Le club des sept

Mathieu, accoudé, ou plutôt affalé sur le comptoir du restaurant des jumeaux, soupira.

‑ Tu n'es pas avec Cassie ? demanda Aiden.

Mathieu lui lança un regard noir.

‑ Elle l'a dit, elle est occupée. Elle a de la paperasse et elle a accepté quelques événements en tant que pianiste, elle en a besoin pour sa santé mentale. Je ne l'ai pas beaucoup vu depuis qu'elle est revenue.

‑ C'est aussi le cas de Lyla et Nathan.

‑ Ouais, mais eux, c'est spécial...

D'un coup de patin, Abby atteint le bar et si accrocha.

‑ Vous parlez de quoi ?

Mathieu la fixa.

‑ Vous n'auriez pas une place dans votre resto ?

‑ Tu as besoin d'argent ?

‑ Non, c'est surtout pour mon père.

‑ Nous sommes en plein mois de juillet, Math, fit Aiden, c'est trop tard. Mais s'il y a une place, je te le dirai. Ce sera sûrement à la plonge, et je suis sûr que tu ne tiendrais pas une semaine.

‑ Héé !

La porte d'entrée s'ouvrit, Andrew les rejoignit au comptoir et alla s'asseoir à côté de Mathieu. Après quelques poignées de main et quelques paroles, ce dernier annonça :

‑ Au fait, j'ai des billets pour le concert d'un petit groupe de musique, on me les a offerts.

‑ Combien ? demanda Aiden.

Mathieu fit un sourire en coin.

‑ Trois.

Les jumeaux se défièrent du regard.

‑ J'en ai également pour la représentation de Cassie le jour du feu d'artifice.

‑ Mais c'est dans moins d'une semaine ! s'exclama Abby.

‑ Et cette fois, tu en as combien ? s'enquit Aiden.

‑ Sept, Cassie n'a pas oublié Ethan. Par contre, c'est de la musique classique, ça ne va pas plaire à tout le monde.

‑ C'est pas grave, c'est Cassie, dit Andrew.

‑ Mais il n'y aura pas qu'elle ! Si je dis pas de conneries, il y aura un japonais qui jouera avec elle, ça fait plusieurs jours qu'ils s'entraînent. Autant ne pas y aller trop tôt, on risque de s'y faire chier.

‑ Pour ? lança Ethan qui venait tout juste d'arriver.

Abby sourit.

Le jour J, ils se retrouvèrent tous devant l'auditorium de la ville. La bouche grande ouverte, ils regardaient le bâtiment, émerveillés.

‑ Je ne suis jamais venue ici, fit Abby d'une petite voix.

Lyla s'inspecta sous toutes les coutures, est-elle bien maquillée ? Ses cheveux étaient-ils bien coiffés ? N'était-elle pas habillée trop décontracté ? Nathan sourit et lui dit à l'oreille :

‑ Tu es très belle.

La fille rougie.

‑ Qu'est-ce qu'on fout là ? lâcha Aiden.

Mathieu rigola.

‑ Allez venez ! En tant que VIP, on peut passer devant tout le monde.

Ils se mirent en marche.

‑ Je croyais que ça allait se faire en extérieur, dit Abby, comme à Paris.

‑ C'est vrai que ça aurait été mieux.

Ils entrèrent dans le hall de l'auditorium des étoiles plein les yeux.

‑ Je ne me sens étrangement pas à ma place, fit Aiden.

Ethan tira sur sa cravate pour la desserrer, Abby la lui remit aussitôt en place. Andrew désigna des rubans rouges du doigt.

‑ C'est là-bas qu'on doit aller ?

‑ Visiblement, répondit Mathieu.

‑ Tu n'as pas l'air surpris, remarqua Nathan.

‑ Mon école m'a habitué aux excentricités. Tu verrais comme elle est ! Je vous enverrais des photos si je peux.

‑ Et de ta petite amie, aussi ! s'exclama Abby.

Andrew rougit.

‑ Oui, bah on verra, hein ! Allons-y.

Ils s'engagèrent entre les rubans rouges, présentèrent leurs billets à une femme qui se tenait au bout et entrèrent dans la salle. Une fois de plus, ils furent éblouis par la beauté des lieux.

‑ C'est immense ! chuchota Abby.

‑ Si on m'avait dit, un jour, que j'irai là-dedans..., murmura Lyla en commençant à descendre les marches de l'allée dans laquelle ils se trouvaient.

‑ Ne dites pas trop de conneries, expliqua Mathieu, ces murs sont faits pour répercuter les sons.

Nathan passa son bras autour de ses épaules.

‑ Tu dois être content de venir ici.

‑ T'imagine même pas !

Ils allèrent s'installer sur leurs sièges respectifs, Mathieu n'avait pas menti, Cassie leur avait choisi la meilleure place, ni trop devant, ni trop derrière, pile en face de la scène et avec un espace dégagé devant eux. Tous les instruments avaient déjà été installés et le public entrait petit à petit, le concert n'allait pas tarder à commencer. Lyla se pencha en avant pour se faire entendre de tout le monde :

‑ Cassie passe quand ?

‑ Vers la fin, répondit Mathieu. Elle reste longtemps sur scène, elle fait quatre musiques, dont une avec sa sœur, une avec un pianiste allemand et l'autre avec son fameux japonais, à quatre mains.

‑ Tu es bien renseigné, lança Aiden.

‑ L'ordre des passages est écrit sur le flyer et Cassie m'a envoyé une centaine de messages en deux jours tellement elle paniquait.

‑ Ça lui ressemble bien, dit Nathan.

‑ Mais quand elle sera sur scène, vous verrez, ce sera la plus belle, toutes ses angoisses se seront envolés.

Son meilleur ami sourit, il voulait bien le croire.

Une fois tout le monde installé, la représentation commença enfin et comme l'avait prédit Mathieu, ça devint ennuyeux au bout d'une dizaine de minutes, heureusement, quelques musiques furent plus intéressantes que d'autres et seuls les chanteurs énervèrent passablement les sept amis, au point qu'ils devinrent un running gag à chaque fois qu'il y en avait un qui entrait sur scène.

Il y eut un entracte puis la partie de Cassie arriva enfin.

Si les sept amis attendaient sa performance avec impatience, derrière la scène, c'était différent. Cassie avait chaud dans sa longue robe et elle n'arrivait pas à calmer les battements de son cœur, c'était la première fois qu'elle allait jouer devant autant de personnes, cette représentation était très importante pour tout le monde mais elle se sentait encore un peu trop jeune pour se retrouver ici.

Une main se posa sur son épaule, elle n'eut pas besoin de se retourner pour savoir à qui elle appartenait, sa sœur portait le même parfum qu'elle.

‑ Ça fait du bien de jouer avec toi, fit cette dernière.

‑ Hmm...

Sur scène, un ténor faisait vibrer les cœurs du public, sa voix n'apaisait pas Cassie pour autant.

‑ Tu pourrais quand même être un peu plus joyeuse, cette scène est un tremplin, on passe à la télé, à la radio et on va parler de nous dans les journaux, c'est du boulot assuré jusqu'à la fin de ta vie.

‑ Je t'en prie, mets-moi plus de pression. Je ne suis pas allée faire des études de sciences pour faire de la musique.

‑ Alors pourquoi tu es là ?

Cassie soupira et chuchota :

‑ La scène est difficile à quitter...

Le public applaudit le ténor. Le cœur de Cassie rata un battement, ça allait être son tour. Celui qui était au micro discuta avec le chanteur, de très longues secondes s'écoulèrent puis il annonça enfin le nom de Cassie, la jeune femme prit une inspiration, souffla, s'arma de son plus beau sourire et s'avança sur scène sous les applaudissements du public.

‑ C'est elle ! s'écria Lyla avec un grand sourire.

‑ On a vu, fit Mathieu qui ne quittait pas sa copine du regard.

De fait, il la trouvait très belle dans sa robe bleue.

Après avoir salué tout le monde, Cassie s'assit à son piano. Le silence se fit dans la salle, c'était le moment le plus difficile, la jeune femme gardait les yeux fixés sur les touches blanches et noires, elle vida ses poumons, jeta un coup d'œil au maestro et hocha la tête. Deux secondes après, une magnifique musique s'échappa de son instrument.

Abby lança :

‑ J'y connais rien mais elle joue bien.

‑ La musique est universelle, fit Aiden. À la base, je n'aime pas le classique, mais alors là...

Cassie ne se dérida que lorsque sa sœur entra sur scène, les regards qu'elles se lançaient avaient réussi à la faire sourire. Puis le japonais réussit l'exploit de la faire rire. Mathieu fronça les sourcils, il était un poil jaloux. À la fin de sa dernière musique, un tonnerre d'applaudissements jaillit. Cassie ferma les yeux de soulagement, quand elle les rouvrit, elle vit la scène et les spectateurs sous un angle différent, c'est ça qu'elle aimait. Elle ne pouvait se départir de son sourire.

Elle échangea quelques mots avec celui qui l'avait accompagné, en vrai gentleman, il l'aida à se lever et ils saluèrent le public ensemble. Nathan s'étira.

‑ C'est bientôt fini, dit Ethan avec une pointe de soulagement.

Effectivement, après trois autres personnes, la représentation s'arrêta. La lumière revint ainsi que le brouhaha. Lyla lança :

‑ Y'a le feu, maintenant ?

‑ Oui, fit Aiden on devrait se dépêcher, non ?

Ils se levèrent mais ne purent faire un seul pas, tout le monde se ruait sur la sortie et bloquait le passage, il n'y avait aucun moyen de se faufiler dans l'allée principale. Après de longues minutes, ils purent enfin s'y engager. Ils étaient arrivés aux trois quarts de la salle lorsque quelqu'un tapa sur l'épaule de Lyla qui se retourna.

‑ Cassie !

‑ Suivez-moi, vite !

La troupe redescendit vers la scène et ils empruntèrent une porte sur le côté qui donnait sur un couloir. Ethan était presque sûr qu'ils n'avaient pas le droit d'être là. Sur le chemin, ils croisèrent Élodie.

‑ Vous êtes vers des loges, dépêchez-vous de traverser.

Ils se rendirent au fond du couloir et montèrent un escalier, ils se retrouvèrent sur le bâtiment, à un balcon. Ils n'étaient pas les seuls, le groupe d'amis avait remarqué certaines personnes qui étaient montées sur scène. Cassie alla s'accouder à la barrière.

‑ De là, on peut voir le feu.

La jeune femme rayonnait, Mathieu se mit à côté d'elle en souriant et lui prit la main. Étrangement, il la sentait loin de lui. Au bout de quelques secondes, elle dit :

‑ Je pense que je vais aller en Angleterre pendant les prochaines vacances d'été.

‑ Pourquoi ? s'enquit Aiden. Tu ne te sens pas bien, ici ?

‑ C'est juste pour être bilingue.

‑ Tu l'es déjà ! lança Abby.

‑ Pas assez. Il y a beaucoup d'étrangers ici, j'ai parlé anglais toute la journée et il y a pas mal de phrases que je ne comprenais pas, c'était assez gênant.

Les deux coups pour annoncer le feu d'artifice retentirent, ce qui mit fin à la conversation.

Près d'un mois plus tard, Mathieu, Cassie et Aiden se retrouvèrent à un concert d'un groupe de rock qui ravit Mathieu. En rentrant chez lui, il n'avait envie que d'une seule chose, jouer de la guitare et que tout le monde puisse entendre ce qu'il faisait.

Cassie et Andrew repartirent fin août puis, ce fut de nouveau la rentrée.