Partie 112 : M. Edmund (2)
M. Edmund
M. Edmund rejoint les professeurs Stones et Milley. Les créateurs du pouvoir ultime. Il n'aura sans doute pas besoin d'eux pour créer de nouveaux Techs : même si les secrets du laboratoire lui restent fermés, le système de reproduction des deux aînés doit être parfaitement fonctionnel à leur âge. Mais ils lui sont indispensables pour assurer la complète coopération des enfants. Leur propre coopération n'est pas encore acquise, ils avaient de grandes ambitions pour les Techs, des valeurs auxquelles ils étaient fermement accrochés et surtout une volonté de fer. Même Stones, qui avait accepté de collaborer avec lui bien avant que l'île ne soit attaquée, n'a ensuite fait que suivre la position de Milley. Mais ils ont suffisamment subi d'échecs pour jeter l'éponge.
Après tout, ils ont été recrutés lorsqu'ils étaient de jeunes scientifiques géniaux à qui on a proposé un projet extraordinaire, à la fois pour le bien de l'humanité et pour contrer la montée en puissance de la SRAM. En récompense de quoi ils ont été faits prisonniers de l'île, le professeur Milley a été séparée de sa fille et de son mari, le professeur Stones de sa femme, ils ont tous deux été déclarés morts à tous leurs proches, ils ont été menacés, espionnés et parfois punis par leurs propres agents, et au fur et à mesure que leurs créatures grandissaient et gagnaient en puissance, ils ont dû mettre en place de quoi les contraindre à obéir à deux maîtres différents à la fois. Il ne reste presque rien de leurs rêves, à par l'infime espoir que les Techs réussissent là où ils ont échoués, que les quelques bribes d'idéaux qu'ils ont réussi à leur inculquer aient pris racine et résistent aux épreuves qui les attendent. Un fol espoir placé sur des épaules si jeunes. Les professeurs n'y croient plus.
Leurs kidnappeurs les ont effrayés et malmenés, sans aller jusqu'à la torture, mais ça a visiblement suffi à achever de les briser. Depuis que M. Edmund les a amenés sur l'île, Stones passe son temps à faire les cent pas, tendu comme un arc, et semble incapable de se concentrer sur quoi que ce soit. À l'inverse, Milley reste apathique, prostrée sur son lit, ou sur une chaise si quelqu'un s'est donné la peine de la lever. Ils ne résistent ni l'un ni l'autre, mais il va falloir qu'ils fassent meilleure figure à l'arrivée de leurs enfants.
M. Edmund tape dans ses mains pour attirer leur attention. Les deux professeurs tournent la tête vers lui. Ils savent très bien qui est leur maître à présent, et ils n'ont même pas la force de le haïr.
« J'ai une bonne nouvelle, annonce-t-il. Vous allez pouvoir retrouver les Techs. Ils arrivent sur l'île.
— Tous ? demande Stones d'une voix à moitié étranglée.
— Tous, appuie M. Edmund qui enterre tranquillement leurs derniers espoirs d'évasion. Et ils viennent de leur plein gré, comme je vous l'avais annoncé. Ils ont compris que j'étais leur allié le plus précieux et le plus efficace. J'aimerais vraiment que vous partagiez cette confiance. Les Techs vous aiment, vous voir dans cet état leur briserait le cœur, vous ne croyez pas ?
— Comment ça ? Quel état ?
— J'aimerais que vous vous repreniez, Stones. Que vous vous rendiez compte qu'à partir de maintenant, tout va aller pour le mieux. Vous n'êtes plus soumis aux caprices militaires de l'Alliance ni au totalitarisme de la SRAM. Vous êtes libres à présent, tous les deux.
— Libres ?
Stones éclate de rire avec amertume. Il poursuit :
— Nous n'avons fait que changer de geôliers.
— Allons, allons, il ne faut pas dire ça. Nous avons encore des choses très importantes à faire, mais ensuite vous pourrez sans aucun problème quitter l'île et faire ce qui vous chante. Prendre votre retraite, si vous le souhaitez. Je veillerai à ce qu'une pension confortable vous soit attribuée. Je ne suis pas responsable du sort injuste qu'on vous a fait, mais je compte bien le réparer. Si vous me faites confiance, tout s'arrangera.
Stones regarde Milley, cherchant un soutien. Elle n'a pas bougé, se contentant de fixer M. Edmund du regard. Celui-ci ajoute à son attention :
— Et votre fille va nous rejoindre, professeur Milley. J'espère que vous vous donnerez la peine de lui faire un bon accueil. Ça fait combien de temps que vous ne l'avez pas vue, vingt ans ? Vingt-cinq ?
— Vingt-six, répond Milley d'une voix rauque.
Elle continue d'un ton venimeux :
— Et vous me laisseriez la voir ? Oh, comme c'est aimable à vous, Edmund. Comme c'est généreux et magnanime. Je vous lècherais bien les bottes si je n'avais pas peur de les salir par mon indignité.
M. Edmund lui sourit gentiment. Une volonté de fer, sans aucun doute, mais au service d'un esprit borné, tellement borné... Dire qu'elle aurait pu être un adversaire de génie, si elle avait été plus souple. Au lieu de quoi elle est à présent bloquée, à la merci d'un arriviste qui aurait l'âge d'être son fils. Elle doit vivre la situation comme d'une extrême violence. Il tente d'adoucir les choses :
— Professeur, je sais que vous ne m'aimez pas. Et c'est normal. Je ne vous demande d'ailleurs pas de m'aimer, seulement de regarder la situation sous un angle pragmatique. Quelles sont vos options ? Résister, comme vous l'avez fait jusque-là, ne fera que traumatiser votre fille et les Techs, leur montrer une professeur Milley passive qui se laisse enfoncer sans parvenir à reprendre sa vie en main. Et si vous vous rebellez plus activement, vous n'y récolterez qu'une balle dans la tête — un autre traumatisme pour vos petits orphelins. Alors que si vous collaborez, que vous montrez que vous allez bien, tout se passera effectivement bien. Je le répète, je suis un allié pour vos Techs. Tout ce qu'ils veulent accomplir, tout ce que vous leur avez appris à vouloir accomplir, je les aiderai à le faire. Nous avons des méthodes opposées mais des buts communs. Je vous en prie, ne sabotez pas votre propre ouvrage.
— Des buts communs ? Personne ne sait quel est votre but. Je suis sûre que si je pose la question à cinquante de vos hommes, j'obtiens cinquante réponses différentes, et chacun sera persuadé qu'il est le seul à connaître la vraie et que tous les autres ont été manipulés. Vous avez du talent pour ça, je dois bien le reconnaître. Mais je ne vous crois pas, et je ne vous croirais pas même si vous me disiez que le ciel est bleu. Et les enfants non plus. Je les connais. Je ne vais pas leur mentir.
— Vous les connaissez ? Pourtant, vous leur avez toujours refusé la vérité. Ils étaient vos alliés les plus naturels dans une configuration politique instable, et vous les avez traités en armes obéissantes.
Stones grimace en entendant l'accusation, tandis que Milley reste imperturbable tout en rectifiant :
— Je les ai traités en enfants. J'ai commis de nombreuses erreurs, j'en suis consciente. Je leur ai confié pour mission de sauver le monde entier, égoïstement, parce que c'était le seul moyen que j'ai vu pour me sauver moi-même. Mais jusqu'au bout j'ai tenté de les protéger de la dure réalité de la politique. Je ne leur ai pas appris à suivre aveuglément un camp ou un autre. Je leur ai appris à observer, réfléchir et ensuite seulement faire ce qui est juste. Et je suis fière de tout ce qu'ils ont fait.
— Moi aussi, ajoute Stones.
Le discours semble l'avoir apaisé. Il reste aux côtés de sa collègue et lui pose la main sur l'épaule. M. Edmund hoche la tête :
— Bien sûr. Vous pouvez être fiers d'eux, de tout ce qu'ils ont accompli. Ils ne se sont jamais soumis à qui que ce soit et ils ont déjà détruit le monopole de la SRAM, la base du monde injuste tel que nous le connaissons aujourd'hui. Ils ont libéré les Ghettos. Ils veulent répondre aux prières. En dépit de tout, vous les avez très bien élevés.
Il se rapproche. Stones crispe sa main sur l'épaule de Milley, qui met sa propre main par-dessus. Ils savent à quel point leurs recours sont limités.
— Je suis de leur côté, insiste M. Edmund. Leurs actes ont déclenché le chaos. Les gens ordinaires les détestent. La SRAM veut leur mort. L'Alliance veut les refaire prisonniers. Bien sûr, ils peuvent détruire leurs adversaires. Mais ils ne le veulent pas. Ils veulent que le nouvel ordre mondial se fasse en douceur, sans mort inutile. Et cela, ils n'en sont pas capables. Pas seuls.
Il s'approche encore, lentement, sûr de lui.
— Ce n'est pas comme si je pouvais les maîtriser. Vous m'accusez de manipuler mes agents, mais c'est faux. Tout ce que je leur ai promis, je le mets à présent en place. Mes hommes sont morts pour protéger les Techs et leur permettre de venir jusqu'ici, parce qu'ils avaient confiance en moi, et savaient que je croyais en ces enfants. Et oui, je crois en eux. Je les aiderai. Et vous savez très bien qu'avec l'étendue de leur pouvoir, il leur suffirait de ne plus me faire confiance pour me détruire.
Un dernier pas, une main tendue.
— Faites un dernier effort. Retrouvez-les, dites-leur ce que vous avez sur le cœur, transmettez-leur le message que vous avez toujours voulu leur transmettre. Je ne m'y opposerai pas. Nous avons réellement des buts communs. Il est important pour moi aussi que les Techs fassent le lien avec leur passé, pour être sûrs de leurs décisions concernant l'avenir. L'avenir de toute l'humanité. »
Silence. Le professeur Stones regarde le professeur Milley, le professeur Milley regarde à ses pieds. Puis, lentement, elle tend la main à M. Edmund.
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