Chapitre 43
"Les toiles que nous tissons sont les miroirs de nos âmes... troubles et secrètes, elles révèlent nos vérités cachées."
~Cousin
Alstroe entra dans l'atelier de peinture, regardant tout autour de lui. Car s'il était déjà venu et avait mémorisé le chemin pour venir, cela faisait tout de même deux ans, et il n'était pas resté en ce lieu plus de quelques minutes, si bien qu'il le découvrait presque.
Lorque Fil rentra, il fit un bref tour des lieux du regard.
-C'est... coloré.
- Ouiiiiiiiii !!!!!! fit Alstroe avec un grand sourire en commençant à fouiller les tiroirs et les placards pour voir le matériel.
Fil sentit le Néant sautour du Jardin se rétractait, comme si... comme si quelqu'un touchait au temps lui-même. Il secoua plusieurs fois la tête, comme voulant se débarasser de cette impression.
- Au moins, tu t'amuses... fit-il avec un léger sourire.
- Ah non, je ne m'amuse pas encore. Je suis juste jaune.
- Et moi, comme une araignée dans un domaine de mantes...
- Ce qui veut dire....?
- Je me sens pas vraiment à ma place... murmura le garçon araignée en baissant les yeux.
- Mais pourquoi tu ne serais pas à ta place ? Tu es un artiste, et même si c'est un atelier de peinture, c'est un atelier comme les autres, fit Alstroe en sortant deux toiles, des pinceaux et deux pots remplis d'eau qu'il avait trouvé au fur et à mesure de ses recherches.
-C'est pas... gris. Mais oui, je suppose que tu as raison.
- Gris ?
Alstroe fronça les sourcils.
- En quoi ce serait gris ? Ce n'est pas neutre, ennuyeux, banal, discret, passable, ou que sais-je d'autre qui est gris, si ? Ou peut être qu'on ne parle pas du même gris ?
-Non, mais c'est ça que j'aime... Quand tu aime le jaune, moi j'aime le gris...
- Ah, d'accord... Mais j'aime les deux couleurs ! Toutes les couleurs, pour être exact. Oh, d'ailleurs ! Il y a un atelier avec des instruments de musique ?
- Oui, il y a un atelier de musique, mais personne ne sait où est la clé qui la ferme...
- Ohhhhhh ! Alors faut y aller et défoncer la porte ! s'exclama t-il avec un ton particulièrement guilleret. Ou simplement trouver une autre solution...
Le peintre pencha la tête sur le côté.
- Mais... On ne profane pas le jardin !
- Ce serait profaner ?
- Oui et non. On se ferai mal car Ijune a béni le jardin. On a peut-être juste à attendre un peu pour lui demander !
Alstroe hocha la tête.
- Bon, peinture ?
- Peinture ! fit Fil avec un grand sourire.
- Alors ce n'est vraiment pas compliqué ! Suffit de prendre de la peinture, de tremper le bout de son pinceau dedans, puis de faire ce qu'on veut avec la couleur sur sa toile. Quand il n'y a plus de peinture sur le pinceau, il faut le retremper dans la peinture et si tu veux changer de couleur, suffit de rincer le pinceau et de le tremper dans une autre teinte. Bon, bien sûr, si tu veux changer de couleur, il n'y a pas besoin de remettre de peinture juste avant de le rincer, sans s'en servir ! Ah oui, et si tu fais quelque chose avec des détails où des couleurs se chevauchent, vaut mieux faire les teintes les plus en dessous, puis celles du dessus, et enfin les détails !
Le petit garçon sembla un peu étonné face à cette tirade, et il ne répondit que par un :
- Ohhhhh...
Le peintre lui sourit avant de commencer a peindre un fond vert dégradé.
Fil prit un pinceau et l'observa sous tout ses angles. Il savait même pas comment s'y prendre... Comment on prenait le pinceau en main ? Et la palette de couleur, fallait-il la prendre en main, ou la laissait sur le côté ?
Il inspira un grand coup, et, comme si tout cela était naturel, commença à peindre la tanière d'une fourmilière. Sous ses coups de pinceau, une scène vivante se révéla : un réseau complexe de tunnels, minutieusement tracé, serpentait sous la surface. Les galeries plongaient dans des nuances de terre profonde, de brun sombre, presque noir, se fondant en ocre et terre de Sienne.
Chaque détail émergeait doucement, les fourmis ouvrières semblant presque palpiter sous les touches légères de blanc cassé, travaillant sans relâche le long des tunnels. La lumière jouait sur la surface du sol, donnant une texture granuleuse qui capturait la rugosité de la terre, tandis que les ombres suggèraient une vie effervescente.
Au centre de la composition, une grande chambre où des œufs reposaient, petits points blancs lumineux, entourés des fourmis nourrices, plongées dans une attention minutieuse. Au fur et à mesure qu'il peignait, le tableau devenait plus qu'une simple tanière : c'était un monde miniature, un univers grouillant de vie sous les apparences.
Fil était un Artiste... Et pas n'importe lequel. Tout le monde savait à quel point les araignées étaient proches de l'onirique... Et il se trouvait qu'à côté d'Alstroe se trouvait l'enfant d'Arachnéa.
-J'ai envie de manger...
Alstroe, plongé dans sa peinture et dans les lignes noires qu'il traçait sur sa feuille, ne regarda pas ce que faisait Fil, et ce fut à peine s'il l'entendit parler.
- Je ne peut pas t'aider là dessus. La peinture, ça n'a pas bon goût, ni de bon effet sur la santé.
- Je vais faire un tour à la cafétaria, tu veux quelque chose ?
Fil regarda sa toile. Elle n'était même pas belle, en soit, bien moins belle que la dentelle qu'il pouvait confectionner...
Alstroe fit simplement un non de la tête, toujours occupé à ses lignes noires.
- D'accord ! Je reviens !
Il ne répondit rien, complètement absorbé par sa peinture. Il farfouilla dans un pot à pinceaux et, particulièrement content, en sortit une brosse à dents.
~~~~~
Fil passa sa tête hors de la porte, petit tête curieuse qui avait bien mangé : il y avait encore un peu de sang sur sa joue.
- Re...
- Re ! fit joyeusement Alstroe en mettant de la peinture blanche sur sa brosse à dents.
-Je pense que rien n'est meilleur que de la viande crue. Ça apaise l'estomac, un truc de dingue. Sinon, tu es bourré ? Pourquoi tu utilise une brosse à dents ?!
- Ewh.... chacun ses goûts, hein. Et une brosse à dent, pour faire des petits points ! Plein de petits points ! Comme ça, regarde ! fit-il en s'exécutant.
- On utilise souvent cette technique pour les ciels étoilés !
- Ohhhh... Je suppose que ça peut aussi être utiliser pour des poils, non ?
- Oh oui, effectivement ! Mais les poils sont plus rigides que les pinceaux, souvent. Donc on voit beaucoup les traits des poils, ce qui n'est pas toujours super... Mais oui, on peut aussi les utiliser pour les poils !
-Ohhh...
Il s'aventura dans l'atelier et se remit à sa peinture.
Asher entra dans l'atelier de peinture, après avoir tapé quelques coups discrets sur la porte. Il chercha le garçon araignée du regard, espérant le trouver ici.
Une araignée informa Fil de sa présence, et celui fit la moue : fallait toujours qu'on lui gâche les moments où il était bien...
Il se tourna vers le duc et haussa un sourcil, les bras croisés. Il ne comprenait pas trop.
Asher prit une longue inspiration, avant de mettre ses mains dans les poches. La vue de ces araignées ne le dérangeait pas vraiment, du moins, moins que d'autres. Il s'approcha d'un pas et d'un air distrait, passant un doigt sur une table de travail à proximité.
- Écoute, Monsieur l'araignée, par rapport à ce que j'ai dit tout à l'heure, c'était peut être indélicat de ma part...
Il s'arrêta, comme s'il ne savait pas comment continuer.
-C'était surtout carrément méchant. Je sais les choses. Je vois les regards des gens. Et je comprends que les gens soient dégoûtés en me voyant manger de la chair gorgée de sang, en parlant aux insectes et en restant dans mon coin comme un monstre. Je sais que c'est normal pour les gens normaux de ne pas m'apprécier.
La mygale de toute à l'heure se posa sur l'épaule du garçon, qui lui passa l'index sur l'abdomen.
-Mais c'est pas une raison pour ça.
Asher ricana, et son regard glissa sur le corps du garçon.
- Désolé de te décevoir, Araignée, mais c'est pas parce que t'es différent que je t'ai traité comme ça, te crois pas trop spécial.
Façon pour lui de dire que son apparence ne le dérangeait pas plus que ça.
-J'ai vu ton regard, siffla Fil. Et c'était loin d'être appréciable.
Il se remémora le regard de Lios, et regarda celui d'Alstroe.
-Ouais, non, fit-il en insecte.
-Je ne me crois pas spécial, dééclara t-il, de nouveau en humain. Et arrête de m'appeller l'Araignée. Je ne suis pas une araignée. Je le suis, mais pas entièrement, alors arrête.
Le duc renifla dédaigneusement.
- Un regard donc ? Pff, génial l'araignée se base sur un regard.
Il accentua le mot araignée, pour l'énerver, sans aucun doute.
-Il y a différent type de regard, grogna t-il.
Une lueur de danger s'alluma dans le regard du garçon. Fil se tortilla les doigts. Cet humain oubliait que Fil avait beau avoir un côté humain, c'était avant tout un insecte. Une araignée, en plus. Il n'hésiterai pas à se salir les pattes...
Puis il décida qu'il n'en valait pas la peine, et retourna à sa peinture.
- Oui, évidemment.
Asher s'approcha un peu plus de Fil et essaya de regarder par dessus son épaule. Aussi étrange que cela puisse paraître, ce qu'il était en train de faire l'intéressait.
- Et sinon, fit-il, changeant complètement de sujet. Tu fais quoi là ?
-Je peins, répondit Fil, toujours en colère. Vu qu'on est dans un atelier de peinture, on peint. C'est un concept assez compliqué, mais on s'y fait vite !
Les araignées se massèrent dans ses vêtements et essayèrent de le calmer par leur présence. Mais c'était à peine suffisant, et Fil bouillonnait.
Contre toute attente, Asher rit légèrement. La colère du garçon ne le touchait pas le moins du monde.
- Tu peins quoi ? Je peux voir ? C'est quel peinture ?
Lorsqu'il voulait savoir quelque chose, en général, il le savait assez vite, grâce à des techniques d'énervement pour ainsi dire aléatoires.
En guise de réponse, il lui montra son début de fourmilière. Vachement réaliste, on aurait dit une photo. Le pire dans tout ça, c'est qu'il n'avait jamais peint avant, mais c'était comme tisser avec des couleurs.
-Je t'en pris, dis moi que c'est nul et immonde comme je le suis.
Asher regarda longuement le tableau. En entendant sa phrase, il se tourna vers Fil et planta son regard dans le sien.
- Oh l'Araignée, tu pourrai arrêter de t'apitoyer sur ton sort ?
Puis comme si cela lui demandait un effort, il dit :
- Et ton tableau, il est super réussi.
Sa voix était vide d'émotion, mais on pouvait tout de même sentir l'honnêteté dans son regard.
-Avant toute chose, je ne suis pas "L'araignée", j'ai un prénom pour ta gouverne.
Il haussa les épaules. Des compliments ? Même s'il ne s'y attendait pas trop, ça lui faisait ni chaud ni froid...
- Bon, là, t'abuses, fit Flamme, une araignée, dans son dos.
-Je dirai même plus, t'abuses beaucoup, fit Gel, une deuxième.
Le duc regarda les deux araignées qui lui parlait. Ol ne put s'empêcher de se demander ce qu'elle disait. En tout cas, si il trouvait ça étrange, il nen montra rien, et Fil leva les yeux au ciel.
- Merci, fit-il en articulant toutes les syllabes pour montrer que c'était un peu forcé.
- Oui, bien sûr.
Asher fit une pause, comme s'il allait demander son nom. Mais à la place, il souffla d'un air légèrement morqueur :
- L'Araignée.
Fil fit un sourire forcé, puis déclara aux centaines d'araignées sur lui en insecte :
-Faites le moi flipper...
Les araignées sortirent des vêtements de Fil par centaines, toutes grosses comme de poings. Comment faisaient-elles pour tenir dans un endroit aussi étroit ?
La question n'aurait jamais de réponses, et elles foncèrent sur Asher.
Puis le garçon s'adossa contre un mur, et attendit.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro