XIV : Une lettre d'amour
Repères chronologiques
2 mai 1998 : Bataille de Poudlard
26 décembre 2003 : Mariage de Harry et Ginny
20 juin 2004 : Election de Ron à la tête de la guilde de l'Artisanat magique
17 juillet 2005 : Naissance de James Sirius Potter
2006 : Naissance de Rose Weasley (4 janvier) et d'Albus Severus Potter (26 juin)
2008 : Naissance de Lily Luna Potter (16 mai) et d'Hugo Weasley (28 juin)
Décembre 2009 : Harry devient commandant des Aurors
30 juin 2011 : Inauguration du musée de la Magie
Période couverte par le chapitre : du 19 au 21 novembre 2013
Harry et Wellbeloved consacrèrent leur mardi aux recherches sur la famille Plunkett.
Ils apprirent ainsi que la fortune de la famille appartenait à Ulysses et était en grande partie investie dans son entreprise de transport, laquelle comprenait non seulement le Magicobus, mais aussi le Poudlard Express. L'homme d'affaires possédait également les voitures que le ministère utilisait et était chargé de leur entretien. D'après ce que comprit Harry, le train et les voitures servaient davantage à donner du prestige à l'entreprise qu'à gagner de l'argent. Par contre, le Magicobus était assez rentable et avait permis à Ulysses de capitaliser une somme assez rondelette, qu'il avait investie dans d'autres entreprises, toujours liées aux transports : compagnie de balais, fabrique de poudre de Cheminette. Il avait même des intérêts dans une entreprise étrangère qui distribuait des tapis volants sur le marché indien.
Jerold, par contre, ne possédait que la maison où il vivait, héritée de ses parents. Il vivait à son aise cependant, car son salaire était confortable. Son épouse était sa légataire universelle.
— Elle ne récupère pas grand-chose, jugea Wellbeloved.
— C'est Ulysses qu'il est intéressant de tuer, nota Harry.
— Rien ne dit qu'il n'est pas le prochain sur la liste, remarqua son partenaire. Jerold n'est qu'un coup d'essai ou l'échelon inférieur. Qui hériterait d'Ulysses s'il passait la baguette à gauche ?
— Visiblement, Edmund est le seul des trois neveux qui travaille avec son oncle. Mais il n'est pas forcément le seul héritier, remarqua Harry en compulsant ses documents. Il serait plus logique que ce soit l'épouse en premier, puis tous les neveux ensuite.
— L'héritage n'est pas une piste à exclure mais celle du frère rival amoureux est quand même plus simple, jugea Wellbeloved. Surtout que, s'il épouse la veuve, il récupère la maison de ses parents.
— Pour le moment, nous n'avons aucune preuve pour étayer cette relation, rappela Harry.
— Mais notre expérience nous a appris que les meurtres ont trois sortes de raisons : le fric, les affaires de fesses et la lutte de pouvoir. Pour le fric, il n'y a pas grand-chose pour le moment, et pas de pouvoir puisque le défunt travaillait à son compte. Il ne reste que la jolie veuve.
— On va creuser de ce côté, accepta Harry.
Ils se penchèrent également sur les loisirs des divers membres de la famille. Il fallait parfois quelques jours pour faire remonter les informations mais, a priori, aucun n'avait de vice secret : pas de maîtresse dépensière, pas d'inclination pour les jeux de hasard, pas de consommation de produits illégaux.
Ils reçurent également les analyses du laboratoire de l'hôpital. Il n'y avait aucune trace de potion de sommeil dans aucun des échantillons qui leur avaient été soumis. La victime n'avait donc pas ce type de produit dans sa pharmacie, ce qui accréditait la thèse de l'empoisonnement criminel. Par ailleurs, le mystère demeurait sur la manière dont il l'avait absorbé chez son oncle.
*
L'enterrement devait se tenir le jour suivant. Une annonce dans le carnet de La Gazette du Sorcier indiquait que les funérailles se feraient dans la plus stricte intimité.
— Je ne veux pas les déranger, indiqua Harry à Wellbeloved. Je vais y aller tout seul en utilisant ma cape d'invisibilité.
C'est ainsi qu'il assista à la mise en terre de la victime. Il n'y avait que la proche famille, ceux qu'il avait déjà interrogés. L'oncle et la tante du défunt étaient toujours aussi effondrés. Serrés l'un contre l'autre, on pouvait se demander lequel des deux soutenait son conjoint.
Nell Plunkett ne pleurait plus mais croisait convulsivement ses bras autour d'elle comme pour se protéger du froid. Elle avait le regard fixe, et Harry se demanda si elle voyait ce qui se déroulait devant elle. C'est Doraleen, la mère de Marvin, qui se chargeait de la réconforter, elle-même roide et sans expression.
Edmund et son cousin se chargèrent de faire léviter le cercueil dans la fosse. La baguette du frère du défunt tremblait tellement que Harry craignit que la bière ne dégringole dans la fosse, mais Marvin, son épouse en soutien juste derrière lui, arriva à contrôler la manœuvre.
Une fois la cavité comblée, la famille repartit rapidement, comme s'ils estimaient cette situation trop insupportable pour être prolongée. Le pas hésitant, ils rejoignirent la berline qui devait, Harry le supposait, les ramener chez eux.
*
Le commandant des Aurors ne put cependant pas les laisser en paix bien longtemps. Il leur laissa trois heures pour se reposer et se restaurer avant de retourner frapper à la porte du manoir avec son partenaire. Ce fut Doraleen Plunkett qui leur ouvrit.
— Nous voudrions parler à Mr Edmund Plunkett, exposa Harry après l'avoir poliment saluée.
Il eut droit à un regard inquisiteur, mais la femme n'osa s'opposer au représentant des Aurors et les mena à la bibliothèque avant d'aller chercher le frère de la victime. Edmund avait une mine moins décomposée que le matin au cimetière, mais des poches sous ses yeux trahissaient le manque de sommeil. Était-ce la peine ou les remords qui le tenaient éveillé ?
Dès qu'il fut assis face aux Aurors, Harry attaqua brutalement :
— Quels sont vos sentiments pour votre belle-sœur ?
Edmund sursauta violemment. Il était clair que cette question l'avait troublé.
— Je fais ce qu'il est en mon pouvoir pour l'aider à surmonter ce drame, répondit-il d'une voix tremblante.
— Cela ne me dit pas ce que vous ressentez pour elle, insista Harry.
— Je ne comprends pas la raison de votre question, opposa sèchement le suspect qui semblait s'être ressaisi.
— Avez-vous des sentiments autres que purement fraternels à son égard ? questionna ouvertement Wellbeloved.
— Qui vous a dit une chose pareille ? riposta Edmund.
— Vous ne niez pas, commenta Harry.
Edmund ouvrit la bouche avant de la refermer, comme s'il n'était pas certain de ce qu'il voulait ou devait dire.
— Je ne vois pas le rapport avec votre enquête sur le décès de mon frère, finit-il par remarquer. Je n'ai donc pas à répondre à votre question, ni pour nier ni pour confirmer.
— Vraiment ? fit mine de s'étonner Wellbeloved. Mrs Plunkett, après un temps convenable bien entendu, sera bientôt libre de se remarier. Avec vous peut-être. C'est un mobile pour faire disparaître votre frère, donc directement lié à notre enquête.
Edmund les regarda d'un air stupéfait avant d'afficher une expression de dégoût.
— Je ne sais pas ce qui vous a fait imaginer ce scénario, Messieurs, mais vous faites complètement fausse route. Nell est profondément éprise de mon frère, et je doute qu'elle ne songe jamais à se remarier.
— Mais, dans le cas contraire, vous seriez sur les rangs, affirma Wellbeloved.
— Je ne vois pas ce qui vous permet d'affirmer cela, fit Edmund d'une voix blanche.
— C'est une très jolie femme et vous semblez proche d'elle, affirma Harry qui n'avait pas manqué de voir le trouble du jeune homme.
Edmund le contempla les lèvres serrées avant de soupirer et de se décider à répondre :
— Je ne sais pas d'où vous tenez cette information, mais je doute que votre informateur vous ait parlé par amour de la justice. Je pense plutôt que c'est une immonde commère qui brode autour de ce qu'elle ne comprend pas.
— Nous voulons comprendre, justement, lui répliqua Harry. Nous serions donc intéressés par votre version. Soyez conscient que par vos mensonges vous ne faites que confirmer les soupçons que nous avons envers vous. Nous vous donnons l'occasion de donner votre version... et de nous prouver que nous avons tort de vous suspecter.
Edmund baissa la tête, et c'est le regard planté vers la moquette qui recouvrait le sol qu'il leur parla :
— Je suis le premier à avoir connu Nell, commença-t-il, et je suis tombé amoureux d'elle très vite. Elle... a beaucoup de qualités. Elle était ma secrétaire, et j'ai fait mon possible pour lui plaire. Puis il se trouve qu'un jour Jerold est passé pour déjeuner avec moi, et je les ai présentés. Ça a été un vrai coup de foudre entre eux. Le mieux était que je m'efface. J'ai demandé au comptable de prendre Nell dans son service et j'ai engagé quelqu'un d'autre pour mon courrier. Je n'ai jamais parlé à Nell de mes sentiments pour elle et je ne pense pas avoir eu le moindre geste déplacé à son égard.
Il releva la tête et regarda les Aurors dans les yeux :
— J'en ai pris mon parti maintenant et je n'éprouve plus pour elle qu'une forte amitié. Elle et mon frère faisaient un très beau couple. Je vous jure sur la mémoire de Jerold que j'étais très heureux pour eux et que je n'aurais jamais rien fait pour les séparer. Je trouve choquant qu'on puisse imaginer autre chose et je vous conseille vivement de prendre vos renseignements auprès d'une autre personne que celle qui vous a aussi mal informés. D'ailleurs, je me demande comment elle a pu savoir ça. C'est de l'histoire ancienne et je n'en ai jamais parlé à quiconque.
— Pensez-vous que votre frère était au courant ? demanda Wellbeloved.
— Avant que vous ne me posiez vos questions, j'aurais répondu par la négative, sans hésitation. Mais maintenant... je n'en sais rien, avoua-t-il en accusant le coup. J'espère bien que non.
Il se leva brusquement et leur tourna le dos, les muscles crispés, luttant pour reprendre empire sur lui-même. Harry et Wellbeloved se regardèrent. Wellbeloved haussa légèrement les épaules, comme pour dire ça peut-être du flan, mais Harry avait l'impression que l'homme était sincère.
— Nous vous remercions, Mr Plunkett, dit-il.
Wellbeloved raccompagna Edmund au salon et revint avec la veuve qui avait l'air éperdue. Harry la fit asseoir et lui demanda :
— Mrs Plunkett, étiez-vous au courant que votre beau-frère Edmund éprouve des sentiments amoureux à votre égard ?
La veuve le regarda fixement le visage sans expression avant de froncer les sourcils :
— Pourquoi venez-vous me parler de ça ?
— Nous cherchons à comprendre qui avait intérêt à la disparition de votre mari, éclaircit Harry.
Elle secoua la tête comme si elle n'en croyait pas ses oreilles :
— Je ne sais pas ce que vous avez en tête mais je pense que vous faites complètement fausse route. D'ailleurs, qu'est-ce qui vous faire croire à l'existence de ces supposés sentiments ?
— Votre beau-frère semble très proche de vous, répondit Harry.
— Évidemment, nous partageons le même deuil ! s'exclama-t-elle. Il est naturel que nous nous réconfortions. Les relations que j'ai avec mon beau-frère sont purement amicales et, s'il ressent autre chose pour moi, il le cache bien.
— Voulez-vous dire que vous ignorez qu'il est amoureux de vous ? avança Wellbeloved.
— Il ne manifeste aucun sentiment de ce genre à mon égard, répondit-elle fermement.
Elle laissa passer un moment de silence avant de conclure :
— Je trouve ignoble ce que vous sous-entendez avec vos questions. Jamais Edmund n'aurait fait de mal à son frère.
— Nous n'avons jamais évoqué cette possibilité, lui fit remarquer Harry.
— Vos questions sont parfaitement évocatrices, répliqua-t-elle dardant sur le commandant des Aurors un regard flamboyant. J'ai clairement compris où vous voulez en venir et je vous répète que vous perdez votre temps en imaginant ce genre de choses. Mon mari a pris ce produit par erreur, d'une façon ou d'une autre. Personne n'aurait pu le lui faire prendre pour lui faire du mal. C'est immonde d'imaginer cela.
Harry regarda son partenaire pour lui demander silencieusement s'il avait d'autres questions à poser. Celui-ci secoua négativement la tête, et Harry rendit sa liberté à la jeune femme :
— Nous sommes désolés de vous avoir dérangée. Ce sera tout pour l'instant.
Elle se leva vivement et fila vers la porte comme si leur présence lui était devenue insupportable. Juste avant de sortir, cependant, elle demanda, sans se retourner :
— Avez-vous posé les mêmes questions à Edmund ?
— Cela change-t-il quelque chose ? s'enquit Harry.
Sans répondre, elle referma le battant derrière elle, laissant les deux Aurors seuls dans la pièce.
— Ton impression ? demanda Harry à son coéquipier.
— Je ne sais pas. Plunkett aurait mieux fait de nier, commenta Wellbeloved. Après tout, comme il l'a deviné, notre idée ne repose que sur des suppositions, et nous n'aurions pas pu prouver qu'il mentait. Mais il est intelligent et sait sans doute que les meilleurs mensonges sont ceux qui se rapprochent le plus de la vérité.
— À moins qu'il ne soit trop effondré pour raisonner correctement et m'ait cru quand je lui ai dit que cela l'éloignerait de nos soupçons. Quoi qu'il en soit, c'est maigre comme piste, sans compter que nous n'avons aucun début de preuve. Il est temps de définir comment ce somnifère a été administré. Je suppose que toute la famille est encore là pour se remettre de la cérémonie de ce matin. C'est le moment d'organiser une reconstitution de ce fameux repas.
*
On ne peut pas dire que les deux Aurors furent accueillis avec chaleur quand ils se présentèrent au salon où se tenait toute la compagnie.
— Pouvons-nous vous aider ? demanda Ulysses d'une voix glaciale propre à décourager toute demande.
— Je suis navré de vous déranger encore, s'excusa Harry, mais nous sommes pratiquement certains que c'est durant le repas que votre neveu a ingéré la potion qui lui a été fatale. Nous avons donc besoin de savoir comment les choses se sont déroulées durant les quatre heures qu'il a passées avec vous avant de partir en promenade.
Il y eut des protestations, Ulysses fit même allusion à de nombreuses connaissances qu'il avait au ministère de la Magie, mais Harry n'en tint pas compte, et le maître de maison n'osa pas le mettre à la porte.
— Pour commencer, dans quel ordre êtes-vous arrivés ici ? commença patiemment l'Auror.
Sans tenir compte de leur mauvaise volonté, il les fit lever : Ulysses et son épouse restèrent dans le salon où ils avaient attendu leurs invités, tandis que ceux-ci se repliaient sur le hall d'accueil où débouchait la cheminée.
— Elle est débloquée pour chacun de nous, précisa Marvin d'une voix maussade.
— C'est moi qui suis arrivé le premier, indiqua Edmund d'un ton las en se plaçant près de l'âtre. Je suis directement allé dans le salon.
— Très bien, faites-le, demanda Harry. Quelle heure était-il ?
Edmund le précisa, et Wellbeloved, qui retraçait sur son carnet le déroulement des évènements, le prit en note.
C'était ensuite Doraleen qui avait pris pied dans le hall. Cinq minutes plus tard, Jerold et sa femme avaient à leur tour débouché de la cheminée. Harry les suivit dans le salon, laissant Wellbeloved noter la suite des arrivées.
Il retrouva le reste de la famille debout, ne sachant comment se comporter.
— Reprenez la place que vous aviez quand Jerold a pénétré dans la pièce, demanda Harry.
Ils s'exécutèrent puis l'Auror demanda :
— Quelqu'un s'est-il levé pour les accueillir ?
Ulysses se remit sur ses jambes, ayant manifestement décidé de coopérer pour en finir au plus vite :
— Ils sont venus vers ma femme, et moi et j'ai serré la main de mon neveu avant d'embrasser Nell.
— Il m'a fait signe de ne pas me lever, continua Bettany, et ils se sont tous les deux penchés pour m'embrasser.
Après un moment d'hésitation, Ulysses et Nell Plunkett s'avancèrent et amorcèrent une étreinte, puis la jeune femme se baissa vers la tante de son mari. Elle se dirigea ensuite vers Doraleen et mima un baiser avant d'adresser un vague signe de tête en direction de Edmund.
Harry était pratiquement certain que leur salut avait dû être moins formel mais, après l'interrogatoire dont ils avaient fait l'objet, il n'était pas étonnant qu'ils gardent une réserve marquée l'un envers l'autre en présence des Aurors.
Enfin, la veuve gagna une bergère et se laissa tomber dedans.
— Où s'est installé Jerold ? demanda Harry.
On le lui indiqua, et il prit la place du mort.
— S'est-il passé quelque chose avant que les autres n'arrivent ? questionna-t-il en regardant vers le seuil de la pièce où patientaient Marvin, son épouse et Wellbeloved.
Il y eut un moment de silence, avant qu'Edmund reconnaisse :
— Je leur ai servi l'apéritif.
Harry le regarda et il se leva après une légère hésitation.
— Que chacun ait en main un verre avec la boisson qu'il avait prise, précisa Harry.
Il y eut un moment de confusion puis les premiers arrivés furent servis, et Edmund tendit d'une main qui tremblait un peu un verre de porto à sa belle-sœur avant d'apporter un whisky Pur-Feu à Harry.
Marvin et Janet firent alors leur entrée. À la façon distante dont Janet et Doraleen reproduisirent leur salut, Harry se vit confirmer sa première impression selon laquelle les deux femmes ne s'aimaient pas beaucoup.
— De la cuisine, Catena a sonné la cloche qui indique que le repas est prêt, et nous sommes passés à table, indiqua Bettany en joignant le geste à la parole.
Tous se levèrent docilement et s'installèrent autour de la longue table de chêne. Une place vide montrait où s'était trouvée la victime. Jerold était placé entre ses deux tantes, Bettany et Doraleen.
— L'entrée, une salade de tomates, était sur la table, continua la maîtresse de maison. Nous l'avons mangée, puis j'ai sonné pour que Catena nous apporte la suite.
— J'aimerais lui parler pour avoir confirmation, interrompit Harry.
Tous se figèrent, et Harry comprit qu'il y avait un problème.
— Cela ne va pas être possible, opposa Ulysses. Nous l'avons retrouvé mort sur sa couche, hier matin.
— Quoi ? s'exclama Harry. C'est maintenant que vous me le dites ?
— Mais, enfin, nous avions autre chose en tête... balbutia Bettany.
Tous le regardaient étonnés, comme s'ils trouvaient incroyable qu'on fasse toute une affaire de cette disparition. Wellbeloved, par contre, écrivait posément sur son carnet.
— Un témoin meurt brutalement, et vous ne le signalez pas immédiatement ? leur reprocha Harry. Quel âge avait-il ?
Ulysses et son épouse se regardèrent.
— On l'avait acheté un peu avant la guerre, je crois, se souvint Bettany.
— Il devait déjà avoir une trentaine d'années à cette époque, compléta son mari. Je peux aller vérifier dans l'acte de vente, si vous voulez, proposa-t-il plein de bonne volonté.
— Inutile. Il n'est visiblement pas mort de vieillesse, répliqua Harry. Était-il malade ?
— Pas à notre connaissance, reconnut Ulysses.
— Et vous savez de quoi il est mort ? insista Harry.
— Non, nous n'allions pas faire venir un vétérimage... c'était trop tard de toute façon, justifia Ulysses visiblement désarçonné par l'attitude de l'Auror.
— Bon, où est-il maintenant ? demanda Harry en tentant de contrôler la rage qui montait en lui.
— Dans le parc, le renseigna Ulysses. Je l'ai mis là-bas pour que le jardinier l'enterre quand il viendra demain.
Harry serra les dents et prit une grande inspiration pour se calmer. Il n'était pas là pour défendre la cause des elfes et il avait une enquête sur un meurtre à mener. Or cette disparition soudaine était peut-être un élément important. La créature aurait-elle pu révéler quelque chose ? L'elfe avait-il été l'instrument du premier décès ? Avait-il vu l'assassin perpétrer son forfait ?
— Amenez-moi tout de suite à lui, commanda-t-il à Ulysses.
Toute la compagnie le suivit dans le luxuriant jardin de la propriété des Plunkett. À cent mètres de la maison, près d'un tas de bois, un monceau de branchages marquait la sépulture temporaire du serviteur de la famille. Harry fut soulagé qu'il ne soit pas juste jeté sur un tas d'ordures comme il l'avait craint à un moment.
— Écartez-vous, ordonna-t-il, sans prendre la peine d'être poli.
Il s'approcha avec Wellbeloved et prit une profonde inspiration avant d'écarter les feuillages. Heureusement, il ne faisait pas très chaud, et le petit corps n'était pas trop marqué par les deux journées écoulées.
— Je m'en charge, fit gentiment Wellbeloved qui se dépêcha de lancer les sorts basiques pour déterminer si la créature avait été attaquée par magie. Il prit ensuite des clichés avec son appareil photo avant d'indiquer :
— Il faut l'envoyer à Ste-Mangouste pour le reste.
— Emmène-le, décida Harry. Je vais examiner l'endroit où on l'a découvert.
Toujours suivi par la famille, Harry repartit vers la maison. Ulysses le mena vers une espèce de niche dans la cuisine, tandis que les autres se réfugiaient dans le salon. Du seuil, Harry examina l'endroit. Il était exigu, mais propre et confortable. Il y avait un vrai matelas, et non une paillasse, et l'elfe avait deux caisses qui devaient contenir ses effets personnels. Au mur, étaient pendus une demi-douzaine de torchons.
— Avez-vous nettoyé l'endroit, depuis ? demanda Harry.
— Non, nous avions autre chose à faire. J'ai amené le corps dans le jardin et j'ai tiré le rideau qui ferme sa chambre, c'est tout.
Harry sortit sa baguette pour examiner magiquement l'endroit. Il fit des relevés avant de prendre les empreintes digitales sur les caisses et vérifier superficiellement ce qu'il y avait dedans. Enfin, il examina le lit mais n'y détecta rien de suspect.
Wellbeloved le rejoignit alors qu'il était en train de poser des sceaux magiques, prévoyant d'y revenir quand il en saurait davantage sur les raisons du décès du serviteur. Ils envisagèrent d'entreprendre une fouille complète de la maison avant de renoncer. Si c'était un meurtre, son auteur avait eu plus de vingt-quatre heures pour faire disparaître les éléments de preuve. Autant terminer la reconstitution.
Ils retournèrent dans le salon pour retrouver leurs suspects et la reconstitution du repas reprit. Catena avait amené le poulet coupé en morceaux et entouré de ses pommes de terre au four. Chacun s'était servi en faisant passer le plat d'un convive à l'autre. Ils avaient ensuite pris le dessert, un pudding qui était une spécialité de l'elfe. Ulysses l'avait coupé et servi dans les petites assiettes. Les autres n'avaient fait que passer le pain et le sel.
— Après, nous sommes allés prendre le café au salon, enchaîna Bettany en se levant de la table, docilement suivie par tous les autres.
— Non, Edmund, tu t'es mis dans ce fauteuil, lui rappela Doraleen alors que son neveu par alliance s'apprêtait à s'installer sur le canapé.
— Ah oui, c'est vrai, se souvint Edmund. Et Jarold s'est installé sur la chaise près de moi.
En silence, toute la famille contempla le siège qui se trouvait pour le moment sans occupant. Harry, cette fois, n'osa y prendre place. Il y avait sans doute un meurtrier parmi eux, mais les autres étaient terrassés par le chagrin. Il resta donc debout près de la chaise en demandant :
— Et ensuite ?
— J'ai servi le café, le renseigna Nell. Catena l'avait préparé et posé le plateau sur la desserte, là.
— C'est vous qui avez servi Jerold ? s'enquit Harry.
— Oui, avoua Nell sans hésitation, visiblement persuadée que cette reconstitution était sans objet. J'ai rempli les tasses pour tout le monde, ajouté le sucre et le lait pour tante Bettany, Marvin et tante Doraleen, puis servi chacun.
Harry hocha silencieusement la tête et fit signe de la main de passer au moment suivant.
— Ensuite nous avons parlé, reprit Marvin d'une voix altérée, et, à quinze heures, Edmund s'est levé et est allé dans le vestibule avec Jerold.
S'en fut trop pour la veuve. L'évocation du dernier moment où elle avait vu son mari la fit éclater en sanglots. Harry, qui regardait dans la direction d'Edmund, vit celui-ci esquisser un geste vers elle, vite réprimé. Il tourna ensuite la tête pour cacher son expression pendant que Bettany s'asseyait près de la jeune femme pour la prendre dans ses bras, ses propres joues baignées de larmes.
Harry s'approcha d'Edmund et, d'un signe, l'engagea à sortir. Wellbeloved les suivit dans le vestibule et ferma la porte derrière eux. Il fallut un instant à leur suspect pour pouvoir prononcer d'une voix rauque :
— Catena est venu nous apporter nos capes de vol et nous sommes allés dans le jardin récupérer nos balais.
D'un geste, il montra par la fenêtre une cabane de jardin qui se dressait non loin de l'endroit où avait reposé l'elfe.
— Nous nous sommes envolés et, un quart d'heure plus tard...
Il se tut, les yeux embués. Il déglutit à plusieurs reprises avant de dire d'une voix âpre :
— Si vous en avez terminé, partez ! Nous avons le droit de pleurer mon frère en paix.
— Il est probable que l'un de vous l'ait tué, répliqua Wellbeloved d'une voix calme.
Edmund se tourna vivement vers l'Auror, les yeux durs, visiblement furieux. Mais, une fois de plus, il se maîtrisa et fit volte-face sans répondre, préférant rejoindre les siens dans la pièce d'à côté.
Du regard, Harry interrogea son partenaire.
— Je ne pense pas qu'on en tire davantage aujourd'hui, fit remarquer Wellbeloved. Autant rentrer au ministère et mettre à plat tout ce que nous avons déjà appris.
*
Le lendemain matin, Harry rejoignit Wellbeloved pour tenter de faire le point sur ce qu'ils savaient de l'affaire Plunkett. Angelina, qui était installée juste à côté, sourit à son beau-frère quand elle le vit arriver. Harry savait que Pritchard l'avait affectée au tandem Hobday – Pilgrim tant que Wellbeloved travaillerait avec lui.
La reconstitution de la veille avait déterminé que Edmund et Nell auraient pu empoisonner la victime en lui servant l'un l'apéritif, et l'autre le café. Mais tous les autres lui avaient passé des plats lors du repas. Ils espéraient avoir rapidement les résultats de l'examen du corps de l'elfe. Connaître la raison de sa mort leur permettrait peut-être de relancer l'enquête avec des éléments nouveaux.
Par ailleurs, rien dans l'enquête de voisinage qui se poursuivait n'avait fait apparaître de vice secret. Wellbeloved était allé poser des questions dans l'entreprise d'Ulysses Plunkett où Edmund travaillait. Ce dernier faisait l'unanimité auprès du personnel. Beaucoup des employés témoignèrent de leur peine pour la famille, évoquant l'attachement d'Ulysses et d'Edmund pour Jerold, qui passait de temps en temps. Ils s'apitoyèrent sur le terrible veuvage de Nell, qu'ils connaissaient bien car elle avait travaillé plusieurs mois comme secrétaire avant de reprendre ses études juste après son mariage.
Ils s'apprêtaient à partir déjeuner quand Pritchard sortit du bureau du commandant :
— Un certain Marvin Plunkett demande à vous voir. J'ai dit à l'accueil de le laisser passer.
Harry échangea un regard surpris avec son enquêteur avant qu'ils ne se lèvent pour aller réceptionner leur visiteur inattendu sur le palier de l'étage de la Justice magique. Celui-ci ne tarda pas à sortir de l'ascenseur, visiblement nerveux. Il regarda autour de lui, désorienté, ne remarquant Harry et son partenaire que lorsqu'ils vinrent à lui.
— Bonjour, Mr Plunkett, que pouvons-nous pour vous ? demanda civilement Harry.
— Je vous apporte quelque chose que j'ai trouvé... et qui malheureusement est sans doute lié à la mort de mon cousin, articula Marvin comme si les mots avaient du mal à sortir de sa bouche.
— Veuillez nous suivre, lui proposa Harry en le pilotant vers l'une de leurs salles d'interrogatoire afin qu'ils puissent parler sans être dérangés.
Une fois installés, il y eut un long silence, comme si leur témoin se battait contre sa conscience. Harry fit signe à son partenaire de prendre patience. Il sentait que l'homme avait besoin de temps avant de leur indiquer la raison de sa présence. Enfin, Marvin Plunkett se décida :
— Ce matin, nous avons commencé à ranger les affaires de Jerold, expliqua-t-il. Mon épouse a estimé que ce serait trop douloureux pour Nell de le faire toute seule... Je ne sais pas si c'est lié ou non à la mort de mon cousin mais... j'ai pensé qu'il fallait que je vous en parle.
D'une main tremblante, il sortit un parchemin de sa poche et le posa sur la table. Harry tira sa baguette et s'en servit pour déplier la feuille sans la toucher. Il se pencha pour déchiffrer l'écriture nerveuse.
C'était une lettre d'amour, destinée à Nell Plunkett.
— Qui est l'auteur de cette missive, d'après vous ? demanda Harry, qui avait sa petite idée sur la question mais voulait en avoir confirmation.
Leur témoin avala sa salive convulsivement avant de lâcher :
— C'est l'écriture d'Edmund.
Harry vit un mince sourire sur le visage de Wellbeloved. Ils tenaient enfin un début de preuve.
— Cette lettre n'est pas signée, tempéra Harry. Êtes-vous certain qu'elle a été écrite par votre cousin, Edmund Plunkett ?
— Il a une écriture très particulière, leur fit remarquer Marvin. En tout cas, je peux vous assurer que ce n'est pas l'écriture de Jerold.
— Auriez-vous un exemple de leur écriture respective ? demanda Harry.
— Non... je n'y ai pas pensé. Je suis désolé... j'étais tellement bouleversé ! Mais oui, on en a plein chez Jerold, des papiers à lui, des mots écrits par Edmund...
Sa bouche se tordit comme s'il allait pleurer, mais il parvint à se maîtriser et dit d'une voix rauque :
— Comment a-t-il pu trahir Jerold ? Son propre frère !
Harry ne sut que dire à cet homme simple et droit, profondément blessé par cette tragédie familiale. Pendant leur échange, Wellbeloved n'était pas resté inactif. Il avait également sorti sa baguette et avait agi avec diligence. Il avait vérifié qu'aucun sortilège n'avait été jeté sur le parchemin, puis relevé les empreintes digitales. Enfin, il conjura une feuille de papier vierge et la déposa devant leur témoin. Il jeta un regard à Harry pour lui demander s'il pouvait intervenir. Au hochement de tête affirmatif de son commandant, il demanda :
— Pouvez-vous appliquer votre main sur ce papier ?
Sans discuter, Marvin s'exécuta. Wellbeloved demanda alors :
— Étiez-vous seul quand vous avez fait cette découverte ?
Marvin Plunkett le regarda sans comprendre :
— Que voulez-vous dire ?
— Y avait-il quelqu'un avec vous quand vous avez trouvé cette lettre ?
— Ma femme était dans la pièce à côté, et je la lui ai montrée, évidemment. Je lui ai demandé ce que nous devions en faire et nous avons décidé ensemble qu'il fallait que je vous l'apporte, car cela pouvait avoir un rapport avec l'enquête.
— Vous avez eu raison, lui assura Harry. Et Nell Plunkett, était-elle présente ?
— Elle est toujours chez mon oncle et ma tante. Elle nous a ouvert sa cheminée et nous a laissés seuls.
— Lui en avez-vous parlé à elle aussi ?
— Non, je suis venu directement. Vous croyez qu'elle savait que Jerold avait ça ?
Harry haussa les épaules. L'épouse savait-elle si son mari était au courant que son propre frère en pinçait pour elle ? Avait-elle menti en prétendant le contraire ? Il ne pouvait avoir de conviction tant qu'il ne le lui aurait pas demandé.
— Nous vous remercions d'être venu nous voir, conclut-il au lieu de répondre. Pourriez-vous garder le silence sur cette lettre, vous et votre épouse ? C'est important pour l'enquête.
— Oui, je comprends. Je l'expliquerai à Janet. Ne vous en faites pas, elle n'est pas du genre à parler à tort et à travers.
— Parfait, approuva Harry en se levant pour le raccompagner jusqu'à l'ascenseur.
— On arrête le bel Edmund ? déduisit Wellbeloved quand ils se retrouvèrent seuls.
— Je pense que c'est la meilleure chose à faire, convint Harry. S'il sent que ça tourne mal pour lui, il risque de se faire la malle. Vu son implication dans les transports, je ne serais pas étonné qu'il sache bricoler un portoloin.
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