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la rosée de l'aube


Wenam rassembla les Seigneurs le lendemain. Il ordonna que tous les Seigneurs soient présents, sauf Lorkem et Noraus, qu'il prit soin de ne pas mettre au courant. Les Seigneurs se rassemblèrent sur ce qui ressemblait à une place et Wenam monta sur une estrade improvisée - une pierre.

- Chers Seigneurs, chères seigneuresses, commença-t-il d'un ton officieux. Pour commencer, comme vous pouvez voir, je me suis libéré, moi, Omir, Ayavna et Sakult. Je ne suis pas là pour blâmer les traîtres à notre cause, ceci sera fait en temps et heure. J'aimerais m'adresser à notre opposé et ce qui les ont rejoints. Sachez que l'on vous ment. Que votre chef vous ment. Il "discute" bien souvent avec son second, non ? Sachez, sachez que je les ai aperçus cette nuit même, partageant le même lit, enlacés l'un l'autre, un sourire béat sur le visage. Deux enfants reposaient à leurs côtés.

Les protestations n'attendirent pas la fin de son discours. Eguyne argua qu'il n'avait aucune preuve. Annéine profita de l'occasion. Elle les trahit et soutint Wenam. Shamara et Margan protestèrent vivement, lançant qu'elles l'auraient remarqué et que c'étaient d'odieux mensonges visant à semer la discorde. Une voix s'éleva parmi la cacophonie. Il s'agissait de Lorsae, dieu des rêves et des visions, qui gardait un visage parfaitement calme et détaché.

- Quand bien même cela serait-il vrai, grand bien leur fasse ! En quoi cela change-t-il quoi que ce soit ? Ils restent les mêmes personnes dans le même rôle, vous concernant. Ce qui se passe derrière une porte close ne regarde qu'eux - à moins bien sûr que quelqu'un n'ouvre cette porte.

Avait-il jeté un regard mauvais ou insistant à Wenam lors de sa dernière phrase ?
Les visages stupéfaits se fixèrent sur lui. Il enlaçait Lysinos par la taille. Celui-ci portait une fillette visiblement animée cette nuit même. Son visage restait parfaitement serein, à la limite de l'impassibilité, et celui de son compagnon rayonnait. Lysinos avait appris auprès de son amant à gagner en confiance.

Shamara, Margan, et Eguyne résolurent de poser elles même la question aux deux concernés, le lendemain; bien que la dernière ne le fasse que pour sa couverture et celle de ses parents.
Cependant, entre temps, Lysinos et Lorsae se présentèrent à la chambre. Ils avaient demandé conseil aux deux amants pour concevoir leur fille, Nyphau car ils les avaient surpris un jour à l'ombre d'un arbre, enlacés mais avaient juré de ne pas révéler leur idylle. Ils apprirent donc au couple de feu et de ténèbres que leur secret était éventé par Wenam. Leurs suivants viendraient leur poser la question le lendemain, ce qui laissait aux amants le temps de se concerter. A quoi bon nier ? Le doute planerait et si quelqu'un venait à confirmer les dires de Wenam, ils perdraient toute crédibilité. Ils eurent donc une merveilleuse idée.

Le lendemain, les Seigneurs se réunissaient de nouveau sur la "place". Lorkem et Noraus étaient au centre, tout à fait calmes, et avaient dénigré la pierre de Wenam.

- Il semblerait, commença Lorkem, que Wenam ait laissé entendre certaines choses... que nous confirmerons.

Noraus hocha la tête avec un grand sourire. Il portait la petite Asquine dans ses bras et sa sœur quasi jumelle était assise à ses pieds, fascinée par un scarabée. Des murmures se répandirent dans l'assemblée tendis qu'Eguyne se postait à leurs côtés, involontairement menaçante.

- Cependant, continua le Seigneur des ténèbres, il semblerait que nous soyons dans le temps des révélations alors... signifions tout de même que le côté lumineux à sa part de cachotteries. Deux visages se décomposèrent. Celui de Wenam et celui d'Ayavna, côte à côte. Norl s'enfonça dans ses épaules. Des exclamations fusèrent. Lorkem fixa son regard dans celui de son frère et sourit. Retour à l'envoyeur !

Les Seigneurs ne savaient plus vraiment où donner de la tête. Une dernière révélation devait cependant venir assombrir ce jour. Yine, voyant l'embarras du père de son enfant, qu'elle tenait dans ses bras, s'approcha de lui et lui sourit en lui prenant la main. Elle déposa un baiser fugace sur ses lèvres et Norl posa un sourire tendre sur son enfant, Aladriel. Ils rayonnaient d'insouciance et de naïveté.
C'était sans compter que tous les Seigneurs étaient réunis. Margan assista à cette scène avec horreur, songea au monstre qu'elle avait fait naître avec ce même Seigneur comparé au doux visage harmonieux d'Aladriel. Une colère folle l'emplit. Une dague apparut dans sa paume et elle se jeta sur la traîtresse. Des cris de panique et d'incompréhension montèrent du groupe. Norl poussa un hurlent de désespoir en entendant le son étouffé du sang qui jaillit. De Yine il ne resta bientôt que des morceaux éparses et difformes, méconnaissables. Margan était eclaboussée de sang. Elle se tourna vers son mari. Celui-ci tremblait et tenait dans ses bras Aladriel, que son amante lui avait fourré dans ses bras au dernier moment. Elle se précipita sur son mari infidel mais Lorsae, Eguyne et Shamara la retinrent, permettant à Wenam et Ayavna de pousser leur fils. Il prit maladroitement son envol à travers les terres et évita tout contact avec l'eau. On ne le revit plus pendant un certain temps. On dit que le corps - tout du moins ce qu'il en restait - de Yine se transforma en grappes de fruits rouges et juteux. Lorsqu'on presse ceux-ci, un liquide sanglant en sort. Certains peuples ayant oublié les traditions ancestrales trouvèrent par ailleurs le goût excellent et en découvrir les effets de l'abus. On le nomma "vin" : certains disent qu'il y avait une signification particulière mais si c'est le cas, elle a été perdue. Et comme le jour arrivait à peine le sang de la Seigneure éclaboussa son amant et depuis, à l'aube, le ciel se pare de teintes sanglantes. Pourtant c'est par amour qu'eut lieu cet acte terrible. Aussi le sang se dilut parfois un peu dans l'eau et devient rose.

Ce jour resta funeste, pour tous et toutes. Les Seigneurs réfléchirent en silence plusieurs jours sur cet incident. Margan retourna s'isoler au plus profond de l'océan et la culpabilité ne la toucha pas, dit-on, pourtant la pression de l'eau s'intensifie lorsque qu'on descend dans les profondeurs de l'océan.

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