L'apparence de nos coeurs
Revenons peu avant la naissance de Lysinos. Eguyne avait grandi. Elle était belle, Seigneure des hors-la-loi, des assassins, des voleurs, des ermites et des solitaires. C'était une des seuls Seigneurs à ne pas porter de robe mais des habits souples et aux nombreuses poches, pratiques, chauds et légers en même temps, capables de cacher sa propriétaire et de la protéger des coups dans une certaine mesure. Eguyne aimait ses parents mais avait pris son indépendance et gardait toujours le secret de son ascendance. La paix s'était installée mais Wenam ruminait sa colère et sa jalousie. Certains et certaines de son point de vue pensaient de même mais certain(es) aspiraient à rejoindre la paix tranquille. Le seigneur blanc commença à échafauder un plan pour se libérer de Thnitolsy.
Lorsae était le frère de Shamara et le maître des rêves et des visions. On dit qu'il peut lire dans le cœur de quiconque. Quoi qu'il en soit, il voyait les gens différemment de ce que ceux-ci laissaient paraître. Il voyait les gens différemment et... les comprenait, d'une certaine manière, d'une manière plus intime et plus personnelle qu'on le pourrait entre gens "normaux". Il semblerait donc ici nécessaire de préciser ce qu'on entend par "normaux". Les Seigneurs ne connaissaient qu'eux, alors la normalité était eux. De la beauté on ne parlait pas car chacun l'était aux yeux d'un autre et chacun avait ses propres critères. Ainsi Lorkem trouvait beau Noraus pour son coeur, son énergie, sa douce chevelure flamboyante et ses yeux aimants mais il trouvait laid Wenam car il était à son goût trop "brillant", trop "exposé", trop blanc. Il n'avait pas assez de reliefs de sa peau nacrée à sa chevelure ivoire en passant par ses yeux d'un bleu presque argenté et par sa robe scintillante et immaculée. Il ressemblait trop à un miroir immobile et hypocrite, trop souriant, trop propre. Mais à l'inverse, Wenam trouvait son frère trop sombre, trop imperceptible, trop secret, trop caché, trop imprévisible. Son visage trop émacié, trop anguleux, sa peau trop pale pour ses cheveux et sa vêture sombre. Il le méprisait, pensait que celui-ci se cachait. De Noraus il songeait qu'il pouvait avoir du charme mais était "corrompu" par Lorkem. Noraus lui, voyait Lorkem splendide dans son charisme sombre et son mystère, son visage sans rondeurs qui pouvait paraître si dur mais qui souriait avec tendresse et ses yeux si troubles qui pourtant rayonnaient de bonheur et d'envies. De Wenam il songeait qu'il aurait pu avoir une certaine influence s'il n'était pas aussi... brillant, exposé, et un peu hypocrite. Il voyait Ayavna trop dénudée, presque jusqu'à l'indécence alors que Wenam la trouvait irrésistible et juste à son goût, répondant à ses avances sans pour autant s'abandonner à lui. Ayavna voyait Wenam proche de comment il la trouvait : brillant, splendide, l'incarnation de la pureté et du parfait.
Bref, la beauté était propre à chacun et le normal était les Seigneurs et ce qui était connu. Ainsi Lysinos était "anormal" car les maladies se manifestaient pour la première fois en sa personne. En fait, personne n'était normal. Parce que la normalité désigne une majorité de personnes qui ont les mêmes caractéristiques; mais les Seigneurs étaient tous différents les uns des autres.
Bref, Lorsae vit Lysinos sous un aspect différent de son apparence et il l'observa, longtemps, souvent jusqu'à réveiller en lui un frémissement doux et pressant, qu'il ne sut identifier. Il dut trouver le courage, un jour ou l'autre, d'aller parler à celui qui l'intriguait tant. En fait, c'était d'avantage de la fascination que de la curiosité à présent. Le Seigneur avait on ne peut plus de temps de libre, puisque personne ne voulait de lui et il sursauta lorsque Lorsae vint s'asseoir à ses côtés. Il faisait beau et chaud et l'herbe était douce et épaisse.
- Bonjour. Qui es-tu ? Je ne crois pas t'avoir déjà vu parmi les Seigneurs.
- Non, en effet. J'ai tendance à rester à l'écart.
Lorsae était l'un des trois Seigneurs de Wenam qui avaient renoncé à la lumière pour la paix, les deux autres étant Yine, Seigneure de la fête et du vin et Annéine, sœur de Wenam et Lorkem. Cette dernière avait complètement changé de camp. Ayavna avait été renfermée, puisque son fils était assez grand pour se débrouiller et Omir réfléchissait sérieusement à rejoindre le maitre des visions et la maitresse des festivités.
- Pourquoi ? Pourquoi restes-tu à l'écart ?
- Je ne sais pas. Peut être que ça m'aide à garder les idées claires.
- Vous n'êtes jamais fatigués, vous, les autres Seigneurs ?
- Je ne crois pas savoir ce qu'est la fatigue. Décris-là moi.
- Et bien... La fatigue fait que tu as envie de dormir, de t'asseoir, de t'allonger, de ne plus rien faire et de te reposer.
- Je ne sais pas ce qu'est le repos.
- C'est le contraire de la fatigue.
- Ah. Penses-tu que nous soyons fatigués ?
- Je ne sais pas. C'est une impression, nous seuls pouvons le ressentir.
- Alors je pense que je suis fatigué.
- Repose-toi.
- Comment fait-on ?
- Allonge-toi, trouve une position confortable. Sur le dos, sur le ventre, sur le côté, comme tu préfères.
Lorsae obéit, s'installa sur le flanc.
- Et après ?
- Ferme les yeux. Oublie tes problèmes. Laisse-toi aller au sommeil.
- Qu'est ce que le sommeil ?
- Vous ne dormez jamais ?!
- Ah si, bien sur, ça nous arrive, mais... C'est rare. Je crois que je n'en ais jamais vu l'utilité.
- Elle ne se voit pas. Elle se ressent.
- Tu n'es pas fatigué ?
- Si. Tout le temps.
- Repose-toi aussi alors.
Lysinos hésita, un peu. Il se laissa aller sur le côté, ferma les yeux, lui aussi et sa respiration se régularisa. Lorsae résista environ cinq secondes, puis abandonna la lutte contre son coeur : il s'approcha et enlaça par derrière le Seigneur des maladies. Tout l'air se retira immédiatement des poumons de celui-ci, sous la surprise. Lorsae enfouit son visage dans son cou et en inspira profondément l'odeur si particulière. Lysinos ne pensait jamais être un jour aimé de quiconque. Les maladies s'effacèrent lentement de sa peau comme la pluie lave la boue et il retrouva un visage harmonieux et une bonne santé. Il put prendre l'apparence qu'il souhaitait et l'on dit qu'il se présenta toujours sous la même apparence maladive et fatiguée mais qu'il réserva à son amant la forme que conservait son esprit.
Les mots n'auraient su décrire l'amour et le désir qu'ils se portaient, sans jamais vouloir posséder, toujours vouloir donner.
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