève Hindgam. La femme boite et s'appuie sur l'épaule de l'enfant. Derrière elle, deux soldats les accompagnent, semblant craindre à chaque pas qu'elle ne s'écroule. 6 accélère l'allure en voyant les autres Techs et les professeurs, mais fait attention à ne pas faire tomber Ève, qui le suit de son mieux. On l'a rapidement soignée au camp d'Edmund mais elle a tenu à amener elle-même l'enfant au grand chef. Elle se reposera plus tard.
Elle ne peut s'empêcher de sourire à 2. 6 lui avait dit qu'elle allait bien et qu'elle serait sur l'île, mais c'est bon de la revoir saine et sauve. Elle ne prête pas une grande attention aux personnages plus ou moins étranges qui entourent son patron, elle s'avance vers lui et lui dit :
« Agent Hindgam. De retour de mission d'infiltration. Je n'ai plus de couverture, mais j'ai le sixième Tech.
— Merci beaucoup. Vous avez fait du beau travail. Vous êtes blessée ?
— Légèrement.
— Bien. Ceux qui vous ont accompagnée vont maintenant gentiment rentrer. Les enfants, fermez la porte.
— Mais je... Vous voulez que je vous accompagne ?
— Je ne sais pas. 6 ? Veux-tu que l'agent Hindgam nous accompagne ?
— Oui, répond l'enfant.
— Alors c'est réglé. Le choix des invités est de plus en plus surprenant, mais eux aussi comptent beaucoup. Maintenant, allons-y.
— Invités ? demande Hindgam. Quels invités ? Invités à quoi ? »
Edmund ne lui répond pas et se met en route.
1 remplace 6 pour aider Hindgam à marcher. Elle peut avancer seule mais cette aide est la bienvenue. Elle est plutôt mal à l'aise devant le jeune homme, elle lui a déjà parlé à travers 6 et ne l'imaginait pas du tout comme ça. Ils se sont disputés à chaque fois qu'ils se sont adressé la parole. Pourtant il n'a pas hésité une seconde à la soutenir. Quant aux autres personnes, elle parvient tant bien que mal à comprendre qui est qui, sans pour autant éclaircir le mystère des invités, de sa propre présence ou de celle de deux des HR qui ont enlevé 2. Elle a très bien reconnu Nora Milley, qui était censée être sa collaboratrice au palais présidentiel, et sait que la jeune femme l'a reconnue aussi : elle évite soigneusement de croiser son regard. Ève aimerait la considérer comme une traîtresse, histoire d'avoir une ennemie sous la main sur qui passer sa mauvaise humeur et sa frustration. Mais ce serait absurde. Nora était un agent double au service des HR, Hindgam en faisait autant pour M. Edmund, chacune avait réussi à masquer son véritable camp, match nul.
Le petit groupe croise parfois un corps desséché. Les Techs les reconnaissent et détournent la tête, les plus grands empêchent les plus petits de regarder. 6 tient d'un côté la main de 2 et de l'autre celle d'Hindgam. Son visage n'exprime qu'une volonté farouche d'aller de l'avant. Quand à 7, elle marche entre les professeurs et sa fratrie, sans se décider à rejoindre les uns ou les autres, ni si elle doit être contente des retrouvailles ou pleurer devant le carnage. Nora reste à côté d'elle et se pose sans le savoir à peu près les mêmes questions.
C'est une fois de plus Sanx qui rompt le silence :
« Vous n'avez pas répondu à ma question. Qu'est-ce qui peut être tech de l'autre côté du pont ?
— Je ne sais pas, dit 1.
— Et les autres ? Quelqu'un sait ? Allez, au hasard... M. Edmund ? Professeurs ? Ou peut-être le petit génie d'Edmund qui joue avec son ordi depuis le début de la balade ?
— Silence, lui répond laconiquement l'homme en question.
— Allons, intervient Edmund, un peu de politesse envers nos invités. Il y a quelque chose, oui. C'est tout ce que vous avez besoin de savoir, je pense.
— Merci... J'ai une autre question, tant que vous en êtes à faire des amabilités. Pourquoi ils doivent être sept si la chose n'en utilise qu'une seule pour son pont ?
— Là, je pourrais laisser cette chère professeur Milley expliquer, n'est-ce pas ?
— C'est compliqué, grommelle Milley.
— Je ferais semblant de comprendre, dit Sanx. Au pire 1 m'expliquera plus tard. Allez-y. On meurt tous de curiosité.
Le professeur Milley le foudroie du regard mais ne rencontre que l'air le plus innocent de Sanx. Elle finit par céder :
— Le chiffre sept est redondant dans la matière tech. La vibration des objets techs peut fournir de l'énergie, mais lorsqu'on en assemble sept, l'énergie obtenue est colossale... et absolument impossible à expliquer en suivant les lois de la physique. Ils s'équilibrent spontanément, six points à équidistance d'un septième qui forme le centre. Les six points extérieurs — les sources — ne paraissent pas modifiés, mais le point central — le réceptacle — est changé. On peut appeler ça de l'énergie, une vibration, ou l'aura... Mais ça permet de changer une simple bille de matière en carrosserie d'auto ou en bombe, ou d'échanger des informations par simple contact. À un stade moléculaire, le sept est une clé indispensable pour tirer parti de la matière tech. Lorsqu'on parle d'objets courants, toutes les anomalies observées viennent de l'utilisation involontaire d'une combinaison de sept objets techs équivalents. Quant à nous, nous voulions éviter de créer un septième Tech humain au cas où il se passe un problème, mais nos commanditaires ont... insisté. Nous pensions que la septième aurait un talent tech dépassant largement celui des autres, mais ça n'a pas été le cas. Pourtant c'est bien 7 le réceptacle. Son aura est moyenne, comparée à celle des autres au même âge, sauf lorsqu'elle fait des cauchemars. Au début nous avions du mal à croire les données. Mais ses cauchemars sont directement liés à l'aura bêta, qui fait des milliers de kilomètres d'envergure. Elle reçoit quelque chose, un élément perturbant, autour duquel elle tisse elle-même inconsciemment la trame du rêve, ce qui explique que l'intervention des autres Techs peut l'aider. Mais ça vient de l'extérieur. Et elle peut établir ce contact parce qu'elle est la septième.
— Pourquoi vous ne nous en avez jamais parlé ? demande 2.
— Vous savez comment fonctionne la matière tech.
— Mais pas l'effet que ça peut avoir sur 7 !
— Je pensais pouvoir régler le problème. Je ne voulais pas vous inquiéter. Je regrette.
Les Techs s'échangent un sentiment de surprise et de malaise. Jamais encore le professeur Milley ne s'était ainsi remise en question devant eux. Elle avait toujours paru savoir exactement ce qu'il fallait faire et comment il fallait le faire, et même après l'attaque du Laboratoire, l'idée que ses choix auraient pu éviter la tragédie n'a jamais effleuré les enfants.
— Et maintenant ? demande 1. Est-ce que vous savez comment l'aider ? Est-ce qu'on va trouver comment la sauver dans cette salle zéro qui n'était pas censée exister ?
Le professeur ne répond pas et c'est Sanx qui dit tout haut ce qu'ils commencent tous à craindre :
— Qui dit que notre cher hôte a envie d'aider 7 ? Et qu'il n'a pas très envie d'utiliser tous les petits Techs pour fabriquer ce fameux pont ?
Pas de réponse de l'intéressé. C'est inutile. 1 regrette d'avoir accepté que les plus jeunes viennent aussi sur l'île. Mais au final, qui a décidé qu'ils viendraient ? Les pensées venues de la présence et celles des Techs se sont mêlées trop intimement pour qu'ils puissent les distinguer. Peut-être sont-ils manipulés par la chose depuis le début. Peut-être ne sont-ils que des illusions d'individualité, des rêves que fait la présence en dormant. À cette pensée il se recroqueville instinctivement sur lui-même, voulant sentir son corps l'ancrer dans la réalité.
Mais il reste capable de défendre sa sœur. Les instruments techs qui l'entourent sont son domaine. Rien ici ne les oblige à se soumettre à la volonté de leurs ennemis. Ce qui veut dire que M. Edmund a sans doute encore un as dans sa manche. Jamais il n'accepterait de conditions dont il ne puisse pas tirer parti. Même la présence des professeurs est un atout pour lui.
Le téléphone d'Edmund sonne. Il décroche avec un sourire désolé. Mais le message ne lui plait pas. Lorsqu'il raccroche, il est évident que l'heure n'est plus aux mondanités.
— Ça commence à chauffer, là-haut, et les trois autres ne sont toujours pas arrivés. On va s'arrêter à C12/14. Ensuite, les enfants, ça sera à vous de jouer.
La salle C12/14, pour autant que les Techs le sachent, n'a aucune importance particulière. Elle sert d'entrepôt pour l'inévitable masse d'objets trop peu utilisés pour avoir une véritable place, mais trop utiles pour être jetés. Mais ils commencent à s'habituer à voir Edmund plus familier qu'eux de leur propre maison natale.
Celui-ci se fraie sans mal un chemin parmi les caisses et les engins techs aux bords acérés tout en discourant :
— On aurait peut-être dû vous expliquer que l'île avait son propre système de défense, ça vous aurait rendu service pendant l'attaque... Quoique à l'époque, vous n'auriez peut-être pas osé l'utiliser. Protéger et servir, on ne vous a pas expliqué que ça voulait aussi dire faire couler le sang de tous ceux qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas... Mais maintenant vous savez, n'est-ce pas ? Voilà, c'est ici.
Il dévoile un imposant panneau de contrôle. L'ordinateur tech ne mène nulle part dans le Réseau, d'après la rapide investigation de 1 et de 2. Mais il est relié à un autre ordinateur, binaire celui-ci.
— Il sert à quoi ? demande 2.
— À actionner les lance-missiles cachés dans l'île, répond tranquillement Edmund.
— C'est faux ! Il n'y a jamais eu d'armes de ce genre ici !
— Bien sûr que si. Simple précaution. Et si le personnel avait été un minimum formé, comme mes ordres le stipulaient, le gâchis de l'attaque du Laboratoire aurait pu être évité. Cette situation n'aurait pas dû avoir lieu. Mais puisque vous étiez des créations de la SRAM et surveillées par le gouvernement, et surtout puisque mon principal agent sur place s'est révélé particulièrement incompétent, je n'ai pas pu assurer convenablement votre protection. Bien, prenez place.
— Hors de question qu'on utilise ces choses !
— Mais si. Connectez-vous aux caméras de l'île et regardez ce massacre. Ce sont les troupes de la SRAM qui attaquent. Je ne vous demande pas d'aider mon camp à vaincre. Juste de faire en sorte que 3, 4 et 5, ainsi que tout invité qu'ils auraient envie de m'emmener, arrivent ici sains et saufs, le seul endroit de l'île où ils pourraient être à l'abri. Nos intérêts concordent parfaitement sur ce point, aussi je vous fais confiance. Au travail. »
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