Partie 108 : course-poursuite
6
6 voulait se battre et l'ennemi est venu à lui. Il n'a pas peur. Il est heureux que le hasard, ou le destin, lui ait donné l'occasion de frapper leurs ennemis. Pour lui il est évident que ceux qui les attaquent sont ceux qui ont enlevé 2. Il ira sauver sa sœur. Et il sauvera Ève Hindgam. 6 n'est pas comme 5 qui se bat par goût du combat et par haine de sa propre faiblesse. 6 se bat s'il peut gagner.
Il se concentre.
Son aura n'est pas très grande. Son habilité tech non plus. Mais elles suffisent largement. La voiture a un ordinateur et une carrosserie tech, elle est en contact avec le Réseau dont le fil d'or court dans la maison, dans la rue, dans les panneaux publicitaires, dans les systèmes de sécurité de la maison voisine. Ces systèmes qui sont prévus pour lutter contre les cambrioleurs. Ils ont été éteints. Ce n'est pas un obstacle pour le petit Tech.
Une décharge électrique de 500 volts assomme net les tireurs sur le toit. Des grillages électrifiés sortent du sol. Une alarme hurle. La voiture d'Hindgam bondit sur la route. De nouvelles balles sifflent.
« Bordel ! grogne-t-elle entre ses dents. Il en reste combien ? »
L'index la démange de répliquer à son tour. Le temps n'est plus des petits tours de passe-passe et des manipulations polies des hautes sphères du pouvoir. Sous le feu de l'ennemi, c'est un tout autre aspect de son caractère qui se révèle : l'envie de faire demi-tour et de foncer vers eux, utilisant sa voiture comme cheval de bataille, en mitraillant tous ceux qui passent à sa portée. Mais ce serait trop risqué. Steven ne peut pas atteindre l'avion seul. Et même s'il le pouvait, qui s'occuperait de lui ? Ève a promis à 2 de veiller sur son petit frère, et tant que son serment est en accord avec les plans de M. Edmund, elle a bien l'intention de le tenir. Ils doivent fuir. Et elle doit compter sur le talent de 6 pour les protéger. Elle déteste cette idée mais s'y soumet. C'est la seule conduite logique et raisonnable à adopter.
Elle jette un coup d'œil rapide à l'enfant assis à côté d'elle. Il paraît dormir. Sa main droite est plaquée sur l'un des fils d'or qui parcourent la voiture. Elle sait qu'il est à l'œuvre.
Il charge la carrosserie tech de repousser les balles. Ça lui demande un grand effort mental de lui donner cet ordre, mais une fois qu'elle a intégré ce programme il peut se concentrer sur la suite. Sa cible. L'ennemi.
Un léger sourire apparaît sur ses lèvres.
Ils sont dix à ne pas avoir été retardés par la maison. Ils guettaient aux alentours, montés sur cinq puissantes motos. Un pour conduire, un pour tirer. Conduire une moto tech ou tirer avec une arme tech. L'aura de leurs engins est en permanence connectée au Réseau. 6 entre dans le cerveau électronique des deux motos en tête et leur fait faire un demi-tour spectaculaire. Les deux conducteurs sont bons, ils ont le réflexe de passer en mode manuel et parviennent à ne pas s'écraser sur leurs acolytes qui s'apprêtent à les doubler. 6 dirige les armes. Sa télékinésie suffit à dévier les canons de quelques centimètres, malgré la résistance acharnée des agents de la SRAM terrorisés. Et à appuyer sur les gâchettes. Les deux fusils tirent.
Ève entend le bruit et se crispe instinctivement en pensant être leur cible. La voiture est trop loin pour qu'elle distingue quoi que ce soit. Par contre, utilisant les caméras de la rue, 6 est aux premières loges pour voir l'explosion. Les explosions. Il a tiré un peu au hasard et l'une des balles a touché la grenade d'un agent SRAM. L'explosion a propulsé la moto sur les autres. Le choc a été violent. Qu'ils s'en sortent ou non, leurs poursuivants n'ont aucun moyen de continuer.
Et l'enfant trouve ça parfait. Il a rempli sa tâche. Il a payé le prix du sang. Il a vaincu. À présent, sa sœur va enfin lui être rendue.
Il revient à la conscience dans son corps, se redresse et sourit triomphalement à Hindgam. L'attachée de presse n'avait encore jamais vu une telle expression sur son visage. En revanche elle n'a eu aucun mal à identifier le bruit qui a retenti derrière eux — tout le quartier a sans doute entendu la même chose, d'ailleurs.
« Alors ? lui demande-t-elle. Où on en est ?
— Ils sont tous explosés ! Les gens à moto. Et ceux de la maison sont prisonniers. On a gagné ! On y retourne ?
— Non mon grand. On part à l'avion. Tu les as vraiment tous eus ? Bon sang, dire que c'est moi qui étais censée veiller sur toi... Tu... tu étais tout seul ? Ce n'est pas 1 qui t'a aidé à te battre ?
— Non. Il n'est pas là.
— Et tu vas bien ? Tu te sens bien ?
— Oui. »
6 ne comprend pas le sens de la question : c'est Ève qui a été touchée par les coups de feu, pas lui. Il ne réalise pas ce qu'il vient de faire. Si 2 avait été là, elle aurait neutralisé les motards sans les tuer. Mais elle n'est pas là et 6 ne se voit pas comme un meurtrier. Le danger était là et le danger a disparu, point. Malgré toute son intelligence, la mort est encore un concept assez flou dans son esprit. Ève le devine et préfère ne pas insister. S'il va bien, tant mieux.
Elle conduit sans encombre la voiture volée jusqu'à atteindre le point de rendez-vous. Un militaire l'accueille et la salue avant de lui faire signe de le suivre. 6 est plutôt effrayé mais si Ève Hindgam dit que ce type est de leur côté, c'est qu'il l'est. Edmund a infiltré de nombreuses organisations, tout particulièrement la redoutable armée de l'Alliance.
Hindgam n'a jamais rencontré cet homme. Une fois les codes échangés, elle le suit en parlant nerveusement de tout et de rien. À présent que la tension se relâche, elle a du mal à croire qu'ils soient réellement en sécurité et sa main se crispe par moment sur celle de 6. Le militaire les guide à travers le labyrinthe des hangars de l'aéroport privé et écoute imperturbablement. Lorsqu'elle finit par se taire, il lui demande :
« Vous n'avez pas été suivie ?
— Non. Mais on n'a pas été discrets, loin de là.
— On s'en occupe. Il ne reste aucune trace de l'arme ?
Ève réfléchit. Il est possible que 6 ait laissé une empreinte de son passage dans le système de sécurité de la maison. Mais même si quelqu'un s'apercevait que le Tech était là, cette trace sera moins visible que les dégâts laissés par la SRAM. Leur ennemi s'occupera sans doute de faire le ménage.
— Rien qui mène jusqu'à nous.
— Parfait. L'arme fonctionne ?
Normalement, l'homme sait qu'il parle du petit Tech : son visage a fait le tour du globe depuis sa présentation à la presse. Et Ève n'apprécie pas cette manière de le désigner. Surtout avec cette insistance et ce regard vorace. Elle pousse légèrement 6 derrière elle.
— Je ne crois pas que ça vous concerne. Vous devez nous conduire en lieu sûr, moi et l'enfant, point final. Vous espionnez pour la SRAM ou quoi ?
— On peut dire ça.
Le militaire braque son pistolet entre les côtes d'Hindgam.
Ève en tremble de rage. Elle s'est fait avoir comme une débutante. Même la SRAM peut doubler ses attaques massives par des pièges tendus par des traîtres. Cette fois, c'est elle qui a gravement sous-estimé son adversaire.
— Ne le touchez pas. S'il meurt, vous n'aurez rien.
— Oh, je ne compte pas lui faire de mal. Mais vous allez prendre une balle dans la tête si vous ne collaborez pas. Alors maintenant montez à bord bien gentiment, vu ?
Le soldat tend une main avide vers 6 qu'Hindgam protège de son corps, furieuse contre elle-même de n'avoir qu'une si mince protection à lui offrir. Elle doit trouver un moyen de renverser la situation. Personne ne les rejoint, ni allié ni ennemi, et le calme avec lequel l'homme donne ses ordres indique qu'il ne pense pas être dérangé. Et qu'il considère 6 comme une quantité négligeable, un simple paquet dont il ne manque que le mode d'emploi.
— Vous n'avez aucune idée de ce qui vous attend, dit Hindgam. Une fois que vous l'aurez remis à la SRAM, ils vous élimineront car vous en savez trop.
— Peut-être. Et peut-être que vous êtes coincée et que vous mentez pour sauver votre peau. Même pas votre peau, c'est pour votre mission que vous vous inquiétez, n'est-ce pas ? Vous êtes une professionnelle.
Il force Ève et Steven à avancer jusqu'au petit avion, sur la piste toujours désespérément déserte, tout en continuant son soliloque :
— Ce n'est pas moi qui devais m'occuper de vous. Personne ne pensait que vous arriveriez jusqu'ici. Mais dès que mes ordres seront là, nous irons tous faire une jolie balade jusqu'à un bel endroit tranquille où on s'occupera bien du gosse, je vous le garantis.
6 se serre contre Ève. L'homme n'utilise pas une arme tech et l'enfant est totalement impuissant. Il pourrait agir sur l'avion mais n'a pas assez de force mentale pour en faire un moyen de défense. Et le militaire aurait le temps de tirer.
L'enfant part dans le Réseau et retrouve la pieuvre. Aucun de ses frères et sœurs n'y est. Par contre, le programme qu'ils s'apprêtaient à lancer dans le Réseau est là, celui qui informera tous les utilisateurs du Réseau des moyens de créer la matière tech, la fameuse bombe qui détruira définitivement le monopole de la SRAM. Ce programme est impossible à effacer même pour les humains spécialistes de l'informatique, et il se répandra dans toutes les matières techs dont l'aura sera en contact avec le Réseau mondial même une fraction de seconde.
1 voulait l'envoyer. 2 voulait l'envoyer. En fait, tout ce qui manquait, c'était l'accord d'Edmund. Puisque même Ève Hindgam a perdu, 6 estime qu'il peut se passer de l'accord d'Edmund : il ne veut pas mourir sans réussir la mission que son frère et sa sœur voulaient accomplir. 2 voulait mesurer, avant d'agir, les conséquences colossales de ce geste. Mais 6 pense que les humains sont capables de se débrouiller seuls avec ce cadeau. Après tout, ce sont des adultes.
Il lance le programme dans le Réseau.
Puis revient au monde matériel. Il ne sait pas quoi faire mais il veut être aux côtés d'Ève. Elle continue à négocier :
— Vous avez besoin de l'adhésion du gosse. Et il n'obéira jamais si vous me tuez sous ses yeux. Vous pouvez briser un agent du gouvernement, mais contre un gamin la violence ne sert à rien. Tout ce que vous obtiendrez c'est de le traumatiser et de rendre l'arme inutilisable.
— Je pense que la SRAM sait mieux que vous comment utiliser ses propres Techs, ma jolie.
— Au contraire, la SRAM n'a aucune idée de la façon dont elle doit s'y prendre avec eux.
C'est pourquoi l'organisation a tout intérêt à détruire 6. Plus le temps passe, plus les risques que cet homme reçoive l'ordre de l'abattre augmentent. Ce serait l'ordre le plus simple et le plus logique. La SRAM a déjà commis trop d'erreurs avec les Techs. Ils auront tendance à les réparer à leur manière habituelle, avec le nettoyage par le vide. Hindgam tente de menacer son ennemi sans lui faire peur, pour qu'il revende 6 au lieu de le tuer. Un bon moyen pour qu'Edmund reprenne les choses en main.
— Vous n'êtes pas censé savoir qu'ils lui ont remis la main dessus. C'est pour ça que la SRAM vous tuera. Ils protègent leurs arrières. Ils vont faire un grand ménage.
— Ben voyons. Il ne faut pas croire tout ce qu'on raconte sur la SRAM. Ce grand méchant loup sait être généreux envers ceux qui sont de son côté.
— Lorsqu'on parle de Tech humain, ils sont beaucoup plus méfiants que généreux. Vous êtes là par hasard. Vous vous êtes retrouvé au bon endroit au bon moment. Maintenant vous en savez trop long. Soit vous avez une promotion express, soit c'est l'élimination. Mais vous n'êtes pas des leurs. Vous n'êtes qu'un soldat corrompu. Ils ne font pas confiance à ceux qui obéissent pour de l'argent. Et cet enfant vaut beaucoup plus d'argent que tout ce que la SRAM a bien pu vous promettre. En nous le remettant, vous pouvez être sûr de toucher une véritable fortune !
Silence. Le militaire réfléchit. Hindgam se dit qu'elle a touché juste. Quelle ironie que l'avenir de sa mission dépende de la cupidité d'un traître, qui devait être corrompu pour leur propre camp. Bien sûr, il reste six autres Techs pour réduire à néant la SRAM. Mais perdre 6 serait pire que de perdre « un Tech ». Elle s'est bien trop attachée au petit garçon qui se serre contre elle. L'agent d'Edmund estime que son propre sort est sans importance tant qu'elle parvient à convaincre son adversaire de ne pas faire de mal à l'enfant et surtout à ne pas le remettre à la SRAM.
Les deux adultes se jaugent du regard et sont tous les deux surpris par une petite voix qui demande :
— Les méchants, c'est la SRAM ?
— Chut, dit précipitamment Ève, laisse-moi parler.
— Mais il veut te tirer dessus !
— Pas forcément. On discute entre grands.
— Ce sont des méchants ! De toute façon j'ai lancé le programme !
— Le... celui dont on a parlé avant l'attaque ? Tu l'as fait ? Tout seul ?
Le militaire raidit son bras. Il ne comprend pas ce qui se passe et ça ne lui plait pas du tout. Ses yeux vont et viennent entre la femme et l'enfant et instinctivement il baisse son arme sur le Tech.
En une fraction de seconde Hindgam abat le tranchant de sa main sur son bras. Le pari est risqué — elle ignore tout des réflexes et de la formation de son adversaire — mais c'est le moment ou jamais. Le militaire hurle mais ne lâche pas le pistolet. Elle lui brise le nez d'un coup de tête et lui envoie un violent coup de pied dans la rotule. Il riposte en la frappant de la crosse. Le coup l'atteint en plein front et elle recule de quelques pas. Il en profite pour braquer à nouveau son pistolet sur elle. Sans prêter attention à 6 qui saute sur son bras déjà malmené et le mord de toutes ses forces.
Le militaire agrippe l'enfant et le rejette violemment en arrière. Un geste qui laisse un trop grand espace dans sa défense. Ève lui frappe la nuque et l'assomme net. Après quoi elle récupère son arme.
— Tu vas bien ? demande-t-elle immédiatement à Steven.
— Oui, répond le petit garçon qui est pourtant un peu sonné.
Mais très fier de lui. Il s'est battu avec Ève et ensemble ils ont gagné !
— On va décoller maintenant. Je contacterai M. Edmund ensuite. Il faut filer le plus vite possible.
6 hoche la tête et la suit. Mais il est encore dans l'aura tech du Réseau et il entend l'appel. Sans se poser de questions, il plaque sa main sur le fil d'or et rejoint ses frères et sœurs.
— Steven ? appelle Hindgam quand elle se rend compte qu'il ne la suit plus. 6 ? Qu'est-ce qui se passe ?
Il reste debout et son regard fixe paraît perdu dans l'immensité du Réseau.
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