« Et c'est dans l'esprit de la collaboration qui a toujours animé nos deux agences que je vous fais part des derniers relevés de la station spatiale. Comme vous le constaterez rapidement, nous n'avons à ce jour aucune explication valable concernant les anomalies liées à l'aura bêta.

Il est plus que jamais vital, pour la pérennité de nos travaux et l'avancée de la science, que vous leviez exceptionnellement l'interdit d'exploitation de l'aura bêta, ce qui j'en suis sûr nous permettrai de faire un bond phénoménal dans la recherche spatiale. Il va sans dire qu'aucune exploitation commerciale ne serait mise en place sans brevet SRAM [...] »

Extrait de l'e-mail accompagnant le rapport annuel de l'A.S.A.G.N., adressé à la section scientifique de la SRAM, 28 octobre 2112.

2 et 7

La jeune femme ne sait pas par quel miracle sa petite sœur peut bien être ici — si on peut parler de miracle alors qu'elle se retrouve dans une cache de HR au lieu d'être en sécurité chez la nourrice agréée du B.A.G.N. Elle voudrait plus que tout la prendre dans ses bras, serrer son corps et envelopper son esprit d'un voile d'amour qui la protégerait de tout ce qui peut lui arriver de mal. Mais ça serait la mettre en danger.

Les HR ont l'intention de choisir ce qu'ils vont faire avec elle en toute transparence, et veulent qu'elle puisse expliquer son point de vue et négocier pour les siens. Certains ont déjà élaboré des plans précis auxquels ils veulent qu'elle participe, et cherchent à convaincre les autres plus que la Tech. D'autres sont obsédés par l'idée d'être certains que les Techs ne les trahiront pas, éternelle question qui semble poursuivre ces enfants trop précieux, et prendre l'un de ses frères et sœurs en otage est une des solutions proposées. Pas question donc de leur révéler que 7 est ici, à portée de leurs mains. Et si jamais le vote est trop mauvais pour la jeune fille et que les HR décident de tuer ou d'enfermer 2, elle veut être sûre que la petite s'en sortira. Elle sent cruellement en elle la douleur de 7 mais reste impassible. Elle ne doit pas céder, pour leur bien à toutes les deux.

Autour d'elle le débat est houleux et complexe. Que faire avec les Techs ? Leur faire confiance pour lutter à leur manière contre l'ennemi commun ? Les tuer pour être certain que jamais la SRAM ne remettra la main sur eux ? Les utiliser pour pirater le Réseau et permettre enfin une révolution non violente ? Leur faire créer des bombes T en série pour avoir les moyens de détruire la SRAM et l'A.G.N. ? Les garder à l'écart de tout Réseau, là où ils pourraient vivre leur vie comme n'importe quel enfant ? Les utiliser comme appât et piéger les antiterroristes ?

Les HR ne remettent plus vraiment en cause leur humanité, mais leur affiliation est encore floue, d'autant plus floue que 2 elle-même ne peut pas vraiment répondre à la question. Elle était elle-même en pleine interrogation quand elle a décidé de s'enfuir. Et elle découvre ici de nombreux clans qui ne sont unis que par un ennemi commun, la SRAM. Ils n'ont même pas la même définition d'une victoire. Certains veulent seulement mettre fin au suffrage censitaire qui empêche les plus pauvres d'être citoyens, et ouvrir les Ghettos. D'autres veulent détruire chaque parcelle de tech de cette planète, considérant que cette matière maudite a fait trop de mal et permet de réunir bien trop de puissance entre les mêmes mains. Enfin, pour d'autres encore c'est la totalité du système économique et politique de ce monde qui doit être détruit, afin de laisser place à une nouvelle organisation politique plus juste, ou pas d'organisation du tout.

Tout ça est trop étranger pour que la jeune fille arrive à comprendre où ils veulent en venir. Ce qu'on lui a enseigné sur la politique semble étriqué en comparaison de tous les mondes qui sont imaginés dans cette pièce, et elle ne sait ni qui elle peut croire, ni ce qu'elle peut approuver. Et en l'absence d'un plan qui semble sensé, elle se concentre sur l'essentiel. Sans parler de 7 ni des autres Techs, elle ne peut que réclamer de garder son indépendance, et promettre de régler les problèmes qu'elle peut régler. Se rattacher au concret et à ce qu'elle connaît, ça semble être la ligne la plus sûre. Et assez vite, elle ne dit plus rien. Rien que suivre les débats est difficile. Choy a choisi des interlocuteurs qui représentent les différentes tendances mais les interruptions de la salle sont si nombreuses que même le sifflement du mégaphone ne suffit pas à assurer un semblant d'ordre.

Il a l'air presque soulagé quand on lui amène les quatre enfants et qu'il doit réclamer une courte interruption pour trouver qui était censé s'en occuper.

« Je cherche DH-125, dit Charly dans le mégaphone. Moi c'est Fuse. On a dû quitter notre foyer et mon contact m'a dit de venir ici. On a tout perdu, on a besoin d'aide, si jamais les antiterroristes me trouvent, je vais finir ma vie en tôle !

Une jeune femme au crâne rasé et tatoué se lève et dit :

— C'est moi DH-125 et je suis bien ton contact, mais je ne t'ai jamais dit de venir ici !

Choy intervient :

— J'ai reçu un message pour organiser leur arrivée au village. De qui il venait ?

— Pas de moi ! Je ne savais pas que Fuse devait quitter sa couverture, et je ne l'ai jamais vu ! Qu'est-ce qui me dit que tu es vraiment Fuse, d'ailleurs ?

Charly commence à s'énerver, une colère nerveuse qui craquèle son masque d'impassibilité habituel, et effraye Cally et Jonathan. Choy dit :

— Du calme ! J'impose une demi-heure de pause au Conseil, le temps de régler ça. DH machin, viens ici. On va en discuter entre nous. Les gars, vous pouvez ramener Betsie dans sa chambre ou dans une cellule par là, un peu de silence ne lui fera pas de mal. À boire et à manger non plus. »

Les murmures de l'assistance se transforment en véritables huées, auxquelles Choy répond simplement qu'une demi-heure de retard dans le débat ne va pas leur faire perdre la bataille contre le gouvernement et qu'ils feraient mieux d'en profiter pour fourbir leurs arguments. Après quoi il les ignore. Le bruit des discussions devient très vite intenable et 2, malgré son inquiétude, est soulagée de passer dans une pièce insonorisée : elle n'arrivait plus à s'entendre penser dans ce vacarme.

Elle n'a pas de montre et suppose que, comme lors de la dernière interruption, Choy va consacrer ce temps à discuter avec les uns et les autres. C'est pourquoi elle pense, lorsqu'il la rejoint, que le temps est écoulé et qu'elle doit retourner dans l'arène. Au lieu de quoi Choy demande aux gardes d'attendre dehors qu'il lui ait parlé. Devant les inquiétudes des soldats, il promet, avec un petit sourire plus fatigué qu'enjoué, qu'il ne risque absolument rien. Puis il se laisse glisser sur le sol avec un soupir d'extase.

« Enfin un peu de paix !

— Tu aurais pu me dire que tu dirigeais ce machin, lui lance 2.

— Ce machin ? Un bon nom... Et je ne le dirige pas, j'essaye d'empêcher les rebelles de se mettre eux-mêmes trop de bâtons dans les roues, c'est tout. Je limite les problèmes de la démocratie, dans la faible mesure de mes capacités.

— Comment vont les enfants ? Tu as pu régler le problème ?

— Ça, c'est sûr que c'est un sacré problème... pas vraiment un problème, en fait, mais un mystère, un sacré mystère... Je peux te prendre des chips ?

On a servi à 2 de l'eau, de la gnôle, des sucreries et des chips. Elle a supposé qu'on n'avait rien prévu pour elle et que c'était ce que les participants avaient sur eux et étaient prêts à lui donner. Au cas où on tenterait de l'empoisonner, elle n'y a pas touché. Bien sûr, il y a des gens qui la défendent et croient en elle ici, mais il y en a qui sont horrifiés par sa seule existence, et qui sait ce qu'ils pourraient tenter. Elle répond en haussant les épaules :

— Je te le déconseille, ce sont des cadeaux, et vu le nombre de mes amis ici...

— Ne tombe pas dans la parano, non plus. Les HR sont parfois stupides mais ils ont un honneur. Personne ne te touchera tant que le vote n'aura pas été prononcé.

— Peut-être. Alors, ces enfants ?

— Oui, les enfants... Le mystère du message tech. Apparemment, ce gosse, Fuse, est un pirate informatique tech qui travaille pour nous à l'occasion. Hier, il a envoyé un message à son contact, miss DH, pour lui demander de l'aide étant donné qu'il devait fuir sa maison avec les trois autres. Hier aussi, un peu plus tard, j'ai reçu un message de la cellule dont fait partie miss DH qui me demande de trouver un moyen de transport entre l'arrêt de bus et la Réserve. Or, ni miss DH, ni aucun membre de sa cellule n'ont reçu le message de Fuse, et aucun non plus ne m'a écrit. Écrit sur l'unique engin tech relié au Réseau de toute la Réserve, je précise, activé à certains horaires précis pour éviter d'être repéré.

Silence. Choy regarde 2 d'une façon plutôt amicale, montrant qu'elle n'a pas à avoir peur de lui faire des aveux. Mais qu'il attend bien des aveux. Comme rien ne vient, il continue :

— Pour rentrer dans nos codes de sécurité aussi facilement qu'une petite cuillère dans un œuf à la coque, il faudrait être sacrément balaise, ce qui est le cas de ce Fuse. Mais pour le faire sans laisser la moindre trace de son passage, il faudrait être plus que balaise. Il faudrait être télépathe avec la machine, au moins. Donc, j'aimerais savoir si vous n'avez rien à voir avec cette histoire ?

— Tu penses que c'est moi qui ai attiré ces gosses ici ? demande 2 plus agressivement qu'elle ne l'aurait voulu.

— Je pense que c'est possible que ça vienne de toi ou d'autres Techs humains. Vu les éléments que j'ai, ça irait même jusqu'aux 80 % de probabilité. Mais alors reste la question : pourquoi ?

— Je n'en sais rien. Ce n'est pas moi. Je n'y comprends rien.