9 - Les sassandres
Jessica nageait avec l'armée de requins en direction de la maison des castellans. Dans les grottes, la bataille faisait rage. Les eaux éclaircies par une lune presque pleine étaient souillées de sang. Plus ils s'approchaient de Castellane, plus des cadavres de toutes sortes, plus ou moins complets, flottaient autour d'eux. Des lambeaux de chairs arrachées côtoyaient des tentacules sectionnés et des dizaines de corps pétrifiés, certains dans une posture qui ne laissait aucun doute sur l'agonie terrifiante qu'ils avaient vécue. De temps en temps, les restes d'une sassandre au torse rabougri et à la bouche figée dans un hurlement muet, leur redonnaient du baume au cœur. Elles pouvaient bien vivre deux cents ans, elles n'en étaient pas immortelles pour autant.
Arrivées presque à la fin de leur réserve, Jessica et sa garde personnelle d'une dizaine d'individus abandonnèrent le bataillon de requins aux abords de l'entrée secrète, qu'elles ne souhaitaient pas dévoiler aux Deminicis. Ceux-ci partirent en direction du front tandis que les Akerys nagèrent vers le tunnel secret. Elles approchaient de l'entrée lorsqu'elles furent prises dans une embuscade de sassandres. Les sirènes monstrueuses n'étaient pas armées. Elles n'en restaient pas moins de redoutables guerrières, rapides et vivaces, des anguilles électriques plein la tête. Une seule morsure de l'un des serpents de mer et les Akerys seraient mortes. Jessica sortit son couteau et l'enfonça dans le flanc d'une première sassandre, mais la créature sembla s'en amuser. La plaie restait très superficielle. Elles durent se mettre à cinq contre la sirène-serpent et viser le cœur pour réussir à en tuer une première.
Une seconde créature se jeta sur Jessica, tandis que sa garde était aux prises avec une troisième, une quatrième, une cinquième. Elle se fit piquer à la main par une anguille, mais heureusement son gant fit écran. C'est alors qu'elle reconnut la sassandre. Celle-là même qui les avait épiés à l'auberge avec Gondebaut. Elle tournoyait en riant autour d'elle. Les cris de la sirène la dérangeaient. Elle n'arrêtait pas de danser autour d'elle dans une vitesse effrayante au point qu'elle la perdait des yeux. La créature la saisit soudain par-derrière et tentait maintenant de l'étouffer.
Jessica tentait à coups de dagues de toucher le cœur de la créature, mais celle-ci avait placé son bras autour de son cou et serrait de plus en plus fort pour étouffer sa proie. Le cœur de Jessica cognait à tout rompre et son souffle se fit plus court. La sassandre parvint à lui prendre sa dague et entailla le masque de respiration de l'Akerys tout en continuant à l'étrangler. Jessica se dit que sa dernière heure était venue. Les battements de son cœur ralentirent. Comme si l'océan lui murmurait de partager son lit d'algues et de sable, elle entra dans un état second, à la fois terrifiée à l'idée de voir la fin approcher et suffoquée. Elle regretta ne pas voir une dernière fois Gondebaud. L'image du jeune Rohan passa alors devant elle. Elle pouvait bien mourir maintenant que son vœu ultime avait été exaucé. Elle se résigna au trépas et perdit connaissance.
Gondebaud, qui se trouvait réellement là, harponna la sassandre. Cette dernière, attirée par l'homme, lâcha la jeune Akerys et entra dans une danse de séduction aux allures dévastratrices. Mais la flèche avait touché le cœur, et bientôt se traits se firent plus vieux, ses écailles se ternirent, ses têtes de serpents tombèrent et ses yeux se retournèrent.
Jessica flottait maintenant inconsciente, les poumons vides, mais probablement pas encore remplis d'eau. Les Akerys n'avaient certes pas beaucoup de capacité thoracique, mais davantage que les Walsh. Gondebaud réussit enfin à achever la sassandre puis se propulsa vers le corps errant de Jessica. Il lui pinça les narines et lui insuffla l'air de ses propres poumons dans la bouche, priant qu'elle revienne à la vie. Rien. Inerte, ses jambes se balançaient au gré du courant. Il continua à expulser l'oxygène de son corps dans la bouche de la femme qu'il venait de rencontrer et d'aimer. Extraire l'air, le donner. Extraire l'air, le donner. Les joues de la jeune femme se gonflaient et se dégonflaient au rythme de l'expiration de Gondebaud, puis enfin, elles reprirent de la couleur et ses paupières se rouvrirent. Gondebaud alla encore chercher une énorme inspiration et en fit cadeau à Jessica. Leurs yeux ne se quittaient plus, se remerciaient, s'aimaient. Il la dirigea alors vers l'entrée du tunnel pour la mettre à l'abri et puisse atteindre la chambre de décompression, avec le restant d'air qu'il lui avait donné.
Gondebaud allait la suivre lorsqu'une nouvelle sassandre à la chevelure de serpents jaunes, l'attrapa par les jambes. Le courant, devenu plus fort, gênait Gondebaud et il ne réussit pas à s'en dépêtrer. Puis soudain, il s'arrêta. Dans la bataille, ses lentilles de protection s'étaient décollées et il se laissait malgré lui lentement envoûter par le regard rouge de la créature. La sirène aux murènes jaunes l'emporta dans ses bras vers les profondeurs, tel un trophée longuement convoité.
Jessica se retourna, ne voyant plus Gondebaud et se pétrifia en voyant la scène, accablée de douleur. Elle voulut les rattraper, mais sa garde personnelle l'en empêcha, sachant qu'elle n'avait plus d'air. Le cœur déchiré, trainée par son garde du corps, elle s'effondra choquée, dans la chambre de décompression.
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