A grande échelle, vous, les Seigneurs immortels
J'ai parfaitement conscience que personne, absolument personne ne lit cette mythologie. Je ne peux pas vraiment vous en vouloir... mais tout de même...
D'Aladriel, qui était agenre, et de son père, on ne sut rien pendant longtemps et on eut beau observer le ciel, il n'y eut aucune météo particulièrement violente ou prolongée. Aladriel devint un.e chasseureuse hors paire, imbattable, capable d'abattre une bête de sang froid mais de communiquer avec celle qu'il avait sauvée ou qui le menaçait. Iel voyait bon et mauvais absolument partout, était grand.e philosophe, et ne manquait nullement de compagnie puisque celle des bêtes lui suffisait. Iel resta ainsi longtemps. Son père ne parlait presque jamais et restait songeur ou tourmenté. Il détestait plus que tout l'eau alors que son enfant la voyait comme sauveuse pour tout être vivant, où qu'il soit, qui qu'il soit. Son parent ne lui avait jamais révélé sa triste histoire. Personne ne la lui avait jamais racontée. Les animaux éprouvaient une sorte de gêne en le voyant. Aladriel s'y était fait mais il n'avait jamais compris. C'était un léopard, une fois, qui s'était allongé à son côté près d'un ruisseau et avait soupiré.
- Il y a en toi, expliqua-t-il, comme une tristesse sourde que nous percevons, nous les animaux. Et vois tu tes mains ? Prends l'eau de cette source et laisse la couler entre tes doigts. Observe.
Aladriel s'exécute sans comprendre. Le liquide s'écoulait naturellement.
- Qu'y a-t-il ?
- Ne vois tu pas ? On croirait voir l'eau rougir, des volutes sombres danser, le liquide s'épaissir, ...
- Du sang ?! se récria-t-iel. Pourquoi ?
- Tu ne connais pas cette histoire ?! C'est la tienne. Mais ce n'est pas à moi de te la conter.
Il se leva et partit. Aladriel resta songeur.
**',
Retournons un peu en arrière, juste après que Norl se soit enfuit avec son enfant.
Asquine, lorsqu'elle apprit à parler, à marcher, à apprendre, songea à ce à quoi elle était affiliée. D'après les Seigneurs, même si l'élément n'existait pas encore, elle devait le ressentir au plus profond d'elle même. Hors, Asquine était semblable à une humaine - sauf que les humains n'existaient pas encore - elle était curieuse, créative, intelligente et un poil machiavélique. Mais elle ne ressentait pas d'affiliation. Aussi, elle se sentit rapidement seule.
Quant à sa sœur légèrement plus âgée, Ehl, elle connaissait déjà son affiliation : les rois et reines, le sang et les lignées. De ce fait, elle était plus proche d'Eguyne, d'une maturité certaine et d'un sérieux remarquable.
Le quotidien des Seigneurs était rythmé par leur vie familiale - lorsqu'ils en avaient une - et/ou par leur élément. Ainsi Ayavna passait l'essentiel de son temps à créer moult nouvelles plantes, Sakult a créer des métaux et à les forger, Lorsae à étudier les rêves et les cauchemars en décrivant précisément leur source par exemple - et s'amusait par ailleurs énormément à faire surgir les pires hantises des Seigneurs dans leurs cauchemars - et Wenam cherchait à savoir si une source de lumière avait une ombre.
Asquine en vint donc rapidement à s'ennuyer. Il se trouve qu'un jour - puisque les jours existaient désormais - elle se rendit au bord d'un ruisseau et, pataugeant dans la boue, s'en saisit pour en faire un personnage à son image. Elle s'interrogea alors sur la question suivante : pourquoi les Seigneurs avaient-ils cette apparence : un corps symétrique avec deux jambes, deux bras, deux yeux, deux oreilles, mais dix doigts, une bouche et un nez, une multitude de cheveux, etc
Elle résolut donc de poser la question a ses parents.
Les Seigneurs avaient passé un traité de paix. La mort de Yine les avait tous bouleversés et aucun.e. n'avait envie de reprendre cette ère de coups bas incessants. Mais la paix n'est qu'un concept, un mirage qui peut se briser à tout instant.
Noraus et Lorkem écoutèrent patiemment leur fille et répondirent qu'ils n'en avaient pas la moindre idée. Lorkem promit d'aller poser la question à Enel.
Lorsqu'il arriva chez l'incarnation du Néant - celui-ci lui paraissait étrangement et agréablement familier, comme lorsqu'on revient dans la maison de notre enfance, des décennies plus tard, avec cette sorte de douce tendresse liée à ses souvenirs - Enel sourit.
- Voilà que votre petit groupe de poseurs de questions revient. Cela faisait longtemps.
- Cela t'étonne-t-il si je t'annonce que je viens justement pour ceci ?
- Pas le moins du monde. Va donc au but, chaque interrogation menant toujours à un long débat philosophique, j'espère que tu as ta journée.
Lorkem sourit et s'assit en face d'Enel. Il avait fini par la considérer comme une mère ou ce qui s'en approchait le plus.
- Pourquoi, nous les Seigneurs, possédons une forme fixe ? Cette forme.
Il agita les bras. Enel rit. Elle n'était pas vraiment formée. On reconnaissait un buste, des bras et un visage semblable à celui des Seigneurs, mais le reste de son corps était une sorte d'ombre en perpétuel mouvement.
- Que voudrais tu de plus ? répondit-elle. Avec ces attributs, tu peux marcher, construire, créer, parler, enlacer, aimer, procréer, sourire, pleurer, dormir, penser, imaginer, rêver, et faire beaucoup d'autre chose.
- Oui mais avec quatre bras et quatre mains, nous pourrions créer quatre fois plus de choses, aller plus vite, tenir quatre fois plus d'objets !
- Avec quatre bras et quatre mains, tu pourrais tenir quatre fois plus d'armes.
Lorkem se tut. Il réfléchit à la signification de ces paroles.
- Jusque là, nous n'avons pas créé tant d'armes que cela... murmura-t-il pour s'en convaincre un peu lui même, plus comme une supplique que comme une affirmation.
- Certes mais cela a été suffisant pour que l'une de vous en pâtisse et en perde la vie, vous, les Seigneurs Immortels. Cela a suffi pour que tu inventes un endroit, un objet capable d'anihiler la liberté et les pouvoirs de ton frère et de ses suivants.
Un arrière goût amère, un peu trop semblable à de la culpabilité, envahit Lorkem.
- C'était pour notre bien, plaida-t-il, sinon Wenam aurait relancé la guerre et les mesquineries n'auraient jamais cessées.
- Je le sais bien, Lorkem, je le sais même très bien, mais comprend... à ton échelle, cela n'a peut être pas beaucoup d'importance, mais à grande échelle...
- A grande échelle ?
- Imagine deux peuples entiers s'acharner les uns contre les autres sous prétexte de les éliminer "pour leur bien" ?
- Des peuples ?
- Beaucoup de personnes avec les mêmes caractéristiques mais avec quelques différences entre elles qui les différencient les unes des autres.
- Quelle est cette diablerie ?
- Tu finiras par comprendre, Lorkem, même si c'est à tes dépens ou à ceux des autres Seigneurs.
Lorkem hocha la tête avec une sorte d'appréhension inexplicable.
- Une dernière chose, reprit Enel. D'où viennent les Seigneurs ?
- De du crayon et de la Source.
- Le crayon est l'origine de tout. Mais il ne vaut rien sans la main qui le tient. La source représente la vie. Si tu la prends dans tes mains, elle s'échappe entre tes doigts. Si tu la mets dans un récipient, elle s'agite avant de se stabiliser et souvent déborde. Sinon elle gèle et fait éclater sa prison. Souviens-toi en.
- Je tacherais de m'en rappeler.
- Au fait... je n'ai plus revu Gamalsy depuis un moment, ne l'aurais-tu pas aperçu ?
Lorkem eut un coup au cœur. Il avait tout bonnement oublié Gamalsy, l'opposé d'Enel et le sujet d'adoration de Wenam.
Il se précipita sur la Terre.
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