3, 4 et 5

5 a bien vu le danger, c'est pour ça qu'elle a tenu à passer la première, partant du principe que s'il y a un problème, elle saura mieux y faire face que 3 et 4. Elle pourra ensuite tenter d'aménager le passage pour qu'au moins son frère puisse y aller sans mal. Elle est persuadée que c'est la porte d'accès vers les fusées techs qu'elle a trouvé là, autrement dit le rêve absolu de 4, et elle est prête à tout pour lui offrir ce cadeau.

Pendant ce temps, 3 et 4 tentent de se défaire des liens qui les empêchent de se faire aspirer, mais aussi de rejoindre leur sœur. En théorie, les programmes techs obéissent immédiatement à leurs pensées. Mais 5 connaît son affaire et elle les a si bien entortillés qu'il leur faut une forte concentration pour en venir à bout. Un effort qui correspond au temps dans le monde à part du Réseau, un temps qui permet à 5 de se rapprocher de son but...

Enfin libéré, 4 veut se jeter à la suite de 5, mais 3 le rattrape de justesse. Le courant est bien trop fort pour qu'il puisse se retenir d'être aspiré par le trou noir, même en utilisant toute la force de son esprit, qui est à peine suffisante à s'accrocher au mur de codes. Utilise son fil de sécurité ! lui dit 3.

Pas si simple puisque ce fil n'a que l'apparence d'un lien, c'est un programme conçu pour s'allonger et empêcher la fillette de descendre trop vite, le détourner de sa fonction le ferait disparaître. Non, il faut le suivre jusqu'à 5, étendre son esprit, l'obliger à devenir fil à son tour, sans se perdre dans les remous du courant. Glisser dans le lien une partie de soi si fine qu'elle n'est plus capable de penser, ne transmettant qu'une instruction essentielle : reviens. Une instruction saturée de peur — les émotions sont toujours plus faciles à transmettre. Mais 4 n'arrive pas assez loin.

3, à son faible niveau, parvient tout juste à ne pas se faire aspirer par le trou noir. Elle ne peut pas aider 4 en s'y prenant de la même manière ni lui transmettre son énergie tech. Brusquement elle pense à un moyen de faire revenir sa petite sœur vers elle : puisque 5 se prend pour la reine du Réseau, elle viendra la sauver. 3 a besoin de tout son courage pour se détacher du mur de code. Le tourbillon la terrifie. Mais c'est justement pour ça qu'elle doit empêcher 5 d'y aller. Elle lâche prise. L'aspiration la fait filer à toute allure et elle dépasse 5 qui la rattrape à l'extrême limite et la garde en elle, complètement paniquée par sa chute. Une fois leurs deux esprits entremêlés, 5 ne peut plus faire la sourde oreille aux ordres de sa sœur : éloigne-toi tout de suite de ce truc dangereux !

La fillette voulait protester, mais la situation est trop tendue pour une énième dispute sur l'audace et la désobéissance. Elle tend son propre esprit le long de son programme, touche celui de son frère et s'y agrippe pour remonter. La force d'aspiration lui réclame une intense concentration, pourtant elle est encore capable de leur faire franchir le mur de codes à tous les trois jusqu'à ce qu'ils se retrouvent en sécurité derrière.

Je voulais juste voir, proteste-t-elle.

On ne sait pas si on peut tenir le coup là-dedans ! Tu nous as fait très peur ! proteste 4.

Et 3, se défend 5, elle m'a aussi fait peur, et elle a pris beaucoup plus de risques que moi ! Si je ne l'avais pas rattrapée, elle serait tombée dans le trou. Moi, je peux me défendre si c'est dangereux. Pas elle.

Tu n'en sais rien, dit 3 qui une fois de plus refuse de transmettre ses émotions aux autres.

4 tente de trouver un juste milieu entre ses deux sœurs : on n'a qu'à revenir au monde matériel et demander aux gens comment ça fonctionne, comme ça on saura ce qu'on risque et comment se protéger. On peut regarder dans les ordinateurs aussi, avec des programmes chercheurs.

Peut-être que personne ne saura rien, signale 5. C'est la SRAM qui sait comment fonctionnent les engins techs, les autres ne font que les utiliser. Si même nous, nous n'avons jamais entendu parler de ce machin, ça doit être un sacré secret. Alors j'y retourne, on ne trouvera pas de responsable de la SRAM dans le coin !

4 allait protester — pour empêcher que 3 ne le fasse du haut de son autorité d'aînée, ce qui aurait encore davantage buté 5 — quand il sent qu'on bouge son corps. Ceux de 3 et de 5 aussi. Les trois Techs retrouvent le monde matériel, secoués par Mok qui a bien besoin d'aide : il tient en main le pistolet volé à 3, et ne sait pas qui des trois personnes qui le tiennent en joue il doit menacer en premier. Les Techs découvrent que pendant leur absence, les scientifiques ont appelé les gardiens du bâtiment et la responsable du site pour régler le problème. Ceux-ci avaient demandé plutôt gentiment à Mok de descendre de l'ordinateur avant de se faire mal, mais dès qu'ils avaient vu le pistolet, que le garçon n'avait pas pensé à cacher, ils avaient dégainé. Par réflexe, Mok les avait mis en joue à son tour. Et maintenant, il ne sait pas du tout s'il doit obéir aux ordres de descendre ou commencer à tirer.

Les Techs ne savent pas trop non plus, mais ils ne sont pas partisans de commencer à tirer, pas avec des adultes, leurs quelques expériences en la matière leur ont confirmé que c'est une très mauvaise idée. 3 pose sa main sur le canon de l'arme pour la baisser et Mok, complètement perdu, se laisse faire. La jeune fille demande aux adultes :

« Qu'est-ce qui se passe ?

— Qu'est-ce que vous faites ici ? demande sèchement la responsable. Qui êtes-vous ? Qui vous a laissé entrer ici ?

— Et vous ? demande 5 très intéressée par la blouse bicolore de son interlocutrice. Vous êtes de la SRAM ?

Elle se dit que c'est un fameux coup de chance : une donneuse d'ordres de la SRAM pourra sans doute la renseigner sur le trou noir caché dans ce bâtiment, et ainsi elle pourra le franchir sans que sa sœur ne s'inquiète de sa sécurité. Elle est bien forcée d'admettre que le geste risqué de 3 l'a touchée, même si elle est furieuse que celle-ci ne lui ait pas fait aveuglément confiance, et elle aimerait avoir un moyen de ne pas braver son autorité trop ouvertement. Pour le moment.

Malheureusement, la responsable, qui appartient effectivement à la SRAM, n'est pas du tout coopérative. Son seul rôle à l'A.S.A.G.N. consiste à vérifier que même s'ils les utilisent quotidiennement, aucun membre de l'équipe ne comprenne le fonctionnement top-secret des machines. C'est un rôle simple où il est recommandé d'utiliser au maximum la terreur et le harcèlement, elle aime ce travail et le fait bien. C'est uniquement parce qu'elle veut rappeler qui commande dans ce bâtiment qu'elle a suivi les gardiens pour ce problème de sécurité. Elle n'a pas la moindre envie d'aider ces gamins à quoi que ce soit.

— S'il vous plait, demande timidement 4, baissez les armes.

Les gardiens regardent la responsable du coin de l'œil. Ils seraient plutôt d'avis d'arrêter de braquer des enfants, même si celui qui tient le pistolet, avec ses vêtements voyants et ses scarifications, ne leur inspire aucune confiance. Mais leur chef fait non de la tête, ne prêtant pas plus d'attention à la demande de 4 qu'aux questions de 5 qui insiste :

— Vous êtes de la SRAM ? Vous savez comment ça fonctionne ?

La femme finit par ordonner :

— Appelez des renforts et délogez-les-moi de là.

— Hé, proteste 5, je vous parle !

5 déteste être ignorée, tout comme elle déteste le sentiment de peur qui monte en elle, et la panique qui a gagné son frère. Deux excellentes raisons d'agir dans cet environnement bardé de tech. Oui, ce sont des adultes, et alors ? Elle n'a plus envie d'obéir aveuglément aux adultes.

Les ordinateurs techs ne sont pas faciles à transformer en une autre matière tech, mais par contre leur forme est très facile à modifier. Tiges et boules frémissent sous la pensée de la petite fille et se glissent le long des sols avant de grimper sur les deux gardiens, trop vite pour qu'ils puissent tirer ni faire d'autre mouvement que de hurler. La responsable SRAM veut s'enfuir, terrorisée par la désobéissance des machines, mais les plaques métalliques s'enroulent langoureusement sur l'unique porte et deux guirlandes de composants informatiques cherchent à lui grimper sur les jambes. 5 a un petit sourire satisfait.

— Tu ne devrais pas faire ça, lui signale 3.

— Je m'en fous. J'en ai marre de faire ce que tout le monde nous dit. Pour une fois, on veut se faire plaisir à nous, on a bien le droit, non ? Ce n'est pas parce qu'on est des enfants qu'on ne peut pas faire ce qu'on veut ! Et toi, la fille de la SRAM, tu vas nous aider ! Je suis 5 la Princesse-Esprit Tech, et je t'ordonne de m'écouter ! »

3 et 4 s'échangent un regard consterné. Ils n'ont pas besoin de leur lien tech pour savoir qu'ils partagent la même pensée effrayée : 5 débloque complètement...