Chapitre 17
Comme à son habitude, la petite Lasya longeait prudemment la rivière qui coulait derrière son village. C'était une fillette aux cheveux gris et à la peau si pâle que n'importe quel Hylien penserait qu'elle couverait une grave maladie. Et pourtant, ces traits physiques n'avaient rien d'anormaux ici. Tout le monde naissait ainsi depuis des siècles et des siècles. Lasya avait hérité des yeux couleur ambre de son père. Pour une fille de onze ans, elle possédait une taille moyenne conformément à son âge et une longue chevelure qu'elle tressait chaque matin pour ne pas la gêner quand elle travaillait dans les champs. Ce matin-là, Lasya vérifiait que l'étrange substance rougeâtre n'avait pas progressé sur la rive. Apparemment, elle existait bien avant la naissance de sa grand-mère et ne cessait de gagner du terrain peu à peu, surtout ces trois dernières années. Hélas, personne ne parvenait à la retirer car la chose, comme ils l'appelaient, brûlait les chairs, rongeait jusqu'aux os. Les quelques malheureux qui étaient tombés entièrement dedans avaient fini par devenir fou et dangereux pour le reste du village. Leur exécution survenait sans délai pour protéger tous les autres.
Pourtant, cette substance n'était pas ce qui effrayait le plus la fillette. Non... Il s'agissait de l'eau de la rivière. Selon les vieilles histoires, les esprits qui l'habiteraient voleraient l'essence même de celui ou celle qui aurait l'idée d'en boire une gorgée pour se désaltérer. La personne devenait une coquille vide sans histoire pour une durée variable. Dans la majorité des cas, elle finissait tuée par les nombreux prédateurs de la région car, la mémoire lui faisant défaut, elle oubliait tous les dangers et errait sans but précis. C'est pourquoi Lasya prenait soin de garder une bonne dizaine de mètres entre elle et la rivière. Hors de question qu'elle glisse et chute dans l'eau. Qui s'occuperait d'Omi dans ce cas ? Cette dernière cherchait justement quelques morceaux de racines sèches pour alimenter le feu dans leur cabane en pierre.
La fillette plissa les yeux quand une silhouette se dessina face à elle, une trentaine de mètres plus loin. À cause du manque perpétuel de lumière, il aurait été difficile pour un Hylien d'y voir grand-chose. Mais le peuple de Lasya avait fini par s'adapter et développer une meilleure vision nocturne, si bien que la lumière des gemmes nox et des quelques plantes luminescentes leur suffisait. Avec méfiance, l'enfant s'empara d'un long bâton près d'elle puis s'approcha de la forme inconnue. Peu à peu, elle discerna une chevelure d'une couleur anormale ainsi que deux bras et deux jambes reliées au reste du corps. À priori, il s'agissait d'un être humain. Mais que faisait-il sur la rive, à moitié dans l'eau ? La fillette déglutit et toucha l'étranger du bout de son morceau de bois. En plus, la chose se trouvait à moins d'un mètre, alors dégager le corps pouvait être dangereux.
- Omi ! s'écria l'enfant qui recula d'un bond. J'ai trouvé un truc !
Celle qui répondait à cette appellation releva la tête puis regarda en direction de Lasya. La vieille dame soupira ; elle laissa son bois de côté pour rejoindre sa petite-fille sans se presser. Elle lui montrerait encore des débris ou bien un poisson échoué. C'était toujours ainsi. La dénommée Omi se déplaçait courbée et sans canne malgré son âge avancée. Elle n'avait aucune idée du nombre d'années qu'elle pouvait avoir. Ici, personne ne s'en souciait car rien ne pouvait définir correctement l'écoulement du temps.
- Qu'y a-t-il ? s'exaspéra la vieille femme quand elle fut assez proche.
- Regarde !
Lorsqu'elle vit le corps couché sur le ventre, Omi retint un hoquet de surprise et d'effroi. Bon sang, mais il fallait le dire plus tôt qu'une pauvre malheureuse était tombée dans la rivière ! Elle ne prêta pas tout de suite attention à la couleur de ses cheveux. La vieille femme demanda à Lasya de tirer l'inconnue en dehors de l'eau, vers un endroit assez éloigné et sécure. Ce n'était pas la première fois qu'on trouvait quelqu'un à cet endroit précis, emporté par les flots et sauvé par la rive au même niveau que la rivière.
- Il faut l'emmener au village, s'affola Omi qui remarqua une profonde entaille dans le bras de la blonde. Si nous ne faisons rien, cette pauvre fille va perdre tout son sang !
- Mais elle est lourde... On pourrait pas la laisser là et attendre qu'elle se réveille ?
Sa grand-mère leva les yeux vers la voûte et posa une main sur la tête de l'enfant.
- Malheureuse ! Tu as vu comme moi, son corps baignait encore dans la rivière ! Les esprits ont eu le temps de la tourmenter assez pour qu'elle ne reprenne conscience rapidement.
Lasya voulut répliquer afin de montrer son mécontentement mais la vieille femme la réprimanda sévèrement et l'obligea à lui obéir sous peine d'être punie avec fermeté. La fillette s'y plia à contrecœur et souleva les jambes de l'inconnue avant de la porter jusqu'à leur village situé à une centaine de mètres de la rivière, composé de cabanes en pierre parsemées un peu partout entre les parois de la cavité. En les voyant arriver avec le corps, quelques jeunes hommes leur apportèrent leur aide pour les mener jusqu'au sorcier du village. Il habitait au centre dans une hutte en forme de demi-cylindre dont le toit était composé d'herbes sèches et grises. D'étranges crânes en ornaient les murs.
- Sorcier ! s'exclama la vieille femme une fois qu'ils furent à l'intérieur. Nous avons trouvé une tourmentée !
L'homme en question se retourna. Il était dans la fleur de l'âge et possédait, comme ses semblables, des cheveux dépigmentés à cause de l'absence de lumière. Ses iris noirs se posèrent sur la silhouette que l'on portait et ses yeux s'agrandirent de stupeur. À la lueur de ses lampes à graisse et de quelques morceaux de gemme nox, il voyait très bien la couleur blonde de la chevelure qui n'avait rien de commun ici.
- Allongez-la sur la paillasse, ordonna-t-il en se dirigeant vers quelques étagères où se trouvaient de nombreux pots en terre cuite. Où était-elle ?
- Au bord de la rivière, à moitié dans l'eau...
Le ton inquiet d'Omi n'avait rien de rassurant. Elle savait déjà quelle dure période allait endurer cette étrangère.
- Pendant combien de temps a-t-elle été la proie des esprits ? se renseigna le Sorcier en revenant vers la blessée.
Tout le monde haussa les épaules. Les hommes, qui avaient porté le corps, furent renvoyés, seules Lasya et sa grand-mère purent rester. Le Sorcier soupira :
- Cela n'augure rien de bon. Heureusement que vous l'avez trouvée à temps. Qui sait si en reprenant conscience, elle n'aurait pas rencontré un Krassen.
Il s'accroupit près d'elle pour lui prendre son pouls. Au moins, son cœur battait. Mais vraiment... Quelle singulière chevelure. Jamais il n'avait entendu parler d'un peuple avec une telle caractéristique. Avec douceur, l'homme appliqua un onguent sur la profonde entaille puis l'entoura d'écorce souple qui le protègerait de l'air ambiant.
- Un peu plus et cette jeune femme se cassait le bras. Elle a eu beaucoup de chance.
- Elle a peut-être été attaquée ? supposa Lasya qui ne cessait de l'observer. Personne ne serait assez fou pour se jeter dans la rivière.
- En effet, elle a dû être contrainte de tomber à l'eau. Quelle qu'en soit la raison.
Le Sorcier commença à fouiller l'étrangère, il ouvrit la sacoche accrochée à sa ceinture, en retira quelques crayons puis sortit un carnet dont la couverture était faite de cuir.
- Voilà un drôle de manuscrit. On dirait que des symboles y sont inscrits mais l'eau les a rendus flous, par conséquent illisibles.
- Il y a quelque chose sur la tranche, releva Omi en la pointant du doigt.
D'autres caractères y avaient été gravés mais ils furent incapables de les lire car ce n'était pas leur écriture. La fillette se montra d'autant plus méfiante vis-à-vis de cette étrangère. En fin de compte, elle aurait mieux fait de la laisser au bord de la rive. Qui sait ce qu'elle allait ramener dans leur village ?
- Ses vêtements ne sont pas d'ici non plus. Je n'avais encore jamais vu un tel bleu ! s'émerveilla la vieille femme en regardant le buste de la blessée. Sans parler de ses cheveux couleur feu. J'aimerais lui poser beaucoup de questions à son réveil. Hélas...
Elle jeta un regard peiné au Sorcier qui comprenait avec facilité ce qu'elle voulait dire.
- Nous n'avons pas encore abordé le sujet, mais en effet. Si les esprits le lui accordent, cette jeune femme pourra se retrouver lors de la prochaine Éclosion.
L'Éclosion désignait le jour où les fleurs luminescentes écloraient. Autrement dit, même si le temps sous terre n'avait presque aucune valeur contrairement au monde extérieur, l'événement se produirait d'ici trois mois. C'était un jour de fête pour tout le monde, surtout depuis que les princesses de la sérénité poussaient de plus en plus à chaque fois. Avant, il n'y avait quasiment que des fleurs silencio et quelques autres bien moins belles.
Intrigué, le Sorcier retira la bague au doigt de la blonde puis l'examina attentivement, les yeux plissés. En voilà un beau bijou ! Ceux de sa tribu n'en avaient jamais eu d'aussi bien fini et raffiné. Après tout, ils s'habillaient avec du tissu pareil à du lin. Des robes simples ou des pantalons rafistolés, tels étaient les habits les plus répandus en plus des fourrures qu'ils revêtaient quand les températures chutaient.
- Il y a une inscription à l'intérieur de ce bijou mais je ne suis pas en mesure de la lire, déclara l'homme en remettant la bague au doigt de l'étrangère. Si nous voulons des réponses, il va falloir nous montrer patients. Omi, comptes-tu l'héberger ?
La vieille femme fut grandement gênée.
- J'ai tout juste les moyens de faire vivre ma petite-fille, Sorcier... Une bouche de plus à nourrir serait un trop lourd fardeau pour moi.
- Fais-la travailler avec toi, dans ce cas.
- Tu n'y penses pas ! Accueillir une étrangère de la sorte, c'est insensé. Et qui te dit qu'elle sera d'accord pour cela ? J'ai la réputation d'avoir le cœur sur la main, mais tu m'en demandes trop.
Le Sorcier le savait. Il proposa alors de mettre le corps en dehors du village ; quand cette jeune femme se réveillerait, elle se débrouillerait toute seule, guidée par les déesses. Cela, Omi ne put l'accepter non plus. Jusqu'à présent, personne n'avait jamais abandonné un tourmenté, quel que soit le degré de son amnésie.
- Si tu tiens tant que ça à la sauver, fais-lui croire qu'elle est aussi ta petite-fille. Au moins jusqu'à ce que les esprits lui permettent de se retrouver.
- Je... C'est ignoble ! Mentir de la sorte... Est-ce que tu imagines un seul instant l'abandon voire la trahison qu'elle ressentira quand elle se souviendra ?
Sa voix, tremblante naturellement à cause de son âge, ne devint plus qu'un souffle à la fin de sa question. Pour Omi, il était tout simplement inconcevable de construire un tel mensonge, surtout pour une inconnue. Et puis pour elle-même... Vivre ainsi, dans une forme d'hypocrisie, elle ne pouvait pas s'y soumettre.
- Si tu n'es pas d'accord, peu importe. Je suis persuadé que d'autres villageois seraient plus enclins à accepter. De la main-d'œuvre, nous en manquons depuis toujours.
- Elle va devenir notre esclave ? demanda Lasya sans une once de pudeur.
Sa grand-mère hoqueta d'indignation. Alors là, c'en était trop ! Il était hors de question que cette jeune femme soit abandonnée à son sort ou bien qu'elle soit asservie par quiconque ici. Mais la garder en vie relèverait de sa responsabilité. Si Omi venait à la prendre sous son aile, en plus du mensonge quotidien, elle devrait veiller à ce que sa propre famille ne manque de rien. Dans le village d'Altoz, rien n'était abondant. La nourriture pouvait se faire rare, les quelques champs qu'ils possédaient et qui poussaient à la lueur des gemmes nox ne donnaient pas toujours suffisamment de récoltes pour bien nourrir la population. Sans compter les rôdes des Krassens, ces créatures terrifiantes qui habitaient les souterrains et qui s'avéraient être les plus grands ennemis des êtres vivants en ces lieux.
- Soit, je me sens forcée d'accepter, maugréa Omi en croisant les bras. Cette fille gagnera son repas à la sueur de son front ! Mais si sa présence affecte en mal la qualité de vie de ma chère Lasya, je n'hésiterai pas un instant à renvoyer cette étrangère.
- Qu'il en soit ainsi. Tant qu'à faire, qu'elle prenne goût à la vie de notre village. Nous manquons de femmes depuis que les hommes de l'autre clan nous ensorcèlent les nôtres. Il faut avant tout penser à la survie de notre tribu.
Omi grommela dans sa barbe puis alla rappeler quelques vaillants gaillards pour porter la blonde jusqu'à sa cabane. Les murs de cette dernière étaient constitués de pierre et de terre pour mieux la protéger du froid lors de la saison hivernale. Une petite cheminée ressortait du toit et libérait la fumée vers la voûte à une centaine de mètres au-dessus de leur tête. L'air était filtré par les végétaux qui poussaient sur les parois tandis que l'eau s'égouttait par les multiples racines suspendues dans le vide. À l'intérieur de la cabane, on allongea une nouvelle fois la blessée sur une paillasse.
- Elle a la peau foncée, releva l'enfant assise en tailleur près du corps. Elle est peut-être malade ?
- Je ne sais pas, sans doute.
Lasya découvrit une broche en forme de princesse de la sérénité dans ses cheveux ; elle fut tant émerveillée par sa beauté qu'elle la prit et la plaça dans sa propre chevelure.
- Regarde ! Je peux garder sa broche tant qu'elle est une tourmentée ?
La colère monta d'un cran au sein d'Omi qui lui retira le bijou sans ménagement puis le rendit à sa véritable propriétaire. La vieille femme prit Lasya par l'oreille puis la mena dans un coin de l'unique pièce.
- Cesse un peu tes sottises, tu entends ? Je ne te permets pas de profiter ainsi de cette pauvre fille ! Mets-toi un peu à sa place, tu aurais aimé que quelqu'un se plaise à te ravir tes effets personnels par pur égoïsme ?
Les larmes vinrent poindre dans les yeux de la fillette qui fit la moue et détourna le regard. Non, elle n'aurait pas aimé. Lasya comprit son erreur et s'en excusa platement, honteuse. Sa grand-mère soupira puis se dirigea vers le feu mourant dans la cheminée.
- Retourne à la rivière et va chercher le bois, la pria Omi. Avec tout ça, j'ai oublié de le prendre...
La petite s'exécuta sans broncher, le pas lourd, et quitta la demeure dans les instants suivants.
oOo
Accompagnée par une intense douleur dans l'avant-bras droit, Zelda reprit peu à peu ses esprits. Ou du moins ce qu'il en restait. Tout était si flou, sa mémoire semblait à la fois vacante et emplie de connaissances dont elle n'avait pas accès pour le moment. Bien que ses paupières restaient closes, elle tentait de se souvenir. Elle s'appelait Zelda, c'était une certitude. Mais à part cela, tout son être semblait vide, comme si on lui avait retiré ce qui la définissait en tant qu'individu propre. Une coquille... On l'avait transformée en coquille. Un vif sentiment de détresse s'empara d'elle pour lui tordre désagréablement le ventre. Bon sang... Pourquoi n'arrivait-elle pas à se remémorer le fil des événements ? Le jour même, elle était... elle était avec... Zelda rouvrit tout à coup les yeux puis se releva brutalement en poussant un cri d'effroi. Pourquoi, pourquoi ?! Elle fut en proie à une crise de panique qui accrut davantage son rythme cardiaque ainsi que la vitesse de sa respiration. Ses muscles étaient tendus et sa gorge s'asséchait bien trop rapidement, signes de son état alarmant d'anxiété.
- L... L... prononça-t-elle instinctivement.
Mais aucun mot ne lui vint réellement à l'esprit. Elle voulait l'appeler, cette personne qui était à ses côtés peu de temps auparavant. Alors... Pourquoi ? Tout était vide. Les dernières images floues qu'il lui restait finirent par disparaître à leur tour. La jeune femme était avec quelqu'un, elle en avait la certitude. Mais il lui demeura impossible de mettre un visage ou un quelconque nom sur cet être hypothétique. Zelda éclata en sanglots et poussa une lamentation continue en se tenant la tête. En vérité, elle était terrorisée. Terrorisée de ne pas se souvenir de son vécu ni de reconnaître la pièce où elle se tenait. La porte s'ouvrit à la volée puis une fillette aux cheveux gris apparut sur le seuil, les yeux écarquillés. Lasya se doutait bien que le cri ne pouvait provenir que de sa cabane.
- Qui êtes-vous ? s'écria Zelda en reculant vivement sur la paillasse.
L'enfant ne prit pas la peine de lui répondre. Elle passa la tête vers l'extérieur, une main tenant le cadre de la porte pour ne pas tomber, et appela sa grand-mère :
- Omi ! Elle s'est réveillée !
Lasya reporta son attention sur la blessée qui tremblait et cherchait n'importe quoi pour se protéger. Hélas, Zelda devait se lever pour attraper le tabouret le plus proche. À peine eut-elle posé un pied à terre que ses forces l'abandonnèrent, ce qui la fit chuter et provoqua une douleur supplémentaire. Omi arriva au même moment, découvrit l'inconnue au sol puis se précipita vers elle, paniquée de la voir ainsi.
- Pauvre enfant ! s'exclama la vieille dame avant de s'accroupir à ses côtés. Reste sur la paillasse, tu n'as pas suffisamment récupéré pour te lever.
Omi voulut l'attraper par le bras mais l'Hylienne la repoussa d'un geste brusque, encore sous le choc de ses émotions.
- Ne... Ne me touchez pas... l'avertit Zelda en fronçant les sourcils.
Lasya se positionna à côté de son unique parent et dévisagea avec intérêt cette étrange humaine au physique si atypique pour les habitants des souterrains et à l'accent inconnu. Omi soupira puis se dirigea vers son plan de travail rudimentaire pour y prendre un verre et le remplir d'eau. Suivie par le regard méfiant de son hôte, elle revint pour le lui donner en affichant un sourire bienveillant :
- Bois ceci. Tu as besoin de reprendre ton calme.
Zelda ne daigna pas lui prendre le petit récipient en terre cuite. Tout ce chamboulement, tout ce vide lui coupait l'envie de boire. La vieille femme comprit qu'il valait mieux se présenter pour mettre la blonde en confiance :
- Tu peux m'appeler Omi. Cette appellation désigne la mère de ta mère. Voici Lasya, ta petite sœur.
- O...mi ? Lasya ? répéta Zelda qui les dévisageaient tour à tour.
La grand-mère acquiesça pour le confirmer.
- Nous allons tout t'expliquer, ne t'inquiète pas. Est-ce que tu te souviens au moins de ton prénom ?
Zelda déglutit, ses larmes chaudes et salées continuaient de couler le long de ses joues. Oui, son prénom était sans doute la dernière chose qu'il lui restait.
- Je m'appelle... Zelda, dit-elle d'une voix chevrotante.
Les deux habitantes échangèrent un regard discret avant qu'Omi ne reprenne :
- Oui, c'est exact. Je suis soulagée de constater que tu t'en souviennes. Il n'est pas rare qu'un tourmenté n'oublie pas son prénom. Les esprits doivent juger qu'il constitue l'épreuve même de ceux qu'ils ont troublés.
- Un tourmenté ? la questionna la jeune femme qui semblait se détendre peu à peu.
La vieille femme lui proposa de tout lui raconter afin qu'elle comprenne mieux et sache qu'au village d'Altoz, Zelda n'encourait aucun danger. Près d'ici s'écoulait une rivière, la Rivière des Tourments, qui longeait les ruines du même nom en amont. Jadis, ces vestiges du passé auraient été maudits par une entité maléfique, celle-ci aurait corrompu les esprits habitants les eaux et ils seraient devenus néfastes par conséquent. Tout malheureux qui se désaltèrerait dans la rivière ou bien qui tomberait dedans serait aussitôt tourmenté par les esprits en quête de vengeance. Par la suite, l'homme ou la femme concerné serait voué à se « retrouver » dans un lapse de temps variant en fonction de sa durée d'exposition à l'eau de la Rivière des Tourments. La mémoire lui reviendrait peu à peu bien que cette période d'amnésie puisse être particulièrement dangereuse.
- Tu as eu de la chance que Lasya t'ait retrouvée, soupira la grand-mère en baissant les yeux. La plupart des tourmentés n'ont pas cette chance. Ils finissent par se perdre dans les souterrains puisqu'ils ne se souviennent de rien, et dans la majorité des cas, les Krassens les découvrent.
- Et ils les dévorent ! s'exclama Lasya qui écarta ses bras dans un geste théâtrale.
Zelda sursauta tandis que son ventre se tordit sous l'effet de la peur. Qu'était-ce que les Krassens ? Omi lut sa question à travers son regard et la devança :
- Ce sont des êtres du néant, des monstruosités de grande taille, certains possèdent des ailes de chiroptère même s'ils sont incapables de voler. Ces... choses ont forme humaine mais n'ont ni vue, ni odorat ni ouïe. Elles se servent des vibrations du sol afin de trouver leur proie.
- Ce sont des créatures très effrayantes, compléta Lasya assise sur la table et dont les pieds se balançaient dans le vide. Il n'y a qu'une grande bouche sur leur visage ! Leurs cheveux sont noirs et très longs ! Sans parler de tous leurs poils qui recouvrent leurs jambes...
La fillette tira la langue pendant qu'elle grimaçait de dégoût. Zelda sentit ses poils se hérisser en imaginant ces monstres vivre dans les environs. D'après Omi, d'étranges machines occupaient certaines régions des souterrains et s'en prendraient aux humains trop imprudents. Cependant, depuis quelques temps, il y en avait bien moins sans que quelqu'un ne sache réellement pourquoi.
- Comment ai-je pu oublier tout cela ? se lamenta Zelda qui se tenait les bras pour se réchauffer. Un monde aussi dur, j'ai dû mal à croire que je ne m'en souvienne pas... Et mes parents ? Où sont-ils ?
Un voile de tristesse passa à travers le regard d'Omi qui détourna la tête. Quant à sa petite-fille, ses jambes ne se balançaient plus ; les mauvais souvenirs revinrent à la surface et lui nouèrent la gorge.
- Vos parents ont été tués par les membres d'une tribu éloignée alors qu'ils devaient commercer avec un clan ami du nôtre, lui apprit la grand-mère d'un ton grave. Les conflits ne sont pas rares, ici. Les ressources manquent et les Hommes n'hésitent pas à s'en prendre à leurs semblables pour survivre.
Alors ses parents étaient décédés... Zelda plissa les yeux puis fixa la paillasse sur sa gauche. Elle culpabilisait de ne pas pouvoir leur rendre hommage en se remémorant leur visage. Néanmoins, l'Hylienne avait foi de retrouver la mémoire. Ce n'était qu'une question de temps. Avec Omi et Lasya, elle aurait deux guides dans ce monde qui l'aurait vu naître mais qui lui demeurait inconnu pour le moment.
- Et moi ? Suis-je toujours restée à vos côtés ? s'enquit-elle de savoir pour réapprendre à se connaître.
Cette question fut la goutte de trop pour Omi. Elle ne pouvait pas lui inventer une vie, hors de question ! Le mensonge ne pouvait aller plus loin.
- T'es partie à l'aventure alors que j'apprenais à marcher, intervint Lasya sur une note plus joyeuse.
Les yeux de sa grand-mère papillonnèrent tandis qu'une joie étonnante naissait dans la poitrine de Zelda. Étrange sentiment... Sa petite sœur avait sans doute raison ; son cœur ne pouvait oublier et manifestait sa gaieté ainsi.
- Tu venais parfois nous voir mais tu finissais par disparaître très longtemps. Jusqu'à hier ! C'est moi qui t'ai trouvée sur la rive.
- Je ne vous racontais jamais ce que je faisais ?
Les deux villageoises perçurent avec netteté l'espoir dans la voix de Zelda. Sa mémoire n'existait qu'à travers elles, c'était ce que l'Hylienne pensait.
- Non, tu as toujours été très discrète, déclara Lasya qui sauta à terre.
L'enfant alla chercher les affaires de leur hôte puis elle les lui tendit sans sourire. Zelda put découvrir une bourse remplie de rubis ainsi qu'un carnet où figuraient deux mots sur la première de couverture, gravés dans le cuir.
- Zelda Hyrule, lut-elle avec étonnement. C'est à moi...
Elle l'ouvrit mais ne trouva que des mots à moitié effacés par l'eau. Tout semblait illisible, ce qui lui créa un vif pincement au cœur et la refit pleurer. Son esprit restait vide, plus rien ne le comblait. Pas même ce vestige de son passé... Une main chaleureuse vint se poser sur son épaule, Zelda leva la tête et ancra son regard larmoyant dans celui d'Omi.
- Allons, ne pleure pas... Tu auras bientôt de vagues échos de ton vécu. Je te promets que tu te retrouveras avant l'Éclosion. Mais en attendant, tu devras travailler et nous aider. Je ne peux t'accorder le toit et la nourriture si tu ne fais rien.
La blonde opina alors qu'elle s'essuyait les yeux du revers de sa main. Oui, elle comprenait. Zelda ferait de son mieux pour aider sa famille jusqu'à ce que la mémoire revienne. La vieille femme l'aida à se remettre sur la paillasse puis elle proposa une nouvelle fois le verre d'eau à Zelda. Cette fois-ci, elle l'accepta et put goûter aux débuts de sa nouvelle vie.
oOo
En cette magnifique journée de fin d'été, Hyrule connaissait sa prospérité habituelle, ses habitants vaquaient à leurs occupations quotidiennes. Au sein de la forêt de Firone, rien ne semblait pouvoir troubler le calme environnant dans lequel vivaient la faune et la flore. Un voyageur zora, de couleur bleue, profitait de cette atmosphère pour cueillir quelques fleurs lames afin d'en faire un onguent par la suite. Il avait pour coutume de venir dans cette région d'Hyrule qu'il connaissait mieux que personne au sein de son peuple. Cette fois-ci, le Zora s'était arrêté au pied d'une des hautes cascades de Firone. Les fleurs qui poussaient sur les rives étaient abondantes et d'une qualité bien meilleure. Il sentit une certaine fierté l'étourdir : personne d'autre à part lui ne savait où trouver de telles fleurs. À vrai dire, les Hyruliens ne s'y intéressaient pas particulièrement...
- Tiens ? émit le Zora quand il vit quelque chose bouger du coin de l'œil.
Il se releva et s'approcha, les yeux plissés. Qu'était-ce que cette substance rougeâtre ? Son sang se glaça quand il la reconnut : la corruption de la Calamité. Par les divines déesses, mais pourquoi y en avait-il encore ici ?! De plus, elle sortait de terre et se répandait vite sur le sol de ce territoire exotique.
- Je dois prévenir le prince Sidon, déclara-t-il avec conviction.
Au moment où il s'apprêtait à tourner les talons, la terre se fissura puis s'effondra sur elle-même, créant un trou béant à la place de la corruption. Le Zora bondit en arrière, affolé par la situation, et il tomba à la renverse tandis que son cœur battait la chamade. Tout à coup, une colonne de substance rouge et noire s'éleva devant lui, provenant des tréfonds de la terre, puis elle s'écrasa à quelques mètres de là. L'Hyrulien en demeura paralysé tant par la surprise que par la peur. Il ne comprenait guère ce qu'il se déroulait sous ses yeux, encore moins quand une silhouette se dessina devant lui. Un démon... Telle fut sa première pensée en voyant cette chose sortir de la corruption. Un homme momifié, aux longs cheveux roux, au corps effilé et flétri à cause de la déshydratation manifeste. Au vu des quelques habits qu'il portait, ce devait être un Gerudo. Ou du moins ce qu'il en restait... La momie tendit lentement la main vers le Zora, ses iris rouge et jaune le transperçant par leur simple regard. Les muscles de l'Hyrulien se contractèrent avec tant de force qu'il cessa de respirer et ne parvint plus à penser correctement tant cet être ne lui inspirait que terreur. La corruption vint soudainement entourer sa cheville, ce qui lui provoqua une douleur intense et lui arracha un cri rauque, puis elle le tira d'un coup sec vers son maître. Le Zora fut redressé contre sa propre volonté avant de faire face de toute sa hauteur à l'homme momifié qui le dévisageait.
Ses yeux n'avaient rien d'humains, deux canines dépassaient de ses lèvres pincées et asséchées tandis qu'une odeur nauséabonde se dégageait de son corps. Le Zora aurait rendu son dernier repas s'il n'avait pas été prisonnier de son enveloppe, incapable de bouger le moindre membre. La main brune et sèche du Gerudo attrapa la mâchoire de sa proie puis il y planta ses ongles longs et fissurés. La cause de l'immobilité du voyageur devint toute autre, comme si cette monstruosité était en train d'absorber l'essence même de son existence. Peu à peu, la peau du Gerudo retrouva sa couleur d'origine tandis que son apparence changeait. Alors que le Zora vivait une vieillesse à une vitesse vertigineuse, son assaillant rajeunissait à vue d'œil. Lorsqu'il n'y eu plus rien à aspirer, il laissa lourdement retomber le corps inerte de sa proie puis tituba quelques instants. Il avait réussi... Il avait enfin réussi. Son apparence se rapprochait de celle d'un homme ordinaire d'une trentaine d'années.
Ganondorf.
Oui... Son nom, celui qui inspirait crainte et soumission à tous ceux qui osaient le prononcer, jadis. À combien de siècle remontait sa défaite face à ces misérables insectes d'élus ? Durant son emprisonnement par le sceau, sa haine n'avait jamais cessé de croître et de s'étendre, donnant naissance à ce que ces piètres humains appelaient « corruption ». Ganon avait vu le jour par deux fois, le sceau avait été incapable de le contenir. Mais dorénavant, c'était lui, Ganondorf, qui l'avait vaincu grâce à un concours de circonstances. Les élus étaient tombés dans son propre piège. Ganondorf esquissa un bref sourire avant de tourner son visage vers le ciel. L'enfant gardien... Si influençable, si manipulable que c'en était devenu un plaisir personnel. Voilà ce qu'il en coûtait de sous-estimer le véritable roi de ces terres.
- Il est temps que je te reprenne ce que tu m'as volé, Hylia, prononça le Gerudo d'une voix rocailleuse.
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