Chapitre 23
Après une bonne heure et demi d'attente, Pru'ha autorisa enfin Link à la rejoindre afin qu'ils parlent dans sa tente de la suite des événements. En effet, il fallait mettre au point un plan efficient, le plus optimal et performant possible pour entraîner la chute de Ganondorf. Sur le papier, l'idée avait de quoi motiver les troupes et donner espoir aux peuples. Mais en réalité, il n'en était rien. Pour le moment, les Hyruliens n'avaient aucune stratégie, aucun plan d'attaque qui puisse leur accorder une ouverture vers le château, la nouvelle place forte de leur ennemi. Sans oublier qu'il fallait atteindre la forteresse actuellement dans les airs. Pru'ha avait donc réuni les représentants des différents peuples d'Hyrule, Pahya ainsi qu'Astrid et quelques-uns de ses soldats. Bien entendu, les apprentis de Link assistaient aussi à cette entrevue bien qu'ils se devaient de rester en retrait, dans un coin.
Debout autour d'une carte du royaume, le prodige hylien attendait que Rosa, la représentante gerudo, veuille bien commencer à parler. Les airs graves et fermés autour d'elle alourdissaient d'autant plus l'atmosphère, l'air devenait peu à peu irrespirable. Comme un siècle auparavant, Link se revoyait lors des conseils de guerre qui dégageaient la même ambiance. Ici, tout le monde avait conscience des enjeux qu'impliquait une guerre contre Ganondorf. Et l'unique fait de ne pas bien connaître sa puissance militaire suscitait un doute vertigineux à chacun présent dans la tente.
- Comme vous le savez tous, le château survole actuellement Aurean, débuta Rosa en pointant le royaume sur la carte. D'après les dernières informations, les Corrompus se sont attaqués à la frontière est et propage la malice sur leur chemin. Ce n'est pas anodin... La région agricole du royaume se trouve justement à l'Est, ce qui signifie que Ganondorf compte affamer les habitants ainsi que l'armée d'Aurean pour les affaiblir.
- Cette stratégie n'est que le reflet du nombre limité de ses soldats, intervint Teba. Il s'attaque à plusieurs territoires à la fois mais concentre ses troupes sur Aurean. Par précaution, tant qu'il n'est pas en possession de toute sa puissance de frappe, il a opté pour l'affaiblissement progressif des Auréens. Et par la même occasion, il espère sans doute que cela entraînera des révoltes au sein même du royaume.
Il ajouta que la peur créée par la nouvelle invasion, ainsi que celle engendrée par une famine potentielle, joueraient sur le moral et le mental des habitants. Pour manger et survivre, un être vivant serait prêt à tout. Alors miser sur la destruction interne d'un royaume ressemblait à l'une des nombreuses bassesses dont serait capable le seigneur du Malin.
- Ganondorf a sans doute jugé qu'attaquer plusieurs royaumes à la fois entraînerait la rupture de leur alliance et participerait donc à leur fragmentation, poursuivit Rosa en regardant certaines personnes dans les yeux. Diviser et éparpiller pour mieux attaquer et dominer. Pour le moment, Panah et Quodra sont assaillies dans le but d'installer une première forme de pression dans leurs armées. Malheureusement, le piège semble avoir fonctionné sur Quodra.
Rosa émit un soupir puis se redressa en prenant appui sur les paumes de ses mains, posées à même la table.
- Son roi a décidé de couper toute communication avec l'extérieur pour se focaliser sur la protection de son royaume.
- Cela signifie qu'il a commencé à s'isoler, renchérit Sidon. Si nous ne retrouvons pas le contact avec eux, ils courent à leur perte... L'armée de Quodra a dû juger nécessaire de retirer ses troupes de notre alliance, et c'est une terrible erreur. Affronter Ganondorf seul, c'est du suicide...
Le Zora insista sur la notion d'entraide et d'alliance entre les divers royaumes ; former une armée commune, se battant sous le même drapeau, participait à une meilleure cohésion et communication. Les nouvelles concernant l'ennemi diffuseraient bien plus vites, les changements opérés seront plus rapides et certainement plus efficaces qu'au sein d'armées séparées.
- Nous devons d'abord trouver un moyen de vaincre les Corrompus, décréta Pru'ha qui croisait les bras. Une fois cet obstacle passé, il sera plus simple de combattre le plus gros des forces ennemies.
- Mais avons-nous seulement le temps ? s'emporta étrangement Teba. Nous survivons tout juste sur le plateau du Prélude ! Chaque jour écoulé ici est presque un miracle tandis que l'apocalypse s'étend sur les autres territoires !
Le Piaf posa ses ailes sur la carte puis pointa la petite statuette qui représentait la forteresse volante.
- Non, ce qu'il faut, c'est attaquer le château le plus tôt possible ! Faire tomber Ganondorf nous fera remporter la victoire.
- Mais quelle idée géniale ! ironisa la Sheikah en ricanant. Je reconnais là la fougue du grand Teba, ce Piaf trop présomptueux et impatient de libérer la Créature Divine Vah'Medoh alors qu'il n'en avait pas les moyens ! S'attaquer au château maintenant, du suicide ! Et si c'était possible, nous l'aurions déjà fait !
L'air s'envenima aussitôt, les deux Hyruliens se foudroyèrent du regard sans oser détourner la tête. Les autres représentants, à côté, les jaugeaient et réfléchissaient à une autre stratégie. Quant à Link, il se contentait d'écouter, le visage rembruni.
- Si je peux me permettre, attaquer directement le château au lieu de l'armée sur terre me paraît une bonne idée, intervint Astrid qui s'avança d'un pas. Cependant, comme l'avançait Pru'ha, nous n'en avons pas encore les moyens. Nous n'avons pas encore une véritable armée commune, les royaumes impliqués dans la guerre n'ont toujours pas les mêmes objectifs.
Ce qu'elle dit eut le mérite d'attirer l'attention de tous les autres, notamment Pahya qui notait tout ce qui se disait durant la réunion.
- Tous les royaumes devraient déjà opter pour le même fonctionnement, c'est-à-dire avoir les mêmes objectifs afin que tout le monde se comprenne et agisse de la façon la plus efficiente possible. Et seulement à ce moment-là, notre alliance deviendra véritablement puissante et nous aurons tous les atouts en main pour lutter contre Ganondorf.
Astrid proposait donc d'agir comme si tous ne formaient qu'un seul et même pays, du moins pour le temps de la guerre. Elle avait conscience de la complexité de sa proposition, mais il valait mieux cela plutôt que des attaques asynchrones et désordonnées orchestrées par chaque royaume. La châtaine insista sur le fait que Ganondorf pouvait user de ce désordre pour le retourner contre les territoires qu'il comptait conquérir.
- Très bien, imaginons un seul instant que cela voit le jour, reprit Rosa sur un ton calme. Comment allons-nous ensuite attaquer le château ? Seuls les Piafs et Vah'Medoh seront capables de voler et de le rejoindre.
Une soldate de Panah vint murmurer quelque chose à l'oreille de son général qui fronça les sourcils, le regard rivé au sol, pendant qu'elle hochait la tête par moments. Les deux femmes se concertèrent à voix basse alors qu'une discussion avait lieu entre les représentants et Pru'ha. Finalement Astrid racla sa gorge et demanda une nouvelle fois l'attention de tous. Ce qu'elle s'apprêtait à dire relèverait en partie du choix de leur déesse, une divinité propre à Panah en plus d'Hylia, Din, Farore et Nayru.
- Nos elvëschs pourront mener les soldats jusqu'à la forteresse. Ils sont assez grands pour en porter une dizaine chacun. Cependant, nous savons pertinemment qu'il y aura des pertes parmi ces créatures, et cela aura des conséquences très graves chez certaines personnes.
Elle n'évoqua pas le fait que ce serait dû au Lien, un pacte entre la créature et son humain. À travers lui, tous deux ressentaient les émotions de l'autre. Alors ressentir la mort de son partenaire... Astrid cligna rapidement des yeux pour chasser cette idée.
- Nous devons d'abord demander l'accord de notre déesse Maurdrid. Sans cela, ce plan ne pourra pas être mis en œuvre.
- Cette aide est la bienvenue et très généreuse de votre part, la gratifia Rosa. Nous ferons tout notre possible pour protéger vos compagnons durant le vol.
Après cette intervention, ce fut Yunobo qui prit la parole, à la grande surprise de tous. Habituellement, il préférait se taire et écouter sans participer. Mais cette fois-ci, il avait une solution à suggérer afin de compléter celle d'Astrid.
- Utilisons les Créatures Divines pour transporter des troupes, proposa-t-il d'une voix tremblante. Vah'Medoh pourra porter des soldats dans son ventre jusqu'au château. Et les autres Créatures Divines pourront nous permettre de nous déplacer à travers les différents territoires en transportant aussi des hommes. Les elvëschs n'auraient donc pas à être déployés pour rejoindre la forteresse.
- C'est une bonne idée, mais j'ai bien peur qu'en quittant le plateau du Prélude et en marchant dans la corruption, les Créatures Divines se fassent corrompre une fois de plus, déplora Sidon.
- Elles le seront seulement si leur terminal de contrôle est atteint.
Tous les regards se tournèrent vers Link, lui aussi jusque-là mutique. Il avait une attitude bien plus sombre et fermée qu'à l'accoutumée, cette vision inquiéta ses apprentis qui avaient un mauvais pressentiment. Notamment Thomas et Iris car ils savaient à quel point il tardait à Link de partir à la recherche de Zelda. Cette impatience influençait bien trop son comportement à leur goût.
- La corruption ne touchera que leurs pattes, continua-t-il sur le même ton froid. Ce n'est pas une chose vivante, elle n'a pas de volonté propre. Elle n'atteindra jamais le terminal de contrôle.
- Bien, elles seront des atouts majeurs pour notre combat, se réjouit discrètement Rosa. Nous pourrions utiliser leur laser afin de toucher le château et entraîner sa chute ? Cela nous évitera de devoir le rejoindre grâce aux elvëschs.
Beaucoup de monde l'approuva, ce fut un véritable soulagement pour Astrid qui voyait déjà de nombreuses vies être sauvées, en particulier celles des créatures immenses.
- Es-tu si stupide pour proposer une idée pareille ? rétorqua le prodige.
Sa question cinglante installa un nouveau froid dans la tente. Personne ne comprit pourquoi il agissait et répondait ainsi. Cette attitude de sa part n'avait rien d'habituel, et cela déstabilisa ceux qui le connaissaient.
- Si les lasers sont utilisés et parviennent vraiment à atteindre le système de vol du château, crois-tu une seule seconde qu'il viendra se poser doucement sur le sol ? Non, il viendra s'écraser et prendra encore plus de vies innocentes. Personne ne peut certifier qu'il ne percutera pas une ville ou l'armée au sol. Et il y a autre chose.
Il posa ses iris bleus sur Pru'ha qui frissonna désagréablement et se crispa un instant.
- Il semblerait que Pru'ha ne veuille pas le dire. Lorsqu'un Gardien explose, il libère une quantité d'énergie proportionnelle à sa taille. Il y a trois ans, durant ma quête, j'ai entraîné l'explosion d'un Gardien mobile, j'étais pourtant à vingt mètres de lui.
Link posa une main sur son épaule avant de la masser en se souvenant de ce jour précis.
- Le souffle a été si violent que j'ai été projeté plusieurs mètres en arrière. En heurtant le sol, mon épaule s'est déboitée. Et à la place du Gardien, il ne restait plus qu'un cratère profond. Alors maintenant, réfléchissez un instant à l'énergie nécessaire pour faire voler un château de cette envergure.
Au vu du l'inquiétude apparente que quelques visages affichaient, certains avaient compris où il voulait en venir.
- Si vous détruisez la technologie qui lui permet de voler, il deviendrait une bombe dont vous ne pouvez pas mesurer l'ampleur, termina Link sèchement. Et croyez-moi, l'explosion ne laissera pas qu'un cratère d'une dizaine de mètres.
Le silence qui s'ensuivit pesa lourd sur les consciences de chacun. L'idée d'utiliser les lasers des Créatures Divines fut abandonnée, le plan des elvëschs demeurait le seul maintenu pour le moment. Doucement, la discussion reprit, cette fois-ci à propos des stratégies internes que devaient adoptés tous les royaumes alliés. Link n'y participa pas, il préféra rester dans l'ombre en priant pour que la réunion se termine rapidement et qu'il puisse enfin commencer son nouveau voyage. Et si Pru'ha ou quelqu'un d'autre l'en empêchait, il utiliserait les grands moyens pour parvenir à ses fins.
Tout d'abord, si tout se passait comme prévu, le Héros se téléporterait dans la forêt Korogu et récupèrerait la Lame Purificatrice. Ensuite, il devrait se débrouiller pour rejoindre Firone sans avoir à traverser à pied les plaines de corruption. La meilleure solution serait de convaincre quelques Piafs de les y emmener depuis le plateau du Prélude. Mais ce pouvait être dangereux... Absorbé par ses pensées, Link n'entendit pas que le sujet déviait sur lui. Ce ne fut qu'une phrase précise qui le sortit de sa torpeur :
- Lorsque nous serons au sein du château, il faudra guider et protéger le dernier élu afin qu'il puisse accomplir son devoir en tuant le seigneur du Malin, dit Sidon aux autres. Sans le sceau de la déesse, il sera difficile de l'immobiliser et de sceller véritablement son esprit, puisque son Altesse Zelda n'est plus.
Le chevalier sentit une colère incontrôlable l'envahir et contracter ses doigts par conséquent. Il gagna la table à grands pas puis plaqua ses mains dessus, le dos courbé. À ce moment-là, sous la tente, personne ne le reconnaissait.
- La... princesse... n'est pas morte, articula-t-il de manière à ce que chaque mot soit distinct.
Pru'ha ferma un court instant les yeux, le temps de prendre une inspiration profonde qui lui permettrait de se détendre et de rester la plus calme possible. Elle répliqua ensuite :
- Link, c'est un fait. Son Altesse Zelda n'appartient plus à ce monde.
- Elle n'est pas morte ! répéta-t-il en s'écriant avec bien plus de conviction.
Tout le monde retint son souffle, notamment Iris et Thomas. Le rythme cardiaque de ce dernier avait grandement augmenté à cause de la peur ce de que pourrait dévoiler son supérieur à son propos. Cependant, aux yeux des autres, le Héros semblait être plongé dans une folie due à la perte du royaume et de la princesse. D'une certaine manière, ils le comprenaient mais l'état mental du prodige les inquiétait plus que tout. S'il perdait la raison, qui pourrait manier la Lame Purificatrice et vaincre Ganondorf ?
- Je pensais avoir pallié le problème du Sanctuaire de la Renaissance, autrement dit à l'amnésie, mais il semblerait que ces deux mois dans le coma t'aient tout de même perturbé, argua la chercheuse qui ne flanchait pas. Apprendre la mort de la princesse t'a fait perdre la raison, et je le comprends, Link... D'autant plus car elle nous aurait été d'une très grande aide. Tout le monde ici déplore au moins un mort parmi leurs proches. Mais nous sommes en guerre, par les saintes déesses ! Si notre dernier espoir se laisse anéantir par la peine, qui nous sauvera ?! Pour quoi ma sœur a-t-elle donné sa vie dans ce cas, dis-moi !
Link serra les poings quand la voix de la Sheikah se brisa à la fin de sa phrase. Elle déglutit puis reprit en baissant la tête :
- Impa est morte, certes en protégeant les siens, mais elle avait foi en toi et en la princesse. Elle n'a jamais cessé de croire en vous ! Et toi... Et toi, tu agis comme s'il n'y avait que la mort de Son Altesse qui comptait...
Autour d'eux, personne n'osait prendre part à la discussion. L'atmosphère changeait encore une fois, et cela ne présageait rien de bon. Avec lenteur, Link releva la tête et dévisagea sérieusement la scientifique. Jamais encore il ne l'avait regardée avec tant d'amertume, cela la mit mal à l'aise.
- Nous nous sommes fiancés peu avant le retour de Ganondorf, pensa-t-il leur apprendre d'une voix blanche. Elle est tout pour moi... Est-ce que tu le comprends ? Ou bien est-ce que tu veux vraiment m'empêcher d'aller la retrouver ?
Pru'ha ne saisissait pas son obstination à croire que la princesse était toujours vivante. Son corps n'avait jamais été retrouvé, la dernière équipe de recherches avait assuré qu'elle avait perdu la vie au vu de la chute faite puis du courant de la rivière en contrebas. Une nouvelle fois, la Sheikah inspira profondément puis posa une main sur la table.
- Je veux simplement t'empêcher de te lancer dans une quête sans issue, Link. L'espoir de plusieurs peuples, de plusieurs royaumes reposent sur tes épaules ! Bon sang, tu t'es fiancé avec la princesse ! Tu mesures vraiment tout ce que cela implique ?
De son bras libre, elle balaya l'air dans un geste théâtrale et brusque.
- Cela fait de toi le régent d'Hyrule ! Tu es celui appelé à régner et à diriger les Hyruliens vers la victoire !
Elle montra les représentants.
- Nous sommes tous prêts à nous battre en ton nom, pour ce que tu représentes pour notre avenir ! Tu es l'élu des déesses, le détenteur de la Lame Purificatrice ! Celui qui doit et qui devra nous guider en l'absence de la princesse.
Pru'ha se tut un instant en analysant la réaction du jeune homme. Mais ce dernier ne bougeait plus. Il avait décidé de fermer les yeux. Une certaine détresse naquit au sein de la Sheikah dont le ton se fit plus plaintif :
- Pour l'amour d'Hylia, Link... Tu es notre futur roi, alors comporte-toi comme tel !
En guise de réponse, il murmura quelque chose d'inaudible sauf pour Astrid et les siens qui perçurent distinctement sa phrase. Et cela leur provoquèrent des frissons.
- Mais dis quelque chose ! désespéra Pru'ha en frappant sur la table. Ne nous laisse pas dans l'incertitude et l'angoisse perpétuelle !
- Je ne serai le roi de personne ! hurla Link en lui faisant pleinement face.
Son souffle devint bien plus rapide et bruyant. Ce qu'il venait de crier figea tout le monde sous la tente. Ils ne s'attendaient certainement pas à cette réponse de sa part. De la part du fiancé de Zelda qui aurait dû, en toute logique, devenir roi dès le moment où elle serait couronnée reine.
- Je ne deviendrai pas roi ! Je n'en ai ni l'étoffe, ni les capacités, ni l'envie !
Il marqua une pause avant de reprendre plus calmement :
- Vous ne désirez qu'une personne capable de supporter vos espoirs et vos échecs ! Quelqu'un prêt à engager sa responsabilité dans un conflit sans pareil et qui puisse vous promettre de gagner ! Mais j'en suis incapable...
Link repensa au siècle dernier, à toutes les conséquences engendrées par le retour de Ganon.
- J'ai failli à mon devoir une première fois, il y a cent ans, en assistant au sacrifice de notre roi et de mes amis les plus proches. J'ai moi-même perdu la vie car je n'ai pas été assez fort pour rester aux côtés de la princesse. Et maintenant, je devrais endosser un rôle qui ne me correspond pas ? Avez-vous seulement songé une seule seconde à ce que tout cela pouvait représenter pour moi ?!
Non, personne n'y avait pensé. Pendant le coma de Link, ce fut Iris qui avait dû annoncer les fiançailles de la princesse et du Héros car elle voyait tout le monde déboussolé autour d'elle. Le simple fait d'avoir perdu une figure emblématique de la paix précédente, cela les avait totalement chamboulés. Il avait donc fallu trouver une autre personne en qui placer tous les espoirs. Et Link, Héros et fiancé de la princesse, était le seul capable de rallier tout le monde à sa cause. Mais la lancière regrettait son choix... Elle n'avait pas imaginé qu'une telle conversation aurait lieu. Tout simplement car elle n'avait pas connaissance de la décision prise par les deux fiancés à Elimith. Personne ne savait que Zelda comptait abdiquer.
- En tant que chevalier puis prodige du royaume, j'ai juré de protéger Hyrule jusqu'à mon dernier souffle, poursuivit Link quand sa colère s'atténuait. Encore une fois, je place la lame de mon épée au service des peuples. Je vous offrirai aussi mon appui pour les décisions militaires. Mais je ne le ferai pas en tant que futur roi.
Il jeta un coup d'œil aux représentants.
- La princesse vous a nommés dans le but de l'épauler et de rendre ses décisions plus justes. Vous êtes les futurs régents du royaume, alors agissez en le sachant. Ne déshonorez pas son choix.
Les quatre s'inclinèrent devant lui en lui présentant leurs plus plates excuses, tout comme Pahya car elle était magistrate adjointe et conseillère royale.
- Ma fiancée n'est pas morte. Et je vais vous en fournir la preuve.
Thomas sentit ses poils ses hérisser sur son corps. Non, il ne fallait pas que Link leur parle de son pouvoir ! Il s'apprêtait à intervenir exceptionnellement quand il vit le prodige montrer à tous son bracelet. L'archer s'arrêta aussitôt.
- Grâce à ce bracelet, nous pouvons percevoir les plus fortes émotions de l'autre. Cette nuit, j'ai ressenti sa joie à travers lui, leur avoua-t-il en dissimulant ensuite le bijou sous sa manche. J'ose espérer que vous me croyez dorénavant.
Le manque de réponse fut pourtant révélateur à ses yeux. Personne ne remettrait en doute la parole du Héros. Seul Pru'ha évitait soigneusement de croiser son regard, sans doute par honte. Elle s'était emportée contre lui et regrettait certaines de ses paroles. Cependant, elle avait énoncé des vérités qui lui tenaient à cœur et qui, elle l'espérait, feraient réagir Link. Après une longue hésitation, la chercheuse soupira puis s'excusa auprès de lui :
- Pardonne-moi, Link... Nous étions si persuadés que... que la princesse n'était plus de ce monde que je me refusais de t'écouter. Mais nous ne pouvions pas savoir que tu ne désirais pas devenir roi. Si Son Altesse est vivante, comme tu l'avances, nous devons à tout prix la retrouver.
Elle esquissa un sourire qui témoignait de tout son soulagement et de toute sa fatigue.
- Je suis heureuse que nous ayons nos deux élus pour lutter contre le Fléau. Nos chances de victoire ne sont plus aussi minimes...
- Au contraire, elles sont encore plus maigres.
La petite assemblée se tourna vers Astrid. Ils ne s'attendaient pas à une telle contradiction, surtout venant de la part d'une étrangère. Elle posa une main sur sa hanche avant d'expliciter :
- Link désire aller chercher la princesse par lui-même. S'il se fait tuer avec elle après l'avoir retrouvée, ce sera la fin. Vous en avez conscience ?
- Oui, fut la réponse de Link sans équivoque.
La châtaine haussa les sourcils.
- Vous comptez peut-être envoyer toutes vos troupes à sa recherche ? demanda-t-elle sans vouloir offenser quiconque.
Link le lui infirma car ils ne pourraient pas se le permettre... Il fallait des soldats pour protéger les autres royaumes ainsi que les Créatures Divines. Durant son voyage, Link emporterait la tablette sheikah donc elles ne pourraient pas être déplacées. Des soldats devaient rester sur le plateau du Prélude pour empêcher les Corrompus de s'en emparer. Le chevalier serait donc accompagné de ses apprentis et de Pahya, si elle le voulait bien. Cette dernière accepta sa requête sans une once d'hésitation, et il lui en fut reconnaissant. Mais tout cela inquiétait fortement Pru'ha, d'une part car elle ne voulait pas perdre sa petite-nièce, d'autre part car la vie du Héros ainsi que celle de la prêtresse royale étaient en jeu. Link lui promit de se téléporter en lieu sûr si la situation venait à tourner à leur désavantage. Le petit nombre de son groupe lui permettrait de se déplacer rapidement et en toute discrétion. Mais l'inconvénient se verrait surtout en combat puisqu'ils seraient trop peu.
- Bien, je garderai les meilleures soldates pour protéger le plateau du Prélude, annonça Rosa en frappant la carte sur la table. Notre suzeraine restera en sécurité à Panah, je ne peux accepter qu'elle reste ici. Quant aux autres soldats hyruliens, ils seront envoyés là où on aura le plus besoin d'eux. Mais il ne faudra pas tarder, Link. Nous ne pourrons pas tenir le plateau éternellement.
- Combien de temps penses-tu garder les positions ?
La Gerudo prit le temps de la réflexion. Elle devait faire ses estimations à partir du nombre de soldates présentes ainsi que des assauts à répétition par les Corrompus. Sans oublier les jours de ravitaillements qui seraient leur seul moyen de communication avec les soldats de Panah.
- Je peux t'accorder trois semaines. Mais je crains que Ganondorf apprennent tôt ou tard qu'une partie des soldats se soit retirée du plateau. Dès ce moment-là, il mettra tout en œuvre pour s'emparer des Créatures Divines.
- Entendu, je ferai aussi vite que possible.
Il fit un signe de tête à ses apprentis puis quitta la tente sans plus tarder. Il devait se préparer à partir pour la forêt Korogu. Une fois dehors, il s'éloigna d'une vingtaine de mètres puis se retourna vers les trois Hyliens qui le suivaient en silence. Lorsqu'ils furent à ses côtés, ils l'observèrent et patientèrent jusqu'à ce qu'il prenne la parole.
- Allez préparer vos affaires. Prenez avec vous vos armes, en double si possible, et mettez de côté des vêtements chauds et légers. Nous ne savons pas ce qui nous attend.
Link s'adressa maintenant à Léon :
- Tu diras la même chose à Pahya dès que la réunion sera terminée. Quant à moi, je me charge des vivres et de l'équipement spécial. Je veux que tout soit prêt dans trente minutes.
- À vos ordres ! s'exclamèrent-ils avant de partir en courant exécuter sa demande.
Ou du moins, seulement Léon et Iris car le benjamin du groupe restait sur place, le visage tourné vers le sol terreux. Son immobilité étonna son supérieur qui se demandait pourquoi il n'obéissait pas à ses injonctions. Le silence du brun n'arrangeait guère la chose, comme s'il hésitait ou avait du mal prononcer les premiers mots. Finalement, Thomas releva les yeux vers l'Hylien et prit son courage à deux mains :
- Capitaine, je me dois de vous avertir à propos du temple de Firone.
Il déglutit avant de reprendre.
- J'aurais dû vous le dire cette nuit, mais je n'en ai pas eu le courage...
Thomas se trouvait pitoyable, comme toujours. Ses aveux n'avaient rien de grandioses ou de choquants, alors il ne devrait pas craindre Link.
- Je vous ai dit que les équipes de recherches n'avaient pas pu suivre la rivière. C'est vrai, je n'ai pas menti. L'un des principaux obstacles était que son lit se trouvait bien trop bas pour que nous puissions nous permettre de descendre. Nous l'avons longée sur près d'un quart de lieue, je pense, et elle n'avait pas de rive pour que l'on puisse s'en approcher.
Il fronça les sourcils pendant qu'il parlait.
- Mais nous avons été obligés de nous arrêter lorsqu'elle est passée sous la paroi, dans une sorte de canal. Et nous ne pouvions aller plus loin car seule la rivière permet d'accéder à la deuxième partie des grottes.
- Autrement dit, nous avons besoin d'une barque.
L'archer acquiesça, les lèvres pincées. Il ne comprenait pas pourquoi c'était si dur de s'adresser à Link. Ce dernier se montrait pourtant empathique et bienveillant. Jamais il ne sermonnerait l'un de ses apprentis pour lui avoir proposé une idée.
- Des cordages seront nécessaires pour la descendre, ajouta Thomas qui se tint un bras.
- Entendu. Dois-je savoir autre chose ?
Le brun retint son souffle, partagé par l'envie de se taire et celle de se livrer. Cependant, avec la peur qui le tiraillait depuis le retour de Ganondorf et la réaction d'Iris quand elle avait appris la mort de son frère, Thomas acceptait encore plus difficilement de parler.
- En fait, Capitaine, je... je peux...
Il raffermit son emprise sur son propre bras quand il perçut les larmes poindre derrière ses yeux. Comme il maudissait sa faiblesse à ce moment-là... Les mots ne venaient plus, ils restaient bloqués, retenus par une barrière invisible créée en guise de protection.
- C'est à propos de cet étrange don ? lui demanda Link qui avait parfaitement décelé le trouble qui habitait son apprenti. Celui que tu as utilisé pour appeler ma mère ?
Il vit le jeune homme se crisper puis opiner sans rien dire. Mais visiblement, il n'était pas encore prêt pour lui en parler davantage. Link réfléchit à l'origine de son pouvoir. Jusqu'à présent, il pensait que seuls quelques Sheikahs ainsi que la princesse pouvaient user d'une forme de magie. Mais apparemment, cela pouvait s'étendre à d'autres peuples. Thomas avait des origines soneaux ; l'explication se trouvait peut-être là. Il serait donc légitime de se demander si tous les membres de cette tribu étaient dotés de don.
- Nous en reparlerons dès que tu t'en sentiras capable, soupira Link après un délai d'attente relativement long. Tu es sûr de vouloir m'accompagner dans ma nouvelle quête ?
- Oui, souffla le brun pendant qu'il témoignait d'une certaine affliction. Ma vie vous appartient.
Ses derniers mots rendirent l'expression de Link plus grave. Il posa une main sur l'épaule de l'archer et chercha son regard dans le but de mieux le comprendre.
- Thomas, tu ne peux pas t'engager dans un combat sans avoir une véritable cause qui te guide. M'offrir ta vie, aussi généreux de ta part soit-il, ce n'est pas une raison que je peux accepter.
Le brun mesura l'ampleur de ses mots avant d'en comprendre le sens. Une raison ? Oui, bien sûr qu'il y en avait une... Mais ne serait-elle pas dérisoire aux yeux du Héros ?
- Je veux me racheter auprès de ma mère, lui avoua-t-il en se dérobant à son regard. Pour le moment, elle est en sécurité avec les autres villageois d'Elimith, à Panah. Mais quand je la reverrai, je veux qu'elle sache que je suis capable de protéger mes compagnons. Je veux sauver ce royaume si cher à ses yeux... Peu importe le prix à payer.
Link demeura un instant dubitatif avant d'esquisser un premier sourire. Cela déstabilisa son apprenti qui pensait avoir dit une ineptie ou bien quelque chose désuet. Pourtant, à travers les yeux du prodige, il décela une forme de soulagement mêlé... à de la fierté.
- Tu as l'âme d'un chevalier, cela ne fait plus aucun doute.
- Comment ? murmura Thomas qui pensait avoir mal entendu.
Son supérieur haussa les épaules comme s'il feignait l'innocence puis il pria son apprenti d'aller préparer ses affaires. Thomas le dévisagea avec méfiance puis partit en direction de sa tente afin de réunir les vêtements adaptés, son arc et quelques autres objets personnels. Lui, un chevalier ? Jamais, ô grand jamais, il n'en avait eu et n'en aurait l'intention. Ce rôle et cette responsabilité ne lui seyaient pas. Être chevalier et respecter un code aussi strict, très peu pour lui. Au moins, en tant que simple soldat, il aurait bien moins d'obligations. Et même si devenir chevalier ferait sans doute extrêmement plaisir à sa mère et la rendrait fière, Thomas ne voulait pas de ce titre. Qu'il soit réservé aux trop grands rêveurs et téméraires, comme Léon. Mais pas à lui...
Link le suivit du regard jusqu'à ce que le jeune homme disparaisse puis il se tourna en direction de la forêt Korogu, vers le Nord-Est. Décidément, il avait encore beaucoup à apprendre sur son apprenti. Iris semblait être la personne la plus proche de lui, donc au courant de certains de ses secrets. Ces deux mois intenses et stressants passés ensemble avaient sans doute renforcé leurs liens. Quant à Léon, Thomas conservait encore une distance avec lui, peut-être due à leur différence d'âge.
L'Hylien émit un soupir. Dans une demi-heure, il retrouverait l'arbre Mojo et la Lame Purificatrice. Link avait conscience du sacrifice que cela impliquait, mais c'était une nécessité. Le gardien du socle en avait très certainement conscience à l'heure actuelle. Et ensuite, avec son petit groupe composé de cinq personnes, il se lancerait à la recherche de Zelda. Elle était quelque part sous terre, vivante. En sécurité ? En danger ? Ces interrogations le firent serrer les poings. Comment se pardonner d'avoir pu l'abandonner une deuxième fois et ce, pendant deux mois dans un lieu qu'elle ne connaissait pas ?
Il n'était pas digne d'elle.
Voilà la conclusion qu'il en tira. La gorge de Link s'assécha et l'obligea à plisser les yeux quand ceux-ci commencèrent à piquer. Où était celui qui avait survécu après son Réveil, celui qui avait traversé une multitude d'épreuves mortelles et éprouvantes ? Celui porté par le courage et guidé par les espoirs de tous ? Ce Héros n'était donc plus là ? Remplacé par un imbécile qui avait baissé sa garde ?
- Si tu avais la possibilité de voyager de nouveau à travers un royaume, ou même ces terres... commença une voix avec hésitation.
Link sursauta puis tourna la tête sur sa droite avant de voir la dénommée Olympe qui n'osait pas s'approcher davantage. Avait-elle... encore perçu ses états d'âme rien qu'avec sa respiration ? De manière presque stupide, le blond préféra retenir son souffle un court instant.
- Est-ce que tu recommencerais ? termina la châtaine.
Pourquoi une telle question, et maintenant ? Link ne comprenait pas, surtout car tous deux ne se connaissaient pas et n'avaient rien en commun. Face à sa perplexité, Olympe se sentit plus mal à l'aise.
- Je crois que j'ai dit cela à un ami, autrefois. Pardonne-moi, je n'aurais pas dû écouter la réunion derrière votre tente mais... Tu semblais avoir perdu foi durant un instant.
- Étrange question pour remonter le moral, répondit Link sur la défensive.
- Vraiment ? Je la trouve pourtant emplie d'espoir...
Sans autre mot, Olympe fit volteface afin de repartir en direction des elvëschs, plus loin. Quant à Link, il méditait sur sa question. Pour voyager et parcourir de nouveaux territoires, il faudrait déjà que le monde retrouve la paix et soit débarrassé de Ganondorf. Bien plus aisé à dire qu'à accomplir... Mais ce rêve d'aventure, il voudrait le réaliser avec Zelda. Lui faire découvrir le reste du monde et partager l'intégralité de ses connaissances avec elle. L'Hylien s'immobilisa. Serait-ce là le fond de la question de cette étrangère ? Lui donner une raison supplémentaire pour se battre et rejoindre Zelda ? Pour le motiver ? Il n'avait pas besoin de cela... Link n'était pas désespéré au point d'attendre de l'aide d'autrui.
Un rire nerveux s'échappa involontairement. Mais à quoi pensait-il ? Il y a quelques heures à peine, il avait tenté de se jeter du haut des remparts du plateau. Un acte totalement désespéré... Et sans l'intervention d'Iris et Thomas, il ne serait plus de ce monde. Link posa une main sur sa bouche quand il réalisa qu'il ne pouvait plus supporter la solitude d'un voyage seul. Il n'était pas une machine, il restait humain avant tout. La présence de compagnons lui avait tant manqué durant sa quête contre Ganon. Dorénavant, il avait la possibilité d'en avoir et de compter sur leur soutien. Link n'aurait plus à garder toute cette pression pour lui, d'autres seraient là pour lui en alléger le poids. Il regarda en direction du reste du campement et n'eut qu'une seule pensée en tête à ce moment-là : « merci ».
oOo
Il fut l'heure de partir et d'entamer une toute nouvelle quête. À l'écart des autres, le petit groupe de Link s'apprêtait à se téléporter dans la forêt Korogu. Les trois apprentis ainsi que Pahya attendaient un signe de la part du prodige qui tenait la tablette sheikah entre ses mains. Une fois de plus, il devrait veiller sur elle et l'utiliser à bon escient. Les nombreuses affaires des voyageurs furent stockées dedans, notamment quelques objets un peu étonnants tel que le rebec de Léon. Apparemment, il ne pouvait pas s'en séparer, surtout avec le mal fou qu'il avait eu à en fabriquer une nouveau puisque l'ancien se trouvait encore dans le château.
Pru'ha s'avança vers eux avant d'enlacer sa petite-nièce, le dernier membre vivant de sa famille. Elle lui donna ses dernières indications et la mit en garde des dangers qui croiseraient sa route. En dépit de ces au revoir émouvants, la chercheuse dut se séparer de Pahya puis reporter son attention sur Link.
- Je t'interdis de tenter quoi que ce soit qui puisse être de la folie, l'avertit-elle durement. Je te laisse partir uniquement car tu es le seul à pouvoir ramener la descendante d'Hylia. Alors ne vous menez pas à votre perte ! En cas de problème grave, téléporte-toi au Sanctuaire de la Renaissance ou sur l'une des Créatures Divines.
- Je te promets que tout le monde reviendra vivant au plateau du Prélude.
Elle souffla du nez pour montrer qu'elle en doutait un peu puis Pru'ha croisa les bras, attristée de les voir partir.
- Allez, ne perdez pas de temps. Quant à toi...
Elle se tourna et offrit un regard froid à Thomas qui se sentit mal à l'aise.
- Protège mieux ceux qui t'entourent. Je n'accepterai pas une deuxième erreur de ta part.
Le brun déglutit puis baissa honteusement la tête, observé avec discrétion par son supérieur. Ce dernier voulut intervenir mais Pru'ha le somma sur-le-champ d'activer la téléportation. Link ne se fit guère prier et sélectionna la forêt Korogu. L'instant suivant, son groupe se tenait sur le sanctuaire choisi, perdu au sein d'une forêt particulièrement dense. L'air pur contrastait avec celui du plateau du Prélude. Quand ils apparurent, de nombreux korogus se cachèrent derrière les arbres ou bien s'envolèrent. Pour la première fois, ses apprentis et Pahya découvraient cet endroit presque inaccessible en temps normal. En levant la tête, ils aperçurent les branches du cerisier géant qui dissimulait en grande partie le ciel, et ils demeurèrent bouche bée. Quant à Link, il adopta un air grave avant de s'avancer vers le socle de l'épée. La Lame Purificatrice se dressait vers le ciel, comme les jours où il était venu la récupérer puis la replacer. Mais cette fois-ci, la tirer du piédestal signifiait sacrifier l'arbre Mojo et tous les autres korogus.
Immobile face à son arme, Link ne cessait de la fixer, hésitant. D'un côté, il voulait sauver Zelda de tout son cœur. Mais d'un autre, entraîner la chute de l'arbre gardien du socle, c'était dur à accepter. S'il ressortait vainqueur de son combat contre Ganondorf, qui veillerait sur l'épée de légende ? Qui serait là pour épauler les futurs Héros ? Si l'arbre Mojo venait à être corrompu, il mourrait définitivement, sans aucun moyen de pouvoir renaître comme bourgeon.
- Tu me sembles indécis, élu des déesses, résonna la voix du gardien. De quoi as-tu donc peur ?
Le ventre de Link se tordait tandis que ses lèvres se pinçaient.
- J'ai peur des conséquences désastreuses qu'entraînera la disparition de la Lame Purificatrice. Si je la retire de son piédestal, vous allez mourir...
Le vieux sage considéra ses paroles en un vague grognement de réflexion. Aussi étonnant que cela puisse paraître, il gardait un calme presque déstabilisant au vu de la situation.
- Si mon destin est de périr pour que Ganondorf puisse être vaincu, je ne peux que l'accepter. Mon existence n'a pour but que de guider le Héros dans sa quête. Je ne peux être un obstacle pour lui.
- Mais si vous mourez... Qui sera là pour mes successeurs ?
Link le regarda avec appréhension et peine. Pourquoi ce silence soudain ? Il n'aimait pas cela... Il ne comprenait pas comment un être pouvait accepter pareille destinée et se désintéresser de sa propre existence. L'Hylien fit un pas en avant, espérant sans doute que le gardien de la forêt ait une solution pour éviter sa propre fin.
- Il est possible que tu sois le dernier élu, Link.
Le jeune homme écarquilla les yeux.
- Il y a plus de deux mois, la princesse m'a adressé une prière. Elle aussi voulait savoir comment mettre un terme au cycle des réincarnations. Mais je n'avais aucune réponse à lui accorder à ce moment-là, lui apprit-il sur un ton lent.
Quelques mètres plus loin, ses apprentis écoutaient en silence les paroles du sage, et tous furent stupéfaits d'apprendre les intentions de la princesse. Surtout Pahya qui ne put respirer durant quelques instants. Bien sûr qu'elle aimerait que Ganondorf ne revienne plus jamais ! Mais savoir qu'il n'y aurait plus jamais de Héros pour protéger Hyrule en cas de problème, cela lui donna des vertiges.
- Cependant, depuis cette prière, je n'ai cessé de réfléchir et de me replonger dans mes nombreux souvenirs, reprit l'arbre Mojo. Et je pense avoir une réponse.
Le vent qui passa au même moment provoqua des frissons chez les Hyruliens qui buvaient ses paroles avec attention.
- Tu dois trouver la Clé, énonça le gardien avec sérénité. Elle seule te montrera la voie vers l'obtention de ton souhait.
- De quelle nature est-elle ? s'écria Link avec espoir. Vénérable arbre Mojo, où puis-je la chercher ?
Un rire grave se fit entendre ; le gardien ne pouvait s'en empêcher. Il ne se moquait pas du Héros. Mais il ne pouvait pas lui apporter d'autre réponse car lui-même ne connaissait ni l'origine ni l'emplacement de cette Clé. Dix mille ans auparavant, le précédent Héros lui avait évoqué l'existence d'une arme, autre que la Lame Purificatrice, qui pourrait apporter un soutien considérable aux élus si elle était entre de bonnes mains. Il fallait cependant souligner que seule, elle demeurait bien inutile face au seigneur du Malin car elle n'était pas de nature divine, loin de là. Selon ses dires, il l'aurait vue à l'œuvre et aurait tenté de se l'approprier afin de l'exploiter contre Ganon. Mais le Héros n'y était pas parvenu et son dangereux ennemi fut vaincu. Jamais plus il ne put la revoir après cela, comme si le propriétaire de l'arme l'avait dissimulée dans le but que personne ne puisse la trouver.
- Mon vieil ami, je crains que tu doives obtenir des réponses par tes propres moyens, lui dit finalement l'arbre Mojo. Mais ce n'est pas cette Clé qui te permettra de trouver la prêtresse royale. Va, le temps s'écoule comme l'eau tourmentée d'une rivière. Il est inarrêtable.
Link préféra détourner le regard et fermer un court instant les yeux. Alors... il était temps.
- L'heure n'est pas aux adieux. Une fois que tu seras en possession de l'épée, il ne faudra qu'une seule heure avant que la corruption n'atteigne mes racines.
Dans un silence pesant, le Héros se plaça face à la Lame Purificatrice puis enroula de ses doigts la fusée de l'épée. Il resta de longues secondes ainsi, percevant au contact de sa peau l'énergie divine de cette arme légendaire. Une fois de plus, il la manierait et illuminerait le monde de son éclat apotropaïque. À ses côtés, ses apprentis le virent déloger l'épée de son socle, ce qui créa une vibration qui entra en écho avec eux. Suite à cette sensation des plus étranges, Iris ressentit une chaleur dans sa poitrine, à laquelle elle association un sentiment : l'espérance. Cette arme était synonyme d'espérance. Elle jeta un coup d'œil à Léon et Pahya qui semblaient totalement subjugués. Quant à Thomas... La châtaine haussa les sourcils. Il pleurait. Figé devant une scène qu'il ne verrait qu'une seule fois dans sa vie, la bouche légèrement entrouverte. Sa camarade ne comprit pas sa réaction, ni même pourquoi cela le touchait autant.
- Vénérable arbre Mojo, prononça Link en relevant la tête vers lui. Au nom de tous mes prédécesseurs, merci de nous avoir guidés.
Il crut percevoir un sourire de la part du sage qui s'endormait peu à peu. Autour de lui, les korogus se regroupaient et venaient se blottir au creux de son tronc, prêts à accueillir leur finalité. Même Noïa salua humblement le Héros puis rejoignit ses semblables, le cœur lourd. Véritablement ému, Link le fut d'autant plus quand Papistus lui confia le fourreau de la Lame Purificatrice, gardé précieusement depuis trois ans. L'Hylien le remercia puis l'observa s'éloigner pour de bon. En silence, alors qu'il avait la gorge nouée, il sangla l'étui à sa ceinture avant de se diriger vers le reste de son groupe qui l'attendait patiemment.
- Capitaine, Elix vient de me faire parvenir un message, annonça Léon quand son supérieur fut à côté.
L'air éreinté de Link ne le poussait à poursuivre, mais il s'y contraignit. Par télépathie, son elvësch venait de le mettre en garde.
- Apparemment, des renforts viennent se joindre à nous. Mais pour cela, il faut un espace assez dégagé. Dans cette forêt, c'est plutôt difficile à trouver... Mais je pense que vous la connaissez mieux que nous.
- Léon...
- J'insiste, Capitaine. Vous ne regretterez pas une aide aussi précieuse.
Le Héros soupira tristement puis regarda l'arbre Mojo derrière lui. La forêt semblait s'éteindre peu à peu, sombrant dans un destin funeste par sa faute.
- Très bien, concéda-t-il. Suis-moi.
Link le conduisit vers un petit chemin qui s'éloignait du piédestal, là où les arbres étaient plus espacés et laissaient voir le ciel. Léon le remercia, s'empara d'un sifflet au fond d'une poche puis souffla dedans bien qu'aucun son ne se produisit. Ses compagnons lui jetèrent un regard interrogateur et n'eurent pas même le temps de lui demander ce qu'il venait de faire ; un elvësch atterrit - ou plutôt heurta puissamment le sol - à quelques mètres devant eux avant de pousser un juron de mécontentement. Dans la foulée, une soldate châtaine en descendit, sautant à terre quand elle le put, puis elle se dirigea vers le petit groupe en réajustant son gant droit.
- Je me joins à vous pour ce périple, déclara Astrid sur un ton sans appel. J'ai été chargée de protéger le Héros. Quant à lui...
Sans se tourner vers l'elvësch, elle le montra simplement du pouce avant de poursuivre :
- Il vous mènera jusqu'à Firone. Je pense que voyager dans les airs est le meilleur moyen pour rester sauf.
La créature, ou plutôt Elzier, maugréa. En temps normal, Eldry aurait accompagné sa cavalière dans ce voyage. Mais sur le plateau du Prélude, Olympe avait insisté pour que ce soit son elvësch. De ce fait, elle pourrait entretenir une communication secrète et directe avec sa sœur qui la tiendrait informée de leur avancée. À leurs yeux, Léon n'était pas fiable puisqu'elles ne le connaissaient pas. Mieux valait donc prendre ses précautions.
L'expression consternée de Link la déstabilisa car elle n'avait pas assisté à ses derniers moments avec l'arbre Mojo. Un instant, elle pensa ne pas être la bienvenue et douta même de l'utilité de sa présence. Mais après réflexion, le chevalier lui tendit la main et attendit qu'elle la lui prenne pour la serrer.
- Merci, fut la seule chose qu'il put lui dire.
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