4 et 5

5 se redresse et 4 a peur qu'elle ne soit à nouveau prête à combattre, comme si rien ne s'était passé.

3 est là ! dit-elle à 4 en lui désignant l'une des caméras. 4 hisse péniblement son esprit jusqu'aux images dans le mince fil tech qui les relient à ce Réseau et découvre 3 et ses deux otages. Jamais il n'aurait cru ça d'elle. De 1, peut-être, de 2, sûrement, de 5, ce serait tout à fait son genre... mais pas de 3 si obéissante.

Même 5 est incapable d'envoyer un message à leur sœur, elle est trop loin du Réseau et n'a pas relié son esprit à l'anhylo. 4 dit : on devrait rentrer dans la salle, elle est hors de danger maintenant.

NON ! dit 5, qui reprend en essayant d'adoucir la force de ses pensées, non, on ne peut pas la laisser tomber. C'est notre sœur. Elle va se faire tirer dessus...

Il faut qu'on s'enfuie tous ensemble pense 4 à l'unisson avec sa sœur. Tous ensemble, y compris les professeurs, les docteurs, les surveillants, les gardiens, tout le monde. Le laboratoire tout entier s'ils le peuvent.

Ils sont encore sous le couvert des arbres, à quelques mètres protecteurs des deux fils de Réseau qui encadrent la route. 5 s'avance jusqu'au premier fil et plaque sa main dessus. Sa démarche est redevenue fière et conquérante. 4 se demande si le meurtre qu'elle a commis se verra d'une manière ou d'une autre dans son attitude, sur son visage... ou dans son regard. Il met sa main sur celle de 5 pour qu'ils unissent la vitesse de leurs esprits et arrivent à entrer en contact avec leurs aînés pour leur poser l'éternelle question : qu'est-ce qu'on doit faire ?

1 et 2

1 reçoit le message de 4 et de 5, et suit le fil conducteur qu'ils ont établi dans le Réseau jusqu'aux caméras qui filment 3. Le spectacle de sa petite sœur tenant en respect deux soldats le laisse sans voix. Pire encore, le fait indéniable qu'elle et son chargement se dirigent tout droit sur le groupe de militaires le plus important. Elle va forcément se faire trouer la peau avant même d'avoir eu le temps de dire « les mains en l'air ! ». Au cas peu probable où elle pense à sortir ce genre de réplique. 3 n'a jamais eu le sens de la répartie.

Elle est devenue folle, pense 1, le choc l'a rendue folle, complètement folle...

Folle de douleur, précise 2 qui a suivi l'esprit de son frère jusqu'aux fameuses caméras et deviné les pensées effarées de 1. 3 était la plus tranquille et la plus sage de tous les Techs, tout simplement pour faire plaisir aux professeurs, surtout au professeur Milley. Maintenant qu'elle a disparu, 3 est capable de n'importe quoi.

2 explique rapidement aux humains :

« 3 a un fusil et tient deux soldats en otage zone F3/32-35. Elle va vers l'héliport en passant par les arbres, derrière le E2. Il y a encore une vingtaine de soldats là-bas et ils ont une grosse réserve d'armes. 4 et 5 sont cachés devant le E2, pour le moment il n'y a personne près d'eux. Alors maintenant, on fait quoi ? »

Les humains parlent tous en même temps, plusieurs plans émergent sans dominer : il n'y a pas de haut responsable dans le groupe et chacun cherche à s'imposer aux autres.

Génial, pense 1, on va suivre l'idée de celui qui parle le plus fort...

On n'a qu'à décider tous les deux, propose 2 avec assurance. Ces soldats sont venus nous tuer parce qu'ils ont peur de nous. On va leur montrer qu'ils ont raison d'avoir peur.

Il va falloir tirer, nous aussi. Je ne veux pas.

Il faut récupérer les petits et s'enfuir.

Et pour les professeurs ? Et pour le laboratoire ?

On s'occupera du laboratoire en allant chercher les petits. Je ne sais pas quoi faire pour les professeurs.

Leny n'arrête pas de parler de partir à l'attaque. Je crois que Tizzi le suivrait. Et peut-être d'autres.

Les professeurs ne le voudraient pas.

Le directeur le voudrait.

Personne n'a jamais écouté ce type, on ne va pas commencer.

Il n'a pas été efficace.

Peut-être que c'est lui qui nous a trahis.

On cherchera les responsables plus tard.

Oui. Je n'ai pas trouvé de trace des professeurs.

Mais on n'a pas vu leurs corps non plus.

On peut laisser les humains se battre et les sauver puisqu'ils en ont tellement envie. Que les humains sauvent les humains, nous on se débrouillera avec les nôtres.

C'est une idée horrible !

Nous y avons pensé tous les deux !

Je ne sais plus... nous sommes trop proches.

1 reprend ses esprits. C'est une image qui convient bien. Transmettre directement est très efficace pour trouver des solutions concrètes à des problèmes concrets, mais mieux vaut ne pas échanger des idées. Très vite, les pensées se mélangent et on ne sait plus qui pense quoi.

Des solutions concrètes à des problèmes concrets...

Il nous faut un véhicule pour quitter l'île, reprend 2, et autre chose pour aller chercher les petits. On verrouillera le labo si on a le temps d'aller à côté.

Pourquoi autre chose ? On n'a qu'à prendre un hélicoptère.

Un des leurs ?

Il y a en deux dans les bois qui ne sont pas gardés. On y va et on les prend. On va récupérer 3 de gré ou de force. On dit aux petits où nous rejoindre. On ferme le laboratoire.

S'ils ne nous envoient pas une roquette sur l'hélico.

Sur leur propre hélico ?

Exact. Et pour les humains ?

On aura la place. On leur dit qu'ils viennent avec nous ou qu'ils restent avec les soldats, et que de toute façon nous les Techs nous ne tuerons personne. Il faut qu'on leur redise. On dirait qu'ils s'en fichent. Et pour les professeurs ?

Je ne sais pas.

Moi non plus.

Merde.

Les deux Techs émergent de leur discussion sans que les humains réalisent qu'ils l'ont tenue. 2 leur explique :

« 1 et moi on a besoin de quelques personnes rapides et discrètes pour aller chercher un hélicoptère. Ensuite, on va récupérer les petits avant qu'ils fassent une bêtise, on ferme le laboratoire, on revient chercher les autres et on part tous de l'île. »

Pendant quelques secondes, 1 se demande où 2 a appris à parler avec cette autorité — le menton haut, la voix forte et claire, tout y est — puis il réalise qu'elle imite le professeur Milley.

Le temps que les protestations et les contre-ordres se calment en face, 1 a déjà envoyé leur plan à 4 et 5 en leur demandant d'aller chercher 6 et 7, et de laisser un message pour arrêter 3, si jamais elle revient dans l'anhylo. Finalement, Delawney et Leny le gardien de jour belliqueux les accompagnent. Alors qu'ils quittent la pièce, Tizzi plante violemment ses ongles dans le bras de 2 et lui dit d'une voix grave : « Le laboratoire est plus important que toutes nos vies. Ne l'oublie pas. » 2 tente de ne pas montrer son dégoût, elle arrache son bras à la serre de cette harpie et sort sans un mot.

4, 5, 6 et 7

Arrêter 3. Cette tête de mule qui n'écoutera jamais un simple message laissé dans l'anhylo, et qui refusera d'envoyer son esprit dans le Réseau tant qu'elle est concentrée sur ses prisonniers. 4 et 5 pensent qu'ils sont les mieux placés pour mener à bien cette mission. Mais il faudra s'approcher suffisamment pour être à portée de son aura et pouvoir entrer dans son esprit sans utiliser le Réseau...

Ça va mal.

Avec toi, 6 et 7, je devrais avoir assez d'énergie pour l'atteindre dit 5.

Ils sont trop petits répond machinalement 4. Puis il réfléchit. Après tout, leurs énergies mentales ont suffi à faire la différence lors de l'évasion, non ?

D'accord, dit-il, on y va. Tu n'es pas trop fatiguée après tout ça ?

T'inquiète pas. J'y arriverai.

Est-ce que la conviction de 5 veut dire qu'elle aura assez de force pour y arriver, ou qu'elle donnera toute son énergie, jusqu'à s'évanouir s'il le faut, pour y arriver ? Sa pensée n'exprime que sa résolution farouche. Et ils n'ont pas le choix.

Il y a des soldats entre la salle E22/54 et la sortie, mais les petits peuvent aller jusqu'à la E22/3 et passer par la fenêtre sans rencontrer personne. 4 regrette amèrement de ne pas y avoir pensé avant, ça aurait évité... tout ce qui s'est passé ensuite. C'est 5 qui les appelle et les guide. 4 garde le peu de force mentale qu'il lui reste, après son numéro avec le scalpel il a l'impression d'avoir soulevé un parpaing avec la cervelle. Ils attendent près de la fenêtre qu'ils arrivent. 6 et 7 se donnent la main et c'est 7 qui court devant et tire son frère avec impatience. 6 est calme, montrant à peine son soulagement.

Ils sortent sautent l'un après l'autre dans les bras de 4 et restent quelques instants immobiles, se serrant tous aussi fort qu'ils le peuvent. Leur séparation, bien que courte, leur a fait l'effet d'un long cauchemar à tous.

7 demande : on va où maintenant ?

On va appeler 3 tous ensembles, répond 4.

Et 1 et 2 ? Et les professeurs ?

6 n'a rien demandé mais lui aussi est très attentif à la réponse. Son regard habituellement rêveur s'est planté droit dans les yeux de 4 et celui-ci se demande comment il pourrait esquiver la question. 5 lui sauve la mise en les pressant tous : Vite ! On doit s'occuper de 3 tout de suite !

Sans un mot, ils se mettent à l'ouvrage. 6 et 7 sont rapidement fatigués par l'exercice, alors qu'ils n'ont pas vraiment eu le temps de se remettre du premier. Mais ils savent très bien que ce n'est pas le moment de se plaindre ni de désobéir. L'urgence de la situation leur a été directement injectée sous le crâne.

5 sait où est 3, elle sent son esprit qui avance de l'autre coté du bâtiment, sous les arbres, et qui s'éloigne bien trop rapidement à son goût. Elle doit l'atteindre le plus vite possible. Comme pour sortir du laboratoire, elle prépare une flèche mentale et la tend vers l'esprit de sa sœur, tandis que 4 renforce le tout avec sa propre énergie mentale et celles des deux plus petits. Plus vite. 5 s'avance encore. 3 accélère. Elle est en train de sortir du couvert des arbres.

Encore un peu...